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13/09/2023

Le patrimoine des administrations publiques à la fin de 2022

François ECALLE

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Les administrations publiques françaises sont très endettées mais détiennent des actifs financiers et non financiers qui doivent être pris en compte pour analyser la soutenabilité des finances publiques. L’endettement public est en effet parfois justifié s’il permet d’accroître ces actifs. Ceux-ci figurent dans les comptes de patrimoine publiés par l’Insee dans le cadre de la comptabilité nationale. Les comptes provisoires à fin 2022 viennent d’être mis en ligne.

Les actifs et passifs des administrations publiques en comptabilité nationale ne sont pas consolidés[1] et sont exprimés en valeur de marché[2] alors que la dette publique au sens du traité de Maastricht est consolidée, est exprimée en valeur faciale et ne comprend pas tous les passifs (les charges à payer en sont par exemple exclues). Les fiches de l’encyclopédie de FIPECO sur la dette publique et les actifs des administrations publiques présentent plus précisément leur définition et les méthodes utilisées pour les estimer.

Si la dette publique au sens du traité de Maastricht s’élève à 2 950 Md€, soit 112 % du PIB, à la fin de 2022, le total des passifs des administrations publiques est de 3 540 Md€. Il a diminué de 342 Md€ en 2022, passant de 155 % du PIB fin 2021 à 134 % fin 2022, alors que la dette au sens du traité de Maastricht s’est accrue de 126 Md€. En effet, la hausse des taux d’intérêt a conduit à déprécier de 472 Md€ la valeur de marché des titres déjà émis par les administrations publiques. Les emprunts de 2022 ont en revanche contribué à majorer de 130 Md€ le total des passifs.

Les actifs financiers des administrations publiques sont estimés à 1 689 Md€ fin 2022 et ont diminué de 27 Md€ par rapport à la fin de 2021, passant de 69 % du PIB fin 2021 à 64 % fin 2022.

Leurs actifs non financiers s’élèvent à 2 716 Md€ à la fin de 2022 et sont passés de 102 % du PIB fin 2021 à 103 % fin 2022. Leur valeur s’est accrue de 159 Md€ par rapport à fin 2021, dont 127 Md€ du fait de la hausse de leurs prix. Les investissements de 2022 sont estimés à 121 Md€, ce qui est en partie compensé par 92 Md€ d’amortissements.

La valeur nette du patrimoine des administrations publiques était de 864 Md€, soit 33 % du PIB, à la fin de 2022, contre 391 Md€, soit 16 % du PIB, fin 2021.

Les administrations publiques semblent donc s’être enrichies en 2022. Si leur patrimoine est intéressant à examiner, la dette publique au sens du traité de Maastricht est toutefois un meilleur indicateur de la soutenabilité des finances publiques. En effet, les obligations du trésor sont le plus souvent remboursées à leur échéance et à leur valeur faciale ; si la hausse des taux d’intérêt diminue la valeur de marché des obligations déjà émises, elle accroît les besoins de financement des années ultérieures ; une grande partie des actifs des administrations ne peut pas être vendue ; les actifs de nature à augmenter la production potentielle sont probablement très minoritaires.

A) Les passifs

Si la dette publique au sens du traité de Maastricht s’élève à 2 950 Md€, soit 111,8 % du PIB, à la fin de 2022, le total des passifs des administrations publiques se situe à 3 540 Md€, soit 133,9 % du PIB. Dans les statistiques publiées par les organisations internationales, comme l’OCDE, c’est souvent ce montant qui est publié et qui doit être comparé à la dette publique de pays comme les Etats-Unis ou le Japon[3].

En France, ces passifs sont constitués principalement (69 %) de titres de créance (obligations du trésor notamment) et plus secondairement de crédits bancaires (11 %). Le poste « autres passifs » (14 %) comprend surtout des charges à payer (aux fournisseurs de l’Etat, aux bénéficiaires de prestations sociales…). Ces passifs ne comprennent pas d’engagements au titre des retraites.

Source : Insee ; FIPECO.

Ils sont imputés par l’Insee aux administrations centrales (Etat et « organismes divers d’administration centrale »[4]) pour 79 %, aux administrations publiques locales pour 8 % et aux administrations de sécurité sociale pour 13 %.

