FIPECO, le 17.01.2022
Les fiches de l’encyclopédie V) Les dépenses publiques
7) La croissance tendancielle des dépenses publiques
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Selon la définition souvent retenue en France, comme dans d’autres pays, les « économies » prévues ou réalisées sur les dépenses publiques sont égales à la différence entre le montant des dépenses qui résulte de leur « croissance tendancielle » et le montant prévu ou constaté (cf. fiche sur le chiffrage des économies).
La croissance tendancielle des dépenses publiques est une croissance « à politique constante », qui correspond le plus souvent à une « législation constante » et à une « réglementation constante » mais pas toujours. Par exemple, dans les années antérieures à 2010, le point de la fonction publique était périodiquement revalorisé par décret en fonction de l’inflation mais sans règle d’indexation légalement établie. Ces revalorisations, bien qu’elles impliquassent chaque fois un changement de la réglementation, relevaient d’une « politique constante ».
Il existe plusieurs méthodes pour évaluer cette croissance tendancielle des dépenses publiques à politique constante, qui sont toutes fragiles et discutables. Les estimations obtenues sont souvent très conventionnelles et le plus important est que les conventions soient transparentes.
Les administrations françaises estiment depuis longtemps la croissance tendancielle de certaines dépenses ou de l’ensemble des dépenses publiques, mais les modalités de calcul de la tendance retenue par les gouvernements successifs pour chiffrer les économies annoncées ou réalisées ont rarement été suffisamment documentées.
A) Les méthodes d’estimation
On peut distinguer des méthodes « déterministes », « historiques » et « normatives » pour évaluer la croissance tendancielle des dépenses publiques. En outre, bien qu’elle soit différente de la croissance tendancielle des dépenses publiques, la croissance potentielle du PIB est parfois utilisée comme référence pour estimer les économies.
La croissance tendancielle des dépenses peut être mesurée en valeur ou en volume. Sur plusieurs années, les dépenses publiques étant largement indexées, de droit ou de fait, sur l’inflation, il est préférable de la mesurer en volume pour éviter de constater des économies tenant seulement au fait que l’inflation a été plus faible que prévu ce qui a ralenti la croissance des dépenses en valeur.
Si elle est exprimée en volume alors que les budgets sont votés en valeur, une hausse imprévue de l’inflation peut certes se traduire par une croissance des dépenses en volume inférieure à la prévision et à des économies qui ne résultent d’aucun effort particulier. Toutefois, ces erreurs de prévision de l’inflation tendent à se compenser sur plusieurs années, et il est donc préférable de s’en tenir à une croissance tendancielle en volume.
1) Les méthodes « déterministes »
Elles s’appliquent à des dépenses qui augmentent à législation constante sous l’effet de déterminants socio-économiques tels que la démographie et l’inflation. Pour estimer leur croissance tendancielle, il faut prévoir l’évolution de leurs déterminants, en s’appuyant notamment sur un scénario macroéconomique, et en évaluer l’impact sur ces dépenses.
Les dépenses de retraite constituent une des catégories de dépenses pour lesquelles cette méthode est la plus appropriée. Cependant, même dans ce cas apparemment simple, elle est assez compliquée à mettre en œuvre car leurs déterminants sont en réalité plus nombreux que la démographie et l’inflation (situation de l’emploi des séniors, évolution des salaires de référence …) et leur évolution est malaisée à prévoir.
Pour des dépenses ayant également une forte composante démographique, comme les prestations familiales et les allocations de logement, l’estimation de la tendance est encore plus difficile car les déterminants sont plus nombreux et complexes (composition des ménages, impact de l’évolution des revenus compte-tenu des plafonds de ressources…).
Une autre solution, parfois appliquée aux dépenses de santé, consiste à estimer économétriquement l’impact sur ces dépenses, dans le passé, de deux ou trois variables macroéconomiques en principe plus prévisibles (revenu des ménages, productivité dans le secteur des services, nombre de personnes âgées…), à prévoir ensuite l’évolution de ces variables pour les années à venir et à calculer la croissance des dépenses qui en résulte. Ces estimations des déterminants de la dépense sur le passé laissent toujours apparaître un « résidu » inexpliqué qui peut prendre une ampleur inattendue au cours des années suivantes et conduire à d’importantes erreurs de prévision.
