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22/08/2016

Comment améliorer l'efficience des dépenses d'assurance maladie ?

François ECALLE

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Une fiche de l’encyclopédie présente les principales caractéristiques de l’assurance maladie en France (organisation institutionnelle, ressources et dépenses). Une autre fiche porte sur l’efficience des dépenses d’assurance maladie. Elle montre qu’elle est insuffisante en France et précise les causes de cette inefficience mises en avant par l’analyse économique.

Le système de santé comprend, du point de vue économique, trois grandes catégories d’acteurs : les ménages, qui consomment des soins et dont les dépenses sont remboursées par des assureurs ; les producteurs de soins (professions de santé exerçant en libéral, établissements de santé, industrie pharmaceutique…) ; les assureurs, qui remboursent les soins facturés par les producteurs aux ménages. Les producteurs et assureurs peuvent être publics ou privés, en situation de monopole ou de concurrence.

La France se caractérise par des producteurs de soins qui sont en partie publics et en partie privés ainsi que par un assureur public dominant mais dont les remboursements sont complétés par des assureurs privés en concurrence. Elle est ainsi dans une situation intermédiaire entre les deux modèles polaires que sont : le Royaume-Uni où le « National Health Service » (NHS) a un quasi-monopole sur la production de soins et où la fonction d’assurance est très limitée, les soins étant quasiment gratuits ; les Etats-Unis où les producteurs de soins et les assureurs sont pour la plupart privés et en concurrence.

Aucun de ces deux modèles n’est convaincant. Le modèle britannique est peu coûteux et donne de bons résultats en termes de santé publique, mais la qualité des soins non indispensables y est insuffisante. Le modèle américain a un coût très élevé pour un impact médiocre sur la santé publique, mais les soins peuvent y être de très bonne qualité. En fait, ces modèles n’ont d’ailleurs jamais été totalement purs : il y a toujours eu un petit secteur privé à côté du NHS au Royaume-Uni ; il y a toujours eu des assureurs et des producteurs publics aux Etats-Unis pour couvrir certaines catégories de la population : les plus pauvres avec « Medicaid » et les plus âgées avec « Medicare ».

Cette note part en conséquence du principe que les principales caractéristiques du modèle français ne seront pas changées et présente les outils qui pourraient être utilisés dans ce cadre.

A)   Optimiser l’offre de soins

1)    La coordination des acteurs

Les exemples de mauvaise coordination des soins entre les secteurs hospitalier et ambulatoire et à l’intérieur de chacun d’eux sont nombreux[1] : les mêmes examens sont refaits plusieurs fois, faute d’un dossier médical personnel dont le projet est en cours de réalisation depuis de très nombreuses années ; les urgences hospitalières sont saturées par des recours qui devraient relever de la médecine de ville ; il y a trop de lits pour les hospitalisations conventionnelles et pas assez de places de chirurgie ambulatoire etc.

Des progrès ont été accomplis, notamment avec la création des « agences régionales de santé » (ARS) dans le secteur hospitalier, la désignation de « médecins traitants » et le développement de structures de type « maisons de santé » dans le secteur ambulatoire. Ils sont insuffisants, notamment parce que le pilotage du système de santé, comme le montre la fiche sur ses caractéristiques, reste partagé entre l’assurance maladie et l’Etat, qui est lui-même éclaté en de multiples structures.

La note sur la révision des frontières entre les lois de finances et de financement de la sécurité sociale développe des propositions visant à clarifier les relations entre l’Etat et les caisses de sécurité sociale qui pourraient contribuer, si elles étaient suivies, à renforcer les capacités de pilotage de l’Etat.

2)    La répartition sur le territoire

Certains établissements de santé sont en sous-effectif manifeste, notamment dans les zones urbaines, alors que d’autres, plutôt en zone rurale, ont une activité insuffisante pour maintenir une qualité de soins minimale. Les restructurations hospitalières se heurtent cependant à deux principaux obstacles : la faible mobilité des agents et l’opposition des élus et de la population locale aux fermetures. La question de la mobilité des fonctionnaires est traitée dans les notes sur le thème de la masse salariale publique.

Pour s’opposer aux fermetures, les populations locales mettent en avant les temps de transport en cas d’urgence vers les hôpitaux qui subsistent et la désertification des zones rurales. Il est certain que les restructurations doivent faire l’objet d’évaluation préalable intégrant des solutions de transport en cas d’urgence mais il n’est pas possible de maintenir systématiquement des hôpitaux de proximité dans les zones peu denses.

