07/06/2017
La France doit respecter les règles budgétaires européennes et l'Allemagne peut l'y aider par ses dépenses militaires
François ECALLE
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Le Conseil de l’Union monétaire a demandé à la France de ramener son déficit public à 2,8 % du PIB en 2017. Si ce n’était pas le cas, elle devrait avoir réduit son déficit structurel de 0,9 point de PIB pour être en conformité avec cette recommandation du Conseil. Si le déficit effectif est bien ramené au-dessous de 3,0 % du PIB en 2017, la France ne sortira de la procédure relative aux déficits excessifs que s’il est maintenu durablement sous ce seuil, notamment en 2018, et si la dette publique décroît conformément aux recommandations du Conseil. Le cas échéant, elle relèvera alors du « volet préventif » du pacte de stabilité et de croissance et devra ramener ses comptes publics structurellement à l’équilibre à moyen terme.
Les règles budgétaires instituées par le traité de Maastricht, le pacte de stabilité et de croissance (PSC) puis le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG) sont présentées dans des fiches de l’encyclopédie.
Or, sous réserve des conclusions de l’audit de la Cour des comptes et sans nouvelles mesures de redressement, le déficit public restera au-dessus de 3,0 % du PIB en 2017 et 2018 ; s’il passe sous ce seuil grâce à une accélération de la croissance, le déficit structurel ne sera pas diminué autant que requis par les règles européennes. Le débat en France sur l’opportunité du respect de ces règles est donc loin d’être clos.
La France doit viser l’équilibre structurel de ses comptes publics pour réduire son endettement et ne pas prendre le risque d’une crise de ses finances publiques, ce que l’appartenance à la zone euro facilite par de faibles taux d’intérêt. En outre, les règles budgétaires européennes sont une pièce essentielle du contrat passé avec l’Allemagne, avec le traité de Maastricht, pour créer une zone monétaire conforme aux intérêts de la France. Le seuil de 3 % du PIB a d’ailleurs été fixé par la France bien avant la signature de ce traité. Enfin, ces règles budgétaires ont été améliorées, avec les réformes du PSC et le TSCG, et comportent une grande part de flexibilité.
Si la France continue à ne pas respecter les règles communes, la véritable sanction sera le refus de l’Allemagne de s’engager sur la voie d’un partage de sa souveraineté budgétaire en acceptant les demandes de la France visant, par exemple, à doter la zone euro d’un budget commun ou d’un ministre des finances. L’Allemagne ne les acceptera que si la France devient durablement crédible sur le plan budgétaire.
A plus court terme, les évolutions récentes du contexte international devraient conduire le Gouvernement français à mettre l’accent sur une autre proposition du programme d’En-Marche, la création d’un Fonds européen de défense. L’Allemagne doit augmenter ses dépenses militaires annuelles de 0,8 point de PIB, soit 25 Md€, pour atteindre la cible fixée par l’OTAN et ne peut plus autant compter sur les Etats-Unis pour assurer sa sécurité. Elle devrait affecter une grande partie de ce montant à ce Fonds de défense qui devrait reverser l’essentiel de ses ressources à la France pour acheter des matériels militaires dans l’intérêt de l’Europe, cet intérêt européen étant défini dans le cadre du Conseil européen de sécurité proposé par En-Marche. Si le budget militaire français était fortement réduit par des transferts de ce Fonds, le respect des règles budgétaire européennes serait facilité. Sous réserve de ne pas pour autant relâcher la maîtrise de ses finances publiques, la France pourrait gagner la crédibilité qui lui permettrait à moyen terme de convaincre ses partenaires de créer un véritable budget de la zone euro.
A) Les règles budgétaires européennes sont conformes à l’intérêt de la France
1) La réduction de l’endettement public est nécessaire et facilitée par l’appartenance à la zone euro
Au-delà d’un certain niveau d’endettement, les effets des déficits publics sur l’activité économique sont faiblement positifs, voire négatifs, et l’augmentation de la dette peut conduire à une crise des finances publiques, marquée par une hausse insoutenable de la charge d’intérêt, qui oblige à prendre des mesures de redressement très douloureuses et souvent imposées de l’extérieur, au détriment de la souveraineté nationale.
Le seuil d’endettement au-delà duquel ces risques sont significatifs est difficile à déterminer car il dépend de multiples paramètres propres à chaque pays et chaque période. Il est néanmoins certain que plus la dette est élevée plus les efforts nécessaires pour atteindre l’excédent primaire permettant de la stabiliser sont importants. Laisser la dette publique augmenter revient donc à demander aux générations futures des efforts supérieurs à ceux que nous devrions faire aujourd’hui pour la stabiliser.
