09/02/2021
La dette publique et ses intérêts
François ECALLE
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Alors que la dette publique a augmenté de 950 Md€ de fin 2008 à fin 2018, sa charge d’intérêt a diminué de 14 Md€ de 2009 à 2019. Elle continuera très probablement à diminuer en pourcentage du stock de dette, voire en euros, dans les prochaines années. Certains économistes en concluent que la dette publique est désormais toujours soutenable et d’autres que son augmentation ne pose aucun problème tant que la charge d’intérêt reste inférieure à un certain pourcentage du PIB.
En France, l’Etat rembourse ses dettes et finance son déficit en contractant de nouveaux emprunts. Pour continuer à emprunter à un taux qui ne soit pas majoré par une trop forte prime de risque, la dette publique doit être soutenable. Cela signifie que les créanciers de l’Etat doivent être sûrs qu’il honorera ses engagements : non seulement payer les intérêts de ses dettes mais aussi et surtout leur principal, dont le montant est bien plus important.
La dette publique doit augmenter pendant les récessions mais il faut ensuite pouvoir en reprendre le contrôle et la stabiliser en pourcentage du PIB pour qu’elle reste soutenable. C’est une condition nécessaire de soutenabilité de la dette mais elle n’est pas suffisante. Plus elle est stabilisée à un haut niveau, plus les risques sont importants.
Le rapport de la charge d’intérêts au PIB est un critère qui peut conduire à viser un endettement insoutenable et à réagir trop tard si une perte soudaine de confiance des créanciers de l’Etat se traduit par une forte hausse de la prime de risque des nouveaux emprunts. Les marchés réagissent parfois soudainement et de manière très forte à certains chocs qui ne peuvent être anticipés.
Pour stabiliser la dette publique à un niveau D alors que le croissance nominale du PIB est g, il faut que le déficit soit maintenu à un niveau égal à g fois D. Cette condition est indépendante du taux d’intérêt de la dette r mais, si r est supérieur à g, il faut dégager un excédent primaire d’autant plus important que la dette est élevée à cause de l’effet de « boule de neige » des intérêts de la dette. Sinon, la dette explose.
Si r est inférieur à g, ce qui pourrait être le cas pendant longtemps, il n’y a plus d’effet de boule de neige des intérêts et il faut revenir à la formule de base : le déficit public doit être maintenu à un niveau égal à g fois D. Si le déficit s’accroît constamment, il entraîne la dette dans un mouvement perpétuel à la hausse et elle est donc insoutenable. Or le déficit public de la France (ou le seul déficit primaire), en pourcentage du PIB, est sur une pente croissante depuis 60 ans. Il faudra, à l’issue de la crise, arrêter ce mouvement et le maintenir à un niveau permettant de stabiliser la dette à un pourcentage du PIB qui doit être défini collectivement au sein de la zone euro.
Comme la France a très peu de marge pour augmenter le taux de ses prélèvements obligatoires, il faudra maintenir la croissance des dépenses publiques au-dessous de celle du PIB pour assurer la soutenabilité des finances publiques.
Le financement de l’Etat par la banque centrale améliore la soutenabilité de la dette publique mais il ne peut pas être considéré comme illimité, notamment dans la zone euro, parce qu’une reprise de l’inflation obligerait la banque centrale à relever les taux d’intérêt et à réduire ses créances sur l’Etat. Il reste que les dettes publiques dues à la banque centrale ont une nature particulière et que leur montant devrait être systématiquement publié en même temps que le total des dettes publiques.
La stabilisation du déficit et de la dette et donc la maîtrise des dépenses publiques sont indispensables, quelles que soient les interventions de la banque centrale et le niveau des taux d’intérêt.
A) La charge d’intérêts de la dette publique continue de baisser
Le « taux apparent » de la dette publique au cours d’une année N est le rapport entre la charge d’intérêts des administrations publiques (APU) constatée cette année N et le montant de la dette publique à la fin de l’année N-1. Il dépend du taux auquel les emprunts de l’année N sont émis mais aussi, et surtout, des taux de tous les emprunts émis au cours des années antérieures et qui n’ont pas encore été totalement remboursés. En conséquence, l’impact d’une baisse (ou d’une hausse) des taux d’intérêt des nouveaux emprunts sur la charge d’intérêt de la dette publique est très progressif. Plus précisément, il est immédiat sur la charge de la dette à court terme et sur celle de la dette qui couvre le déficit de l’année en cours, mais le taux des emprunts à long terme émis dans le passé, et donc le taux apparent, n’est modifié que progressivement au fur et à mesure de leur renouvellement.