2) Les méthodes « historiques »
Elles s’appliquent à des dépenses dont les déterminants, à législation constante, sont mal connus et hors du contrôle de l’Etat, comme les dépenses des collectivités territoriales.
Elles s’appliquent aussi à des dépenses qui résultent de décisions discrétionnaires de l’Etat, qui peuvent donc en théorie être arrêtées à tout moment par celui-ci mais qui, à politique constante, seront certainement au moins en partie maintenues. Les investissements publics en constituent un exemple.
Les dépenses d’investissement tendancielles pourraient être définies comme étant celles qui résultent de l’absence de toute nouvelle décision et être ainsi limitées aux « coups partis », c’est-à-dire aux crédits de paiement nécessaires chaque année à venir pour payer les investissements déjà engagés. La « tendance » qui en résulterait serait un investissement public tendant vers zéro, ce qui est irréaliste et peut difficilement être considéré comme le résultat d’une quelconque « politique constante ».
Les « méthodes historiques » qui s’appliquent à ces catégories de dépenses consistent à mesurer leur croissance moyenne sur une période de référence, correspondant à l’application d’une « politique constante », et à considérer que cette moyenne historique représente la tendance associée à cette politique.
La croissance tendancielle ainsi estimée dépend fortement de la période de référence retenue. Celle-ci peut correspondre à une ou plusieurs législatures ou quinquennats, ou aux années qui séparent une ou plusieurs élections municipales pour ce qui concerne les dépenses des collectivités territoriales. En pratique, il arrive aussi que ce soit un nombre « rond » ou « quasi rond » d’années (les cinq, dix ou vingt dernières), sans référence à une politique particulière.
Pour les dépenses qui ont une nature cyclique, comme l’investissement public local qui dépend pour partie du cycle des élections municipales, il est aussi possible d’utiliser des méthodes statistiques qui permettent de distinguer une tendance « pure » et des fluctuations cycliques autour de cette tendance.
3) Les méthodes « normatives »
Pour certaines dépenses discrétionnaires et contrôlées par le Gouvernement, notamment parce qu’elles sont contraintes par des crédits budgétaires limitatifs, une méthode « normative » d’estimation de leur croissance tendancielle consiste à retenir l’impact sur ces dépenses de la « politique » affichée par le Gouvernement, par exemple de son objectif d’évolution des crédits. La croissance tendancielle est alors différente d’un Gouvernement à l’autre.
La contribution de l’évolution des effectifs de l’Etat à la croissance tendancielle de la masse salariale peut ainsi être considérée comme étant égale à l’impact budgétaire d’une politique déterminée : le non remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans les années 2008-2012 ; la stabilisation globale des effectifs au début des années 2013-2017.
4) L’utilisation de la croissance potentielle du PIB
Comme indiqué dans la fiche sur le chiffrage des économies, celles-ci peuvent être mesurées par écart non à la croissance tendancielle des dépenses mais par écart à la « croissance potentielle du PIB ». L’intérêt de cette approche réside dans le fait que les économies ainsi mesurées se traduisent par une diminution à moyen terme du rapport des dépenses publiques au PIB, ce qui est souvent l’objectif final recherché. Mais la croissance potentielle du PIB peut n’avoir aucun rapport avec la croissance tendancielle d’une dépense particulière.
En principe, cette approche devrait donc être réservée à la mesure macroéconomique de la composante relative aux dépenses de « l’effort structurel » de réduction du déficit et ne pas être utilisée pour chiffrer des économies à un niveau microéconomique. Toutefois, de manière très conventionnelle et à défaut d’une mesure plus pertinente, la croissance potentielle du PIB est parfois retenue pour estimer la croissance tendancielle de dépenses particulières.