La fermeture des établissements assurant des services publics dans les zones qui se dépeuplent est un sujet qui ne concerne pas uniquement les hôpitaux. Si ces établissements doivent être maintenus lorsque la population commence à diminuer pour ne pas accentuer le dépeuplement, ils ne peuvent pas l’être indéfiniment. A un moment, les services publics doivent suivre les populations en se redéployant sur le territoire.

La répartition territoriale des médecins, notamment de ceux qui ne facturent pas de dépassements d’honoraires, et des professions médicales est également déséquilibrée. Les pouvoirs publics ont toujours hésité entre les aides financières à l’installation dans les zones peu attractives et la limitation réglementaire des installations dans les zones plus attractives, en utilisant finalement assez peu ces deux instruments. Ils devraient être beaucoup plus fortement mobilisés, en particulier pour augmenter la proportion des professionnels qui ne peuvent pas dépasser les tarifs opposables à la sécurité sociale et mieux les répartir.

3)    La planification à moyen et long terme

Le système de santé ne peut pas être suffisamment régulé en agissant seulement sur les prix payés par les ménages pour modérer leur demande de soins, même si les « tickets modérateurs » peuvent y concourir, car leur consommation sera toujours prescrite pour l’essentiel par les médecins et largement remboursée. L’offre de soins doit donc être largement fixée par les pouvoirs publics et planifiée à moyen et long terme.

Les ARS disposent des instruments nécessaires à la planification des équipements hospitaliers et sont surtout confrontés en pratique aux difficultés évoquées ci-dessus pour restructurer les établissements.

S’agissant des professionnels de santé, la planification à long terme prend la forme du contingentement des attributions de diplômes, le « numerus clausus », mais il est très difficile de prévoir les besoins par spécialités à l’horizon de plusieurs dizaines d’année. Il en résulte que le nombre de praticiens est excessif ou insuffisant selon les spécialités et les années. Cette planification à long terme n’en reste pas moins nécessaire et les mouvements de praticiens entre pays européens devraient permettre de limiter les écarts entre le nombre de médecins formés et les besoins dans chaque pays, du moins si tous ne font pas les mêmes erreurs de planification.

4)    Le contrôle de la pertinence des traitements

Le contrôle de la pertinence des traitements est essentiellement celui des prescriptions des médecins. Dans le secteur de ville, l’assurance maladie est passée d’une approche contraignante dans les années 1990, avec les « références médicales opposables », à une approche incitative sous forme d’aides financières en faveur des bonnes pratiques dans les années 2000, avec les « contrats de bonne pratique » en 2002 puis les « contrats d’amélioration des pratiques individuelles » en 2009.

Les contraintes se sont heurtées à une ferme opposition de la profession médicale, culturellement rétive aux contrôles, et les aides financières ont été accordées en fonction d’objectifs faciles à atteindre, comme le montrent les rapports de la Cour des comptes.

Il est vrai que le « colloque singulier » entre le médecin et son patient ne se prête pas facilement à standardisation et contrôle. Il est toutefois également vrai que, tiers payant ou non, les médecins libéraux sont des « ordonnateurs » de dépenses publiques et que leurs ordonnances sont analogues à des « mandats de dépenses » au sens de la comptabilité publique, mais sans faire l’objet d’un contrôle budgétaire ou comptable. Leurs ordonnances pourraient donc être un peu plus contrôlées. Cette observation vaut tout autant pour les médecins hospitaliers, sinon plus car leur liberté de prescription est encore plus grande.

B)   Agir sur les prix des biens et services

1)    Les médecins

Les médecins de ville sont rémunérés à l’acte et les médecins hospitaliers ont, comme tous les fonctionnaires, un traitement mensuel largement indépendant de leur activité et de leurs résultats. Les économistes montrent que ces deux modes de rémunération ont des avantages et inconvénients : le paiement à l’acte incite à prescrire des actes inutiles mais oblige à offrir une qualité de service suffisante pour garder sa clientèle ; le paiement forfaitaire n’incite ni à améliorer la qualité du service, ni à multiplier les actes.

Il faudrait rapprocher ces deux modèles de rémunération en introduisant des critères de performance dans la rémunération des médecins hospitaliers et des éléments plus forfaitaires dans celle des médecins libéraux, avec notamment une rémunération par patient suivi, ou groupe de patients, pour les généralistes. De telles modalités de rémunérations existent désormais (forfait par patient ayant une affection de longue durée, par exemple) et il conviendrait de les développer. 