Comme le montre le graphique suivant, le rapport entre la charge d’intérêts des APU et le PIB a nettement décru depuis 1996, et la décision de faire entrer la France dans la zone euro, malgré une augmentation quasi-continue, et particulièrement forte depuis 2008, du rapport de la dette publique au PIB. En effet, le taux apparent de la dette a enregistré une très forte baisse sur cette période, de 6,6 % en 1996 à 1,5 % en 2019. De 2009 à 2019, la charge d’intérêt a baissé de 14 Md€ alors que la dette a augmenté de 950 Md€ de fin 2008 à fin 2018. Selon le rapport économique annexé au projet de loi de finances pour 2021, elle diminuerait encore de 5 Md€ de 2019 à 2021 alors que la dette publique augmenterait de 300 Md€ de fin 2018 à fin 2020.
Source : Insee jusqu’à 2019 ; PLF 2021 pour 2020 et 2021 ; FIPECO
Le taux apparent de la dette publique continuera à baisser tant que les taux des nouveaux emprunts n’auront pas eux-mêmes significativement augmenté (plus précisément tant qu’ils ne seront pas repassés au-dessus du taux apparent). Sa remontée sera ensuite progressive. En conséquence, même si l’encours de la dette publique augmente fortement, il est très probable que sa charge d’intérêts continuera à diminuer en pourcentage du PIB, voire en euros, dans les prochaines années et restera très faible si les créanciers de l’Etat ne majorent pas sensiblement la prime de risque attachée à ses emprunts. Pour que cette condition soit respectée, la dette publique doit rester soutenable.
B) La dette publique est soutenable si l’Etat peut toujours non seulement en payer les intérêts mais aussi et surtout en rembourser le principal
Selon la définition retenue par le FMI, la situation des finances publiques peut être considérée comme soutenable si l’État est capable d’honorer ses obligations présentes et futures en menant des politiques économiquement faisables et politiquement réalistes.
La polarisation actuelle des débats économiques sur la charge d’intérêt de la dette publique, notamment sur l’écart entre son taux apparent et le taux de croissance du PIB, conduit à oublier que l’engagement pris par l’Etat (ou les autres administrations publiques) en contractant un emprunt est non seulement d’en payer les intérêts mais aussi, et surtout, d’en rembourser le principal. La loi de finances initiale pour 2021 montre que l’Etat devra rembourser 120 Md€ d’emprunts à moyen et long terme en 2021 et payer « seulement » 36 Md€ d’intérêts.
Contrairement à ce que semblent croire beaucoup de Français, un Etat en déficit comme le nôtre ne rembourse pas ses dettes en augmentant les impôts mais en réempruntant le même montant, parfois aux mêmes créanciers.
Pour continuer ainsi, il faut que ses créanciers ne doutent pas de sa capacité à emprunter suffisamment pour pouvoir toujours rembourser ses dettes anciennes, notamment le principal, et financer son déficit. S’ils en doutent, ils pensent prendre un risque en continuant à souscrire à ses emprunts et ajoutent une « prime de risque » importante au taux d’intérêt qu’ils exigent pour continuer à y souscrire. Cette hausse des taux d’intérêt ne peut qu’aggraver le déficit et la dette et renforcer leurs craintes. Certains créanciers finissent par refuser de prêter à l’Etat, même à des taux très élevés. Etant dans l’incapacité non seulement de rembourser ses dettes mais aussi de financer le déficit de l’exercice en cours, l’Etat doit alors immédiatement équilibrer ses recettes et ses dépenses en augmentant les impôts et/ou en coupant dans ses dépenses. C’est notamment ce qui s’est passé en Grèce au début des années 2010.
Il peut certes faire appel à des institutions internationales qui jouent le rôle de prêteur en dernier ressort, comme le FMI ou le mécanisme européen de stabilité (MES) dans la zone euro. Il peut aussi convaincre ses créanciers d’accepter un rééchelonnement ou une réduction de leurs créances. Il reste qu’il doit toujours mettre en œuvre des mesures douloureuses de redressement de ses comptes sous une contrainte extérieure.
La hausse de la dette publique risque donc d’entraîner des hausses d’impôts, ou une baisse des dépenses publiques, mais ce n’est pas une fatalité. Pour l’éviter, la dette doit rester soutenable.
