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10/09/2024

Les efforts structurels de réduction du déficit public de 1989 à 2023

François ECALLE

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Le niveau du déficit public de la France en 2023 (5,5 % du PIB) résulte des fluctuations de l’activité économique et des mesures budgétaires mises en œuvre, non seulement en 2023 mais aussi toutes les années précédentes. La contribution des mesures prises par chaque majorité parlementaire depuis 1989 à la formation du déficit de 2023 est estimée dans ce billet en mesurant « l’effort structurel », positif ou négatif, réalisé pendant chaque législature.

L’effort structurel est la somme d’un effort sur les recettes et d’un effort sur les dépenses. Le premier correspond à l’impact budgétaire des mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires. Le deuxième traduit une croissance en volume des dépenses publiques inférieure à la croissance potentielle du PIB. Un effort structurel négatif contribue à accroître le déficit.

Sous réserve de quelques ajustements, notamment la prise en compte des seules dépenses primaires, l’effort structurel est au cœur des nouvelles règles budgétaires européennes.

Les mesures nouvelles de hausse ou de baisse des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques qui ont été prises de 1989 à 2023 ont accru le déficit de 4,1 points de PIB au total.

L’effort structurel n’a été positif (favorable à la réduction du déficit) que pendant les législatures 1993-1997 (à hauteur de 2,3 points de PIB) et 2012-2017 (1,7 point). Il a été très négatif pendant les législatures 1989-1993 (- 2,3 points de PIB), 1997-2002 (-1,7 point), 2007-2012 (-2,0 points) et 2017-2023 (- 1,5 point.) Il a été moins négatif dans les années 2002-2007 (- 0,7 point)).

De 1989 à 2023, l’effort sur les dépenses a été très négatif (- 5,2 points de PIB), alors que l’effort sur les prélèvements obligatoires a été positif (+ 1,1 points de PIB). La progression des dépenses a donc été trop forte au regard de la croissance potentielle du PIB et les hausses, pourtant importantes, des impôts et cotisations sociales n’ont pas suffi pour la compenser.

L’effort de maîtrise des dépenses n’a été positif que sur les périodes 1997-2002 et 2017-2023 (en raison surtout de la suppression du CICE qui est une dépense publique en comptabilité nationale comme tous les crédits d’impôt). Il a été fortement négatif sur les périodes 1989 à 1993 et 2002 à 2012.

Les épisodes de hausse et de baisse des prélèvements obligatoires ont alterné, avec notamment deux périodes marquées par une forte augmentation (1993-1997 et 2012-2017) et deux autres marquée par une forte diminution (1997-2002 et 2017-2023).

A) La définition et la mesure de l’effort structurel

1) La notion d’effort structurel

L’effort structurel, qui est exprimé en points de PIB, constitue l’estimation la plus pertinente de la contribution des mesures budgétaires à la réduction ou à l’aggravation du déficit public. Il permet d’éliminer l’impact de la conjoncture plus complètement que le solde structurel (voir plus loin) et il est plus facile à interpréter que celui-ci. En effet, il est décomposable en un effort de hausse des prélèvements obligatoires et un effort de maîtrise des dépenses publiques.

L’effort de hausse des prélèvements (impôts et cotisations sociales) est égal au rendement (ou au coût) total des « mesures nouvelles » concernant ces prélèvements. Il est négatif, en termes d’impact sur le solde public, si les baisses d’impôts l’emportent sur les hausses.

L’effort de maîtrise des dépenses publiques est égal à 55 % de la différence entre la « croissance potentielle » du PIB et la croissance en volume des dépenses, ce qui se justifie par le fait que plus la progression des dépenses est faible par rapport à la croissance potentielle du PIB plus le ratio des dépenses au PIB diminue à moyen terme. Le coefficient de 55 % correspond au poids des dépenses publiques dans le PIB et permet de passer d’un pourcentage des dépenses à un pourcentage du PIB.

Si la croissance des dépenses est supérieure à la croissance potentielle du PIB, l’effort est négatif, ce qui signifie qu’il contribue à aggraver le déficit public et que le rapport des dépenses au PIB tend à augmenter.

La croissance potentielle étant estimée en volume, il doit en être de même de la croissance des dépenses, mais il n’existe pas d’indice de prix spécifique aux dépenses publiques. Bien que l’indice des prix à la consommation soit souvent utilisé pour calculer un taux de croissance en volume des dépenses publiques, l’effort structurel est mesuré en retenant l’indice du prix du PIB pour passer de la croissance en valeur à la croissance en volume des dépenses.

