Fipeco

Partager Partage sur Twitter Partage sur Facebook Partage sur Linkedin


22/06/2017

L'histoire des audits des finances publiques de 1997 à 2015

François ECALLE

PDF à lire et imprimer

Lorsque Lionel Jospin a confié un audit des finances publiques à Jacques Bonnet et Philippe Nasse en 1997, j’étais sous-directeur des finances publiques à la direction de la prévision du ministère des finances. Lorsque Jean-Pierre Raffarin leur a confié un deuxième audit, en 2002, j’étais dans leur équipe d’auditeurs. Lorsque Jean-Marc Ayrault a demandé un audit à la Cour des comptes en 2012, j’étais responsable depuis 2008 de la préparation du rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques, dans lequel cet audit a été intégré, et je le suis resté jusqu’à la fin de 2015 et ma mise en disponibilité pour créer FIPECO. J’ai aussi été membre du Haut Conseil des finances publiques depuis son installation, en mars 2013, jusqu’à décembre 2015.

Ce billet présente l’histoire des audits de 1997 et 2002 puis du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques et enfin du Haut Conseil des finances publiques, jusqu’à décembre 2015. Ce n’est qu’un témoignage et je ne prétends pas connaître tous les éléments de cette histoire, que d’autres ont déjà évoquée et complèteront certainement.

A)   L’audit de 1997

J’ai été chargé en 1993 de la sous-direction des finances publiques de la direction de la prévision (DP) du ministère des finances à un moment où le rôle de cette sous-direction a pris une grande importance. En effet, depuis très longtemps, la DP réalisait deux fois par an des prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposaient notamment les recettes fiscales inscrites en loi de finances. Ces prévisions comprenaient un compte prévisionnel des « administrations publiques » (Etat, sécurité sociale, collectivités territoriales et établissements publics administratifs) en comptabilité nationale qui jusque-là n’intéressait presque personne. En effet, les débats portaient alors, au niveau national, essentiellement sur la comptabilité budgétaire de l’Etat et sur les comptes du régime général de sécurité sociale.

Cette situation a changé en 1992 avec la ratification du traité de Maastricht par laquelle la France s’est engagée à respecter des règles relatives au déficit public et à la dette publique en comptabilité nationale, notamment de maintenir le déficit sous le seuil de 3,0 % du PIB. Or seule la sous-direction des finances publiques de la DP était capable de faire des prévisions du compte des administrations publiques, à condition de disposer d’informations détenues par d’autres services sur les comptes et budgets des différentes administrations publiques (Etat, sécurité sociale…), notamment par les directions du budget, du trésor et de la sécurité sociale.

Chacune des deux premières de ces directions (budget et trésor) a depuis lors toujours eu la tentation d’acquérir pour elle seule les techniques de prévision du compte des administrations publiques sans transmettre à la DP les données nécessaires pour établir ces prévisions. Ce problème de coordination à l’intérieur du ministère des finances, plus ou moins important selon les époques, n’a été que partiellement réglé en 2004 par la fusion du trésor et de la DP.

Le rapport économique annexé en septembre 1996 au projet de loi de finances pour 1997 affichait un déficit public de 3,0 % du PIB, c’est-à-dire le maximum autorisé en application des nouvelles règles européennes pour créer l’euro. A la fin de février 2017, le directeur de la prévision a informé le ministre que notre prévision de déficit était de 3,5 % du PIB en 1997[1] et  de 3,6 % en 1998[2]. Au même moment, la direction du budget, qui essayait d’appliquer les normes de la comptabilité nationale aux données budgétaires, annonçait un déficit un peu plus élevé en 1997 et beaucoup plus élevé en 1998. En mars, plusieurs notes communes des directions de la prévision, du trésor et du budget ont informé le ministre que le déficit public de 1997 serait d’au moins 3,5 % du PIB.