C) Pour que la dette soit soutenable il faut pouvoir stabiliser son encours, et non sa charge d’intérêts, en pourcentage du PIB
Il est impossible de déterminer un seuil d’endettement au-delà duquel se déclenche une crise des finances publiques parce que son déclenchement dépend de nombreux paramètres souvent non quantifiables et spécifiques à chaque pays et à chaque période.
Le Japon n’éprouve pas de difficultés pour financer son déficit et rembourser une dette publique supérieure à 200 % du PIB depuis 2011 mais il détient des actifs nets considérables sur les autres pays. La position globale de l’ensemble des agents économiques du pays vis-à-vis de l’extérieur est un paramètre essentiel.
La pertinence et la crédibilité de la politique économique suivie sont également des facteurs importants, de même que la capacité à augmenter les impôts ou à réduire les dépenses publiques si nécessaire. Le degré probable de solidarité des pays voisins, notamment au sein d’une union économique et monétaire, doit aussi être pris en compte. La situation relative de l’endettement public par rapport à celle des pays comparables est enfin un élément essentiel.
On peut néanmoins avancer que la dette publique doit au moins pouvoir être stabilisée en pourcentage du PIB pour être soutenable. La dette est rapportée au PIB parce que celui-ci est une mesure approximative de l’assiette sur laquelle sont prélevés les impôts, la capacité de lever l’impôt étant l’assurance ultime des créanciers de l’Etat.
La dette doit pouvoir beaucoup augmenter dans les périodes de récession afin d’en amortir en tant que de besoin le choc induit, mais il faut pouvoir en reprendre le contrôle en la stabilisant à un certain horizon lorsque la situation économique redevient normale. Autrement dit, cette condition de soutenabilité de la dette est satisfaite si elle augmente par paliers, à l’occasion de crises économiques, et si elle peut être stabilisée ou réduite entre deux crises.
Pouvoir stabiliser le ratio dette / PIB, à n’importe quel niveau et à n’importe quel horizon, et éviter ainsi un emballement incontrôlé de la dette, est une condition nécessaire de sa soutenabilité mais ce n’est pas toujours une condition suffisante : une dette qui pourrait être stabilisée à 500 % du PIB ne serait pas soutenable car les créanciers de l’Etat s’inquièteraient bien avant qu’elle n’atteigne ce seuil. Le niveau auquel la dette est stabilisée n’est pas indifférent car plus il est élevé plus le risque de crise est important.
Dans un article publié en janvier 2021, le président de l’OFCE considère que la dette publique française est soutenable si le rapport de la charge d’intérêt au PIB ne dépasse pas sa moyenne des 20 dernières années soit environ 2,0 %. Considérant également que le taux apparent futur de la dette pourrait être de 1,0 %, il en conclut qu’une dette de 200 % du PIB serait soutenable.
Le ratio intérêts / PIB est cependant un critère qui peut conduire à viser un endettement insoutenable. En effet, la référence à la moyenne du ratio intérêts / PIB des 20 dernières années est arbitraire et l’auteur aurait très bien pu considérer que la dette française est soutenable avec une charge d’intérêts égale à 3,5 % du PIB, comme en 1997. Avec un taux d’intérêt apparent de 1,0 % en régime de croisière, la France pourrait donc viser une dette publique de 350 % du PIB et jusqu’à 700 % du PIB avec un taux apparent de 0,5 %, ce qui semble être un objectif dangereux. Si la dette publique était égale aujourd’hui à 350 % du PIB et si sa maturité moyenne était de 10 ans, il faudrait réemprunter environ 800 Md€ chaque année pour en rembourser le principal (et « seulement » 80 Md€ pour en payer les intérêts à un taux de 1,0 %).
Bien avant que cet objectif de dette ne soit atteint, les taux des nouveaux emprunts pourraient être majorés par une prime de risque très forte qui ne se refléterait que progressivement dans le ratio charge d’intérêts / PIB. Le président de l’OFCE propose d’arrêter la « stratégie d’endettement » si le taux des nouveaux emprunts dépasse 1,0 % ou 1 point de moins que la croissance moyenne du PIB en valeur. On peut cependant craindre que la dette publique augmente considérablement avant que ce seuil ne soit atteint et que la prime de risque s’envole soudain fortement en traduisant ainsi une perte de confiance des créanciers de l’Etat. Les marchés réagissent parfois soudainement et de manière très forte à certains chocs qui ne peuvent être anticipés. Il pourrait alors être très difficile de rétablir la soutenabilité de la dette.
