Fipeco

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07/09/2017

La condamnation de l'ancien directeur de l'office de la statistique grec à une peine de prison

Les membres de l’association FIPECO

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Fipeco est une association dont l’objectif est de présenter, en toute indépendance, des informations et des analyses sur les finances publiques et l’économie. Le déficit et la dette publics, critères fondamentaux en matière de suivi des finances publiques européennes depuis le traité de Maastricht, sont calculés par les offices statistiques nationaux. Il est essentiel que ces derniers disposent de toute l’indépendance et de la sérénité nécessaires à ces calculs pour publier des données fiables.

Dans ce contexte, les membres de Fipeco ont appris avec consternation la condamnation, le 1er août, d’Andreas Georgiou, ex-directeur de l’Office de la Statistique Grec, ELSTAT, à deux ans de prison avec sursis pour « manquement au devoir d’information du corps collectif d’ELSTAT avant d’envoyer à Eurostat les données sur le déficit et la dette de 2009, en novembre 2010 ».

Il faut remonter en 2009 pour comprendre cette affaire déplorable pour la statistique grecque et l’ensemble de la communauté statistique mondiale. Au cours de l’année 2009, le gouvernement grec a notifié à la Commission des prévisions de déficit public de 3% du PIB en mars puis de 6% en septembre, très en dessous de ce qui était prévisible. C’est un nouveau gouvernement, élu en octobre 2009, qui a corrigé le tir en annonçant un chiffre de 12%, beaucoup plus crédible. Cette annonce, dans le contexte de l’après crise financière, a été l’étincelle qui a provoqué la crise de l’euro.

En application de la réglementation européenne, la notification des prévisions de finances publiques pour l’année en cours et les années suivantes à la Commission européenne relève de la responsabilité du Gouvernement ; en revanche, la notification des statistiques de finances publiques relatives aux années passées à Eurostat, l’office statistique de la Commission, relève de la responsabilité du directeur de l’institut statistique national[1].

A la suite de critiques sévères contre le système d’informations sur les finances publiques grecques, le gouvernement a nommé, à l’été 2010, un nouveau directeur de la statistique, Andreas Georgiou, avec le mandat de redresser l’office statistique grec et d’en assurer l’indépendance. En mars 2010, l’office statistique avait notifié à la Commission un déficit 2009 de 13,6% du PIB, supérieur aux dernières prévisions du gouvernement grec, qui n’avait pas été validé par Eurostat. À la suite de missions successives de vérification de la part de l’office statistique de la Commission Européenne, le déficit de 2009 a été porté à 15,4% du PIB en novembre 2010 et notifié à Eurostat qui l’a validé. Depuis cette date, c’est-à-dire notamment pendant toute la période pendant laquelle Andreas Georgiou en a été directeur, tous les chiffres de déficit et de dette transmis par ELSTAT à la Commission Européenne ont été validés par cette dernière.

Andreas Georgiou a fait l’objet depuis plus de six ans d’attaques personnelles graves et continuelles provenant de tous les bords de la classe politique grecque. Il a été lavé ces derniers mois pour la deuxième fois par la justice de l’accusation d’avoir accru volontairement les chiffres de déficit et de dette de 2009. Mais un procureur a fait appel et la Cour Suprême doit décider si l’appel est rejeté ou pas.

En outre, Andreas Georgiou a été condamné l’an dernier à un an avec sursis pour « diffamation ». Il s’était étonné publiquement d’être accusé de tricherie quand ses prédécesseurs n’ont jamais été inquiétés alors qu’il y avait un consensus général, lors de sa nomination, pour lui donner mandat de réformer profondément les pratiques douteuses du passé, plusieurs fois condamnées par Eurostat.