La Commission européenne utilise également l’indice du prix du PIB pour analyser « l’évolution des dépenses, déduction faite des mesures discrétionnaires en matière de recettes », conformément aux règles budgétaires européennes. Ce concept de « dépenses déduction faite des mesures discrétionnaires en matière de recettes » est en pratique assez proche de celui d’effort structurel.

L’utilisation de l’indice du prix du PIB dans le calcul de l’effort structurel facilite en effet la comparaison de celui-ci avec les variations du solde effectif et du solde structurel exprimés en points de PIB.

2) L’effort structurel et le solde structurel

L’effort structurel réalisé l’année N n’est pas égal à la variation du solde structurel entre N et N-1, surtout pour les deux raisons suivantes.

D’une part, le solde structurel est la différence entre le solde effectif et sa composante conjoncturelle, qui est elle-même mesurée en supposant que « l’élasticité des prélèvements obligatoires au PIB » est égale à 1,0. Or cette élasticité n’est pas toujours égale à 1 et, si elle est supérieure à 1, le solde structurel s’améliore[1]. Elle a ainsi été de 1,06 sur la période 1989-2023. L’effort structurel est indépendant de cette élasticité et permet donc d’éliminer plus complètement l’effet de la conjoncture sur le déficit public. Au cours des années 1989-2023, le solde structurel s’est moins dégradé que l’effort structurel négatif estimé dans ce billet, notamment parce que l’élasticité des prélèvements obligatoires au PIB a été en moyenne supérieure à un.

D’autre part, seules les mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires sont prises en compte pour mesurer l’effort structurel alors qu’il existe d’autres recettes publiques (redevances pour services rendus…) et que leur variation d’une année à l’autre affecte le solde structurel.

3) Les données utilisées pour mesurer l’effort structurel réalisé chaque année

La composante de l’effort structurel relative aux dépenses publiques a été estimée à partir des séries annuelles de dépenses en valeur et de l’indice des prix du PIB publiées par l’INSEE ainsi que des taux de croissance potentielle estimés pour chaque année depuis 1989 par la Commission européenne à l’occasion de ses prévisions du printemps 2024.

Les données nécessaires pour estimer l’impact des mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires ont été prises dans des documents de travail sur l’effort structurel publiés par la direction générale du trésor pour les années 1998 à 2006[2] et dans les rapports économiques, sociaux et financiers annexés aux projets de loi de finances pour les années 2007 à 2023.

Les informations, incomplètes et hétérogènes, disponibles dans de multiples documents ont été confrontées et synthétisées pour évaluer les mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires de 1989, année la plus lointaine pour laquelle cette évaluation a été possible, jusqu’à 1997. Les efforts relatifs aux prélèvements obligatoires qui ont été ainsi obtenus figurent dans un article de la revue Sociétal publié en 2011[3]. Ces montants sont inévitablement d’une précision limitée, mais les ordres de grandeur en dixièmes de points de PIB sont suffisamment robustes pour en tirer des conclusions.

Les mesures temporaires et exceptionnelles de hausse des dépenses (ou de baisse des impôts) n’ont pas été déduites de l’effort structurel car elles ne sont pas recensées sur une aussi longue période[4].

B) Les efforts structurels réalisés depuis 1989

1) L’effort total et par législature

Le graphique suivant fait apparaitre l’effort structurel réalisé chaque année depuis 1989. L’effort total est négatif (- 4,1 point de PIB). Il a été négatif au début des années 1990, fortement positif pendant la période de préparation à l’entrée dans la zone euro, fortement négatif au tournant des années 2000 après l’épisode de la « cagnotte » et pendant la bulle de la « nouvelle économie »[5] puis proche de zéro jusqu’à 2007. Il a été creusé pendant la crise de 2008-2009 par le plan de relance et un fort ralentissement de la croissance potentielle[6], avant que des mesures de redressement ne soient mises en œuvre de 2011 à 2015. Après avoir été quasiment nul en 2016 et 2017, il a été substantiel en 2018 et légèrement négatif en 2019 avant d’être fortement négatif en 2020 et 2021, de nouveau sous l’effet des mesures de soutien et relance de l’activité et de la baisse de la croissance potentielle, puis quasi-nul en 2022 et très important en 2023 du fait de l’extinction progressive des mesures exceptionnelles prises sur les années 2020-2022.

Source : FIPECO.

