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09/09/2020

La fiscalité des carburants

François ECALLE

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Ce billet présente les principales caractéristiques de la fiscalité des carburants en 2020, l’évolution de ses tarifs et de son rendement depuis la fin des années 1990, son impact économique et social, enfin la situation de la France par rapport aux autres pays européens.

De 1998 à 2014, la hausse des tarifs de la « taxe intérieure de consommation des produits énergétiques » (TICPE) a été inférieure à l’inflation. Comme, en outre, la consommation de gazole (moins taxé) a augmenté tandis que celle d’essence (plus taxée) diminuait, les recettes budgétaires tirées de la TICPE ont stagné en euros et fortement baissé en pourcentage du PIB (de 1,7 à 1,1 %).

En 2014, une « composante carbone », en euros par tonne de CO² émise, a été incluse dans les tarifs de la TICPE puis progressivement augmentée jusqu’en 2018 où elle a atteint 10 / 12 centimes par litre de supercarburant / gazole. Les recettes tirées de la TICPE se sont alors accrues pour atteindre 31 Md€, soit 1,3 % du PIB, en 2019 et son tarif (hors TVA) représentait environ la moitié du prix à la pompe en août 2020.

La loi de finances initiale pour 2018 avait programmé une augmentation progressive de la composante carbone de la TICPE jusqu’à 2022 mais cette hausse a été abandonnée à la fin de 2018 à la suite du mouvement des « gilets jaunes » et la convention citoyenne pour le climat a ensuite ignoré cet instrument, pourtant simple et efficace, de lutte contre les émissions de gaz carbonique, ce qui est regrettable.

La consommation de carburants est en effet sensible à leur prix et donc aux taxes qui le majorent. Cette fiscalité pèse certes plus lourdement sur les ménages modestes ou ruraux mais cet effet négatif pourrait être fortement atténué en recyclant le produit de la hausse de la taxe sous forme de transferts aux ménages décroissant avec leur revenu et dépendant de leur zone de résidence.

Les tarifs des taxes sur les carburants sont en France parmi les plus élevés de l’Union européenne mais leurs recettes y représentent un pourcentage du PIB à peu près égal à la moyenne européenne. La relative faiblesse de ces recettes au regard des tarifs pourrait s’expliquer par l’importance des dépenses fiscales (8,5 Md€ en 2019) au profit de secteurs particuliers.

A) Une fiscalité spécifique représentant la moitié du prix à la pompe en août 2020

Les carburants sont soumis à la « taxe intérieure de consommation des produits énergétiques » (TICPE) qui a remplacé en 2011 la « taxe intérieure de consommation des produits pétroliers » (TIPP), elle-même ayant succédé à la « taxe intérieure pétrolière » créée en 1928. La TICPE est un « droit d’accise », comme les taxes sur les alcools et les tabacs, c’est-à-dire un impôt indirect sur la vente d’un produit particulier qui est exprimé en euros par quantité de produit vendue (son « tarif »).

Elle s’applique aux produits pétroliers et assimilés (comme les biocarburants) qui sont utilisés comme carburants ou comme combustibles en vue du chauffage. Il existe par ailleurs une taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN), une taxe intérieure sur la consommation de charbon (TICC) ainsi qu’une contribution au service public de l’électricité (CSPE) et des taxes locales sur la consommation finale d’électricité (TLCFE).

La TICPE est exigible au moment de l’importation ou de la « mise à la consommation » des produits, en pratique à la sortie des dépôts pétroliers ou des raffineries. Les services de la direction générale des douanes la collectent par décades auprès des raffineurs ou importateurs, qui la répercutent sur les distributeurs et ceux-ci sur les consommateurs. La TICPE est elle-même soumise à la TVA au taux normal de 20 %.

Les tarifs de la TICPE par produits sont votés par le Parlement et les conseils régionaux peuvent les majorer dans la limite de 0,73 centime par litre de supercarburant et 1,35 centime par litre de gazole (ces limites sont un peu plus élevées en Ile-de-France). En 2020, toutes les régions appliquent la majoration maximale, sauf Auvergne-Rhône-Alpes et la Corse. 