2)    Les établissements de santé

La « tarification à l’activité » des établissements de santé, en vigueur depuis 2004 en France et depuis bien plus longtemps dans d’autres pays, est une combinaison de rémunération à l’acte et forfaitaire. Chaque séjour d’un malade est remboursé par l’assurance maladie à l’hôpital sur la base d’un tarif correspondant au coût moyen du « groupe homogène de séjours » auquel se rattache sa pathologie. Ce tarif est indépendant de la quantité et de la qualité des soins qui lui sont donnés, ce qui constitue l’élément forfaitaire, mais les recettes de l’hôpital dépendent du nombre de séjours, ce qui rapproche d’une rémunération à l’acte.

Si ce mode de tarification permet en théorie de réduire les coûts de production des hôpitaux, les modalités pratiques de sa mise en œuvre en France lui confèrent à cet égard une efficacité limitée : maintien d’écarts tarifaires importants entre cliniques privées et hôpitaux publics ; baisses de tarifs appliquées en début d’année de manière identique à tous les groupes afin de respecter l’ONDAM malgré la croissance de l’activité[2] ; pratiques conduisant à classer abusivement des séjours dans des groupes pour lesquels le prix est plus élevé[3].

Surtout, la tarification de l’activité des hôpitaux publics ne pourrait les inciter à réduire leur coût que s’ils étaient véritablement menacés de restructuration, voire de fermeture, en cas de déficit persistant. Compte-tenu des réactions que provoque la moindre restructuration (cf. ci-dessus), cette menace n’est en réalité pas crédible. La tarification ne pourra être efficace que lorsque des établissements de santé de taille significative auront été contraints de fermer en raison de leur situation financière.

3)    Les prestataires de services

Les gains de productivité peuvent être importants dans certains services de santé et permettre des baisses de tarifs, comme la Cour des comptes l’a montré à propos de la biologie médicale.

S’agissant des services peu automatisables, le tarif reflète la valeur du travail réalisée, qu’il est difficile de déterminer en l’absence d’un réel marché. Les revalorisations tarifaires pourraient néanmoins tenir compte des difficultés de recrutement des professions concernées[4].

4)    Les médicaments

La fixation des prix des médicaments résulte nécessairement de négociations et d’arbitrages entre les intérêts de l’assurance maladie, pour qui les prix doivent être les plus bas possible, et ceux des industriels, pour lesquels ils doivent permettre de rémunérer les investissements réalisés et les risques pris en mettant des produits innovants sur le marché.

Tant que leurs produits sont protégés par des brevets, les industriels sont en position de force. Lorsque les brevets sont tombés dans le domaine public, l’intérêt de l’assurance maladie est de stimuler la concurrence, notamment celle des génériques, pour faire baisser les prix. La place des génériques est toutefois encore trop faible en France par rapport aux grands pays voisins comme l’Allemagne et le Royaume-Uni. Il conviendrait donc de la renforcer en agissant à la fois sur les prescriptions des médecins (cf. ci-dessus), les marges des pharmaciens et le taux de remboursement des ménages.

C)    Redéfinir le panier des soins remboursables, baisser les taux de remboursement et réduire les coûts de gestion

1)    Le panier des soins remboursables

L’expression « panier des soins remboursables » désigne l’ensemble des biens et services de santé qui donnent lieu à remboursement par la sécurité sociale. La liste des médicaments qui figurent dans ce panier est plus particulièrement difficile à établir et doit être régulièrement révisée.

Seuls devraient s’y trouver les médicaments dont la valeur ajoutée thérapeutique est suffisante, ce qui n’est pas toujours le cas. Des considérations de politique de l’emploi et de politique industrielle peuvent en effet conduire à y maintenir des produits dont l’utilité médicale est faible mais qui sont fabriqués par des laboratoires français.

D’autres dépenses de santé remboursées relèvent de la même problématique, par exemple les cures thermales. Le rapport entre leur utilité médicale et leur coût est particulièrement faible, mais les villes d’eaux ont toujours su éviter leur déremboursement en mettant notamment en avant la défense de l’emploi.

La sécurité sociale n’a pas pour mission de créer ou de sauvegarder des emplois, ce qui relève d’autres instruments de politique économique. Le panier des soins remboursables devrait donc être établi sans tenir compte de cet argument.

