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01/06/2021

La dette publique et l'inflation

François ECALLE

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Si des hausses de prix ont été récemment observées aux Etats-Unis, les perspectives d’une reprise de l’inflation restent incertaines et le présent billet n’a pas pour objet de trancher les débats entre économistes sur les prévisions d’inflation pour les prochaines années. Il présente seulement les conséquences d’une inflation plus forte, notamment sur la dette publique.

Celle-ci a souvent dépassé 100 %, parfois 200 %, du PIB dans les périodes de guerre et a sensiblement diminué dans les périodes d’après-guerre, qui ont été souvent marquées par une forte inflation (mais aussi une forte croissance en volume du PIB). S’appuyant sur de tels exemples historiques, les économistes soutiennent parfois que l’inflation est une solution pour réduire la dette publique sans augmenter les impôts ou diminuer les dépenses publiques.

Si l’inflation et la croissance du PIB en valeur sont plus élevés, le rapport de la dette au PIB tend à diminuer. En outre, si le taux d’intérêt apparent de la dette est inférieur au taux de croissance du PIB en valeur et ne s’accroit pas autant que l’inflation, le déficit primaire qui permet de stabiliser la dette est plus élevé. Il est donc plus facile de stabiliser ou réduire la dette publique. La baisse du ratio dette / PIB n’est cependant que temporaire si le déficit primaire reste le même en pourcentage du PIB et si le taux d’intérêt apparent de la dette finit par augmenter autant, voire plus, que l’inflation.

Il n’est pas simple de faire repartir l’inflation mais, une fois qu’elle est repartie, elle peut accélérer et devenir très difficile à maîtriser. Les gouvernements veulent parfois qu’elle augmente pour réduire la dette publique et les banques centrales ne peuvent pas toujours résister à cette volonté. C’est pourquoi les économistes recommandent généralement de garantir l’indépendance des banques centrales.

Si une inflation minimale est souhaitable, une politique de désinflation est nécessaire quand elle devient trop forte car son coût économique est alors élevé. En effet, elle contribue à dégrader la compétitivité des entreprises et à augmenter l’incertitude et les risques. En outre, les ménages sont inégalement  protégés de ces effets sur leur niveau de vie. Or la désinflation est souvent longue et difficile, d’autant plus qu’elle contribue dans un premier temps à augmenter le rapport de la dette au PIB.

La reprise de l’inflation pourrait enfin entraîner de graves tensions au sein de la zone euro car les pays du nord et du sud de l’Europe ont des dettes publiques et une tolérance vis-à-vis des politiques inflationnistes qui sont très différentes.

A) L’inflation permet de réduire plus facilement, mais temporairement, la dette publique

L’inflation est entendue ici comme la croissance du prix du PIB, différence entre les taux de croissance du PIB en valeur et en volume. Sur le moyen terme, il est possible de considérer que ce taux de croissance du prix du PIB est égal au taux d’inflation au sens usuel de taux de croissance des prix à la consommation.

Plus l’inflation est forte, plus le PIB en valeur augmente, ce qui tend à faire baisser le ratio dette / PIB. Encore faut-il que la dette n’augmente pas plus vite que le PIB sous l’effet du déficit primaire et de la charge d’intérêt.

Pour stabiliser (ou réduire) la dette publique (D) en pourcentage du PIB (Y), il faut que le solde primaire (c’est-à-dire hors intérêt), en points de PIB, soit égal (ou supérieur) à un « solde primaire stabilisant ». Celui-ci (SPS) est égal au produit de la dette par l’écart entre son taux d’intérêt apparent i (rapport de la charge d’intérêt au stock de dette en fin d’année précédente) et le taux de croissance du PIB en valeur g (voir fiche sur le solde stabilisant), d’où la formule :

SPS / Y = (i – g) x D / Y

A moyen terme, les dépenses primaires et les recettes publiques sont presque toutes indexées, de fait ou de droit, sur l’inflation (cf. fiche sur l’impact de l’inflation sur le déficit public). Le solde primaire effectif ne varie donc pas (en pourcentage du PIB) alors que le solde primaire permettant de stabiliser la dette diminue.