Fin avril, Jacques Chirac a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale avec les conséquences que l’on connait. Le nouveau ministre des finances a été aussitôt informé de la situation des finances publiques et Lionel Jospin a demandé le 24 juin « une évaluation précise de notre situation budgétaire et de celle des comptes sociaux dans le cadre de la situation d’ensemble des administrations publiques » à J. Bonnet et Ph. Nasse. Le premier avait été président de la 1ère chambre de la Cour des comptes jusqu’à janvier 1997 et le deuxième avait été directeur de la prévision jusqu’à sa nomination à la Cour des comptes en mars 1997.

Les auditeurs ont adopté des principes méthodologiques  toujours d’actualité : mettre l’accent sur le déficit public et sa décomposition par catégories d’administrations publiques en comptabilité nationale, en indiquant néanmoins les résultats prévus pour l’Etat et le régime général de sécurité sociale dans leurs comptabilités spécifiques ; ne pas s’appuyer sur les informations comptables disponibles au milieu de l’année car elles sont très difficiles à interpréter ; procéder à un examen de la vraisemblance des prévisions des directions du budget, de la sécurité sociale et de la prévision (plus accessoirement du trésor à l’époque) en les confrontant entre elles et avec d’autres sources[3] ; prendre en compte les mesures habituelles de régulation budgétaire (réserve de précaution…) mais pas de vraies mesures nouvelles non encore votée (hausse d’impôt…) ; s’appuyer sur la direction de la prévision pour ce qui concerne le passage de la comptabilité publique à la comptabilité nationale ; corriger les prévisions de recettes sur la base des prévisions macroéconomiques de la note de conjoncture publiée fin juin par l’Insee ; insister sur les nombreux aléas entourant toute prévision du déficit public à ce moment de l’année.

Les auditeurs ont obtenu tous les documents demandés. Ils ont évalué le déficit public de 1997 dans une fourchette allant de 3,5 à 3,7 % du PIB dans leur rapport publié le 21 juillet[4]. Le même jour, le ministre de l’économie a annoncé une majoration de l’impôt sur les sociétés appliquée sur les acomptes dus en 1997, pour un montant de 0,3 % du PIB, et des économies, surtout sur les dépenses militaires, de l’ordre de 0,1 point de PIB. Il a en outre déclaré attendre une croissance un peu plus forte que prévu jusque-là pour ramener le déficit à 3,0 % du PIB. En mars 1998, l’Insee a estimé le déficit public de 1997 à 3,0 % du PIB[5].

B)   L’audit de 2002

Le rapport économique annexé en septembre 2001 au projet de loi de finances pour 2002 prévoyait un déficit public de 1,4 % du PIB. Dans le programme de stabilité transmis en février 2002 à la Commission européenne, le déficit prévu a été révisé à 1, 9 % du PIB

En précisant que leur expérience de l’audit de 1997 les qualifiait tout particulièrement, Jean-Pierre Raffarin a donné pour mission à J. Bonnet et Ph. Nasse, le 16 mai 2002, de lui présenter « une image fidèle de la situation des finances publiques ». Les deux auditeurs ont été secondés par six rapporteurs : deux magistrats de la Cour des comptes originaires du ministère des finances (dont moi-même) ; trois personnes de l’inspection générale des finances et une de l’inspection générale des affaires sociales.

Les auditeurs ont repris les principes méthodologiques définis en 1997. Leur rapport ayant été publié le 27 juin, ils n’ont pas pu appuyer leur analyse de la situation économique sur la note de conjoncture de l’Insee mais sur les prévisions des organisations internationales et le « consensus » des économistes. Les rapporteurs ont obtenu tous les documents demandés.