La poursuite de l’endettement présente donc des risques importants, même s’ils sont difficiles à mesurer, alors que le coût de sa réduction est probablement faible. La prudence impose donc de ne pas laisser la dette publique augmenter indéfiniment et de lui fixer une limite. Pour qu’elle ne soit pas dépassée, il faut que le déficit public soit lui-même plafonné.
Le plafonnement du déficit et de la dette est donc un impératif national indépendant de l’existence de la zone euro, mais que celle-ci permet de réaliser plus facilement.
La France emprunte aujourd’hui à des taux très faibles, ce qui résulte d’abord de la politique monétaire de la BCE. Cela tient également à une prime de risque, mesurée par l’écart avec le taux des obligations d’Etat allemandes, inférieure à 50 points de base en juin 2017.
La France a de nombreux atouts, les acteurs des marchés financiers considèrent surtout qu’elle est « too big to fail » et que l’Allemagne ne la laissera jamais « faillir ». Vues d’Extrême-Orient, les obligations d’Etat françaises et allemandes offrent les mêmes garanties.
Si les acteurs des marchés financiers se mettent à croire, à tort ou à raison, que les tensions entre les deux pays pourraient un jour conduire à un éclatement de la zone euro, la prime de risque sur les obligations d’Etat françaises pourrait monter très rapidement et très haut. Le maintien de la France dans la zone euro et la solidité de ses liens avec l’Allemagne, assurées pour les cinq prochaines années, améliorent la soutenabilité de ses finances publiques.
2) Les règles budgétaires européennes sont des pièces essentielles du contrat passé avec l’Allemagne pour créer une zone monétaire conforme à l’intérêt de la France
La fin du régime de changes fixes instauré par les accords de Bretton Woods a conduit à un régime de changes flottants dans les principaux pays du monde. Ceux de l’Union européenne ont alors essayé de maîtriser les fluctuations erratiques des taux de change entre leurs monnaies car elles accroissent les incertitudes auxquelles font face les acteurs économiques et les conduisent à reporter ou annuler leurs projets d’investissement et de recrutement.
Le « système monétaire européen » fut ainsi créé pour lutter contre les mouvements spéculatifs des taux de change et les stabiliser. Il reposait sur des actions coordonnées des banques centrales visant à les maintenir à l’intérieur d’une bande relativement étroite. La France ayant eu une inflation plus élevée que l’Allemagne et vu sa compétitivité s’éroder, les marchés ont néanmoins toujours réussi à pousser le Mark à la hausse et le Franc à la baisse, alors même qu’un contrôle des changes était en vigueur et que la Banque de France maintenait des taux d’intérêt élevés. Le système ne pouvait fonctionner que si la banque centrale allemande acceptait de soutenir le Franc et elle ne l’acceptait que si ce soutien était compatible avec ses propres objectifs.
La dépendance de la France vis-à-vis de la politique menée par la Bundesbank s’est accrue lorsque le contrôle des changes a été supprimé et les mouvements de capitaux libérés en Europe au milieu des années 1980, parce que ce contrôle devenait inefficace et nuisible au développement des entreprises. Un pays qui veut maintenir des changes fixes, ou quasi-fixes comme dans le système monétaire européen, sans pouvoir contrôler les mouvements de capitaux ne peut plus avoir de politique monétaire autonome.
Dans ces conditions, il était préférable de fixer définitivement les taux de change en créant une monnaie unique et de partager le pouvoir monétaire avec l’Allemagne au sein d’un système européen de banques centrales où sa voix ne compte pas plus que celle de la France ou d’autres pays. De fait, les politiques non conventionnelles mises en œuvre par la BCE depuis 2010 ont souvent été décidées malgré l’opposition du gouverneur de la Bundesbank.
L’Allemagne n’a cependant pas sacrifié le Mark, instrument de sa puissance économique, sans contreparties. Elle a notamment obtenu que les politiques budgétaires soient encadrées par des règles strictes fixant des limites au déficit et à l’endettement publics. Il était en effet, et il est toujours, crucial pour elle d’éviter les effets inflationnistes des déficits et de ne pas se retrouver dans une situation où elle doit aider un pays de la zone euro en difficulté. Ces règles ont été inscrites dans le contrat de création de l’euro que constitue le traité de Maastricht.