Ces efforts structurels annuels ont été regroupés par législature en imputant conventionnellement l’effort enregistré les années d’élections législatives pour moitié à la majorité sortante et pour moitié à la nouvelle majorité[7]. L’effort de l’année 2023 est ajouté à celui de la législature 2017-2022 car c’est la même majorité parlementaire qui a légiféré de 2017 à 2023 même si elle n’était que relative en 2023.

Il convient également de noter que l’effort structurel réalisé une année donnée, même si ce n’est pas une année électorale, dépend pour partie de mesures décidées sous la majorité précédente dont l’impact s’étale sur plusieurs exercices, mais la nouvelle majorité a au moins pris la responsabilité de ne pas les annuler.

Le tableau suivant fait apparaitre la répartition de l’effort structurel par législature sous ces conventions.

Les efforts structurels par législature en % du PIB

1989-1993

1993-1997

1997-2002

2002-2007

Effort total

-2,3

+2,3

-1,7

-0,7

Effort sur les recettes

+0,3

+2,3

-2,0

+0,3

Effort sur les dépenses

-2,6

-0,05

+0,35

-0,95

2007-2012

2012-2017

2017-2023

Total

Effort total

-2,0

+1,7

-1,5

-4,1

Effort sur les recettes

+0,35

+2,5

-2,6

+1,1

Effort sur les dépenses

-2,35

-0,7

+1,1

-5,2

Source FIPECO ; l’année 2023 a été ajoutée à la législature 2017-2022.

Il a d’abord été négatif sous la législature 1989-1993 (- 2,3 points de PIB), puis positif sur 1993-1997 (2,3 point de PIB), négatif sur 1997-2002 (- 1,7 points), 2002-2007 (- 0,7 point) et 2007-2012 (- 2,0 point) avant de redevenir positif de 2012 à 2017 (1,7 points) et négatif (- 1,5 point) sur 2017-2023. S’agissant de cette dernière période, l’effort structurel aurait été moins négatif si certaines mesures exceptionnelles et en principe temporaires n’avaient pas été maintenues en 2023.

2) La répartition de l’effort entre dépenses et prélèvements

La décomposition de l’effort structurel par législature entre ses volets relatifs aux recettes et aux dépenses apparait sur le graphique suivant. Les crédits d’impôts sont inclus dans les dépenses publiques, conformément aux règles de la comptabilité nationale.

La première partie du second septennat de F. Mitterrand (1989-1993) a été marquée par une forte croissance des dépenses publiques (3,5 % en volume en moyenne sur 1989-1992) sous l’effet notamment de la progression des pensions et des dépenses d’assurance maladie et d’éducation. Les baisses d’impôt (suppression du taux majoré de TVA, allègement de l’IS…) ont été plus que compensées par les augmentations des prélèvements sociaux (cotisations vieillesse…) et des impôts locaux.

Source : FIPECO.

La croissance des dépenses a fortement ralenti pendant la période de cohabitation (1993-1995) puis les deux premières années du septennat de J. Chirac (1995-1997) : elle a été ramenée à 1,8 % en moyenne en volume sur 1994-1996 sous l’effet de mesures telles que la réforme des retraites ou le contrôle des remboursements d’assurance maladie. L’effort en dépenses est toutefois très légèrement négatif à cause de l’année 1993 qui est prise pour moitié dans le résultat de la législature 1993-1997[8]. Celle-ci a également mis en œuvre une forte hausse des prélèvements obligatoires (hausse de 2 points du taux normal de TVA, de l’IS, de la CSG et de la TIPP…) qui explique l’essentiel de l’effort structurel.

La période de cohabitation du septennat de J. Chirac (1997-2002) a été marquée par de fortes baisses des prélèvements obligatoires (allégements de cotisations patronales dans le cadre du passage aux 35 heures, baisse d’un point de la TVA et application d’un taux réduit aux travaux d’entretien du logement, suppression de la composante salariale de la taxe professionnelle…). Après un net ralentissement en 1998 (0,5 %), la croissance des dépenses en volume a rebondi sur les années 1999-2001 (2,4 % en moyenne annuelle) sous l’effet notamment de la mise en place des 35 heures dans la fonction publique et d’une accélération des remboursements d’assurance maladie. Au total, l’effort en dépenses a été légèrement positif, mais en partie parce que la croissance potentielle était très forte.

