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03/10/2018

La fiscalité environnementale et le prix du carbone

François ECALLE

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L’OCDE vient de publier un rapport sur les taux effectif de taxation du carbone dans 42 pays de l’organisation et du G20. Avant d’en présenter les conclusions qui peuvent en être tirées pour la France, ce billet rappelle quels sont les instruments de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et ce qu’on entend généralement par « prix du carbone ».

Les économistes distinguent quatre instruments de lutte contre les pollutions : la réglementation, la taxation, la subvention et la création de marchés de permis d’émission. Ils préfèrent la fiscalité et la création de marchés de droits, plutôt avec une allocation initiale payante, car ces outils donnent un prix au carbone (le montant de la taxe ou le prix des quotas) et permettent de réduire les émissions de gaz carbonique en répartissant efficacement les efforts. Cette répartition est d’autant plus efficace que ce prix du carbone est partout le même. En outre, les recettes encaissées par l’Etat peuvent financer la baisse d’autres prélèvements obligatoires.

L’OCDE a mesuré, pour chaque pays, l’écart entre un objectif de prix de 60 € par tonne de CO² (minimum requis en 2030 pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris) et le prix effectif résultant de la fiscalité et des marchés de droits. Cet écart est corrigé, de manière assez fruste, pour tenir compte de la dispersion du prix effectif d’un secteur à l’autre.

Cet écart à un prix du carbone optimal est en 2015 de 52 % en France où il est le plus faible du G20. La France est donc bien placée, à cette aune, dans la lutte contre le changement climatique. Les seuls pays avec un écart inférieur sont la Suisse, la Norvège, le Luxembourg et la Slovénie. L’Italie et les Pays-Bas (54 %) sont proches de la France. Les Etats-Unis et la Chine sont très loin d’une taxation optimale. La hausse de la fiscalité des carburants intervenue depuis 2015 et prévue pour les prochaines années devrait conforter la place de la France.

A)Les instruments de lutte contre l’effet de serre et le prix du carbone

1)Les instruments de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre

Les quatre instruments de lutte contre les pollutions telles que les émissions de gaz à effet de serre sont présentées, avec leurs avantages et inconvénients, dans une fiche de l’encyclopédie qui est ici résumée.

a)La réglementation

L’approche réglementaire consiste à fixer à chaque agent un plafond d’émission en kilogrammes de CO2 ou en kilogrammes de CO2 par unité de biens produite ou consommée (par exemple, par tonne de ciment produit).

Pour que la réglementation, comme les autres instruments, soit efficace, il faut pouvoir mesurer les émissions de CO2, ce qui est parfois très difficile, et sanctionner de manière dissuasive le non-respect des obligations réglementaires.

Le cas échéant, la réglementation a pour principal avantage, par rapport aux autres instruments, de garantir que les émissions seront inférieures aux plafonds réglementaires. S’il s’agit de polluants très dangereux, l’approche réglementaire conduit à fixer un plafond égal à zéro, ce qui équivaut à une interdiction absolue, et elle est le seul instrument envisageable.

Le principal problème est de fixer le niveau des plafonds. Pour répartir efficacement et équitablement les efforts de dépollution, il faudrait les fixer de telle sorte que le coût de la réduction des émissions d’une tonne de CO2 supplémentaire (le « coût marginal » de réduction de la pollution) soit le même pour tous les agents économiques.

En pratique, les administrations ne disposent pas des informations nécessaires et la méthode la plus fréquente consiste à imposer une réduction uniforme à tous les agents. Ces plafonds peuvent ainsi être impossibles à respecter par les entreprises qui ont déjà investi dans les technologies les moins polluantes et, au contraire, être trop faciles à respecter par celles qui utilisent des procédés améliorables à peu de frais.

b)La fiscalité

L’approche fiscale consiste à taxer de T euros chaque tonne de CO2 émise dans l’atmosphère. Les agents économiques réduisent alors leurs émissions tant que le coût marginal de réduction d’une tonne de CO2 est inférieur à T. Dès qu’il devient plus important, ils ont intérêt à payer la taxe plutôt que de réduire plus leur pollution. Les coûts marginaux de réduction de la pollution tendent ainsi à s’égaliser, ce qui conduit à une répartition efficace des efforts.