D) Pour stabiliser la dette en % du PIB, le déficit public doit lui-même être stabilisé en % du PIB, quel que soit le taux d’intérêt
La dette publique est stabilisée en pourcentage du PIB si sa croissance est identique à celle du PIB en valeur. Comme la dette en fin d’année est égale à la dette à la fin de l’année précédente majorée du déficit de l’année en cours, on peut très facilement établir que le déficit permettant de stabiliser la dette à un certain niveau est égal au produit de cette dette par le taux de croissance du PIB en valeur, soit la formule de base :
Déficit stabilisant la dette au niveau D = taux de croissance nominal du PIB x D
Si la dette représente 60 % du PIB et si la croissance du PIB en valeur est de 5 %, la dette en pourcentage du PIB est stable si le déficit est égal 3 % du PIB.
Si le déficit est maintenu à 3 % du PIB et si la croissance du PIB est chaque année de 5 % en valeur, une dette initialement inférieure à 60 % du PIB augmente jusqu’à 60 % du PIB et s’y maintient[1].
Si le déficit est stable en pourcentage du PIB et supérieur au déficit stabilisant, la dette, en pourcentage du PIB, augmente jusqu’à ce qu’elle soit égale au produit des deux termes suivants : le déficit rapporté au PIB, d’une part ; l’inverse du taux de croissance du PIB, d’autre part. Par exemple, si le déficit est de 5 % du PIB et si la croissance est de 5,0 %, une dette initialement inférieure à 60 % dépassera ce seuil pour tendre vers 100 % du PIB.
Cette formule de calcul du solde stabilisant n’est valable que si la variation de la dette d’une année à l’autre dépend seulement du déficit de l’année en cours alors qu’elle peut également résulter des acquisitions d’actifs financiers (nationalisations par exemple) ou de leur cession (privatisations par exemple)[2].
Cette condition de stabilisation, et donc de soutenabilité, de la dette publique est en revanche valable quel que soit son taux d’intérêt.
E) Quand le taux d’intérêt est supérieur au taux de croissance, la dette explose si le solde primaire est insuffisant
La formule précédente montre que plus la dette rapportée au PIB est élevée, plus le déficit stabilisant est élevé, ce qui pourrait laisser croire que plus la dette est importante, plus il est facile de la stabiliser. Cependant, quand le taux d’intérêt apparent de la dette est supérieur au taux de croissance en valeur du PIB, plus la dette est importante, plus en réalité il est difficile de la stabiliser.
En effet, pour un taux d’intérêt donné, plus la dette est élevée plus la charge d’intérêt est importante et plus l’excédent primaire nécessaire pour stabiliser la dette est élevé, comme le montre l’exemple suivant.
Le déficit stabilisant augmente de 0,03 point de PIB lorsque la dette s’accroît de 1 point, si la croissance du PIB en valeur est de 3 %. Si le taux d’intérêt est de 4 %, la charge d’intérêt augmente toutefois de 0,04 point de PIB. Pour limiter la hausse du déficit à 0,03 point de PIB, il faut donc soit augmenter les recettes, soit diminuer les dépenses primaires (hors charges d’intérêts), c’est-à-dire accroître le solde primaire.
Pour stabiliser la dette en pourcentage du PIB, il faut que le solde primaire soit supérieur au produit de la dette, rapportée au PIB, par l’écart entre le taux d’intérêt de la dette et le taux de croissance en valeur du PIB. La valeur de ce produit est celle du solde primaire stabilisant dont la formule de calcul polarise l’attention des économistes :
SPstab = (r – g ) D
Où SPstab est le solde primaire stabilisant la dette au niveau D ; r est le taux d’intérêt apparent de la dette est g est le taux de croissance nominal du PIB.
Quand r est supérieur à g, la dette augmente indéfiniment si le solde primaire reste inférieur au solde primaire stabilisant. C’est « l’effet de boule de neige de la dette » : elle s’autoalimente du fait de l’accumulation des charges d’intérêt et devient donc insoutenable.
Pour arrêter cette croissance autoentretenue de l’endettement, il faut relever le solde primaire jusqu’au niveau du solde primaire stabilisant mais, plus la dette est déjà élevée, plus le solde primaire stabilisant est important. En conséquence, si l’endettement est entré dans un processus d’emballement auto-entretenu, plus les mesures nécessaires pour l’arrêter sont prises tardivement, plus elles doivent être de grande ampleur.