Il est d’abord apparu que la direction de la prévision prévoyait un déficit public de 2,2 points de PIB en 2002, en faisant l’hypothèse du respect de la norme d’évolution des dépenses de l’Etat. L’écart par rapport à la loi de finances initiale tenait surtout à l’effet d’une conjoncture moins favorable que prévu sur les recettes et à une dérive des remboursements de l’assurance maladie. Les prévisions d’exécution de la direction du budget établies fin mai ont ensuite fait apparaitre d’importantes menaces sur les dépenses de l’Etat liées notamment à des reports de dépenses de 2001 sur 2002 et à une sous-budgétisation de certains programmes pour 2002. Le rapport d’audit a finalement conclu que le déficit public de 2002 pouvait être estimé entre 2,2 et 2,6 % du PIB.

Après l’avoir présenté, le ministre de l’économie a déclaré que « contrairement à ce qui a été fait par le passé, nous allons libérer les énergies », en commençant par réduire l’impôt sur le revenu de 0,15 point de PIB dès le paiement du solde de 2001 en septembre 2002. S’agissant des dépenses publiques, il a seulement annoncé que les crédits nécessaires pour couvrir les dépenses non budgétées seraient ouverts, qu’une réforme des retraites était en préparation et que la loi organique de 2001 sur les lois de finances (LOLF) serait pleinement mise en œuvre.

Comme la croissance économique et, surtout, l’élasticité des recettes publiques à cette croissance ont été plus faibles que prévu lors de l’audit, le déficit public de 2002 publié par l’Insee en 2003 s’est établi à 3,1 % du PIB, mettant la France, avec l’Allemagne, en situation de « déficit excessif » au regard des règles budgétaires européennes.

C)    Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques

La mission historique de la Cour des comptes, outre le jugement des comptables publics, est de vérifier la régularité des recettes et dépenses inscrites dans les comptes et de s’assurer du bon emploi des fonds publics au cours des exercices passés.

Au début de 1997, la Cour a lancé un « contrôle » du « compte des administrations publiques » établi par l’Insee qui l’a conduite à faire des critiques méthodologiques. Les directions concernées du ministère des finances ont fortement contesté sa compétence, juridique et technique, pour contrôler une statistique établie selon des normes internationales dont le respect est vérifié dans l’Union européenne par Eurostat. Ce contrôle n’a pas eu de conséquences sur l’élaboration du compte des administrations publiques mais a laissé des traces rue de Bercy et rue Cambon.

L’audit de 1997 puis celui de 2002 avaient été confiés à deux magistrats de la Cour des comptes intuitu personae et non à la Cour elle-même, ce qui a provoqué un débat en son sein à partir de 2003 à l’occasion de la mise en œuvre de la LOLF.

Une partie de la Cour considérait, et certains de ses membres considèrent toujours, que sa mission est seulement d’examiner les comptes et la gestion des exercices passés et qu’elle doit éviter les débats économiques. Certains faisaient en outre valoir que la Cour doit s’appuyer seulement sur les comptes qu’elle peut contrôler et non sur la comptabilité nationale, le « contrôle » de 1997 ayant été pour eux inopportun. Cette position a toujours été largement partagée par le ministère des finances, qui ajoute souvent que la Cour risque un « conflit d’intérêt » en se prononçant ex ante sur les prévisions du Gouvernement puis en portant une appréciation ex post sur les résultats budgétaires.

Les magistrats d’avis opposé ont pu s’appuyer sur l’article 58-3 de la LOLF et sont devenus de plus en plus fortement majoritaires. Cet article prévoit le dépôt par la Cour au Parlement d’un « rapport préliminaire  conjoint au dépôt du rapport mentionné à l'article 48 relatif aux résultats de l'exécution de l'exercice antérieur ». Le rapport prévu à l’article 48 porte lui-même sur « l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publique » en vue du débat d’orientation des finances publiques qui se tient d’ordinaire en juillet. L’interprétation conjointe de ces deux articles de la LOLF est difficile. Pour certains, le rapport de l’article 58-3 doit seulement être « relatif aux résultats de l’exercice antérieur », mais l’article 58-4 prévoit un autre rapport sur les résultats de l’exécution de l’exercice antérieur et on ne peut pas imaginer que le Parlement se répète inutilement. Dans ces conditions, la Cour avait une certaine liberté pour définir elle-même le contenu de ce rapport.