B) La croissance tendancielle des dépenses en France
1) L’historique des estimations jusqu’à 2012
Depuis très longtemps, la direction générale du trésor (auparavant la direction de la prévision) et la direction du budget établissent des scénarios tendanciels à moyen terme, pour les administrations publiques s’agissant de la première et pour l’Etat s’agissant de la deuxième, et évaluent sur cette base les économies ou les hausses de prélèvements nécessaires pour atteindre une cible de déficit. Leurs travaux ne sont pas publiés.
Depuis aussi longtemps, des études académiques et des rapports administratifs présentent des estimations, sur une base « déterministe », de la croissance tendancielle de certaines dépenses sociales, de retraites et d’assurance maladie en particulier, ainsi qu’un éventail de mesures qui pourraient permettre de rétablir un équilibre financier des régimes concernés.
Depuis le début des années 2000, les programmes de stabilité ont souvent comparé la prévision de croissance des dépenses publiques et de ses principales composantes (dépenses de l’Etat, des administrations sociales…) à l’horizon de la programmation avec leur croissance passée sur une période de référence, variable d’un programme à l’autre. Une économie globale était parfois affichée sous la forme de l’écart entre le ratio dépenses publiques / PIB prévu et celui qui résulterait de la croissance tendancielle des dépenses.
Dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de 2008, la Cour des comptes a noté que l’objectif du Gouvernement d’une croissance annuelle moyenne des dépenses publiques de 1,1 % en volume sur la période 2009-2012 correspondait à une économie de 40 Md€ sur 4 ans par rapport à une croissance tendancielle de 2,2 % égale à la moyenne des années 1997-2007.
Des informations complémentaires sont apparues dans les programmes de stabilité et les lois de programmation des finances publiques à la fin de la dernière décennie. Le rapport annexé à la loi de programmation 2009-2012 de décembre 2008 fait ainsi apparaître la nécessité d’une économie de 9 Md€ par an sur les dépenses de l’Etat pour respecter le budget triennal sur les années 2009 à 2011 par rapport à leur progression tendancielle.
Le plan de redressement de novembre 2011 (amendement au PLF 2012) présentait, année par année sur la période 2012-2016, les économies en milliards d’euros envisagées par sous-secteur des administrations publiques, en détaillant parfois certaines mesures, par rapport à une croissance tendancielle qui n’était toutefois pas clairement explicitée.
Dans son rapport public annuel de janvier 2012, la Cour des comptes a commenté ce plan en notant que « depuis 1994, la croissance des dépenses publiques en volume fluctue, dans des proportions généralement faibles, autour d’un taux de 2,0 % par an, mais elle a été significativement infléchie au cours des dernières années et ramenée à 1,7 % par an de 2007 à 2010, sous l’effet de normes de dépenses plus strictes pour l’Etat et l’assurance maladie et d’autres mesures d’économie. Ce taux de 1,7 % a été retenu dans le présent rapport pour apprécier les économies nécessaires pour atteindre l’objectif du Gouvernement ».
En mai 2012, l’inspection générale des finances a remis aux ministres un rapport, non publié, sur la maîtrise des dépenses de l’Etat qui donne une estimation de leur croissance tendancielle en volume (1,3 % par an). L’inspection en a tiré une estimation de la croissance tendancielle des dépenses publiques totales (1,5 % en volume hors crédits d’impôts) en ajoutant à son estimation pour l’Etat une tendance historique pour les ODAC et les administrations publiques locales et des estimations tirées de diverses sources pour les administrations sociales. Dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2012, la Cour des comptes a repris cette estimation de 1,5 % en volume.
2) La croissance tendancielle qui fonde les 50 Md€ d’économies sur la période 2015-2017
Dans son rapport public annuel de février 2014, la Cour des comptes a noté que les économies nécessaires sur la période 2015-2017 pour atteindre les objectifs de croissance des dépenses publiques du Gouvernement (0,2 % par an hors crédits d’impôts en volume) s’élèveraient à un peu plus de 50 Md€ si on retenait la même croissance tendancielle que le ministère des finances (1,6 %).