Si le solde primaire reste à un niveau SP supérieur au solde primaire stabilisant la dette au niveau D, la dette converge vers un niveau D’ qui est égal à SP / (r – g).
F) Quand le taux d’intérêt est inférieur au taux de croissance, il faut revenir à la condition de base : stabiliser le déficit public
Quand le taux apparent de la dette est inférieur au taux de croissance du PIB, le solde primaire stabilisant est un déficit et celui-ci est d’autant plus important que la dette publique est élevée. Cela signifie aussi qu’un déficit primaire très élevé maintenu indéfiniment permet toujours de stabiliser la dette, à un niveau égal à SP / (r – g) en reprenant les notations précédentes. Par exemple, si SP est maintenu à un niveau égal à - 5 % du PIB et si (r - g) reste égal à - 0,02, la dette sera stabilisée à 250 % du PIB.
Beaucoup d’économistes considèrent que, pour des raisons structurelles (excès d’épargne par rapport à l’investissement dans le monde) et pas seulement conjoncturelles (politique monétaire actuelle), l’écart entre taux d’intérêt de la dette et taux de croissance du PIB sera négatif pendant très longtemps. Dans ces conditions, tout déficit primaire permet de stabiliser la dette et certains en concluent qu’elle est désormais toujours soutenable.
Il s’agit toutefois d’une condition nécessaire de sa soutenabilité mais pas suffisante. Si elle peut être stabilisée à 500 % du PIB, il est probable qu’une crise surviendra avant qu’elle ne se rapproche de ce niveau. En outre, aucun économiste ne peut garantir que (r – g) restera éternellement négatif (il a d’ailleurs été très positif en 2020) et, s’il redevient positif alors que la dette aura beaucoup augmenté, il faudra dégager un excédent primaire beaucoup plus important pour la stabiliser.
Surtout, cette conclusion repose sur l’hypothèse très contestable, du moins dans le cas de la France, d’un déficit primaire maintenu indéfiniment constant en pourcentage du PIB. Comme le montre le graphique suivant, le déficit primaire de la France est sur une tendance croissante depuis le début de la cinquième République.
Source : Insee, FIPECO
Quand le taux d’intérêt de la dette est inférieur au taux de croissance, il n’y a plus d’effet de boule de neige (plus précisément, les intérêts contribuent à réduire le ratio dette / PIB) et le détour par le solde primaire est inutile. Il faut revenir à la formule de base :
Déficit stabilisant la dette au niveau D = taux de croissance nominal du PIB x D
Cela signifie que, pour un taux de croissance du PIB g donné, un déficit public d permet de stabiliser la dette au niveau D = d / g. Si le déficit public augmente indéfiniment, la dette croît elle-même indéfiniment.
En conséquence, la condition nécessaire pour stabiliser la dette en pourcentage du PIB et assurer sa soutenabilité est que le déficit public soit lui-même stabilisé, quel que soit le taux d’intérêt. Or si le graphique précédent représentait l’évolution du défit public (au lieu du déficit primaire), il apparaitrait que lui aussi est sur une pente significativement croissante depuis 60 ans.
G) Pour stabiliser son déficit public, la France devra limiter la croissance de ses dépenses
Le rapport du déficit au PIB est la différence entre les ratios recettes / PIB et dépenses / PIB. Or les recettes publiques augmentent à peu près comme les prélèvements obligatoires, qui en constituent l’essentiel, et ceux-ci augmentent à peu près comme le PIB en valeur à législation constante. En moyenne sur plusieurs années, leur élasticité au PIB est en effet quasi-unitaire.
Le taux des prélèvements obligatoires de la France la place déjà au premier ou au deuxième rang de l’OCDE et elle a très peu de marges pour l’augmenter sans dégrader encore plus la compétitivité de ses entreprises et l’attractivité de son territoire.
Il faut donc que les dépenses publiques n’augmentent pas plus que le PIB pour éviter d’accroître le déficit en pourcentage du PIB. Ce sera mécaniquement le cas en 2022 et 2023 du fait du rebond de l’activité économique et de la disparition des mesures d’urgence puis de relance. Ensuite, il faudra que la croissance des dépenses soit inférieure à la croissance potentielle.