En effet, le taux d’intérêt apparent de la dette est très inerte car il évolue surtout au fur et à mesure du remplacement d’emprunts anciens par de nouveaux emprunts à des taux différents. On peut donc supposer qu’il reste au moins temporairement constant. Comme le taux de croissance du PIB en valeur augmente, l’écart entre le taux d’intérêt apparent de la dette et celui-ci, donc le solde primaire stabilisant, diminue. Il est donc plus facile de réduire le ratio dette / PIB.

Le tableau suivant l’illustre en supposant que le taux d’intérêt apparent de la dette est de 1,0 % et la croissance en volume du PIB également de 1,0 %. Le solde primaire stabilisant est alors un déficit et ce déficit est d’autant plus élevé que l’inflation est forte.

Le déficit primaire stabilisant la dette en % du PIB

Dette

100 % PIB

115 % PIB

130 % PIB

150 % PIB

Inflation 1,0 %

1,0 %

1,15 %

1,3 %

1,5 %

Inflation 2,0 %

2,0 %

2,3 %

2,6 %

3,0 %

Inflation 3,0 %

3,0 %

3,45 %

3,9 %

4,5 %

Source Source : FIPECO ; taux apparent de la dette de 1,0 % et taux de croissance du PIB en volume de 1,0 %.: FIPECO ; taux apparent de la dette de 1,0 % et taux de croissance du PIB en volume de 1,0 %.

Cependant, d’une part, une partie de la dette publique française (11 %) est indexée sur l’inflation. D’autre part, si l’inflation remonte durablement, les taux d’intérêt augmenteront également, surtout si la banque centrale relève les taux qu’elle contrôle pour ramener l’inflation vers sa cible.

Il est probable que (i - g) revienne à son niveau initial au bout de quelques années, ou le dépasse. Si (i – g) revient à son niveau initial alors que le solde  primaire effectif est lui aussi resté le même, en pourcentage du PIB, la dette converge vers une limite identique à celle qu’elle avait avant la reprise de l’inflation et égale à SP / (i – g) (la dette et SP étant exprimés en pourcentage du PIB). Le rapport de la dette publique aura bien baissé mais temporairement. Pour que la dette continue à diminuer, il faudrait que le taux d’inflation continue lui-même à augmenter indéfiniment.

Le graphique suivant est construit sur la base d’hypothèses sans doute trop fortes mais qui permettent de visualiser ces évolutions.

Le scénario « inflation à 1,0 % » suppose : une dette publique de 120 % du PIB l’année 0 ; une croissance en volume de 1,5 % par an, une inflation de 1,0 %, un taux d’intérêt apparent de la dette de 1,0 % et un déficit primaire stabilisé à 1,8 % du PIB à partir de l’année 1. Dans ces conditions, la dette est stabilisée à 120 % du PIB.

Le scénario « inflation à 5,0 % » diffère par les hypothèses suivantes : l’inflation est de 5,0 % à partir de l’année 1 ; Le taux d’intérêt apparent de la dette passe progressivement de 1,0 % l’année 0 à 5,0 % l’année 10. Dans ces conditions, la dette commence par diminuer jusqu’à 103 % du PIB l’année 9 puis remontre progressivement et tend à l’infini vers 120 % du PIB (au bout de 50 ans elle est revenue à 114 % du PIB).

Source : FIPECO. Hypothèses précisées dans le corps du texte.

Dans la réalité, le rattrapage de l’inflation par le taux apparent de la dette pourrait être plus long et la dette pourrait diminuer plus fortement dans la première période. Le taux apparent pourrait toutefois finir par dépasser le taux d’inflation qui pourrait lui-même diminuer ; dans ce cas, la dette pourrait repasser au-dessus de 120 % du PIB dans la deuxième période.