Le premier « rapport préliminaire » a été publié en juin 2005 et portait surtout sur les résultats de 2004, assez largement en comptabilité nationale ce qui constituait une forte innovation pour la Cour. Il est devenu de plus en plus précis sur l’année en cours et les années suivantes si bien qu’il a été intitulé en 2007 « rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques » (RSPFP). La structure du rapport adoptée en 2007 a ensuite peu varié : situation d’ensemble et par catégorie d’administrations publiques l’année précédentes avec des comparaisons internationales ; premières tendances relatives à l’exercice en cours ; enjeux à moyen et long terme ; problèmes posés par la programmation et le pilotage des finances publiques ; réformes nécessaires.

Le diagnostic de la Cour sur la situation et les perspectives des finances publiques était alors très prudent et, lorsque j’ai été appelé au début de 2008 à préparer le rapport prévu en juin, j’ai reçu pour consigne d’écrire « en style notarial », par exemple écrire que le déficit augmente de x % et non qu’il s’aggrave. En particulier, les titres devaient être complètement plats, comme dans le rapport de 2007. Le rapport préparé mettait néanmoins en évidence, sans l’écrire ainsi, une aggravation de la situation en 2007, des risques réels pour 2008 et la nécessité d’une action durable sur les dépenses publiques. Quelques jours avant son approbation par la « chambre du Conseil » et sa publication, Philippe Séguin a demandé qu’il soit réécrit pour faire clairement apparaître ce diagnostic, notamment dans les titres. Avec le recul, j’ai compris ensuite qu’il s’agissait d’une nouvelle orientation stratégique pour la Cour.

Tout en étant préparé en respectant les mêmes principes que les autres rapports de la Cour (contradiction avec les administrations concernées et collégialité des décisions en particulier), ce rapport est progressivement devenu plus prospectif, l’année en cours relevant largement de la prévision, et plus économique, en utilisant par exemple les notions de solde et d’effort structurel. Il a été actualisé chaque début d’année par un chapitre sur les finances publiques, que je préparais également, dans le rapport public annuel.

Ses échos ont été de plus en plus forts dans les médias et le monde politique ainsi que dans la sphère académique et dans les organisations internationales. Les experts de la Commission européenne, de l’OCDE et du FMI ont ainsi pris l’habitude de venir rue Cambon quand ils se rendaient à Paris pour interroger les administrations françaises sur les finances publiques.

D)   L’audit de 2012

En introduction du RSPFP de juin 2012, la Cour notait que ce rapport constituait un audit annuel des finances publiques. Toutefois, les audits de 1997 et 2002 portaient sur le déficit public de l’année en cours, dont l’analyse constituait le point faible du RSPFP jusqu’à 2012. En effet, comme J. Bonnet et Ph. Nasse l’avaient souligné, il est difficile d’apprécier la fiabilité des prévisions officielles sans disposer des mêmes informations que le ministère des finances, notamment des prévisions techniques des directions du trésor (après sa fusion avec la DP), de la sécurité sociale et du budget. Or la Cour n’avait pas accès à ces informations, le ministère des finances considérant qu’elle sortait de son champ de compétences en examinant ses prévisions pour l’année en cours.

Le déficit public prévu par le gouvernement pour l’année en cours dans le programme de stabilité (dernière prévision officielle avant le RSPFP) était examiné sur la base d’informations publiques, ce qui permettait déjà de faire des observations pertinentes : la confrontation du scénario macroéconomique du programme de stabilité et des dernières prévisions économiques (Insee, organisations internationales, instituts privés…) permet ainsi de mettre en évidence un risque macroéconomique et d’en déduire un impact sur les recettes et sur certaines dépenses (effet d’une inflations plus élevée sur les dépenses indexées par exemple) ; il peut aussi apparaître que l’élasticité des prélèvements obligatoires n’est pas vraisemblable ; le rapport de la Cour des comptes sur l’exécution du budget précédent montre les risques de reports de dépenses et de sous-dotation des programmes budgétaires ; les mesures nouvelles décidées après la publication du programme de stabilité peuvent affecter le déficit si elles sont mises en œuvre pendant l’année en cours ; le dernier avis du comité d’alerte permet souvent de souligner un risque de dépassement de l’ONDAM.