Jusqu’à juin 2016, les objectifs de croissance des dépenses publiques du Gouvernement ont plusieurs fois changé, mais le montant des économies est resté de 50 Md€. Son estimation de la croissance tendancielle a donc été révisée, ce qui n’est pas anormal en soi car certaines dépenses sont influencées, à politique constante, par des facteurs conjoncturels comme l’évolution des prix ou des revenus. Toutefois, ces révisions n’ont jamais été explicitées.
Le Parlement a demandé au Gouvernement, à travers un article de la loi de programmation des finances publiques de décembre 2014, de préciser son estimation de la croissance tendancielle des dépenses publiques, ce qu’il a fait dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2016. Il y estime la croissance tendancielle à 1,8 % en volume par an (hors crédits d’impôts) sur la période 2012-2017.
Le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2017 présente une nouvelle estimation de la croissance tendancielle des dépenses, de 2,0 % en volume, avec guère plus de précisions méthodologiques.
3) Les estimations de la Cour des comptes en 2017
La Cour des comptes a présenté une estimation de la croissance tendancielle des dépenses publiques pour la période 2017-2022 dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2017, en s’appuyant sur les travaux de diverses administrations et ses propres analyses.
Cette nouvelle croissance tendancielle est de 3,3 % en valeur, et 1,6 % en volume, soit 3,2 % pour l’Etat et les ODAC, 3,5 % pour les administrations publiques locales et 3,4 % pour les administrations de sécurité sociale. Elle peut servir de base à l’appréciation des économies qui ont été réalisées pendant le quinquennat 2017-2022.
4) La note de l’institut Montaigne de janvier 2022
L’institut Montaigne a publié en janvier 2022 une note de V. Bourquard et F. Ecalle qui présente une estimation de la croissance tendancielle des dépenses publiques de 1,2 % en volume sur la période 2023-2027 (1,7 % hors mesures d’urgence et de relance, celles-ci devant disparaître progressivement au début de cette période).
Cette estimation repose notamment sur : le scénario macroéconomique de la Commission européenne ; des estimations déterministes de la croissance tendancielle des dépenses sociales tirées de divers rapports administratifs (conseil d’orientation des retraites…) ; une croissance des dépenses publiques locales égale à celle de leurs ressources (les dotations de l’Etat étant supposées stabilisées en volume) avec prise en compte du cycle de leurs investissements) ; une stabilisation des effectifs de l’Etat et des évolutions identiques des salaires moyens par tête dans la fonction publique et le secteur privé.
Compte-tenu de cette croissance tendancielle des dépenses, l’objectif du Gouvernement pour les années 2023-2027 (0,2 % par an y compris mesures d’urgence et relance) suppose de réaliser 70 Md€ d’économies au bout de cinq ans pour être atteint.
C) Les méthodes suivies par les autres pays et les organisations internationales
Les estimations des économies et de la croissance tendancielle des dépenses, lorsque les économies sont évaluées en écart par rapport à celle-ci, sont souvent aussi peu explicites dans les autres pays et il n’y est donc pas fait référence dans cette fiche. Les organisations internationales ne sont guère plus précises, à l’exception de la Commission européenne qui consacre à cette question un chapitre de son rapport de décembre 2016 sur les finances publiques dans l’Union européenne.
Pour les dépenses comme pour les recettes, elle distingue un « scénario de référence » (« baseline »), qui correspond à l’évolution à politique constante de cette fiche et s’appuie en partie sur l’estimation d’une « tendance » (« trend »), d’une part, et des « mesures de politique budgétaire » (« fiscal policy measures »), d’autre part. En ajoutant au scénario de référence les mesures de politique budgétaire qui sont suffisamment détaillées et dont la mise en œuvre est suffisamment assurée, elle détermine « l’évolution à politique inchangée » (« no policy change assumption ») qui est systématiquement prise en compte dans ses prévisions de finances publiques. Dans ce rapport de décembre 2016, elle présente des principes de construction du scénario de référence et d’estimation des impacts des mesures de politique budgétaire.