FIPECO le 27.06.2024
Les fiches de l’encyclopédie II) Déficit et dette publics, politique budgétaire
5) Le PIB potentiel et la croissance potentielle
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L’estimation du « PIB potentiel », ou de la « croissance potentielle » qui désigne son taux de croissance, vise à satisfaire deux besoins essentiels pour l’analyse des finances publiques.
Le premier est d’apprécier correctement la situation des finances publiques. Le niveau du déficit public dépend en effet fortement de l’activité économique et donc de la situation conjoncturelle (cf. fiche sur déficit et croissance) : dans une phase de récession ou de ralentissement de l’activité, les recettes publiques sont faibles et le déficit augmente mécaniquement si aucune mesure nouvelle n’est prise ; il diminue tout aussi mécaniquement lorsque la croissance reprend. Il est donc très important de corriger le « déficit effectif », c’est-à-dire constaté, pour estimer le « déficit structurel », à savoir celui qui aurait été constaté si le PIB était à son niveau « normal » ou, en termes techniques, « potentiel ».
Le deuxième est de faire des prévisions économiques, notamment à moyen et long terme, pour anticiper, par exemple, les évolutions de la dette publique ou du besoin de financement des régimes de sécurité sociale. Les fluctuations conjoncturelles du PIB, comme les chocs externes, sont imprévisibles à cet horizon et les économistes s’en tiennent généralement à prévoir que le « PIB effectif », celui mesuré par les comptables nationaux, rejoindra progressivement le PIB potentiel puis que sa croissance sera égale à la croissance potentielle.
Cette fiche présente les définitions et les méthodes les plus courantes d’estimation du PIB potentiel et de la croissance potentielle, avec leurs limites, ainsi que les résultats de leur estimation pour la France et d’autres pays.
A) Les définitions et les méthodes d’estimation
1) Les définitions
Le PIB potentiel est défini comme le volume de production pouvant être réalisé sans entraîner de tensions sur les prix, compte-tenu des facteurs de production (travail et capital) disponibles. Il est en effet souvent considéré par les économistes que, toutes choses égales par ailleurs, les salaires accélèrent lorsqu’une progression de l’emploi supérieure à celle de la population active conduit le taux de chômage au-dessous d’un certain seuil[1]. Il est également admis que, toutes choses égales par ailleurs, les prix de vente accélèrent lorsque le taux d’utilisation des capacités de production dépasse un certain seuil.
Le PIB potentiel est le niveau du PIB qui correspond à ces seuils de taux de chômage et de taux d’utilisation des capacités de production. Il dépend du stock de capital en place, de la main d’œuvre disponible et de l’efficacité avec laquelle ces deux facteurs de production sont utilisés, qui est désignée par l’expression « productivité globale des facteurs » (PGF) et dont la croissance résulte notamment du progrès technique.
Le PIB potentiel est une mesure de « l’offre » de production des entreprises et le PIB effectif dépend à la fois de cette offre et de la « demande », notamment celle des ménages, des administrations publiques (à travers leurs achats de biens et services) et des autres pays (la « demande mondiale »).
Si la demande excède l’offre, les prix augmentent, ce qui ralentit la demande et ramène le PIB effectif vers le PIB potentiel (inversement si la demande est inférieure à l’offre). L’écart entre le PIB effectif et le PIB potentiel est appelé « écart de production »[2].
Enfin, la croissance potentielle est le taux de croissance en volume du PIB potentiel.
2) Les méthodes d’estimation et leurs limites
Le PIB potentiel, la croissance potentielle et l’écart de production ne sont pas observables et ne se trouvent pas dans les statistiques publiques. Ils doivent être estimés par des méthodes particulières, usuellement séparées en deux groupes, les méthodes « statistiques » et « économiques ». Cette distinction est toutefois assez artificielle, les méthodes utilisées en pratique ayant des caractéristiques communes aux deux groupes.
a) Les méthodes statistiques
En principe, les cycles économiques correspondent à des alternances d’écarts de production positifs et négatifs, la croissance annuelle moyenne du PIB effectif sur chaque cycle étant égale à la croissance potentielle.
