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22/12/2020

L'impôt, exceptionnel ou annuel, sur la fortune

François ECALLE

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Le rapport d’une « wealth tax commission » a été publié en décembre 2020 au Royaume-Uni. Le terme « commission » ne désigne pas un groupe de travail officiel mais trois universitaires, économistes et juristes, qui ont eux-mêmes mobilisé une vingtaine de contributeurs travaillant notamment à l’Institute for Fiscal Studies, à la London School of Economics, dans les universités d’Oxford et de Warwick ou encore à l’OCDE, dans des départements d’économie, de droit ou de gestion publique. L’objet de leurs analyses et de ce rapport est de déterminer si un impôt sur la fortune, exceptionnel (« one-off ») ou annuel, est souhaitable et s’il pourrait être instauré sans trop de difficultés au Royaume-Uni. Ce rapport permet de compléter les travaux réalisés aux Etats-Unis sur ce thème, par exemple ceux de E. Saez et G. Zucman et les commentaires qu’ils ont insiprés.

Les auteurs de ce rapport britannique concluent qu’il est préférable de réformer les impôts existants sur le capital (droits de successions…) plutôt que de créer un impôt annuel sur la fortune. Un impôt exceptionnel pourrait selon eux être utile et mis en œuvre, mais seulement si son caractère exceptionnel était crédible.

Le présent billet présente les conclusions et les recommandations de ce rapport ainsi que les observations qu’elles appellent en soulignant notamment les différences entre le Royaume-Uni et la France. Comme les auteurs, il distingue les projets d’impôt exceptionnel et d’impôt annuel sur la fortune.

A) L’impôt exceptionnel sur la fortune

1) Les conclusions et recommandations du rapport

Les auteurs ne se prononcent pas sur la question de savoir si le Gouvernement britannique doit augmenter les impôts pour réduire les déficits et l’endettement dus à la crise. Si le Gouvernement considère qu’une hausse des prélèvements obligatoires est nécessaire pour augmenter significativement les recettes publiques et réduire le déficit, ils recommandent de mettre en place un impôt exceptionnel sur la fortune. Une telle taxe serait en effet juste et efficace sans pouvoir être évitée et sans donner lieu à des coûts de gestion trop élevés.

Plusieurs conditions doivent toutefois être remplies pour que ces résultats soient atteints : le caractère exceptionnel (« one-off ») de cet impôt doit être crédible ; sa mise en œuvre ne doit pas être anticipée ; il doit s’appliquer à l’ensemble du patrimoine, net des passifs, sans exception (sauf pour les biens de faible valeur) ; les biens doivent être évalués à leur valeur de marché ; le paiement doit être différé si le contribuable a une contrainte de liquidité.

Les auteurs considèrent que le caractère exceptionnel d’un impôt sur la fortune pourrait être aujourd’hui crédible en raison du caractère lui-même exceptionnel de la crise actuelle.

Ils ne se prononcent pas sur le barème de cet impôt, qui relève d’un choix politique d’une redistribution plus ou moins forte des patrimoines, mais ils mettent en avant à titre d’exemple : une taxe de 5 % sur le patrimoine net par personne au-delà de 500 000 £ qui rapporterait 260 Md£ et serait payée par 8 200 000 personnes ; une taxe de 5% sur le patrimoine net par personne au-delà de 2 000 000 £ qui rapporterait 80 Md£ et serait payée par 600 000 personnes. Ils présentent également des barèmes progressifs conduisant à un rendement de 250 Md£, par exemple une taxe allant de 3 % sur la tranche 500 000 / 1 000 000 £ à 8 % au-dessus de 10 000 000 £ qui toucherait 8 200 000 personnes.

Les auteurs ne décrivent pas les effets redistributifs de cet impôt sur le patrimoine des Britanniques et se contentent de présenter la distribution des contribuables par âge en fonction du seuil de la taxe : le poids des retraités parmi les redevables de cet impôt serait nettement plus élevé que leur part de la population totale. Sans quantifier cet effet, ils notent également que des personnes riches au moment où la taxe est prélevée peuvent ne pas l’avoir été dans le passé et ne plus l’être dans le futur, ce qui limite l’équité d’un impôt exceptionnel.

Pour limiter les contraintes de liquidité des redevables, le paiement de l’impôt serait étalé sur cinq ans, voire plus dans certains cas (l’imposition de l’épargne retraite, très importante au Royaume-Uni, serait liquidée au moment du départ en retraite).

Le coût de gestion pour les services fiscaux représenterait environ 0,8 % du produit de la taxe.