Depuis 2014, les différentes taxes intérieures de consommation incluent une « contribution climat énergie », appelée aussi « composante carbone », en euros par tonne de CO² émise du fait de la combustion de ces combustibles. Elle a atteint 44,6 € par tonne de CO² en 2018 (soit presque 12 centimes par litre de gazole et un peu plus de 10 centimes par litre d’essence sans plomb[1]). L’augmentation de cette composante explique la hausse du taux de la TICPE sur l’essence SP95-E5 de 2013 à 2018 (+ 13 %). La hausse du taux de la TICPE sur le gazole (+ 39 %) tient à la montée en charge de la composante carbone mais aussi à son alignement progressif sur le taux d’imposition de l’essence sans plomb.

Compte-tenu des majorations régionales, les taux de la TICPE en 2020 sont de 60,75 centimes par litre pour le gazole (62,64 centimes en Ile-de-France) et 69,02 centimes pour l’essence sans plomb SP95-E5 (70,04 centimes en Ile-de-France).

Le 21 août 2020, la TICPE (hors TVA) comptait pour 49 % du prix moyen à la pompe du gazole (1,24 € / litre) et 52 % de celui du SP95 (1,34 € / litre) selon l’union française des industries pétrolières.

La loi de finances pour 2018 avait programmé une augmentation progressive de la composante carbone jusqu’à un niveau de 86,20 € par tonne de CO² en 2022, ce qui aurait conduit la TICPE à 78,23 c€ par litre de gazole et 77,80 c€ par litre de SP95-E5. Toutefois, la loi de finances pour 2019 a annulé les hausses prévues pour les années 2019 à 2022.

Plusieurs branches professionnelles bénéficient d’une exonération, de taux réduits ou de remboursements, partiels ou totaux, de TICPE : agriculture, transports aériens et fluviaux, taxis, transports publics collectifs de voyageurs, transport routier de marchandises pour les véhicules de plus de 7,5 tonnes… La Corse et les départements d’outre-mer bénéficient d’une fiscalité plus faible.

B) Des recettes bien plus faibles qu’à la fin des années 1990 en pourcentage du PIB

En comptabilité nationale, le produit de la TICPE s’est élevé à 31,3 Md€, soit 1,3 % du PIB, en 2019, après 31,9 Md€ (1,35 % du PIB) en 2018. En comptabilité budgétaire, il était de 33,0 Md€[2] dont 20,0 Md€ pour l’Etat (13,4 Md€ pour le budget général et 6,7 Md€ pour le compte d’affectation spéciale « transition énergétique »), 11,8 Md€ pour les collectivités territoriales (régions et départements) et 1,2 Md€ pour l’agence de financement des infrastructures de transport de France. Les collectivités locales reçoivent non seulement la part de la TICPE dont le taux est modulable par les régions mais aussi une fraction importante de la part de la TICPE dont le taux est national.

Le produit de la TICPE en 2016 en comptabilité budgétaire (28,5 Md€) était réparti entre 20,9 Md€ pour le gazole, 6,2 Md€ pour les essences sans plomb, 0,7 Md€ pour le fioul domestique et 0,6 Md€ pour le gazole non routier. Par ailleurs, la TICGN a rapporté 1,1 Md€.

Les dépenses fiscales (coût des exonérations, taux réduits et remboursements) se sont élevées à 8,5 Md€ en 2019, mais l’exonération du kérosène consommé par l’aviation commerciale ne figure pas sur leur liste officielle. Les plus importantes de cette liste sont : les taux réduit appliqués au gazole non routier et non agricole (1,3 Md€), au gazole non routier utilisé par les exploitants agricoles (1,1 Md€) et aux entreprises grandes consommatrices d’énergie et participant au marché européen des quotas d’émission (0,9 Md€) ; l’exonération de TICPE outre-mer (1,5 Md€) ; le remboursement d’une fraction de la taxe sur le gazole utilisé par certains véhicules routiers (1,6 Md€).

Le produit de la TICPE (TIPP avant 2011) est resté quasiment constant de 1998 (23,4 Md€) à 2014 (23,8 Md€). Rapporté au PIB, il a donc nettement diminué (de 1,7 à 1,1 %).

En effet, de 1998 à 2014, la hausse des tarifs de la TICPE (+ 17 % pour le gazole et + 7 % pour l’essence sans plomb) a été nettement inférieure à l’inflation (+ 26 %) ; la consommation de gazole, moins taxé, a augmenté en volume de 34 %, soit un peu plus que le PIB en volume (27 %), mais celle de supercarburant a diminué de 51 % ; les dépenses fiscales relatives à la TICPE sont passées de 2,3 Md€ à 3,6 Md€.