Ils ont diminué de 342 Md€ par rapport à fin 2021 (3 882 Md€) alors que la dette au sens du traité de Maastricht s’est accrue de 126 Md€. En effet, ils sont comptabilisés en valeur de marché et la hausse des taux d’intérêt a conduit à déprécier de 472 Md€ la valeur des titres déjà émis par les administrations publiques. Les nouveaux passifs enregistrés en 2022 ont en revanche contribué à majorer de 130 Md€ le stock de dettes.

La croissance du PIB en valeur ayant en outre été relativement forte, les passifs des administrations publiques sont passés de 155,2 % du PIB à la fin de 2021 à 133,9 % du PIB à la fin de 2022.

Cette diminution de l’endettement des administrations publiques en comptabilité nationale du fait de la hausse des taux d’intérêt est commune à beaucoup de pays. La dette publique des pays de l’OCDE est ainsi passée en moyenne de 123 % du PIB fin 2021 à 114 % fin 2022.

B) Les actifs financiers

Les actifs financiers des administrations publiques sont estimés à 1 689 Md€. Ils sont composés d’actions (participations de l’Etat dans des sociétés notamment) pour 39 %, de crédits pour 11 %, de liquidités pour 16 %, de titres de créance (obligations, par exemple) pour 3 %. Une catégorie « autres » en représente 31 % et correspond surtout à des produits, tels que les impôts et cotisations, à recevoir au titre de l’exercice clos.

Source : Insee ; FIPECO.

Ils sont détenus à hauteur de 56 % par les administrations centrales, 15 % par les administrations locales et 30 % par les administrations de sécurité sociale. S’agissant de ces dernières, ce sont, pour environ la moitié, des produits à recevoir (cotisations et impôts notamment) et, pour une grande partie de l’autre moitié, les actifs financiers des régimes de retraite complémentaires, du fonds de réserve des retraites….

Ces actifs financiers ont diminué de 27 Md€ par rapport à la fin de 2021 (1 716 Md€), principalement en raison de la baisse des cours des actions cotées détenues par l’Etat et de l’impact de la hausse des taux d’intérêt sur la valeur des titres de créance détenus par les administrations publiques. Les flux nets d’acquisition et de cession d’actifs financiers ont été quasiment équilibrés.

La croissance du PIB en valeur ayant en outre été relativement forte, ils sont passés de 68,6 % du PIB à la fin de 2021 à 63,9 % du PIB à la fin de 2022.

C) Les actifs non financiers

En comptabilité nationale, les actifs non financiers des administrations publiques s’élèvent à la fin de 2022 à 2 716 Md€, soit 102,8 % du PIB. Environ 72 % d’entre eux sont inscrits à l’actif des administrations publiques locales.

Les actifs non financiers des administrations publiques dans leur ensemble sont constitués pour 42 % par des terrains, généralement bâtis, les espaces naturels étant valorisés à un prix égal à zéro. Les bâtiments non résidentiels en représentent 15 % et les autres ouvrages de génie civil 32 %. Les immobilisations incorporelles, les systèmes d’armes et les logements ont des parts beaucoup plus limitées.

Source : Insee, FIPECO.

Leur montant était de 2 557 Md€ à la fin de 2021 et l’augmentation de 159 Md€ de leur valeur résulte pour 127 Md€ de la réévaluation des bâtiments non résidentiels et des autres ouvrages de génie civil du fait de la hausse des prix de marché. Les autres actifs non financiers hors terrains ont été revalorisés de 15 Md€ et la valeur des terrains a en revanche été dépréciée de 11 Md€.

Les investissements de 2022 sont estimés à 121 Md€[5], ce qui est en partie compensé par des amortissements à hauteur de 92 Md€ (la consommation de capital fixe des comptes nationaux).

Les actifs non financiers des administrations publiques représentaient 102,8 % du PIB à la fin de 2022, contre 102,2 % du PIB à la fin de 2021.

D) La valeur du patrimoine net

1) Le patrimoine net à la fin de 2022

La valeur nette du patrimoine des administrations publiques, différence entre le total de leurs actifs et le total de leurs passifs, était de 864 Md€, soit 32,7 % du PIB, à la fin de 2022.

Celle du patrimoine des administrations centrales est fortement négative (- 1 233 Md€), car elles portent l’essentiel de la dette publique, tandis que celle des administrations locales est largement positive (1 896 Md€), car elles détiennent l’essentiel des actifs non financiers. Celle des administrations de sécurité sociale est positive (201 Md€).

Cette valeur nette du patrimoine des administrations publiques s’est accrue de 473 Md€ par rapport à la fin de 2021 et elle est ainsi passée de 15,6 % du PIB fin 2021 à 32,7 % fin 2022.

