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05/02/2019

La baisse de la TVA sur les produits de première nécessité

François ECALLE

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Le ministre de l’économie s’est dit ouvert à la revendication d’une baisse de la TVA sur certains produits de première nécessité, apparemment exprimée par beaucoup de nos concitoyens dans le cadre du grand débat national pour améliorer le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes.

Les principales caractéristiques de la TVA (législation, rendement, comparaisons internationales) font l’objet d’une fiche de l’encyclopédie des finances publiques sur ce site.

Des règles européennes limitent l’application de taux réduits de TVA à des produits particuliers, mais cet obstacle a déjà été levé dans le passé et pourrait l’être de nouveau. Les taux réduits appliqués en France sont plus faibles et couvrent une plus grande part des produits taxables que dans les autres pays européens, mais les exonérations y sont moins fréquentes.

Les taux réduits de TVA constituent de mauvais instruments de redistribution des revenus alors que leur coût budgétaire est élevé (50 Md€). En effet, la baisse des taux de TVA est souvent captée par les entreprises. Surtout, elle ne peut pas en pratique être ciblée sur les ménages les plus pauvres car les ménages aisés consomment aussi des produits de première nécessité. Généraliser une distinction entre produits de luxe et de base accroîtrait fortement la complexité du système fiscal et serait très difficile à gérer par les professionnels et à contrôler par les services fiscaux.

Les évaluations des effets des taux réduits de TVA sur les inégalités et sur l’emploi sont rares parce qu’elles sont difficiles, mais les conclusions de celles qui ont été réalisées sont plutôt négatives. Les taux réduits de TVA actuels s’expliquent en fait souvent par la capacité d’influence de groupes de pression et leur impact sur la redistribution du pouvoir d’achat est très limité.

Une réforme des taux de TVA entraînerait très probablement d’importantes pertes de recettes fiscales qu’il faudrait compenser en augmentant d’autres impôts. Or la TVA a moins d’effets négatifs sur l’activité et l’emploi que beaucoup d’autres prélèvements obligatoires. Sa part dans le total des impôts et cotisations sociales est plus élevée dans tous les autres pays européens à l’exception de la Belgique et réduire son poids dans nos prélèvements obligatoires nous éloignerait encore plus de ces pays.

Il existe des outils beaucoup plus efficaces que les taux réduits de TVA pour redistribuer les revenus parce qu’ils sont parfaitement ciblés sur les ménages visés : l’impôt sur le revenu pour réduire les revenus des ménages les plus aisés et les prestations sociales sous condition de ressources pour accroître ceux des plus pauvres.

A)Des contraintes juridiques européennes qui pourraient être levées

La TVA est l’un des rares impôts à faire l’objet d’une harmonisation européenne et la fixation de ses taux doit respecter des règles inscrites dans une directive. Chaque pays doit avoir un taux normal supérieur à 15 % et peut appliquer deux taux réduits d’au moins 5 % à des biens et services figurant sur une liste annexée à la directive. Il existe également des « taux spéciaux » inférieurs à 5 %, éventuellement nuls[1], mais il s’agit surtout de taux « historiques » qui existaient dans les pays concernés avant la publication de la directive ou avant l’entrée de ces pays dans l’Union européenne et qui ont été maintenus (en principe transitoirement). C’est ainsi que la France a gardé un taux de 2,1 % sur certains produits.

La France peut donc baisser les taux réduits de 10,0 % et 5,5 % jusqu’à 5,0 %. Pour les appliquer à des produits qui ne figurent pas sur la liste européenne, elle doit toutefois faire modifier cette liste, ce qui suppose d’obtenir l’accord unanime de ses partenaires, comme toujours en matière fiscale. C’est possible et la France y est d’ailleurs déjà parvenue pour appliquer un taux réduit aux travaux d’entretien des logements, à la restauration et, plus récemment, aux livres numériques. La Commission européenne soutiendrait probablement cette initiative car elle a proposé de remplacer la liste des produits pouvant bénéficier de taux réduits par une liste très limitée de produits obligatoirement soumis au taux normal (alcools, armes à feu…). En revanche, appliquer un taux inférieur à 5,0 % à des produits qui n’en bénéficient pas jusqu’à présent serait très difficile.

