08/02/2018
Départs volontaires et recrutements de contractuels dans les administrations publiques
François ECALLE
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Le comité interministériel de la transformation publique du 1er février 2018 a décidé le lancement d’une concertation sur plusieurs chantiers, notamment « un élargissement du recours au contrat pour donner davantage de souplesse dans les recrutements » et « un accompagnement renforcé en matière d’évolution de carrière », notamment des reconversions « sous forme soit de mobilité au sein des fonctions publiques, soit de départs de la fonction publique vers le secteur privé ». A l’issue du comité, le ministre de l’action et des comptes publics a annoncé qu’un « plan de départs volontaires » d’agents publics sera discuté avec les organisations syndicales.
La suppression de 120 000 postes dans les administrations publiques, prévue par le Gouvernement à l’horizon de 2022, est nécessaire. Jusqu’à présent la réduction des effectifs dans la fonction publique a surtout résulté du non remplacement d’une partie des départs en retraite, ce qui peut conduire à des situations de sous-effectif dans certains services tout en maintenant des sureffectifs dans d’autres. Or la mobilité des fonctionnaires est limitée et il est difficile de transférer des agents d’un service à l’autre en fonction des besoins.
Pour transformer profondément les administrations, il peut être pertinent de compléter le non remplacement d’une partie des départs en retraite par des incitations financières au départ volontaire. Une telle indemnité de départ a été créée en 2008 dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, mais les démissions ont été relativement peu nombreuses (un peu plus de 1 000 par an dans la fonction publique d’Etat) alors que les conditions d’attribution de l’indemnité étaient souples, sans doute parce qu’elle est plafonnée à seulement deux ans de salaires hors primes. Il faudrait donc l’augmenter fortement, ce qui pourrait avoir un coût important à court terme. En outre, les agents qui craignent le moins le chômage et qui sont souvent les plus compétents risquent de partir les premiers.
Certains services publics sont manifestement en sous-effectifs, mais les besoins à satisfaire peuvent n’être que temporaires. Des recrutements sur des contrats à durée déterminée sont donc nécessaires. Ils sont certes déjà nombreux puisque les contractuels représentent environ un agent sur cinq, mais ils pourraient l’être encore plus et il faudrait renoncer aux plans de titularisation.
La faiblesse de la mobilité des fonctionnaires est l’un des principaux obstacles à la transformation des services publics, que les plans de départs volontaires et les recrutements de contractuels essayent de contourner. Cette mobilité doit être renforcée par des incitations financières et une formation adéquate, mais aussi par des obligations plus strictes pour les agents car c’est une contrepartie de la garantie de l’emploi.
A) La réduction des effectifs publics est nécessaire et le non remplacement des départs en retraite présente des limites
1) La nécessaire suppression de 120 000 postes
La loi de programmation des finances publiques de janvier 2018 pour la période 2018-2022 prévoit une forte inflexion de la croissance des dépenses publiques, reposant implicitement pour partie sur la suppression de 50 000 postes dans la fonction publique d’Etat et 70 000 dans la fonction publique territoriale, conformément aux annonces faites pendant la campagne présidentielle.
Si la France n’est pas le pays de l’OCDE où l’emploi public est le plus important, elle figure parmi les premiers pour ce critère et, au cours des 20 dernières années, les effectifs de la fonction publique y ont augmenté un peu plus vite que dans le secteur privé (cf. fiche de l’encyclopédie sur l’emploi public).
Source : Eurostat ; FIPECO.
Comme le montre une note d’analyse de ce site, les gains de productivité envisageables dans les services publics et la remise en cause des missions dont l’utilité est inférieure au coût permettraient d’envisager une réduction de 1 % par an (55 000) des effectifs de la fonction publique, soit la suppression de 275 000 postes sur un quinquennat. Il est donc à la fois possible et nécessaire d’en supprimer 120 000.
Source : rapport de 2017 sur l’état de la fonction publique et Insee informations rapides du 18.12.2017 corrigés pour tenir compte des 140 000 emplois transférés de 2006 à 2010 entre les fonctions publiques d’Etat et territoriale ; FIPECO.
2) Les limites du non remplacement des départs en retraite
Les effectifs de l’Etat ont baissé entre les années 2007 et 2012, même en tenant compte des transferts d’agents vers la fonction publique territoriale, et ceux des collectivités locales ont diminué en 2015 et 2016, surtout en ne remplaçant qu’une partie des départs en retraite.
Les départs en retraite seront d’environ 55 000 par an dans la fonction publique d’Etat et 35 000 dans la fonction publique locale dans les prochaines années. Les suppressions de poste inscrites dans la loi de programmation correspondent donc au non remplacement d’environ un départ sur cinq dans les services de l’Etat et quatre départs sur dix dans les collectivités locales, ce qui est tout à fait possible.
Cependant, certains services sont déjà en sous-effectif, ce qui serait aggravé par le non remplacement d’une partie des agents, alors que d’autres sont en sureffectif et le resteront même si aucun départ n’y est remplacé. Une hausse de la durée du travail permettrait d’augmenter l’activité dans les premiers et accentuerait la sous-occupation des agents dans les seconds. Elle n’est donc pas une solution pour réduire les effectifs dans ces cas de figure.