Les méthodes statistiques permettent de décomposer, sur le passé, le PIB effectif en une composante tendancielle (le PIB potentiel) et une composante transitoire, alternativement positive et négative (l’écart de production). Selon la méthode utilisée, la tendance ainsi dégagée est représentée par une droite ou par d’autres courbes qui lissent plus moins fortement les fluctuations du PIB effectif.
Chaque point de cette courbe correspond au PIB potentiel à la date considérée et la croissance potentielle entre deux dates correspond à l’écart entre les PIB potentiels associés à ces deux dates. Pour estimer la croissance potentielle dans les années à venir, la tendance obtenue sur le passé est souvent simplement prolongée.
Ces méthodes ont pour inconvénient de ne pas pouvoir donner lieu à une interprétation économique : pour simplifier, la croissance potentielle est seulement la croissance moyenne constatée dans le passé et prolongée dans le futur, sans que l’on puisse expliquer sa valeur.
En outre, le PIB et la croissance potentiels ainsi obtenus dépendent fortement de la période prise en compte pour les estimer sur le passé et du degré plus ou moins fort de lissage des évolutions du PIB effectif. De plus, leur estimation est plus fragile pour les années les plus récentes que pour de plus anciennes. Ces inconvénients peuvent être atténués en ajoutant le PIB prévu dans les prochaines années au PIB des années passées pour séparer les composantes tendancielles et transitoires du PIB, mais au prix d’une autre source de fragilité tenant à la fiabilité des prévisions.
b) Les méthodes économiques
Elles reposent sur la possibilité, qui est à la base de très nombreuses études économiques, de représenter le PIB par une fonction mathématique des facteurs de production et de leur productivité globale. La « fonction de production » la plus commune, dite de Cobb-Douglas, est la suivante :
Y = g Na K (1-a)
Où Y est le PIB, g la productivité globale des facteurs (PGF), N l’emploi, K le stock de capital utilisé et le coefficient a une constante[3]. Cette équation peut également s’écrire sous la forme suivante :
dY/Y = dg/g + a dN/N + (1-a) dK/K
Où dY/Y et le taux de croissance du PIB, dg/g celui de la productivité globale des facteurs, dN/N celui de l’emploi et dK/K celui du stock de capital utilisé.
Autrement dit, si l’économie peut être représentée par cette formule, le taux de croissance du PIB est égal à la somme des taux de croissance de la productivité globale des facteurs, de l’emploi et du capital utilisé, ces deux derniers étant pondérés respectivement par des coefficients a et (1-a).
Des techniques économétriques permettent d’estimer sur le passé la valeur de la productivité globale des facteurs et celle du coefficient a.
Le PIB potentiel est alors la valeur de Y obtenue avec le stock K de capital disponible et le niveau N de l’emploi résultant de la population active et du taux de « chômage structurel »[4]. La croissance potentielle des années à venir est estimée en utilisant des prévisions d’évolution de la productivité globale des facteurs et de la population active, en supposant le taux de chômage structurel constant et, souvent, en considérant que le capital disponible s’ajuste à la production et donc qu’il a le même taux de croissance que le PIB potentiel.
Si ces méthodes sont dites économiques parce qu’elles permettent d’expliquer la croissance potentielle par des facteurs économiques comme le progrès technique (la productivité globale des facteurs) et la démographie, l’estimation des coefficients g et a repose en pratique souvent sur des méthodes statistiques et souffre des faiblesses de celles-ci. En particulier, elle dépend du choix de la période passée sur laquelle ces coefficients sont estimés.
c) Les méthodes utilisées en pratique
En pratique, la plupart des organisations internationales et des administrations publiques utilisent une méthode économique fondée sur une fonction de production, mais certains des principaux paramètres de cette fonction, en particulier la productivité globale des facteurs, sont estimés avec des méthodes purement statistiques, à défaut de connaître et de pouvoir mesurer les déterminants fondamentaux du progrès technique.