2) Le patrimoine net de 1995 à 2022

La valeur nette du patrimoine des administrations publiques représentait 27 % du PIB en 1995 et à peu près autant en 2002. Elle a ensuite fortement augmenté pour atteindre 58 % du PIB en 2007, principalement en raison d’une forte hausse de la valeur des actifs non financiers, qui tient elle-même presque entièrement à la valeur des terrains.

Elle a ensuite diminué de 50 points entre 2007 et 2020 jusqu’à 8 % du PIB. Elle est ensuite remontée jusqu’à 33 % du PIB en 2022, surtout du fait de la baisse de la valeur de marché des passifs des administrations publiques. La valeur nette du patrimoine des administrations publiques est ainsi revenue au-dessus de son niveau de 1995.

Source : Insee; FIPECO.

3) Les limites de la mesure du patrimoine net des administrations

Les administrations publiques semblent s’être enrichies en 2022, ce qui appelle les réserves suivantes sur la notion de patrimoine net.

D’abord, si la valeur de marché des obligations émises par les administrations publiques a diminué du fait de la hausse des taux d’intérêt, ces obligations sont en fait très majoritairement remboursées à leur échéance et donc à leur valeur faciale. En 2019, avant la crise, les remboursements d’OAT à l’échéance ont ainsi été de 130 Md€ et les remboursements anticipés de 46 Md€ ; en 2022, ces montants ont été respectivement de 146 Md€ et 26 Md€. Quand elles sont remboursées par anticipation, c’est toujours moins de deux ans avant leur échéance et donc à une valeur qui est proche de leur valeur faciale. En outre, la hausse des taux d’intérêt induit une hausse de la charge d’intérêts et donc du besoin de financement et de l’endettement des administrations au cours des années suivantes (31 Md€ par an au bout de 10 ans pour une hausse d’un point de tous les taux). La dette publique au sens du traité de Maastricht est donc une meilleure mesure de l’endettement de la France. 

Ensuite, la plupart des actifs non financiers des administrations publiques font partie du domaine public et sont donc « inaliénables et imprescriptibles » en application d’une législation qui remonte à l’édit de Moulins en 1566. En pratique, ils peuvent être cédés après avoir été déclassés pour être transférés au « domaine privé » des administrations, ce qui suppose de mettre en œuvre des procédures parfois complexes allant jusqu’au vote d’une loi. En tout état de cause, la vente de certains biens est impossible techniquement (la voirie municipale…) ou serait très difficile politiquement (les équipements des armées…). Il serait également très difficile de vendre certains actifs financiers (Banque de France, Caisse des dépôts et consignations…).

Enfin, les actifs de nature à augmenter la production potentielle sont probablement très minoritaires. Les terrains, les bureaux, les logements et les armements représentent au total près de 60 % des actifs non financiers. Le bénéfice socio-économiques des autres actifs non financiers (ouvrages de génie civil, matériels et équipements, logiciels…) est en outre parfois loin d’être positif.

Au total, si le patrimoine des administrations publiques tel qu’il est estimé dans les comptes nationaux donne une information intéressante, la dette publique brute au sens du traité de Maastricht est un meilleur indicateur pour apprécier la soutenabilité des finances publiques.

On peut également noter que ces comptes de patrimoine ne retiennent ni la capacité de l’Etat à augmenter et lever l’impôt du côté des actifs, mais elle pourrait être remise en question compte-tenu du niveau déjà atteint par le taux des prélèvements obligatoires, ni les engagements hors bilan de l’Etat du côté des passifs. Ces derniers sont décrits dans une fiche particulière. En raison de leur grande hétérogénéité, il est préférable de ne pas les totaliser mais certains d’entre eux, comme les engagements de retraite de l’Etat vis-à-vis de ses agents, représentent des montants très importants.

Les médias suivants ont mentionné cette note :

Les Echos

BFM Business 

Le Nouvel Economiste 

[1] La consolidation consiste à éliminer les créances et dettes réciproques entre administrations publiques.

[2] La valeur à laquelle les titres sont échangés sur le marché et non le montant qui sera remboursé à l’échéance (la valeur faciale).

[3] En soustrayant le passif associé aux retraites des fonctionnaires dans le cas des Etats-Unis.

[4] Organismes contrôlés par l’Etat et dont l’activité est principalement non marchande.

[5] En y incluant les « autres changements de volume et ajustements ».

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