Pour réduire les effectifs tout en les répartissant conformément aux besoins, il faudrait pouvoir facilement transférer des agents d’un service à l’autre (au sens fonctionnel ou géographique), mais la mobilité des fonctionnaires est limitée. Parmi les titulaires, seulement 2,5 % changent d’employeur (ministère pour l’Etat, collectivité locale ou établissement de santé) et 3,0 % de bassin d’emploi chaque année. En outre, cette mobilité résulte pour 84 % du choix de l’agent et non de celui de son employeur. Les fonctionnaires occupent souvent un premier poste dans des zones peu attractives puis changent d’affectation au cours de leur carrière pour se rapprocher du lieu de travail souhaité. Les moins expérimentés se trouvent ainsi sur les postes les plus difficiles et les plus anciens dans les zones qui leur conviennent le mieux à titre personnel.
B) Un plan de départs volontaires pourrait être une bonne solution, sous certaines réserves
Dans les services où les départs en retraite sont insuffisants au regard de la baisse des effectifs permise par l’évolution des besoins et des technologies, il peut être pertinent d’inciter financièrement les agents à démissionner de la fonction publique.
Une indemnité de départ volontaire a été créée à cette fin en 2008 dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Elle existe toujours et elle est égale au maximum à deux ans de rémunération brute hors primes et indemnités.
De 2008 à 2014, elle a été attribuée à tous les fonctionnaires de l’Etat démissionnant à plus de 5 ans de l’âge de la retraite[1]. Selon un rapport d’inspection, elle a été attribuée à 1 297 agents en 2012 (après 1 041 en 2010 et 1 221 en 2011) pour un montant total de 68 M€, soit 52 000 € par bénéficiaire, ce qui est relativement peu au regard des suppressions de postes pendant cette période (environ 30 000 par an).
En outre, selon la Cour des comptes, cette indemnité a été souvent attribuée à des agents qui souhaitaient démissionner pour des raisons personnelles (notamment des enseignants), ce qui a donc souvent constitué pour eux un effet d’aubaine, plutôt qu’à des agents qui devaient partir dans l’intérêt du service. Ses conditions d’attribution ont été réformées en 2014 pour limiter ces effets d’aubaine, en la réservant aux agents des services faisant l’objet d’une restructuration. Le nombre de bénéficiaires aurait été ramené à quelques dizaines selon certains médias (ce qui paraît bien faible et doit être considéré avec réserve).
Il ressort de cette expérience qu’une indemnité de départ volontaire correspondant à moins de deux ans de traitement brut et attribuée dans des conditions très souples ne conduit qu’un peu plus de 1 000 agents à démissionner de la fonction publique. Or il faudrait maintenir la condition instaurée en 2014 en n’attribuant cette indemnité qu’aux agents dont le poste est supprimé ou dont le service est restructuré. Pour que ces départs volontaires contribuent significativement aux suppressions de postes prévues dans la programmation des finances publiques, il faudrait donc relever fortement le montant de l’indemnité.
Le coût budgétaire de ce plan de départ volontaire pourrait alors être très élevé. Il serait justifié dans la mesure où des économies bien plus importantes sur la masse salariale seraient constatées les années suivantes, mais le calendrier de la réduction du déficit public et les objectifs d’évolution des dépenses publiques à court-moyen terme pourraient en être affectés.
Un grand plan de départs volontaires présente enfin un autre risque, celui de faire partir en priorité les agents les plus compétents et les plus employables, dans le secteur privé comme dans le secteur public, pour lesquels la garantie de l’emploi à vie est d’un intérêt limité. Cela renforce la nécessité de limiter l’attribution des indemnités de départ aux seuls agents dont le poste est supprimé dans le cadre d’une réorganisation de services.
C) Des recrutements plus nombreux sur des contrats à durée déterminée peuvent être nécessaires
Le recrutement d’un fonctionnaire correspond à l’engagement de verser, en moyenne, un salaire net annuel[2] de 30 000 €, pour les fonctionnaires civils de l’Etat à plein temps, pendant plus de 42 ans puis une pension de retraite de 31 000 € (75 % du salaire des six derniers mois d’activité) pendant 23 ans (hommes) ou 30 ans (femmes). Or, compte-tenu de la rapidité d’évolution des nouvelles technologies et des besoins, il est impossible de savoir si le poste ainsi pourvu sera justifié à un horizon bien plus court.
La signature d’un contrat à durée indéterminée correspond à un engagement aussi important dans la mesure où il n’y a pas de licenciements économiques dans le secteur public. Les contrats à durée indéterminée passées par les administrations présentent même souvent plus de rigidité que le statut de la fonction publique lorsqu’il s’agit de changer les agents d’affectation, celle-ci étant précisée dans le contrat. Seuls les contrats à durée déterminée donnent aux administrations une réelle souplesse de gestion.
