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15/02/2018

L'endettement public de la France est-il soutenable ?

François ECALLE

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La Commission a publié en janvier dernier son rapport annuel sur la soutenabilité de l’endettement public dans les pays de l’Union européenne. Ce billet en tire les principales conclusions pour ce qui concerne la France.

Une fiche de l’encyclopédie de FIPECO présente par ailleurs les différentes définitions de la soutenabilité des finances publiques et les principaux indicateurs utilisés pour la mesurer par la Commission européenne et les autres institutions internationales.

Aucun pays européen ne présente actuellement, selon l’analyse de la Commission, de risque de crise de ses finances publiques à court terme. En revanche, les risques de non soutenabilité des dettes publiques à l’horizon de 2030 et au-delà sont importants dans certains pays.

A politique inchangée, c’est-à-dire en gelant le solde primaire structurel à son niveau de 2019, sauf pour ce qui concerne l’impact du vieillissement de la population sur les dépenses publiques, la dette de la France passerait de 97 % du PIB en 2019 à 106 % en 2028. Or la dette publique baisserait en moyenne dans la zone euro et l’Union européenne sur cette période. Parmi les pays dont la dette serait supérieure à 60 % du PIB en 2019, la France serait le seul, avec la Finlande, dont la dette augmenterait de plus de 1 point de 2019 à 2028. La position de la France est également mauvaise dans tous les scénarios alternatifs retenus par la Commission.

L’effort structurel requis pour ramener la dette publique a 60 % du PIB en 2032 est supérieur en France à l’effort moyen requis dans la zone euro et l’Union européenne (4,9 points de PIB contre 1,9 points dans la zone euro et 1,5 points dans l’Union européenne). Cet écart tient surtout à l’effort requis pour stabiliser la dette à son niveau actuel, la France étant l’un des rares pays où elle continue à augmenter, et plus secondairement à l’effort requis pour la ramener à 60 % du PIB, hors effet du vieillissement. En revanche, l’effort supplémentaire nécessaire pour compenser les dépenses publiques dues au vieillissement de la population est un peu plus faible en France que dans la moyenne des autres pays.

A plus long terme, la soutenabilité des finances publiques présente en France un risque inférieur à la moyenne des pays de la zone euro et de l’Union européenne en raison d’un impact plus faible du vieillissement sur les dépenses publiques.

Au total, la France est classée par la Commission dans le groupe des 5 pays (avec l’Italie, l’Espagne, la Belgique et le Portugal) où la soutenabilité des finances publiques présente le plus de risques.

Il convient certes de rappeler que les risques de crise des finances publiques sont également associés à d’autres facteurs, difficiles à quantifier, tels que la crédibilité des politiques publiques ou la probabilité d’un soutien d’autres pays. Il n’en demeure pas moins, au vu de ces analyses de la Commission, que la France n’a plus aucune marge de manœuvre budgétaire pour faire face à un nouveau choc macroéconomique négatif.

A)   L’évolution de la dette publique à politique inchangée

La Commission européenne présente d’abord l’évolution de la dette publique à l’horizon de 2028 qui résulte de ses prévisions de l’automne 2017 pour les années 2017 à 2019 et d’un scénario « à politique inchangée » pour les années 2020 à 2028 (ses prévisions pour 2019 sont en fait déjà largement à politique inchangée). En pratique, cette hypothèse de politique inchangée signifie que le solde structurel primaire (solde structurel hors charges d’intérêts) est gelé sur toute la période de projection au niveau atteint en 2019 (- 1,3 % du PIB pour la France), sauf pour ce qui concerne les effets du vieillissement sur les dépenses publiques. Ces effets sont pris en compte, ce qui se traduit généralement par une dégradation du solde primaire structurel.

Ces projections reposent en outre sur les hypothèses macroéconomiques suivantes : une fois l’écart de production revenu à zéro, la croissance du PIB est égale à sa croissance potentielle (1,1 % pour la France en moyenne sur 2017-2028) ; l’inflation converge vers 2 % et le taux d’intérêt réel à 10 ans vers 3 %.

Dans ce scénario de base, la dette publique de la France passerait de 97 % du PIB en 2019 à 106 % en 2028, alors que celle de la zone euro passerait en moyenne de 85 % à 78 % du PIB et celle de l’Union européenne de 80 à 73 % du PIB. Parmi les pays dont la dette serait supérieure à 60 % du PIB en 2019, la France serait le seul, avec la Finlande, dont la dette augmente de plus de 1 point.

Source : Commission européenne ; FIPECO.