Au début de 2012, la Cour a décidé de procéder à une analyse plus précise de la situation des finances publiques en 2012 et j’ai donc demandé à la mi-avril aux directions du trésor et du budget de me transmettre des documents internes. La ministre du budget du gouvernement sortant a donné son accord à cette transmission juste avant la passation de ses pouvoirs à son successeur et les rapporteurs ont pu obtenir toutes les informations demandées.

Le Premier ministre a écrit le 18 mai au Premier président de la Cour pour exprimer le souhait qu’elle procède à un audit des risques pesant sur la réalisation des objectifs de finances publiques pour 2012 et 2013. Le programme de stabilité déposé en avril prévoyait un déficit de 4,4 % du PIB en 2012.

Le RSPFP, adopté le 28 juin, a conclu que les risques de dépassement des objectifs de dépenses étaient limités et pouvaient être prévenus par des mesures de régulation budgétaire. En revanche, une perte de recettes de 0,3 à 0,5 points de PIB paraissait probable, en raison d’une conjoncture moins favorable que prévu dans le programme de stabilité et d’une surestimation de l’élasticité des recettes au PIB. S’agissant de 2013, le respect de l’engagement pris par la France de ramener le déficit à 3,0 % du PIB imposait un effort structurel supplémentaire de 1,6 point de PIB dans un scénario économique central.

Une loi de finances rectificative voté au cours de l’été a maintenu l’objectif de dépenses et approuvé des mesures fiscales dont le rendement devait être de l’ordre de 0,4 point de PIB en 2012 puis de 0,3 point supplémentaire en 2013. Le déficit de 2012 publié par l’Insee en 2013 s’est néanmoins élevé à 4,8 % du PIB, la croissance de l’activité ayant été encore plus mauvaise que prévu en juin.

Dans le RSPFP de juin 2013, la Cour a signalé que les prévisions internes des directions du trésor et du budget ne lui avaient pas été communiquées et, dans ceux de 2014 et 2015, elle a noté que les informations obtenues avaient été un peu plus précises qu’en 2013 mais étaient restées insuffisantes pour mesurer les risques et éclairer complètement les débats parlementaires. La Cour a obtenu dans les années 2013-2015 des informations internes du ministère des finances qu’elle n’avait pas avant 2012 mais pas aussi complètes qu’en 2012.

E)    Le Haut Conseil des finances publiques

Le traité du 2 mars 2012 sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l’union économique et monétaire prévoit l’inscription d’une règle d’équilibre structurel des comptes des administrations publiques dans les droits nationaux des parties contractantes. Un règlement précise que des « organismes budgétaires indépendants » sont chargés, dans chaque pays, de vérifier le respect de cette règle. Il prévoit aussi que les textes budgétaires sont fondés sur des prévisions macroéconomiques « réalisées ou approuvées par des organismes indépendants ». La Cour des comptes a été reconnue en 2011 par la Commission européenne comme un organisme budgétaire indépendant au sens des règles communautaires, sauf pour ce qui concerne les prévisions macroéconomiques.

Elle aurait donc pu devenir l’institution budgétaire indépendante chargée de vérifier le respect de la règle d’équilibre structurel. Il est toutefois difficile de séparer le suivi du solde structurel et les prévisions macroéconomiques. Le solde structurel dépend de la croissance potentielle et de l’écart entre le PIB effectif et le PIB potentiel, qui sont aussi des éléments essentiels pris en compte pour établir des prévisions économiques à moyen terme. Or la Cour n’avait pas les compétences techniques et la crédibilité suffisantes pour se prononcer sur des prévisions économiques et ne pouvait donc pas elle seule être chargée à la fois de la vérification des prévisions économiques et de la trajectoire de solde structurel.