La création puis la montée en puissance de la composante carbone ainsi que le rattrapage du tarif appliqué à l’essence par celui appliqué au gazole ont ensuite fait remonter le poids de la TICPE jusqu’à 1,35 % du PIB en 2018.

Source : Insee ; recettes de TIPP avant 2011

C) L’impact économique et social

La consommation des carburants est sensible à leur prix et donc au niveau des taxes. Un article publié en 2011 dans la revue économie et statistique montre ainsi que l’analyse économétrique de cette consommation conduit à une élasticité prix de court terme de 0,25/0,35 et à une élasticité prix de long terme de 0,6/0,7. Ces élasticités sont plus élevées pour les ménages modestes. Les auteurs en concluent que les capacités d’adaptation sont fortes à moyen terme pour toutes les sous-populations considérées. Un « focus » du conseil d’analyse économique de mars 2019 met en évidence des élasticités du même ordre.

La dieselisation continue du parc automobile français jusqu’à ces dernières années illustre également la sensibilité des comportements des ménages à un écart de taxation, et donc de prix, en l’espèce favorable aux moteurs diesel.

La taxation des carburants est donc un instrument simple et efficace pour réduire les émissions de gaz carbonique et lutter contre le changement climatique. La fiscalité est d’ailleurs plus généralement un meilleur outil que la réglementation et les subventions pour réduire les pollutions (cf. fiche sur ce site).

Toutefois, comme pour les autres impôts sur la consommation, le rapport du montant des taxes sur les produits énergétiques au revenu des ménages, par unité de consommation, est décroissant en fonction du revenu, ce qui confère un caractère dégressif à ces prélèvements, notamment parce que le taux d’épargne augmente avec le revenu.

Une étude publiée en février 2019 par Terra Nova montre ainsi que la composante carbone des taxes de consommation des produits énergétiques pèse plus fortement sur les ménages modestes. Son impact dépend aussi beaucoup des conditions de logement (mode de chauffage) et de transport entre le domicile et le lieu de travail.

Dans une note de mars 2019, le conseil d’analyse économique montre que ces problèmes sociaux associés à la hausse de ces taxes pourraient être fortement atténués en retournant aux ménages le produit de la hausse de la taxe sous la forme d’un transfert financier décroissant avec le revenu et dépendant de la zone d’habitation.

D) Les contraintes et les comparaisons internationales

Les taxes sur l’énergie font l’objet d’une harmonisation européenne à travers une directive de 2003. Elle précise notamment leur champ d’application, fixe des taux minimaux et détermine les conditions dans lesquelles certains secteurs, certaines zones géographiques ou certaines formes d’énergie peuvent ou doivent bénéficier d’exonérations, de taux réduits ou de remboursements.

Les taux minimaux de taxation des carburants sont faibles : 35,9 c€/l pour l’essence sans plomb et 33,0 c€/l pour le gazole.

Le tableau suivant fait apparaitre les taux effectifs de taxation dans les principaux pays de l’Union européenne comparables à la France en août 2020.

Les taxes sur les carburants en août 2020 en centimes par litre

France

Allemagne

Royaume-Uni

Italie

Espagne

Pays-Bas

Belgique

Suède

Essence

69

65

64

73

47

80

60

63

Gazole

61

47

64

62

38

51

60

45

SourcSource : : Commission européenne ; FIPECO

Ces taux sont plus forts en France que dans ces pays, à l’exception de l’Italie (pour essence et gazole), des Pays-Bas (essence) et du Royaume-Uni (gazole). Ils sont particulièrement faibles en Espagne. La TVA s’ajoute, au taux normal, à ces accises dans tous les pays européens.

En pourcentage du PIB, les taxes sur les carburants ont un poids quasiment identique en France (1,3 % du PIB) et dans la moyenne des pays de l’Union européenne ou de la zone euro (1,2 / 1,3 %). Si les taux « normaux » de taxation des carburants y sont parmi les plus élevés, le rendement budgétaire de ces taxes est réduit en France par les dépenses fiscales associées. Le poids des taxes sur les carburants est nettement supérieur à la moyenne en Italie et nettement inférieur en Suède.

Source : Commission européenne ; FIPECO

 

[1] Le gazole contient 0,002651 tonne de CO² par litre, soit une composante carbone de 11,8 c€/l ; le SP95-E5 contient 0,002287 tonne de CO² par litre, soit une composante carbone de 10,2 c€/l.

[2] Recette brute, avant remboursements aux transporteurs, agriculteurs…

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