05/02/2025
Arithmétique et ajustements budgétaires
François ECALLE
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Le texte ci-dessous est celui d’une tribune que j’ai écrite avec Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI, et qui a été publiée par Le Point sous le titre « un défi à 150 Md€ » dans son édition du 12 décembre 2024. Les sous-titres ont été ajoutés.
Nous sommes frappés par le fossé entre le débat à l’Assemblée nationale et la taille du problème budgétaire à résoudre.
Pour faire simple : La stabilisation de la dette publique par rapport au PIB implique de trouver à terme environ 150 milliards, en combinant diminution des dépenses et augmentation des recettes. Avec toutes les lignes rouges mises en place par les différents partis, les députés ne semblent être capables de s’accorder que sur des mesures qui augmentent les dépenses ou diminuent les recettes.
A) Le montant de l’ajustement nécessaire
Un objectif minimum de la politique budgétaire doit être, en dehors des crises et des temps exceptionnels, d’au moins stabiliser le ratio de la dette par rapport au PIB. Ce que ça implique pour le déficit dépend d’un certain nombre de paramètres, en particulier du taux de croissance du PIB (en euros) et du taux d’intérêt sur la dette. On peut faire l’hypothèse qu’ils seront à peu près égaux dans les prochaines années autour de 3,0 %. La stabilisation du ratio de dette prend alors une forme très simple. Il faut réduire le déficit primaire (c’est-à-dire la différence entre les dépenses, en excluant les paiements d’intérêt, et les revenus) pour le ramener à zéro.
Le déficit primaire est aujourd’hui aux alentours de 4%, ce qui représente donc un ajustement nécessaire à terme de 120 milliards. Mais, à cela, il faut ajouter deux dépenses supplémentaires essentielles pour l’avenir, l’investissement public et les subventions nécessaires à la transition verte, ainsi qu’un effort de défense, en particulier si les Etats Unis se désengagent de l’Otan. Une estimation basse est que cela rajoute 1% du PIB, donc un ajustement de 5% du PIB est nécessaire, ou en euros, 30 milliards de plus, ce qui porte le total à 150 milliards. Exprimés en euros par adulte, un chiffre plus facile à appréhender, cela correspond à peu près à un ajustement permanent de 3000 euros par adulte par an. Bien sûr, il n’est pas question de faire tout l’ajustement en 2025. Mais il faut définir un chemin. Comment peut-on y arriver ?
B) Les hausses d’impôts et les économies nécessaires
Du côté des recettes, avec un taux de prélèvements obligatoires à 46 % du PIB, il est clair que la marge est faible. Un impôt sur le revenu ou le patrimoine des très riches (comme la proposition de Gabriel Zucman d’un impôt égal au maximum de l’impôt sur le revenu et d’un impôt de 2% sur la richesse) pourrait rapporter, en étant très ambitieux, 20 milliards. Une augmentation de 1 point du taux standard de TVA rapporterait près de 10 milliards, une augmentation des taux de la CSG de 1 point environ 16 milliards.
On est loin du compte, et il est donc clair que la plus grande partie de l’ajustement doit se faire du côté des dépenses. Faisons l’hypothèse généreuse que les recettes augmentent de 30 milliards, ce qui laisse 120 milliards à trouver. Pour progresser, il faut regarder la composition du budget de plus près.
Sur les 1600 milliards de dépenses publiques, deux postes ne doivent pas être touches. L’Etat doit payer les intérêts sur sa dette, ce qui représente 50 milliards, et il ne doit pas compromettre l’avenir et réduire l’investissement, ce qui représente 120 milliards. Il reste donc 1430 milliards de dépenses, qu’il faut réduire de 120 milliards, donc une réduction moyenne de 8%.