Il était alors envisageable de confier l’ensemble de ces fonctions à un autre organisme, existant ou créé à cette fin, option étudiée au ministère des finances. Toutefois, il n’était pas certain qu’un tel organisme soit aussi indépendant que la Cour. Il n’aurait pas eu la même crédibilité sur les questions budgétaires et aurait dû se construire progressivement une réputation favorable. Des incohérences, voire des contradictions, auraient pu apparaître entre les positions de cet organisme et celles de la Cour sur les sujets de finances publiques.

Le Parlement a finalement décidé, à travers la loi organique du 17 décembre 2012 sur la programmation et la gouvernance des finances publiques, de créer un Haut Conseil des finances publiques (HCFP), « organisme indépendant placé auprès de la Cour des comptes ».

Le HCFP doit donner un avis sur les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent notamment les projets de lois de finances et se prononcer sur le PIB potentiel et la croissance potentielle retenus dans les projets de loi de programmation. Les règles européennes imposent toutefois qu’il « produise » ou « valide » ces prévisions et pas seulement qu’il donne un avis.

Il doit aussi rendre un avis sur la « cohérence » entre l’article liminaire du projet de loi de finances, qui présente le solde structurel prévu pour l’année en cours et l’année suivante, et la trajectoire pluriannuelle du solde structurel inscrite dans la loi de programmation.

Il considère qu’il ne doit pas se contenter de comparer les chiffres figurant à l’article liminaire et dans la loi de programmation pour vérifier leur cohérence. Il estime devoir, par exemple, vérifier que les prévisions de recettes sont cohérentes avec le scénario macroéconomique. Si ce n’était pas le cas, l’éventuelle cohérence formelle  entre les chiffres figurant dans l’article liminaire et dans la loi de programmation serait en effet trompeuse. Le ministère des finances est pourtant enclin à considérer que sa mission se limite à cette cohérence formelle et qu’il n’a donc pas à auditer en détail les prévisions de finances publiques.

Or l’objet des avis du Haut Conseil et les conditions dans lesquelles ils sont donnés sont précisément définis par la loi organique. Celle-ci ajoute même qu’il ne doit pas délibérer ou s’exprimer sur tout autre sujet. Cette disposition permet à la Cour de compléter les avis du Haut Conseil sur des sujets qu’il ne peut pas traiter et à des moments où il ne peut pas s’exprimer. C’est notamment le cas avec le RSPFP en juin.

Les conditions de saisine du Haut Conseil et les moyens dont il dispose ne lui permettent pas d’approfondir certaines questions, concernant notamment la qualité des prévisions de finances publiques même s’il lui arrive souvent de mettre en évidence le manque de vraisemblance de certains chiffes. En effet, la loi organique fixe à une semaine le délai entre sa saisine officielle et la transmission de son avis au Conseil d’Etat. Elle prévoit seulement que « le Gouvernement répond aux demandes d’information que lui adresse le Haut Conseil dans le cadre de la préparation de ses avis ».

En pratique, le délai entre la saisine officielle et la publication de l’avis est d’une semaine mais le HCFP obtient souvent des éléments utiles pour analyser le scénario macroéconomique avant cette saisine. En revanche, les informations relatives aux finances publiques transmises avant ou avec la saisine sont souvent succinctes et ne sont complétées que tardivement, en général parce que les arbitrages sont rendus eux-mêmes tardivement par le gouvernement.

Les explications qui lui sont données par l’administration sur le scénario macroéconomique sont suffisantes pour en apprécier les risques. En revanche, les éléments d’informations transmis sur les prévisions de finances publiques sont souvent un peu trop limités.