B) Le taux d’inflation est difficile à augmenter ou à réduire

Le taux d’inflation est le principal objectif de la politique monétaire, mais pas nécessairement le seul, et la politique monétaire est un instrument efficace, sans être non plus le seul, pour atteindre une cible d’inflation.

Si, par hypothèse, une banque centrale souhaitait que le taux d’inflation soit de 3 ou 4 %, plutôt que 1 ou 2 %, elle baisserait ses taux d’intérêt et accroîtrait ses crédits à l’économie. En principe, l’activité économique augmenterait, ce qui contribuerait à la hausse des prix.

Cet enchainement n’est toutefois pas automatique et les délais entre les décisions de la banque centrale et la reprise de l’inflation sont longs et variables. Malgré des politiques monétaires très favorables à l’inflation, les banques centrales du Japon, depuis très longtemps, et de la zone euro, depuis 2013, arrivaient difficilement en 2019 à faire remonter l’inflation vers leur objectif.

Une fois que l’inflation repart durablement, les agents économiques risquent d’anticiper qu’elle va augmenter encore plus et de chercher à s’en prémunir en majorant les prix dont ils ont la maîtrise, ce qui tend à l’accroître.

En outre, comme on l’a vu, une hausse du taux d’inflation facilite la stabilisation puis la réduction des dettes publiques. Cette facilité peut inciter le gouvernement à vouloir une inflation encore plus forte et, dans l’histoire de certains pays, de telles politiques ont conduit à l’hyperinflation. Dans les pays développés, aujourd’hui, les banques centrales ont certes pour mandat de maintenir l’inflation au-dessous de limites précises et il est assez sûr qu’elles voudront le respecter. Malgré leur indépendance, il est toutefois envisageable que la politique monétaire soit « dominée » par les objectifs et contraintes de la politique budgétaire, notamment la nécessité de réduire la dette publique. Sans aller jusqu’à l’hyperinflation, l’inflation peut dépasser de beaucoup et pendant longtemps la cible de la banque centrale.

Sans même envisager une hyper inflation, et seulement si elle dépasse par exemple 10 %, il est très difficile et très long de revenir à une inflation inférieure à, par exemple, 3 %. Il a fallu plusieurs années pour que la politique de « désinflation compétitive » mise en œuvre dans les années 1980 en France permette de ramener durablement l’inflation de plus de 10 % par an à moins de 3 %.

En outre, la désinflation a un effet symétrique de celui de l’inflation sur le solde stabilisant la dette publique : elle tend à l’augmenter et rend donc plus difficile le contrôle de l’endettement public.

Une maîtrise durable de l’inflation repose sur la crédibilité des politiques mises en œuvre pour obtenir ce résultat, et plus particulièrement sur la crédibilité des banques centrales. Celles des pays développés ont désormais acquis cette crédibilité et, si elles acceptaient trop longtemps des taux d’inflation élevés, elles pourraient la perdre et il serait difficile pour elles de la reconstruire.

Une réduction de la dette publique par l’inflation présente enfin des difficultés particulières dans la zone euro. En effet, les pays fortement endettés voudront amener la BCE à relever sa cible d’inflation et choisiront en conséquence les gouverneurs de leur banque centrale nationale, qui eux-mêmes siègent au conseil des gouverneurs de la BCE, tandis que les autres pays s’y opposeront, notamment l’Allemagne qui garde un très mauvais souvenir de l’hyperinflation des années 1920. Il pourrait en résulter de très fortes tensions au sein de la zone euro.

C) Une inflation trop forte a un coût économique important

Un minimum d’inflation est nécessaire pour soutenir l’activité économique et ne pas risquer la « déflation ». Celle-ci est caractérisée par une baisse durable des prix qui incite les ménages à reporter leurs décisions de consommation dans le temps pour profiter de prix plus bas et qui réduit ainsi la demande adressée aux entreprises, au détriment de l’emploi et de l’investissement. Les taux d’intérêt nominaux pouvant difficilement être significativement négatifs, un minimum d’inflation est aussi nécessaire pour abaisser suffisamment les taux d’intérêt réels et soutenir ainsi l’activité économique lorsque la conjoncture le requiert.