Le reste des dépenses comprend les dépenses de fonctionnement, les prestations sociales, et les subventions. Les dépenses de fonctionnement ne représentent que 500 milliards sur les 1600 de dépenses totales, dont 350 milliards de rémunérations de fonctionnaires. Faire porter l’ajustement sur les seules dépenses de fonctionnement implique une réduction de 25%, et si l’ajustement se fait seulement sur le nombre ou les salaires des fonctionnaires, une réduction de 35%. Il est clair qu’on ne peut pas résoudre le problème par la seule diminution des dépenses de fonctionnement, et que l’effort doit également porter sur les transferts.
Si on fait l’hypothèse que les dépenses de fonctionnement peuvent être diminuées à terme de 5% (25 milliards), ce qui est déjà très ambitieux, et que les subventions, aux entreprises et ménages, peuvent être réduites de 10% (20 milliards), ce qui l’est aussi, cela laisse un trou de 75 milliards, qu’il faut donc combler par une diminution des prestations sociales. Ces dernières, retraites, sante, allocations familiales… se montent ensemble à 700 milliards, ce qui implique donc une réduction de plus de 10%.
Peut-on le faire simplement en diminuant les retraites ? Non. Sur la base des calculs du Conseil d’Orientation des Retraites, une augmentation de l’âge effectif de la retraite d’un an (par rapport à la trajectoire actuelle anticipée) réduirait le déficit primaire d’environ 0.5 % du PIB, donc 15 milliards, un cinquième de la somme nécessaire. C’est un sujet qui fâche, mais cela implique probablement de remettre sur le tapis l’ensemble des prestations sociales, que ce soit le périmètre du RSA, le taux de remboursement des médicaments, les allocations familiales et chômage, etc.
C) Les autres scénarios envisageables
L’arithmétique implique que cette discussion est nécessaire. Peut-on raisonnablement espérer un ajustement plus en douceur ?
Un premier scenario est que le taux d’intérêt baisse en dessous du taux de croissance, ce qui n’est pas impossible. Un calcul simple implique qu’avec une dette de 100% du PIB, une réduction du taux d’intérêt plus bas de 1% par rapport au taux de croissance réduirait la taille de l’effort de 30 milliards. Mais l’évolution inverse est toute aussi plausible, peut-être plus, si l’ajustement budgétaire tarde à venir, si les investisseurs s’inquiètent et si la prime de risque (qui est déjà proche de 1% par rapport à l’Allemagne) augmente. Une prime de risque de 1% de plus implique de trouver à terme 30 milliards supplémentaires.
Un deuxième scenario, complémentaire, est que le taux de croissance soit plus élevé. Même si le taux d’intérêt augmente en proportion, cela réduit la taille de l’ajustement nécessaire. Une augmentation du taux de croissance de 1 point réduit durablement le déficit primaire d’environ 0.2% du PIB, donc 1% sur 5 ans, là encore à peu près 30 milliards. Cela montre l’importance de faire des reformes, de protéger l’investissement public. Mais 1% de plus de croissance est certainement au-delà de ce qu’on peut espérer ; la réalité est que les effets des reformes sont difficiles à prévoir, et qu’il ne faut pas vraiment compter dessus.
Un troisième scenario est une augmentation du niveau d’emploi, et par implication du PIB et des recettes publiques. A la différence d’une augmentation du taux de croissance, c’est un effet de niveau, mais il n’est pas nécessairement négligeable. Sur la base des travaux de Gilbert Cette, une augmentation du taux d’emploi pour rejoindre la moyenne européenne pourrait amener à une réduction du déficit primaire d’environ 1.25% du PIB. Mais là encore, il s’agit de réformes difficiles, qui impliquent en particulier une large augmentation du taux d’emploi des seniors.
Pour résumer, on peut espérer de bonnes nouvelles et un ajustement plus réduit. Mais il ne faut pas compter dessus. Nous avons montré la taille du problème et les différentes manières de le résoudre. Notre exercice a été un exercice d’arithmétique. Dans ce cadre, c’est aux partis d’arriver ensemble à un compromis, avant que les investisseurs ne s’inquiètent et ne les forcent à le faire. Cette discussion, il nous semble, n’a pas commencé.