3) Le seuil de 3 % est conventionnel et a été fixés par la France bien avant le traité de Maastricht
Les connaissances scientifiques ne permettent pas de déterminer le seuil d’endettement au-delà duquel une crise peut se déclencher. Les seuils de 3 % du PIB, pour le déficit public, et de 60 % du PIB, pour la dette, ont donc été fixés de manière pragmatique.
L’Allemagne ayant posé les principes des règles à mettre en œuvre, elle a laissé la France déterminer les seuils de déficit et de dette à ne pas dépasser. Le plafond de 3 % du PIB pour le déficit public avait été fixé par J. Delors puis consacré par le président Mitterrand en 1982 parce que la France s’en approchait alors, qu’il fallait marquer une limite à la dérive des finances publiques. Lors de la négociation du traité de Maastricht, la France a proposé ce seuil qu’elle s’était déjà imposée à elle-même. Le plafond d’endettement de 60 % du PIB a été fixé en cohérence avec le déficit maximal de 3 % car un déficit de 3 % du PIB permettait de stabiliser la dette à 60 % du PIB compte tenu de la croissance du PIB en valeur prévue en Europe à la fin des années 1980, soit environ 5 %.
Ces seuils de 3 et 60 % du PIB sont donc conventionnels aux deux sens du terme : ils n’ont pas de fondement totalement rationnel, mais ils sont inscrits dans un contrat.
4) Les réformes du PSC et le TSCG ont apporté d’utiles compléments
Il est apparu dès les premières années du pacte de stabilité et de croissance que le respect de la règle de déficit pouvait être trompeur et conduire à de mauvaises décisions. En effet, le déficit diminue mécaniquement lorsque la croissance est forte, ce qui peut permettre aux gouvernements d’augmenter les dépenses publiques ou de réduire les prélèvements obligatoires sans dépasser 3 % du PIB. Lorsque la croissance ralentit, ce seuil est dépassé, ce qui oblige à mettre en œuvre des mesures de redressement à un moment où il faudrait plutôt laisser jouer les stabilisateurs automatiques et accepter un accroissement du déficit.
Le solde structurel est un indicateur pertinent parce qu’il permet de remédier à ces défauts. Il a été introduit dans le PSC en 2005 et consacré par le TSCG en 2012. Des « institutions budgétaires indépendantes » ont en outre été mises en place en application des règles communautaires pour vérifier les estimations de solde structurel et suivre leur évolution.
5) Les règles budgétaires européennes sont flexibles
Les sanctions prévues par le traité de Maastricht n’ont jamais été appliquées alors que plusieurs pays en situation de « déficit excessif » n’ont pas suivi les recommandations du Conseil de l’Union européenne, à plusieurs occasions pour certains d’entre eux. Le traité et le PSC présentent suffisamment de « flexibilité » pour permettre au Conseil de reformuler ses recommandations dans un sens moins contraignant, en particulier pour repousser la date à laquelle il doit être mis fin à la situation de déficit excessif. Ces règles ne sont vraiment contraignantes que pour les pays qui demandent une assistance financière aux autres.
B) L’Allemagne n’acceptera de partager sa souveraineté budgétaire que si la France respecte les règles communes, mais elle pourrait l’y aider en payant une partie de ses équipements militaires
1) L’Allemagne n’acceptera de partager sa souveraineté budgétaire que si la France respecte les règles budgétaires européennes en vigueur
Si la France continue à ne pas respecter les règles communes, la véritable sanction sera le refus de l’Allemagne de s’engager sur la voie d’un partage de sa souveraineté budgétaire en acceptant les demandes de la France visant, par exemple, à doter la zone euro d’un budget commun et d’un ministre des finances.
Le programme d’En-Marche prévoit en effet de créer : un budget de la zone euro avec trois fonctions (investissements d’avenir, assistance financière d’urgence et réponse aux crises économiques) ; un poste de ministre de l’économie et des finances de la zone euro, qui aura la responsabilité du budget de la zone euro, sous le contrôle d’un Parlement de la zone euro.
L’Allemagne sera naturellement le premier contributeur à ce budget de la zone euro et son Parlement perdra le contrôle de ces fonds, de la même façon que la Bundesbank a perdu le contrôle de la politique monétaire. Des règles rigoureuses de bonne gestion de ce budget de la zone euro pourraient être établies, mais il n’y a pas de raison pour qu’elles soient mieux respectées que les règles budgétaires actuelles et elles ne rassureraient donc pas l’Allemagne.