Le produit de la TVA rapporté au PIB en France (7,1 %) est très proche de la moyenne pondérée de l’Union européenne (7,1 %) et de la zone euro (6,9 %) en 2017. Son assiette est un peu plus étendue en France car les autres pays utilisent plus souvent les possibilités d’exonérations offertes par la directive européenne. En revanche, le taux moyen de taxation (14,8 % en 2013) des « emplois taxables »[2] en France est plus faible que dans les autres pays (17,9 % dans l’Union européenne). Cet écart de trois points résulte pour 1,0 point d’un taux normal plus bas, pour 1,3 point d’une plus forte proportion d’emplois taxables taxés à taux réduit et pour 0,8 point de taux réduits en moyenne plus faibles en France[3]. Une étude publiée en juillet 2016 par la Commission européenne confirme cette analyse.

La France se caractérise en effet par une moyenne des taux réduits (5,7 % en 2013) plus faible que dans l’Union européenne (7,9 %) et couvrant une assiette plus étendue (35 % des emplois taxables contre 25 %)[4]. Selon le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur la TVA de 2015, cet effet des taux réduits s’est nettement aggravé en France depuis 1980.

B)Le coût élevé des taux réduits

Le taux de TVA de 10 % s’applique notamment à l’hôtellerie, à la restauration et aux transports de voyageurs. Le taux de 5,5 % s’applique notamment aux aliments et boissons à emporter, au gaz et à l’électricité, aux livres, aux appareillages et à certains services rendus aux personnes handicapées. Le taux de 2,1 % s’applique notamment aux médicaments remboursables par la sécurité sociale, à la presse et aux spectacles vivants. Des taux plus faibles s’appliquent, pour ces produits, en Corse et dans les départements et territoires d’outre-mer.

Le coût total des taux réduits peut aujourd’hui être estimé à environ 50 Md€ par rapport à ce que rapporterait à l’Etat l’application du taux normal (voir un billet de juin 2018 sur ce site pour plus de précision sur ce calcul).

Le coût des taux réduits de TVA

 

Taux

10 %

5,5 %

2,1 %

Outre-mer et Corse

Total

Coût (Md€)

13

26

9

2

50

Source : FIPECO

Une diminution d’un point du taux de TVA a un coût budgétaire pour l’Etat de :  6,8 Md€ s’il s’agit du taux de droit commun (20 %), 1,3 Md€ s’il s’agit du taux réduit de 10 %, 1,8 Md€ s’il s’agit du taux réduit de 5,5 % et 0,5 Md€ s’il s’agit du taux super-réduit de 2,1 %, soit un peu plus de 10 Md€ si tous les taux sont diminués d’un point. Le coût du passage du taux normal à un taux réduit pour un produit particulier dépend de l’importance de sa consommation.

C)Un mauvais instrument de redistribution des revenus

L’impact d’une réduction des taux de TVA sur le pouvoir d’achat des ménages est plus faible que les montants précédents car une partie de cette baisse est souvent récupérée, au moins temporairement, par les entreprises pour améliorer leurs marges. Une étude de l’institut des politiques publiques montre que le passage du taux de TVA sur la restauration de 19,6 % à 5,5 % a entraîné une baisse des prix TTC de seulement 1,9 %. Les salaires ont augmenté de 4,1 % et les bénéfices des propriétaires des restaurants de 24 %.

En outre, les taux réduits de TVA constituent un très mauvais outil de redistribution des revenus car, en pratique, ils ne peuvent pas être ciblés sur des « produits de première nécessité » consommés seulement par les ménages les plus pauvres ou plus particulièrement consommés par ceux-ci. Les ménages riches achètent du pain et du sucre. La voiture était considérée avant 1992 comme un bien de luxe et imposée à un taux majoré de TVA de 33 %. Elle est pourtant aussi considérée comme un produit de première nécessité par les travailleurs pauvres qui n’ont pas d’autre solution pour se rendre sur leur lieu de travail.