Pendant le quinquennat de J. Chirac (2002-2007), les prélèvements obligatoires ont d’abord augmenté légèrement avant une forte baisse en 2007 (IR et IS) prise pour moitié dans l’effort de la législature 2002-2007. Sous celle-ci, la croissance des dépenses en volume est restée relativement forte (2,0 % en moyenne sur 2003-2006) sous l’effet notamment des dépenses des collectivités locales (en partie du fait de transferts de compétences de l’Etat).

Pendant le quinquennat de N. Sarkozy (2007-2012), les prélèvements obligatoires ont d’abord fortement baissé, dans le cadre de la loi sur le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat puis dans le cadre du plan de relance. Ils ont ensuite augmenté sous l’effet de l’arrêt du plan de relance puis des mesures de redressement budgétaire décidées à partir de l’été 2010. La croissance des dépenses en volume est restée à 2,0 % (2008-2011) et la croissance potentielle du PIB a fortement ralenti, si bien que l’effort structurel en dépenses a été très négatif.

Le quinquennat de F. Hollande (2012-2017) a commencé avec de fortes hausses des prélèvements obligatoires et les baisses enregistrées ensuite ont été de bien moindre ampleur, si bien que l’effort en recettes sur 2012-2017 est particulièrement important. La croissance des dépenses en volume a été ramenée à 1,1 % en moyenne sur 2013-2017, mais la croissance potentielle du PIB a encore plus diminué et l’effort en dépenses est ainsi légèrement négatif. La montée en charge du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) a réduit l’effort en dépenses d’environ 0,9 point de PIB et n’a pas eu d’impact sur l’effort en recettes.

Le premier quinquennat de E. Macron a d’abord été marqué par un fort ralentissement des dépenses publiques en volume (- 0,6 % en 2018 et seulement 0,2 % en 2019 en raison notamment de la suppression du CICE) puis par une forte hausse en 2020 (3,3 %) et 2021 (3,0 %) du fait surtout des mesures exceptionnelles prises pendant la crise sanitaire. Leur extinction progressive explique pour beaucoup la modération des dépenses en 2022 (0,8 %) et leur forte baisse en 2023 (- 1,6 %). Au total, l’effort en dépenses est positif sur 2017-2023 (il est négatif sur 2017-2022). En revanche, l’effort en recettes est fortement négatif du fait des baisses d’impôts (taxe d’habitation, impôt sur les sociétés, allègements de cotisations sociales en contrepartie de la suppression du CICE…).

Si le CICE était enregistré en déduction des prélèvements obligatoires et non en dépenses publiques, l’effort structurel en dépenses serait supérieur de 0,9 point de PIB sous le quinquennat de F. Hollande (et l’effort en recettes inférieur de 0,9 point). Symétriquement, l’effort structurel en dépenses sous le premier quinquennat de E. Macron serait inférieur de 0,9 point et l’effort en recettes supérieur de 0,9 point).

Sur l’ensemble de la période 1989-2023, l’effort structurel sur les recettes a été positif (1,1 points de PIB) et l’effort sur les dépenses très négatif (- 5,2 points).

Les médias suivants ont mentionné ce texte :

Les Echos 

 

[1] Si elle est inférieure à 1, il se détériore.

[2] « Solde structurel et effort structurel : un essai d’évaluation de la composante discrétionnaire de la politique budgétaire » de S. Duchêne et D. Levy, 2003. « Solde structurel et effort structurel : vers une décomposition par sous-secteurs des administrations publiques » de T. Guyon et S. Sorbe, 2009.

[3] « Pourquoi le déficit public s’aggrave-t-il ? » François ECALLE, Sociétal n° 74 ; 2011.

[4] Leur prise en compte aurait en outre souvent des effets symétriques sur l’effort structurel l’année de la mesure et l’année suivante (où elle disparait) et ne modifierait donc pas les évolutions de long terme.

[5] La croissance a été très forte dans l’ensemble des pays de l’OCDE au tournant des années 2000 ce qui a conduit certains économistes à parler de « nouvelle économie ». En conséquence, les recettes fiscales ont augmenté plus que prévu par le gouvernement ce qui a conduit J. Chirac à évoquer une « cagnotte » cachée.

[6] Pour une croissance donnée des dépenses, l’effort structurel en dépenses est d’autant plus faible (ou négatif) que la croissance potentielle est faible.

[7] Ce qui n’a toutefois pas été possible pour 1988 (données insuffisantes pour mesurer l’effort structurel).

[8] Ces années ont été également marquées par un ralentissement de la croissance potentielle qui a contribué à réduire l’effort en dépenses.

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