Enfin, un autre juge a mis en avant cette année trois autres accusations. Le 1er août, la cour en a rejeté deux mais a retenu celle mentionnée plus haut. Andreas Georgiou est donc maintenant condamné pour : “avoir transmis illégalement le 10 novembre 2010 à Eurostat un rapport sur les statistiques de finances publiques du pays sans en informer le corps collectif[2] de ELSTAT et sans que ce dernier donne son approbation sur cette publication, en contravention avec un article 10 de la loi 3832/10 suivant lequel : “ELSTAT calcule et met en application le programme statistique annuel et publie en tant qu’office statistique national”. Par cet acte il a volontairement essayé de gagner pour lui-même le bénéfice moral d’accroître ses pouvoirs en tant que Président d’ELSTAT et de devenir ainsi en quelque sorte l’unique représentant d’ELSTAT, ce qui est revenu en pratique à dissoudre le corps collectif en usurpant ses compétences ».

La défense d’Andreas Georgiou a fait valoir très justement (parmi d’autres arguments) :

  1. Que le Code Européen de Bonne Pratique Statistique (auquel la loi statistique européenne fait explicitement référence) dit clairement dans son article 1.4 que : “Les chefs des offices statistiques et d’Eurostat, et, si approprié, les chefs des autres autorités statistiques nationales, ont seuls la responsabilité de décider des méthodes statistiques, des standards et des procédures, ainsi que du contenu et de la date des publications statistiques. » 
  2. Que la référence à l’office statistique national dans la loi grecque fait référence à l’office statistique dans son ensemble et non à son conseil de direction.
  3. Qu’Andreas Georgiou n’a reçu aucun bénéfice moral à exercer sa compétence à décider du contenu et de la date de la transmission à Eurostat comme prévu par les textes et comme cela a été l’opinion des procureurs qui avaient recommandé son acquittement à deux occasions en 2014 et 2015.

Cette dernière condamnation n’a aucun fondement sérieux. Aucun directeur d’institut de statistique ne soumet des résultats statistiques au débat, ou pire, au vote, des membres de son conseil de direction. La sévérité de la peine (deux ans de prison avec sursis) suggère d’ailleurs qu’il ne s’agit pas de sanctionner un manquement à une règle formelle, mais de condamner celui qui a mis en évidence la situation réelle des finances publiques de la Grèce en se mettant en règle avec les méthodes de la statistique européenne. Pour reprendre les mots de l’Association Américaine de Statistique, « il y a un consensus des autorités statistiques sur le fait qu’Andreas Georgiou n’a fait qu’appliquer des règles et standards européens ».

Le peuple grec a subi ces dernières années une épreuve terrible. Cela ne justifie pas ce qui s’apparente au sacrifice d’un bouc émissaire. Plusieurs membres de Fipeco connaissent personnellement Andreas Georgiou et ont travaillé avec lui pendant ces années difficiles. Ils peuvent témoigner qu’il a toujours fait preuve d’une indépendance sans faille et d’un respect rigoureux des méthodes statistiques et du code des bonnes pratiques de la statistique européenne.

Andreas Georgiou a fait appel de la condamnation prononcée le 1er août et l’association Fipeco espère vivement qu’elle sera annulée. Si cette condamnation est confirmée en appel, le sursis accordé avec sa condamnation pour « diffamation » sautera et il pourrait être effectivement emprisonné dès qu’il reviendra en Grèce, son pays (il travaille désormais aux Etats-Unis).

Des doutes pourraient alors de nouveau s’élever dans le monde sur la fiabilité des statistiques de finances publiques de la Grèce puisque le directeur de la statistique de ce pays risque la prison pour appliquer les règles internationalement reconnues de la statistique publique. Le peuple grec qui a chèrement payé les errements budgétaires de ses gouvernants successifs en serait la principale victime.

 

[1] En Grèce, celui-ci est qualifié de « président » mais cela ne change rien au regard des règles européennes qui visent les « dirigeants » des instituts statistiques nationaux.

[2] Par « corps collectif », la cour entend le conseil de direction.

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