La Commission présente des projections alternatives dans lesquelles les hypothèses précédentes relatives au solde structurel primaire, à la croissance potentielle et aux taux d’intérêt sont remplacées par leur moyenne sur les années 2003-2017. S’agissant de la France, la dette en 2028 est comprise entre 104 et 108 % du PIB selon les scénarios. S’agissant des moyennes européennes, la dette en 2028 se situe également dans une fourchette de +/- 2 points de PIB par rapport au niveau atteint dans le scénario central.

Si les pays membres respectaient les règles budgétaires européennes et, en particulier, ramenaient progressivement leurs comptes publics à l’équilibre structurel, leur dette publique serait plus faible en 2028 (79 % du PIB pour la France ; 64 % pour la zone euro et 61 % pour l’Union européenne).

Une hausse (ou une baisse) de 100 points de base de tous les taux d’intérêt, dès 2019, par rapport au scénario central entraînerait une hausse (une baisse) d’environ 5 points de PIB de la dette de la France en 2028 et de 4 à 5 points de PIB de la dette moyenne de la zone euro ou de l’Union européenne.

Un taux de croissance du PIB supérieur (inférieur) de 0,5 point en moyenne sur 2018-2028 entraînerait une baisse (une hausse) de 5 points de la dette en 2028 par rapport au scénario central en France et de 4 à 5 points dans la zone euro ou l’Union européenne.

B)   La soutenabilité à court terme

La Commission examine ensuite les risques de survenance d’une « crise des finances publiques » à moins d’un an. Une « crise » est caractérisée par un défaut de paiement, une restructuration des dettes ou l’apparition d’une prime de risque[1] supérieure à sa moyenne historique majorée de deux fois son écart-type.

Le risque de crise est apprécié sur la base d’une série de 25 variables à la fois budgétaires (solde structurel…) et macroéconomiques (solde des transactions courantes…) et de seuils spécifiques à chacune de ces variables dont le franchissement a été dans le passé un signal précurseur d’une crise. La position du pays par rapport à chacun de ces seuils, en-deçà ou au-delà, est synthétisée dans un indicateur global, dit S0, pour lequel il est également possible de définir un seuil au-delà duquel une crise est probable.

Alors que 16 pays de l’Union européenne avaient franchi ce seuil global en 2009 (la France ne faisait pas partie de ce groupe), laissant présager une crise, aucun ne le dépassait en 2017 et la France en était assez loin. La soutenabilité des finances publiques à court terme est donc assurée, si on fait confiance à cet indicateur, en France comme dans presque tous les pays européens (Chypre est proche du seuil).

C)    La soutenabilité à moyen terme

1)    Les indicateurs de soutenabilité à moyen et long terme

Selon l’approche la plus ancienne et la plus fréquemment retenue[2], la situation des finances publiques est soutenable si la dette publique est stable en pourcentage du PIB à un horizon infini, à politique inchangée, quel que soit le niveau auquel elle est stabilisée. Sous des hypothèses relativement peu contraignantes, les recettes futures permettent en effet alors de couvrir la dette actuelle et les dépenses futures.

Les projections n’ayant en pratique de sens que sur une période finie, cette définition théorique de la soutenabilité doit être adaptée pour être opérationnelle. Les finances publiques sont alors dites soutenables si la dette est stabilisée en pourcentage du PIB, ou ramenée à un certain pourcentage du PIB, à un horizon fini, et non infini. Le niveau auquel elle est stabilisée ou ramenée et l’horizon retenu sont conventionnels.

L’écart entre le déficit constaté et celui qui permettrait, en étant maintenu constant, d’atteindre cet objectif d’endettement mesure la distance par rapport à une situation soutenable. Pour apprécier la soutenabilité à moyen ou long terme des finances publiques, il est préférable de considérer non pas le déficit effectif mais le déficit structurel primaire (hors charges d’intérêt).

L’écart entre le déficit structurel primaire à politique inchangée et celui qui permet de ramener la dette au niveau fixé et à l’horizon convenu est donc une mesure de la soutenabilité des finances publiques. Elle correspond au supplément d’impôts qu’il faudrait prélever chaque année dès maintenant pour atteindre cet objectif (on l’appelle aussi « tax gap »), ou aux économies qu’il faudrait réaliser.

2)    Les dernières estimations de la soutenabilité à moyen terme de la Commission

La Commission européenne retient un indicateur, dit S1, qui mesure l’écart entre le déficit primaire structurel prévu pour 2019 et celui qui permettrait de ramener la dette à 60 % du PIB à l’horizon de 2032. Cet indicateur est établi sur la base des projections à l’horizon de 2028 qui ont été décrites ci-dessus, prolongées jusqu’à 2032 avec les mêmes hypothèses.