F)    Conclusion

Les difficultés rencontrées par les auditeurs pour obtenir les informations nécessaires à leurs travaux de la part du ministère des finances tiennent pour partie à la rédaction ambiguë de l’article 58-3 de la LOLF et des articles de la loi organique de 2012 relatifs aux missions du HCFP. Il serait donc utile de modifier ces articles pour clarifier et renforcer les missions de la Cour et du Haut Conseil.

Cela pourrait toutefois être assez illusoire car, pour que des auditeurs demandent des documents, encore faut-il que ces documents existent et qu’ils soient certains de leur existence. Or les travaux techniques des administrations peuvent prendre la forme de « notes blanches » non enregistrées et formellement inexistantes.

Une totale transparence ne sert pas non plus forcément l’intérêt général. Les prévisions sont par nature incertaines et, sur la base d’un même scénario macroéconomique établi par la direction du trésor, les directions du ministère des finances font ainsi des prévisions parfois sensiblement différentes des principales recettes fiscales. Il est alors normal que des prévisions alternatives soient présentées au ministre et elles ne sont pas forcément meilleures que la prévision officielle retenue. Pour ne pas perturber inutilement la communication du Gouvernement, elles doivent rester confidentielles et on peut comprendre que les administrations hésitent à les communiquer à des auditeurs qui ont tout pouvoir de les publier.

De manière beaucoup plus générale, la transparence complète sur les travaux préalables des administrations, qu’il s’agisse de prévisions ou de projets de loi, risque de dissuader les services de l’Etat de dire aux ministres que leurs prévisions ou leurs projets sont inappropriés, de peur que leurs travaux soient rendus publics.

Au total, la situation dans laquelle la transparence est totale les années d’alternance politique, comme ce fut le cas lors des audits de 1997, 2002 et 2012, et un peu plus limitée les autres années, comme ce fut le cas de 2013 à 2015 vis-à-vis de la Cour comme du HCFP, n’est peut-être pas mauvaise[6].

Cette histoire des audits des finances publiques, notamment de ceux de 1997, 2002 et 2012, montre également que leurs suites ont été assez différentes. A chaque fois, une loi de finances rectificative a été votée pendant l’été. En 1997 et 2012, elle a permis de prendre des mesures de redressement, mais trop exclusivement fiscales en 2012. En 2002, elle a contribué à aggraver le déficit public en réduisant les impôts conformément aux promesses de campagne. La France s’est alors trouvée en situation de « déficit excessif » et la divergence des trajectoires de finances publiques de la France et de l’Allemagne a commencé cette année-là.

Il ne faut certainement pas commettre en 2017 les erreurs de 2002 et 2012. En revanche, une loi de finances rectificative comportant des mesures de redressement de moindre ampleur qu’en 1997 et mieux équilibrées entre recettes et dépenses pourrait être utile, bien que cela ne soit pas l’intention affichée par le Gouvernement. En 2017, il s’agit de revenir sous le seuil de 3,0 % du PIB comme en 1997.

 

[1] En tenant compte d’un versement exceptionnel (0,4 % du PIB) de France-Télécom à l’Etat sans lequel le déficit prévu aurait été de 3,9 % du PIB.

[2] Il était informé depuis déjà longtemps de la difficulté de ramener le déficit au-dessous de 3 % du PIB en 1997.

[3] Contrôleurs financiers s’agissant des dépenses de l’Etat, caisses de sécurité sociale, direction générale des collectivités locales, direction générale des impôts…

[4] Leur mission était limitée à la situation des finances publiques en 1997.

[5] Après des changements de méthodes, en particulier l’étalement du versement de France Télécom sur plusieurs années, il est aujourd’hui estimé à 3,6 % du PIB.

[6] Une autre solution envisageable est de confier à un autre organisme que le ministère des finances, le HCFP par exemple, la production des prévisions macroéconomiques et de finances publiques. Ce serait plus conforme aux règles européennes que la situation actuelle mais poserait des problèmes plus difficiles de coordination avec le ministère des finances qui sortent du cadre de ce billet consacré à l’histoire des audits.

Revenir en haut de page