Celle-ci ne s’engagera sur cette voie que si la France devient crédible sur le plan budgétaire et la crédibilité s’apprécie sur le long terme.
2) Un fonds européen de défense pourrait permettre de réduire le déficit public français en faisant payer une partie de ses équipements militaires par l’Allemagne
A plus court terme, les évolutions récentes du contexte international devraient conduire le Gouvernement français à mettre l’accent sur une autre proposition du programme d’En-Marche, la création d’un Fonds européen de défense ayant pour vocation de financer des équipements militaires communs et des programmes conjoints de recherche et développement en matière militaire. D’autres propositions, comme la mise en place d’un Quartier général européen et d’un Conseil de sécurité européen s’inscrivent également dans le sens d’une plus grande intégration militaire des membres de l’Union européenne.
Le contexte international est marqué par un relâchement de l’alliance avec les Etats-Unis sur laquelle repose la sécurité de l’Allemagne et de nombreux autres pays européens. Les pays européens sont incités fortement à prendre une plus grande responsabilité dans leur défense, notamment d’un point de vue budgétaire en portant leurs dépenses militaires à 2,0 % du PIB, cible fixée par l’OTAN. Or l’Allemagne et la plupart des pays européens en sont très loin.
Source : annuaire statistique de la Défense ; montants convertis au taux des parités de pouvoir d’achat ; FIPECO.
Pour atteindre cette cible, l’Allemagne doit augmenter ses dépenses militaires annuelles de 0,8 point de PIB, ce qui représente 25 Md€. Elle ne les utilisera probablement pas au mieux des intérêts de l’Union européenne compte-tenu des obstacles culturels et institutionnels à toute intervention militaire, notamment en dehors des frontières européennes. En outre, du fait de l’absence de participation à des conflits depuis des dizaines d’années, il n’est pas certain que les compétences opérationnelles de son armée soient au plus haut niveau.
Il serait donc dans l’intérêt de tous que ce Fonds européen de défense soit créé et qu’il soit principalement financé par les pays comme l’Allemagne qui sont loin de la cible de 2 % et n’interviennent que très peu dans des conflits. Les ressources ainsi collectées chaque année devraient être proches de l’écart entre les dépenses militaires de ces pays et 2 % du PIB. Elles devraient être principalement reversées aux pays qui sont proches de la cible de 2 %, comme la France ou la Pologne, et qui participent activement à la défense des intérêts de l’Europe dans le Monde, pour acheter des équipements militaires choisis et utilisés par eux sous leur seule responsabilité.
Autrement dit, il s’agit de faire payer une partie des équipements militaires de la France par l’Allemagne. Il ne faudrait évidemment pas que ces nouvelles ressources se substituent aux crédits actuels mais qu’elles permettent de porter les dépenses militaires au-delà de 3 % du PIB.
C’est une solution probablement plus acceptable par nos partenaires que de demander un nouveau report pour revenir sous les 3 % du PIB ou une modification des règles budgétaires européennes, comme une déduction des dépenses militaires du déficit public, ce qui ouvrirait une boîte de Pandore, d’autres pays demandant alors la déduction d’autres catégories de dépenses.
La Commission européenne a également proposé de créer un fonds européen de défense mais ses ambitions financières sont beaucoup plus limitées (1 Md€ par an pouvant entraîner 5 Md€ d’investissements par un effet de levier). Le projet de T. Breton est bien plus ambitieux mais très difficile à mettre en œuvre car le fonds envisagé aurait pour vocation d’emprunter pour reprendre les dettes des Etats de la zone euro imputables aux dépenses militaires engagées depuis la création de la monnaie européenne. La dette publique française pourrait ainsi être réduite de 34 points de PIB selon T. Breton.
L’Allemagne et les autres pays contributeurs voudront certainement avoir un droit de regard sur l’emploi de ces équipements et la France devra sans doute être plus attentive à la sécurité des frontières orientales de l’Europe. Le Conseil de sécurité européen prévu dans le programme d’En-marche pourrait être l’enceinte adaptée pour arrêter ces orientations stratégiques. Une évolution des relations entre les pays européens et l’OTAN sera sans doute nécessaire.
Si le budget militaire français était ainsi réduit de quelques milliards d’euros par des transferts du Fonds européen de défense, le respect des règles budgétaire européennes serait facilité. Sous réserve de ne pas pour autant relâcher la maîtrise de ses finances publiques, la France aurait le temps de gagner la crédibilité qui lui permettrait à moyen terme de convaincre ses partenaires de créer un véritable budget de la zone euro.