Il existe des outils beaucoup plus efficaces pour redistribuer les revenus parce qu’ils sont parfaitement ciblés sur les ménages visés : l’impôt sur le revenu pour réduire les revenus des ménages les plus aisés et les prestations sociales sous condition de ressources (minima sociaux, prime d’activité, allocations de logement…) pour accroître les revenus des plus pauvres.

D)Un système fiscal encore plus complexe

Pour chaque catégorie de produits, comme le pain ou la voiture, il faudrait distinguer les sous-catégories qui relèvent d’une consommation de première nécessité et celles qui relèvent d’une consommation de luxe. Cela ne peut aboutir qu’à une réglementation d’une très grande complexité, ingérable par les professionnels et incontrôlable par les agents de l’administration fiscale.

Une telle distinction existe déjà pour certains produits, même si elle est rare, et le chocolat en est un exemple. Selon le code général des impôts, les produits destinés à l’alimentation humaine sont soumis au taux réduit de 5,5 % à l’exception notamment des « chocolats et de tous les produits composés contenant du chocolat ou du cacao. Toutefois le chocolat, le chocolat de ménage au lait, les bonbons de chocolat, les fèves de cacao et le beurre de cacao sont admis au taux réduit de 5,5 % » (article 278-0 bis du code général des impôts ; voir l’interprétation de la fédération des confiseurs). Des dispositions aussi absurdes ne doivent pas être, et heureusement ne sont pas encore, généralisées.

Il serait certes possible d’établir une frontière plus claire entre les produits soumis à des taux différents et, par exemple, de définir une « voiture de première nécessité » présentant un confort minimal en vertu de critères plus ou moins arbitraires. Il faudrait alors aussi définir un réfrigérateur, une paire de chaussure, un service de coiffure… de première nécessité et construire un système très complexe et très difficile à gérer pour les commerçants et à contrôler pour les agents des services fiscaux qui devraient être bien plus nombreux.

On pourrait aussi imaginer d’appliquer un taux réduit de TVA aux voitures, réfrigérateurs… dont le prix est inférieur à un plafond. Cela reviendrait à rétablir un contrôle des prix qui n’a jamais été efficace. Les forts taux d’inflation ont disparu en France quand l’Etat a arrêté de contrôler les prix.

En outre, les ménages aisés achèteront aussi ces voitures, réfrigérateurs… de première nécessité pour les offrir à leurs enfants.

En fait, les biens et services soumis à des taux réduits sont souvent autant, sinon plus, consommés par des ménages aisés (par exemple, les produits culturels). Le rapport du conseil des prélèvements obligatoires de 2015 souligne ainsi que les exonérations et taux réduits de TVA ont un impact redistributif très limité. S’agissant, par exemple, des services de restauration, l’avantage apporté par le taux réduit correspond à 0,07 % de la consommation des ménages du premier décile (les plus pauvres) et à 0,26 % de celle des ménages du dernier décile (les plus riches).

Engager une révision des taux réduits de TVA alors qu’il est impossible de définir précisément les produits de première nécessité conduirait à des revendications multiples, appuyées par le lobbying des entreprises pouvant en bénéficier. Comme le note le Conseil des prélèvements obligatoires dans son rapport de 2015 « la création d’un taux réduit crée une forte pression à l’extension de son champ d’application à des activités connexes… la différentiation des taux ne fait qu’accroître la vulnérabilité du système de TVA aux revendications sectorielles ».

E)Un financement probable par des impôts plus défavorables à l’emploi

Compte-tenu du niveau du déficit public et de la dette publique de la France, une baisse de la TVA sur certains produits devrait être financée par le relèvement d’autres impôts. Ce financement pourrait provenir du rétablissement du taux normal sur des produits soumis à un taux réduit dans le cadre d’une grande réforme des taux de TVA à rendement global constant.

Le plus probable est toutefois qu’une telle réforme se traduirait par une perte considérable de recettes fiscales. Comme il est très difficile de distinguer les produits de première nécessité des autres, la pression serait très forte pour maintenir des taux réduits sur une gamme très large de produits. Les consommateurs de ces produits expliqueront en effet qu’ils sont indispensables et les producteurs mettront en avant les risques de baisse de leur activité et de licenciements en cas de relèvement des taux de TVA.