Si celle-ci est de l’ordre de 1,0 à 1,2 % à l’issue de la crise, il faudra que la croissance des dépenses publiques en volume (en utilisant l’indice du prix du PIB comme déflateur de leur croissance en valeur) reste durablement au-dessous de 1,0 / 1,2 %.
Elle était de 2,5 % par an dans les années 1990, de 2,2 % dans les années 2000 et elle a été ramenée à 1,1 % par an de 2011 à 2019 en menant une politique économique considérée par beaucoup de Français comme excessivement « austéritaire ».
La poursuite de la baisse de la charge d’intérêt pourrait offrir une marge permettant de laisser augmenter les dépenses primaires jusqu’à 1,2 / 1,4 % en volume par an, mais il y avait la même marge dans les années 2011-2019.
Le principal enjeu pour maintenir la soutenabilité de l’endettement public en France dans les prochaines années ne sera pas de limiter la charge d’intérêts de la dette mais de maintenir la croissance des dépenses publiques en volume au-dessous de celle de l’activité économique.
H) L’intervention de la banque centrale peut améliorer la soutenabilité de la dette publique mais pas indéfiniment
Depuis quelques années, les banques centrales détiennent beaucoup de titres émis par les Etats (environ 25 % des dettes des pays de la zone euro pour la BCE à la fin de 2020), ce qui était très rare avant la crise de 2009. Elles pourraient prêter beaucoup plus aux Etats et leur reprêter ensuite systématiquement les montants nécessaires au remboursement de leurs prêts initiaux. Elles pourraient même leur acheter des obligations perpétuelles, dont le capital n’est jamais remboursé, ou au moins des obligations à très long terme. Elles pourraient ainsi leur assurer un financement perpétuel et illimité excluant tout risque de défaut de paiement.
Les banques centrales ont toutefois pour mandat d’assurer la stabilité des prix, pour la plupart d’entre elles en toute indépendance. Or, si les économistes sont partagés sur les perspectives d’inflation, on ne peut pas exclure qu’elle reparte et qu’elle dépasse l’objectif des banques centrales, même si celui-ci est relevé. Le risque de reprise de l’inflation sera d’autant plus important que le déficit et la dette publics seront sur une trajectoire de hausse non maîtrisée, ce qui signifie que l’Etat distribue beaucoup plus de revenus qu’il n’en prélève. A plus ou moins long terme, les facteurs de production seront en effet pleinement utilisés ce qui poussera les prix et salaires à la hausse. La reprise de l’inflation est souvent associée à une dépréciation de la monnaie manifestant une perte de confiance de ses utilisateurs.
L’inflation facilite certes la gestion des finances publiques dans un premier temps. En effet, le taux de croissance du PIB en valeur g est plus fort et un déficit d peut permettre de stabiliser la dette à un niveau d / g moins élevé.
Toutefois, si l’inflation repart, les banques centrales devront utiliser les instruments dont elles disposent pour la maîtriser : augmenter les taux d’intérêt et réduire leurs actifs, y compris leurs créances sur les Etats. Le financement de l’Etat par la banque centrale repousse donc dans le temps le risque de crise des finances publiques, tant que l’inflation ne repart pas, mais sans l’éliminer.
Au regard du financement des états de la zone euro, la BCE est soumise à des contraintes particulières. Le volume de ses achats de titres publics sur le marché secondaire est limité, globalement et pays par pays, sauf pour ce qui concerne un programme particulier dit OMT mais sa mise en œuvre est conditionnée par un accord entre le pays bénéficiaire et le mécanisme européen de stabilité sur des mesures de redressement des comptes publics. Il n’est pas du tout certain que les pays du nord de l’Europe accepte un relâchement de ces contraintes au bénéfice des pays du sud. En outre, la perspective d’une reprise de l’inflation sera source de tensions entre les pays très endettés qui voudront la stimuler et les pays moins endettés qui voudront la limiter.
Il reste que les dettes publiques dues à la banque centrale ont une nature particulière car son comportement est beaucoup plus stable et prévisible que celui des autres acteurs des marchés financiers. Il faudrait donc que leur montant soit systématiquement publié en même temps que le total des dettes publiques alors qu’il est actuellement difficile à trouver.
[1] En fait, elle tend vers une limite égale à 60 % du PIB dont elle se rapproche de plus en plus sans jamais l’atteindre exactement.
[2] Les investissements corporels sont inclus dans le déficit public mais par les investissements financiers.