2) Commentaires

Les impôts exceptionnels et non anticipés ne modifient pas les comportements futurs si ce caractère exceptionnel est crédible puisque leur prélèvement ne dépend que des comportements passés et les économistes considèrent donc qu’ils sont efficaces au sens où ils ne réduisent pas l’activité économique. Ils n’ont d’effet que sur la distribution des revenus et patrimoines.

Cette propriété caractérise aussi bien tout autre impôt exceptionnel et non anticipé (sur les revenus des ménages, les bénéfices des sociétés…). Les auteurs du rapport privilégient l’impôt sur la fortune parce qu’il est souhaité par une grande partie de la population et contribuerait à réduire la concentration des patrimoines.

Un tel impôt pourrait être anticipé et donner lieu à des comportements visant à en réduire le poids dans la mesure où il serait annoncé pendant une campagne électorale par un parti bien placé pour gagner et où il faudrait ensuite plusieurs mois pour le faire adopter par le Parlement et mettre en place l’organisation administrative nécessaire. Les auteurs considèrent que ces difficultés peuvent être surmontées en taxant les biens détenus à une date où la création de l’impôt était peu probable. En France, le principe de non-rétroactivité des dispositions fiscales ne permet pas de fixer cette date longtemps avant l’adoption de la loi.

Quoiqu’il en soit, la condition la plus difficile à respecter pour qu’un tel impôt soit efficace, particulièrement en France, est la crédibilité de sa nature exceptionnelle.

Les impôts exceptionnels existent en France depuis longtemps et ils durent. En 2012, a été instaurée une « contribution exceptionnelle sur les hauts revenus » aux taux de 3 et 4% « jusqu’à l’année au titre de laquelle le déficit public est nul », ce qui était alors prévu pour 2017 conformément à un engagement du Président de la République. La contribution au remboursement de la dette sociale a été créée en 1996 jusqu’au remboursement de la dette sociale, qui était fixée par une loi organique à un horizon de 13 ans. Ces impôts vont très probablement durer encore très longtemps et pourraient dépasser le record de longévité d’un impôt exceptionnel, qui est pour le moment détenu par la vignette automobile créée à titre temporaire en 1956, pour financer un fonds de solidarité avec les personnes âgées en attendant une ressource pérenne, et qui a été maintenue pendant 44 ans.

Contrairement à ce que pensent les auteurs du rapport, la nature de la crise actuelle laisse plutôt craindre une hausse permanente des prélèvements obligatoires, ce qui réduit fortement la crédibilité d’un impôt exceptionnel. En effet, un impôt exceptionnel réduirait certes le niveau de la dette publique mais celle-ci reprendrait ensuite sa tendance antérieure. Or, pour que la dette publique soit soutenable, il faut d’abord être capable de la stabiliser en pourcentage du PIB, celui-ci étant une approximation de l’assiette des prélèvements obligatoires. Le niveau auquel elle est stabilisée est loin d’être indifférent, mais la première condition de la soutenabilité de la dette est qu’elle puisse être stabilisée (cf. note sur les limites de l’endettement public).

Or la crise débouchera très probablement en France sur une forte demande de services publics, à commencer par les services de santé, et de prestations sociales qui risque de se traduire par une croissance des dépenses publiques supérieure à celle du PIB et donc à celle des recettes publiques (à législation fiscale inchangée). Le déficit et la dette publics pourraient ainsi augmenter indéfiniment, en pourcentage du PIB, sauf à prendre chaque année des mesures nouvelles de hausse des prélèvements obligatoires.

Dans ces conditions, si un impôt exceptionnel sur la fortune est mis en place en France, la pression sera vite très forte pour de nouveau « faire payer les riches » et réduire le déficit public qui se sera accru depuis son instauration. Une grande partie des Français, et des économistes, souhaite d’ailleurs le rétablissement d’un ISF annuel et non pas la création d’un impôt exceptionnel.

Certains effets redistributifs d’un impôt exceptionnel sur la fortune à un taux élevé pourraient être indésirables. Un taux marginal de 8 % au-dessus de 10 M£, comme dans un des barèmes progressifs mis en avant dans le rapport, obligerait les « grandes fortunes » à vendre une partie de leurs actifs pour payer cet impôt exceptionnel, même si son paiement est étalé sur plusieurs années. Il en résulterait une baisse des prix de ces actifs qui, s’agissant des plus riches, sont souvent des actions d’entreprises personnelles ou familiales. De tels investissements étant risqués, il est peu probable que ces actions soient achetées par des ménages non redevables de l’impôt sur la fortune. Il est bien plus probable que ce soient des non-résidents qui pourraient ainsi s’approprier à bon prix une partie du capital d’entreprises françaises.