2)    Les taux de remboursement

Les « tickets modérateurs », « forfaits » et « franchises » incitent en théorie les ménages à limiter leur consommation de biens et services de santé au niveau nécessaire et limitent l’ampleur de « l’aléa moral » qui résulte de tout mécanisme d’assurance.

En pratique, la portée de cette incitation est faible en France pour deux raisons : d’une part, près de la moitié des dépenses de santé sont liées à une « affection de longue durée » et remboursées de ce fait à 100 % ; d’autre part, dans les autres cas, les assureurs complémentaires complètent très souvent les remboursements de l’assurance maladie jusqu’à 100 %, voire au-delà lorsque les tarifs opposables sont dépassés.

En revanche, quel que soit le moyen utilisé (ticket modérateur, forfait ou franchise), la baisse des taux de remboursement réduit les dépenses de l’assurance maladie et améliore sa situation financière.

Elle peut s’avérer incompatible avec les revenus de beaucoup de ménages, mais ce problème pourrait être résolu si un « bouclier sanitaire » était mis en place. Les taux de remboursements pourraient alors être alors réduits, au bénéfice des comptes de l’assurance maladie. Ce bouclier n’aurait pas d’effet significatif sur l’efficience du système de santé, sauf à travers ses coûts de gestion qui seraient réduits.

3)    Les coûts de gestion des assureurs

Selon une note du conseil d’analyse économique, les frais de gestion de l’assurance maladie sont de 7,2 Md€ pour l’assurance publique de base et de 6,2 Md€ pour les assurances complémentaires, alors que la première rembourse 76 % des dépenses et les deuxièmes 14 %, avec une faible valeur ajoutée.

La gestion des caisses d’assurance maladie pourrait être plus économe. Selon la Cour des comptes, la seule généralisation de la feuille de soins électronique permettrait un gain de 0,2 Md€. La délégation de la gestion de l’assurance maladie à des mutuelles d’étudiants ou de fonctionnaires est en outre particulièrement coûteuse. La reprise en gestion directe des personnes concernées par les caisses d’assurance maladie du régime général réduirait de 0,3 Md€ les dépenses publiques.

Si un bouclier sanitaire était mis en place, les ménages auraient beaucoup moins intérêt à souscrire à une assurance complémentaire, ce qui obligerait ce secteur à se restructurer profondément et à réduire ses coûts. Il ne s’agit certes pas de dépenses publiques financées par des prélèvements obligatoires au sens de la comptabilité nationale mais, en pratique pour les ménages et leurs employeurs, les effets en sont les mêmes.

D)   Conclusion

L’efficience des dépenses d’assurance maladie présente un enjeu considérable puisque leur montant s’élève à 182 Md€ en 2015 (ONDAM) et que leur « croissance tendancielle » est de 3,6 % par an selon les estimations du ministère de la santé. Or cette efficience pourrait être fortement améliorée dans le cadre institutionnel actuel.

Il est en effet possible d’améliorer le rapport qualité / coût de l’offre de soins en coordonnant mieux les acteurs, en répartissant les équipements et les prestataires de services de manière plus équilibrée sur le territoire, en planifiant mieux les ressources humaines et matérielles à moyen et long terme, en contrôlant plus strictement la pertinence des traitements prescrits.

Les modalités de fixation des prix auxquels cette offre est facturée à l’assurance maladie doivent aussi être revues pour inciter les acteurs économiques à une plus grande efficience. Le panier des soins remboursables pourrait être recomposé, les taux de remboursement pourraient être réduits après avoir mis en place un bouclier sanitaire et les coûts de gestion des assureurs pourraient être plus faibles.

 Les réformes du système de santé sont toutefois très difficiles et aucun pays n’a trouvé les solutions pour qu’il offre les meilleurs services au moindre coût.

 

[1] Cf. notamment le rapport de la Cour des comptes de septembre 2015 sur la sécurité sociale.

[2] Il arrive toutefois que ces baisses de tarifs soient différenciées, ce qui est le cas en 2016.

[3] Voir notamment « La tarification à l’activité : une réforme dénaturée du financement des hôpitaux » de          M. Mougeot et F. Naegelen ; revue française d’économie ; janvier 2015.

[4] En veillant à ce qu’elles ne résultent pas de contraintes excessives créées par des organisations professionnelles (niveau excessif d’exigence des diplômes par exemple).

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