Dans ces conditions, il faudrait augmenter d’autres impôts pour compenser la diminution des recettes de TVA pour l’Etat. Or, si tous les impôts ont des effets négatifs sur l’activité économique et l’emploi, la TVA en a sans doute un peu moins.

Cela tient au fait que la TVA pèse sur les importations autant que sur la production nationale mais ne pèse pas sur les exportations. En conséquence, les économistes recommandent souvent de remplacer des cotisations sociales patronales ou des impôts sur la production et les bénéfices des entreprises, qui ne pèsent pas sur les importations mais pénalisent l’exportation, par un surcroît de TVA. Une baisse de la TVA irait à l’encontre de ces recommandations et, appliquée à des biens de première nécessité souvent fabriqués dans des pays à bas salaires, stimulerait les importations.

Dans son rapport de 2015, le Conseil des prélèvements obligatoires soulignait le « déficit d’évaluation » de l’efficacité économique des taux réduits sectoriels. Seuls les taux réduits de TVA appliqués aux travaux d’entretien du logement et à la restauration ont fait l’objet d’évaluations économiques rigoureuses et les résultats en ont toujours été plutôt négatifs. En faisant la synthèse des évaluations disponibles, le Conseil a établi que le coût par emploi créé était d’environ 200 000 € pour le taux réduit sur les services de restauration, de 160 000 € pour le taux réduit sur les services d’entretien du logement, contre moins de 40 000 € pour les allégements de cotisations patronales ciblées sur les bas salaires.

Les montants budgétaires qui seraient alloués à une baisse de la TVA dans le cadre d’une réforme de ses taux seraient plus efficacement utilisés pour réduire les prélèvements obligatoires pesant sur le travail et sur le capital, ce qui nous rapprocherait des systèmes fiscaux des autres pays européens.

F)La France ne se distingue pas par le poids des impôts sur la consommation

L’écart entre les taux des prélèvements obligatoires en France et, en moyenne, dans l’Union européenne, qui était de l’ordre de 6 points de PIB en 2016, s’explique essentiellement par les prélèvements sur le travail et sur le capital. La contribution des impôts sur la consommation est marginale.

Les prélèvements par assiette économique en 2016 en % du PIB

Prélèvements

France

Union européenne

Zone euro

Total

45,6

38,9

40,1

Travail

23,7

19,3

20,9

Capital

10,7

8,4

8,4

Consommation

11,2

11,1

10,8

 

Source : Commission européenne ; FIPECO. Le taux de PO retenu pour 2016 par la Commission diffère de celui aujourd’hui estimé par Eurostat car la Commission s’appuie sur des données plus anciennes qui, par exemple, n’intègrent pas le reclassement de la redevance audiovisuelle dans les PO.

Comme le taux des prélèvements obligatoires est plus élevé en France, la part de la TVA dans le total des prélèvements obligatoires en France (14,6 % en 2017) est plus faible que dans l’Union européenne (17,6 %) et la zone euro (16,6 %). La Belgique est le seul pays où cette part est plus faible qu’en France. A l’inverse, les pays scandinaves sont caractérisés par l’importance de la TVA (plus de 20 % des prélèvements obligatoires), avec pour contrepartie un faible poids des cotisations sociales.

Source : Eurostat ; FIPECO

 

[1] Un taux nul est différent d’une exonération. En effet, une entreprise qui vend des produits à un taux nul peut se faire rembourser la TVA sur ses achats, ce qui est impossible si ses ventes sont exonérées de TVA. Les activités exonérées sont précisées dans la directive européenne.

[2] Assiette économique de la TVA constituée pour environ 60 % d’une partie de la consommation des ménages, pour environ 8 % de leurs investissements en logements neufs, pour environ 15 % d’une partie des achats de biens et services des entreprises (les non assujetties et assujetties partielles) et pour 16 % d’achats des administrations publiques.

[3] « La taxe sur la valeur ajoutée dans l’Union européenne », trésor-éco, direction générale du trésor, 2015.

[4] Moyennes arithmétiques pour l’Union européenne ; source : étude précitée de la direction générale du trésor.

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