Cet impôt exceptionnel pourrait certes ne pas s’appliquer aux biens professionnels et aux participations dépassant un certain pourcentage du capital des entreprises, ce qui était le cas de l’ISF en France. Les auteurs du rapport recommandent néanmoins un impôt sur l’ensemble du patrimoine net, sans aucune exception, pour simplifier sa gestion et en réduire le coût mais aussi parce qu’un impôt exceptionnel n’a pour eux aucun impact sur l’activité économique. Ils considèrent ainsi implicitement qu’il est indifférent que les entreprises soient possédées par des résidents ou des non-résidents.

En pratique, l’évaluation des actifs à leur valeur vénale, comme le recommandent à juste titre les auteurs du rapport, présente souvent d’importantes difficultés quand ils n’ont pas fait l’objet de transactions récentes, notamment les biens immobiliers non standards, les actions dans les sociétés non-cotées, les biens professionnels des entrepreneurs individuels, les œuvres d’art et antiquités. Les méthodes mises en œuvre par les services fiscaux en France sont discutables (cf. fiche sur les impôts sur le patrimoine des ménages).

Le coût de gestion de cet impôt exceptionnel qui est donné dans le rapport dépend du nombre de contribuables mais reste aux environs de 0,8 % du produit de la taxe pour presque tous les barèmes. Il correspond ainsi au coût moyen de gestion des impôts en France (0,8 % des recettes fiscales nettes en 2019 selon la DGFIP). D’un côté, le choix d’une assiette large sans exemption est de nature à réduire ce coût ; d’un autre côté, le caractère exceptionnel de cet impôt pourrait se traduire par d’importants coûts fixes non amortissables dans le temps. Les coûts de gestion pour les contribuables (évaluation de leurs biens notamment) n’ont pas été estimés dans le cas d’un impôt exceptionnel mais ne sont certainement pas négligeables (cf. plus loin).

Le rendement de cet impôt exceptionnel (de 80 à 260 Md£) est considérable au regard de celui de l’ISF en France (5 Md€) mais son assiette est beaucoup plus large, son taux bien plus élevé et le seuil d’imposition plus bas s’agissant du barème qui rapporte 260 Md£. Il n’est pas précisé dans le rapport si l’estimation de ce rendement a été contre-expertisée.

B) L’impôt annuel sur la fortune

1) Les conclusions et recommandations du rapport

Les auteurs de ce rapport concluent qu’il est préférable de réformer les impôts existants (droits de successions, impôts sur les revenus du capital et les plus-values, taxes foncières locales) et d’augmenter leur rendement plutôt qu’instaurer un impôt annuel sur la fortune : « an annual wealth tax would be a poor second best to undertaking these reforms because it would be less economically efficient and more costly to administer ». Ils rappellent les principaux défauts de ces impôts au Royaume-Uni et les propositions de réforme déjà formulées.

Si le taux marginal supérieur des droits de successions est de 40 % au Royaume-Uni, de nombreuses dispositions fiscales réduisent fortement leur montant. Les plus-values sont imposées à un taux plus faible que les revenus du capital qui sont eux-mêmes imposés à un taux plus faible que les revenus du travail (à un taux nul s’agissant de l’usage de leur logement par les propriétaires occupants). L’absence de prise en compte de l’inflation accroît toutefois indument l’imposition des revenus du capital et des plus-values. La « council tax » (qui ressemble à la taxe d’habitation) repose sur des valeurs administratives obsolètes et sur un barème qui lui donne en pratique un caractère régressif.

Les auteurs du rapport recommandent de corriger ces défauts et d’envisager un impôt annuel sur la fortune seulement si, une fois corrigés, ces impôts ne permettent pas d’obtenir une redistribution suffisante des patrimoines. Ils ne se prononcent pas eux-mêmes sur ce que pourrait être une juste répartition des patrimoines.

Sous ces réserves, ils formulent des recommandations pour le cas où le Gouvernement souhaiterait instaurer un impôt annuel sur la fortune. Pour simplifier sa gestion, en réduire le coût et éviter des réallocations inefficaces des patrimoines entre catégories de biens, ils recommandent d’asseoir cet impôt sur l’ensemble du patrimoine net de chaque personne, sans exception et en appliquant le même taux à tous les biens, évalués à leur valeur vénale.

Ils considèrent que, si le taux de cet impôt était de 1 %, son assiette théorique serait réduite de 7 à 17 % par des changements de comportements des contribuables les conduisant à sous-estimer leurs biens, à les répartir entre les membres de leur famille pour passer sous le seuil d’imposition et à partir à l’étranger. Les auteurs considèrent que les études disponibles sur l’impact, théorique et empirique, d’un tel impôt sur l’épargne et l’investissement sont trop fragiles pour être prises en compte.