Il en résulte une fragilité essentielle de toutes les estimations de la croissance potentielle pour le futur : elles reposent sur les effets passés du progrès technique alors que ceux-ci changent avec le temps.
Pour y remédier, certains économistes évitent de prolonger la productivité globale passée des facteurs et essayent de prévoir les effets du progrès technique dans l’avenir mais, entre ceux qui pronostiquent une « stagnation séculaire » et ceux qui attendent des effets considérables des nouvelles technologies (internet des objets, impression en trois dimensions, intelligence artificielle…), la fourchette des estimations de la croissance potentielle future est très grande.
La croissance potentielle varie également dans le temps parce qu’elle dépend de la politique économique mise en œuvre à travers au moins deux facteurs : la productivité globale des facteurs, qui dépend elle-même notamment des politiques d’innovation et de concurrence ; le taux de chômage structurel, qui dépend lui-même notamment de la réglementation du marché du travail et des prélèvements obligatoires pesant sur le coût du travail.
Après avoir longuement débattu sur les conséquences de la crise de 2008-2009 sur la croissance potentielle, à travers un éventuel affaiblissement durable des effets du progrès technique, les organisations internationales et les gouvernements ont retenu de plus en plus souvent pour les années ultérieures une progression de la productivité globale des facteurs seulement un peu plus faible que celle observée dans les années précédant la crise.
La crise économique et sanitaire de 2020-2021 soulève le même type de débats et, en outre, elle correspond à la fois à un choc d’offre et à un choc de demande qu’il est très difficile de distinguer (la fermeture des commerces réduit l’offre et empêche la demande de s’exprimer). La guerre en Ukraine limite l’offre disponible (hydrocarbures, céréales…) et réduit donc le PIB potentiel et il s’agit d’estimer cette réduction et surtout sa durabilité.
En attendant d’y voir plus clair, beaucoup d’estimations de la croissance potentielle considèrent qu’elle a fléchi pendant les années 2020 à 2022 et qu’elle retrouvera ensuite progressivement son rythme d’avant 2020. Autrement dit, on observerait une perte durable de production potentielle et le niveau du PIB potentiel resterait toujours inférieur à son niveau prévu avant 2020 mais sans que cette perte ne se creuse davantage.
B) Les estimations obtenues
1) La croissance potentielle en 2024
Le graphique suivant présente les estimations de la croissance potentielle en 2024 de quelques pays européens publiées par l’OCDE avec ses perspectives économiques de juin 2024. Celle de la France est estimée à 1,1 %. Elle est de 1,35 % pour le gouvernement français (programme de stabilité d’avril 2024).
Source : OCDE ; FIPECO.
2) L’écart de production en 2023
Le graphique ci-joint présente les estimations de l’écart de production de plusieurs pays européens en 2023 publiées par l’OCDE à l’occasion de ses prévisions du printemps 2024. S’agissant de la France, il est estimé à – 1,5 % % du PIB potentiel. Pour le gouvernement français, il est égal à – 0,7 % du PIB potentiel.
Les estimations de la croissance potentielle et de l’écart de production sont difficiles, fragiles et souvent différentes selon les organismes qui les estiment en période normale. Il y a souvent plus d’incertitudes sur le niveau du PIB potentiel que sur la croissance potentielle, ce que reflètent d’ailleurs les écarts entre les différentes estimations pour un même pays et une même année.
Source : OCDE ; FIPECO.
[1] Souvent désigné par l’acronyme « NAIRU » pour « non accelerating inflation rate of unemployment ».
[2] Output Gap en anglais.
[3] En théorie égale à la part de la rémunération du travail dans la valeur ajoutée.
[4] Concept proche de celui de NAIRU cité dans une note de bas de page précédente.