Le statut général de la fonction publique autorise, par dérogation, le recrutement de « fonctionnaires non titulaires » (ou « contractuels ») sur des contrats à durée déterminée de trois ans au maximum, renouvelables une fois, pour répondre à un besoin temporaire ou à un besoin permanent pour lequel il n’existe pas de corps de fonctionnaires susceptible d’exercer les fonctions correspondantes.
En 2015, ces contractuels représentaient 22 % des effectifs physiques totaux de l’ensemble des trois fonctions publiques, une part stable depuis 5 ans mais en hausse sur une plus longue durée, soit 19 % pour la fonction publique de l’Etat, 21 % pour celle des hôpitaux et 25 % pour celle des collectivités locales[3]. Ils sont plus jeunes, plus souvent ouvriers ou employés et plus souvent à temps partiel que les fonctionnaires titulaires.
Depuis 1946, une quinzaine de plans de titularisation se sont succédés, soit environ un tous les cinq ans, pour faciliter la transformation de ces CDD en CDI ou l’intégration des agents contractuels dans un corps de fonctionnaires. Le dernier plan, le « dispositif Sauvadet », résulte d’une loi de 2012.
Une étude présentée dans le rapport de 2017 sur l’état de la fonction publique montre que les 300 000 agents recrutés en 2011 par contrat sur un premier poste sont en 2015 pour 20 à 25 % d’entre eux (selon la catégorie d’employeurs) sur un CDD renouvelé ou sur un CDI et sont pour 14 % (Etat), 23 % (collectivités territoriales) et 30 % (hôpitaux) d’entre eux devenus fonctionnaires.
Des recrutements plus nombreux sur contrats à durée déterminée peuvent donc être nécessaires pour répondre à des besoins temporaires, mais il faudrait renoncer à tout nouveau plan de titularisation.
D) La mobilité des fonctionnaires doit être renforcée
Les départs volontaires et les recrutements sur contrats à durée déterminée sont nécessaires parce que les fonctionnaires ne sont pas assez mobiles et qu’il est donc très difficile de les faire évoluer des services en sureffectif vers les services en sous-effectif.
La priorité devrait donc surtout être de renforcer la mobilité des fonctionnaires (cf. note d’analyse sur le statut de la fonction publique).
Le cloisonnement de la gestion des fonctionnaires en corps et ministères, dont les régimes indemnitaires et les déroulements de carrière sont très différents, constitue un obstacle majeur à cette nécessaire mobilité qui pourrait être favorisée par une convergence des statuts et des régimes indemnitaires dans le cadre d’une évolution vers une fonction publique de métier.
La mobilité entre les trois fonctions publiques serait plus facile si le régime de retraite des fonctionnaires de l’Etat ne différait pas de celui des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers.
La faiblesse de la mobilité dans la fonction publique résulte également de l’organisation de l’Etat (en particulier, la LOLF institue une gestion verticale par ministère et par programme qui s’oppose à la mobilité des agents) et de la préférence des organisations syndicales pour une gestion centralisée des agents par ministère et par corps. « L’amélioration du dialogue social dans le secteur public par sa simplification et sa déconcentration » qui a été annoncée lors du premier comité interministériel de la transformation publique est à cet égard nécessaire. Elle constituera le pendant public de la réforme du dialogue social dans les entreprises privées qui a été engagée l’été dernier.
Comme le Gouvernement l’a aussi annoncée, un « véritable effort de formation » doit être mis en place, appuyé sur des outils performants de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
Enfin, les obligations de mobilité dans l’intérêt du service devraient être renforcées. Si un fonctionnaire n’accepte aucun des trois postes qui doivent lui être proposés dans le cadre d’une réorganisation, un licenciement est en principe possible mais, dans la pratique, c’est très rare.
A titre d’illustration, dans la plupart des cas de délocalisation de services de la région parisienne vers la province, les agents n’ont pas déménagé. Ils ont été affectés dans d’autres services en région parisienne, où leurs compétences étaient moins nécessaires, et il a fallu recruter de nouveaux fonctionnaires dans les services délocalisés, qui n’avaient pas toujours les compétences requises.
Cette obligation de mobilité est une contrepartie de l’emploi à vie qui a été assez largement perdue de vue en pratique dans la fonction publique et qui doit redevenir une réalité. L’article 4 de la loi du 13 juillet 1983 précise en effet que « le fonctionnaire est, vis-à-vis de l’administration, dans une situation statutaire et réglementaire ». Il n’a pas passé un contrat dont il peut exiger le respect mais, s’il est protégé par son statut contre les licenciements, il dépend en principe des décisions prises par le Gouvernement dans le cadre de son pouvoir réglementaire, notamment des décisions d’affectation.
[1] Un dispositif similaire, mais avec une indemnité plus faible, existe dans les hôpitaux.
[2] Les cotisations sociales des fonctionnaires sont versées par des organismes publics (leurs employeurs) à d’autres organismes publics (les caisses de sécurité sociale) et ne constituent pas en elles-mêmes un coût pour l’ensemble des administrations publiques.
[3] Agents ayant occupé un emploi à un moment pendant l’année. La part des contractuels dans les effectifs au 31 décembre 2015 était de 17 % pour les trois fonctions publiques, en hausse de 3 points depuis fin 2005.