Cet indicateur S1 a trois composantes : la première correspond à la réduction du déficit primaire structurel nécessaire pour stabiliser la dette à son niveau de 2019, à démographie inchangée ; la deuxième à l’effort supplémentaire nécessaire pour la ramener de son niveau de 2019 à 60 % du PIB en 2032, à démographie inchangée ; la troisième à l’effort supplémentaire requis pour compenser la hausse des dépenses publiques induite par le vieillissement de la population.

Pour la France, l’effort requis pour ramener la dette publique à 60 % du PIB représente 4,9 points de PIB, soit 1,7 point pour stabiliser la dette, puis 2,9 points pour la ramener à 60 % du PIB et 0,3 point pour compenser l’effet du vieillissement sur les dépenses publiques.

Cet effort de 4,9 points requis pour ramener la dette publique à 60 % du PIB est supérieur en France à l’effort moyen requis dans la zone euro (1,9 point) et l’Union européenne (1,5 point). Cet écart entre la France et les moyennes européennes tient surtout aux efforts requis pour stabiliser la dette à son niveau actuel (la France étant l’un des rares pays dont la dette continue à augmenter), plus secondairement aux efforts requis pour la ramener à 60 % du PIB, hors effet du vieillissement. En revanche, l’effort supplémentaire nécessaire pour compenser les dépenses dues au vieillissement est un peu plus faible en France que dans la moyenne des autres pays.

Seule l’Italie devrait faire un effort plus important (6,7 points) pour ramener sa dette à 60 % du PIB, et le Portugal devrait faire un effort équivalent à celui de la France. Dans le cas de l’Allemagne, l’effort requis est négatif, malgré un fort effet du vieillissement, ce qui veut dire qu’elle devrait réduire son excédent primaire structurel de 2019.

Source : Commission européenne ; FIPECO.

Comme pour l’évolution de la dette à l’horizon de 2028, la Commission présente des analyses de sensibilité, par exemple avec un impact plus fort du vieillissement sur les dépenses publiques. Les observations qui peuvent en être tirées ne sont pas qualitativement différentes.

D)   La soutenabilité à long terme

La soutenabilité des finances publiques à long terme est analysée par la Commission en retenant sa définition théorique : à partir d’un certain moment, la dette doit augmenter indéfiniment comme le PIB et être donc stable en pourcentage du PIB, quel que soit ce pourcentage. L’indicateur dit S2 mesure l’écart entre le solde primaire structurel de 2019 et celui qui permettrait cette stabilisation.

Pour la France, il correspond à 1,1 % du PIB, ce qui est inférieur aux moyennes de la zone euro (1,3 %) et de l’Union européenne (1,5 %). En effet, si la stabilisation de la dette requiert un effort plus important en France (2,2 % du PIB contre 0,5 et 0,4 %), l’impact du vieillissement est beaucoup plus favorable (- 1,0 % du PIB contre 0,9 % et 1,1 %).

La Commission note cependant elle-même que ces résultats sont à prendre avec beaucoup de précautions car le niveau auquel la dette publique est stabilisée peut être très élevé, et elle ne l’indique d’ailleurs pas.

E)    L’évaluation globale

L’évaluation globale du risque présenté par chaque pays au regard de la soutenabilité de ses finances publiques repose sur une combinaison des indicateurs S0, S1 et S2 ainsi que des prévisions d’évolution de la dette publique dans le scénario central et les scénarios alternatifs.

Comme indiqué plus haut, aucun pays ne présente de risque à court terme.

Dix pays, dont la France, présentent un risque élevé de non soutenabilité de leurs finances publiques à moyen terme. Pour la moitié d’entre eux, dont la France, ce risque résulte à la fois du niveau élevé de l’indicateur S1 et de l’évolution de la dette dans les différents scénarios, qui la conduit à rester au-delà de 90 % du PIB en 2028.

Un seul pays (la Slovénie) présente un risque élevé à long terme et une douzaine un risque modéré. La France fait partie des pays pour lesquels ce risque à long terme est faible.

Au final, la Commission classe la France avec quatre autres pays (Italie, Espagne, Belgique et Portugal) dans la catégorie qui présente le risque le plus élevé de non soutenabilité des finances publiques.

 

[1] Ecart entre le taux d’intérêt des emprunts de l’Etat considéré et celui d’un emprunt sans risque (en général une obligation fédérale allemande).

[2] Développée notamment dans « The sustainability of fiscal policy : new answers to an old question » ; Olivier Blanchard et alii ; OECD economic studies, 1990.

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