Une taxe annuelle rapportant moins qu’une taxe exceptionnelle, les coûts de gestion rapportés aux recettes fiscales sont plus élevés même si certains de ces coûts sont amortis sur une plus longue durée. Une taxe de 0,6 % au-delà d’un seuil de 2 M£ rapporterait 10 Md£ et toucherait 600 000 contribuables pour un coût administratif de 0,1 Md£ soit 1,0 % du produit de la taxe (avec un seuil à 1 M£ et un taux de 0,3 %, il y aurait 3 000 000 contribuables et le coût administratif serait de 0,45 Md£ pour le même rendement, soit 4,5 % de ce rendement).

Le coût de gestion pour le contribuable, principalement dû à l’estimation de la valeur vénale de tous ses biens, serait considérable puisqu’il représenterait 24 % du montant de la taxe avec un seuil à 2 M£ et 44 % avec un seuil à 1 M£.

Plus les seuils sont bas et les patrimoines taxés faibles, plus les coûts de gestion, pour l’administration et les contribuables, sont élevés en pourcentage du montant de l’impôt car les frais d’estimation sont assez largement indépendants de la valeur du patrimoine. En conséquence, les auteurs recommandent des seuils élevés.

Le paiement d’un impôt exceptionnel peut certes être étalé sur plusieurs années, mais des délais de paiement systématiques n’ont pas de sens s’agissant d’un impôt annuel. Les auteurs du rapport reconnaissent que certains contribuables devraient alors vendre leurs biens et ils citent comme exemple des actionnaires de start-ups fortement valorisées mais ne dégageant aucun bénéfice. Ils admettent que la seule solution pour éviter des cessions inopportunes est de prévoir des exonérations pour certaines catégories de biens ou de contribuables et de remettre ainsi en cause le principe d’une taxation de l’ensemble du patrimoine qu’ils recommandent.

2) Commentaires

En France, comme au Royaume-Uni, il serait préférable de reformer certains impôts, notamment les droits de succession, plutôt que de rétablir un impôt annuel sur la fortune.

La concentration des patrimoines résulte largement des héritages et il est économiquement préférable de taxer le patrimoine hérité plutôt que le patrimoine accumulé au cours de la vie en épargnant et, éventuellement, en prenant des risques. Pour le testateur, le legs correspond certes à une épargne accumulée qu’il devrait pouvoir utiliser librement, ce qui justifie une taxation mesurée des successions, mais, pour le légataire, c’est une « aubaine » au sens économique, c’est-à-dire un gain sans contrepartie.

Les droits de successions pourraient être augmentés en France, par exemple en remettant en cause le traitement injustifié des contrats d’assurance-vie, mais l’obstacle est politique : les Français, comme les Britanniques, sont hostiles aux droits de successions, même si la plupart d’entre eux n’ont pas à en payer.

La réforme des impôts fonciers locaux est tout aussi nécessaire en France qu’au Royaume-Uni pour les mêmes raisons : une assiette administrative déconnectée de la valeur vénale des biens immobiliers. La valeur vénale est certes souvent difficile à estimer mais il existe des méthodes statistiques, comme celle des prix hédoniques, permettant de l’approcher bien mieux que les valeurs cadastrales. Si les taxes foncières étaient assises sur la valeur vénale des biens immobiliers, il n’y aurait pas de raison d’ajouter un impôt sur la fortune immobilière ayant les mêmes propriétés.

Ce rapport montre la contradiction entre l’intérêt d’un impôt ayant l’assiette la plus large possible et la nécessité de régimes dérogatoires en faveur de contribuables que des contraintes de liquidité pourraient obliger à vendre leurs actifs.

En France, ces contraintes de liquidité ont conduit à plafonner le total de l’ISF (ou de l’IFI) et des impôts sur le revenu en pourcentage du revenu du ménage (à 70 % actuellement), mais cette solution ne règle pas tous les problèmes. D’une part, certains ménages restent obligés de vendre une partie de leur patrimoine ; d’autre part, ceux qui ont des entreprises personnelles ou familiales peuvent contrôler la distribution de dividendes de ces entreprises pour limiter leurs revenus et leur impôt sur la fortune, ce qui avait conduit à certaines époques à instaurer un « plafonnement du plafonnement » particulièrement complexe.

Ce rapport met également en évidence, ce qui est inédit, les coûts de gestion très importants pour les contribuables du fait de leurs obligations déclaratives, ce qui ne les prémunit pas pour autant contre des redressements fiscaux motivés par l’application de méthodes d’estimation différentes. En pratique et s’agissant de la France, il est fort probable que les contribuables et l’administration se contentent de méthodes plus frustes et moins coûteuses au détriment d’une juste répartition de l’impôt.

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