Les périodes de forte croissance et de forte inflation sont souvent les mêmes parce qu’une forte croissance entraîne des tensions sur les capacités de production des entreprises et sur le marché du travail qui se traduisent par des hausses des prix et salaires. Mais, au-delà du minimum nécessaire, l’inflation a elle-même pour effet de ralentir l’activité économique.

En effet, elle rend l’avenir plus incertain pour les agents économiques. En effet, il apparait empiriquement que plus l’inflation est forte, plus le taux d’inflation est volatile et plus les « variations des prix relatifs » (écart entre la croissance du prix d’un produit particulier et l’inflation) sont fortes[1]. Or les études économiques montrent que l’incertitude ralentit l’activité économique, notamment parce qu’elle dissuade d’investir.

En outre, si elle est plus forte que celle des principaux partenaires commerciaux, elle se traduit en effet par une diminution de la compétitivité des entreprises par rapport à leurs concurrentes étrangères, sur le marché domestique comme sur les marchés à l’exportation. Les entreprises perdent des parts de marché, ce qui se traduit par une réduction de la production nationale.

Ces pertes de compétitivité peuvent en théorie être compensées par une dépréciation de la monnaie nationale par rapport aux autres monnaies, une dévaluation. Celle-ci peut d’ailleurs résulter automatiquement de la politique monétaire plus favorable à l’inflation qui est mise en œuvre, notamment de la baisse des taux d’intérêt[2].

Une dévaluation permet d’accroître les quantités exportées et de réduire les quantités importées en rétablissant la compétitivité des entreprises nationales. Cet effet sur les volumes des échanges extérieurs prend toutefois plusieurs trimestres pour se concrétiser. Or une dévaluation entraîne rapidement et automatiquement une hausse des prix de nombreux biens importés, par exemple ceux des matières premières et notamment des produits pétroliers.

La hausse des prix à la consommation qui en résulte entraîne généralement une hausse des salaires, indexés de droit (SMIC) ou de fait sur les prix à la consommation, qui elle-même entraîne une nouvelle hausse des prix de vente des entreprises. Une dévaluation a des effets inflationnistes qui limitent et peuvent même annuler l’amélioration de la compétitivité qu’elle permet initialement.

Jusqu’à la création de la zone euro, la France avait ainsi une inflation plus forte que celle de l’Allemagne qui l’obligeait régulièrement à dévaluer le Franc sans arriver à rétablir durablement l’équilibre de ses échanges extérieurs, tandis que l’Allemagne renforçait sa puissance économique en maîtrisant l’inflation et en acceptant de réévaluer le Mark.

Par ailleurs, il est probable qu’une inflation plus forte en moyenne dans la zone euro s’accompagne d’une divergence accrue des taux d’inflation nationaux des pays membres et éventuellement d’écarts de compétitivité plus importants.

Enfin, l’inflation est un facteur d’aggravation des inégalités entre les ménages car la capacité des agents économiques à préserver ou à augmenter leur pouvoir d’achat et leur patrimoine dans les périodes de forte inflation est très variable. Les salariés ou non-salariés les mieux protégés, par des mécanismes d’indexation des rémunérations ou par le caractère peu concurrentiel de leur marché, ne souffrent pas de l’inflation, au contraire des salariés en situation précaire ou des non-salariés soumis à une forte concurrence extérieure.

 

[1] A titre d’illustration, quand l’inflation est en moyenne de 1 % sur plusieurs années, elle peut varier de 0 à 2 % d’une année à l’autre, de même que les prix de chaque produit particulier. Lorsqu’elle est de 10 % sur le moyen terme, elle peut varier de 7 à 13 % d’une année à l’autre, soit une volatilité trois fois plus forte, de même que les prix de chaque produit particulier.

[2] Un pays appartenant à une zone monétaire, comme la zone euro, n’a pas de monnaie nationale qui puisse être dévaluée. Une dépréciation du change n’a alors de sens qu’au niveau de la zone et pour la monnaie commune.

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