Le montant T de la taxe doit en théorie être égal au coût pour la société de l’émission d’une tonne de CO2 supplémentaire (le « coût marginal social » de la pollution). Le cas échéant, non seulement les efforts de réduction de la pollution sont efficacement répartis mais, en outre, l’ampleur de la réduction globale des émissions n’est ni trop faible ni trop forte au regard du coût de ces émissions pour la société.

L’estimation de ce coût marginal social est souvent très difficile, notamment s’agissant des émissions de CO2 pour lesquelles il faudrait en théorie mesurer le coût pour la Terre entière des dommages résultant sur une durée quasi infinie d’une tonne de CO2 supplémentaire envoyée dans l’atmosphère. En pratique, il est généralement admis que le montant de la taxe doit être fixé de sorte que les émissions de CO2 soient inférieures à un niveau compatible avec un objectif de limitation du réchauffement climatique, ce qui suppose de connaître « l’élasticité » de ces émissions au montant de la taxe[1]. Or cette élasticité est difficile à déterminer précisément et le volume des émissions de CO2 qui résulte finalement de leur taxation est donc incertain, ce qui est le principal inconvénient de l’approche fiscale.

c)Les subventions

Cette approche consiste à attribuer une subvention de S euros aux agents économiques pour chaque réduction d’une tonne de leurs émissions de CO2[2]. Il s’agit alors de compenser une « externalité positive » résultant de cette réduction des émissions de gaz carbonique.

Les agents économiques diminuent alors leurs émissions tant que le coût marginal de réduction d’une tonne de CO2 est inférieur à S. Dès qu’il devient plus important, ils n’ont plus intérêt à réduire leur pollution. Les coûts marginaux de réduction de la pollution tendent ainsi à s’égaliser, ce qui conduit à une répartition efficace et équitable des efforts, comme si une taxe de S euros par tonne était appliquée.

Cependant, alors que la fiscalité environnementale permet de réduire d’autres impôts en maintenant constant le taux global des prélèvements obligatoires, les subventions accroissent les dépenses publiques et doivent être financées par l’augmentation d’autres impôts, le total des prélèvements obligatoires en étant alors relevé d’autant.

En outre, il est difficile de savoir de combien les émissions de CO2 sont réellement réduites. Il faudrait en effet pouvoir déterminer la quantité qui aurait été émise sans subvention. Or elle n’est pas observable et elle est souvent très difficile à évaluer. En pratique, la subvention est souvent accordée pour une réduction des émissions par rapport à un niveau enregistré dans le passé, alors même que cette réduction aurait parfois été réalisée sans subvention.

d)Les marchés de quotas d’émission

Pour créer un « marché de droits à polluer » ou un « marché de quotas d’émissions de polluants », il faut d’abord réglementer et fixer aux agents économiques des plafonds d’émissions individuels en tonnes de CO2 (les « droits » ou « quotas » initiaux).

La différence avec l’approche réglementaire est que les agents dont les émissions sont inférieures à leur quota peuvent vendre leurs « droits » inutilisés à des agents dont les émissions sont supérieures à leur quota. Ces échanges marchands ne modifient pas le montant total des quotas attribués et, comme dans l’approche réglementaire, il est certain que le volume global des émissions de CO2 ne dépassera pas le niveau fixé par les pouvoirs publics.

Si le marché ainsi créé fonctionne correctement, un prix d’échange de la tonne de CO2 s’établit et les agents réduisent leurs émissions de CO2 tant que le coût de cette réduction est inférieur à ce prix. Les coûts marginaux de réduction des émissions s’alignent sur le prix de marché, ce qui permet une répartition efficace des efforts.

Les conditions pour qu’un tel marché fonctionne correctement sont les mêmes que pour n’importe quel marché : les agents économiques doivent être de taille relativement petite et ne pas s’entendre ; l’information sur les prix doit être transparente etc.

Le prix de la tonne de CO2 sur ce marché dépend surtout du montant total des quotas attribués par les pouvoirs publics. Si ce montant est élevé au regard de la production des entreprises qui participent au marché et des émissions de CO2 qui en résultent sans efforts importants pour les réduire, ce prix sera faible, et inversement.

La répartition initiale des quotas présente un enjeu plus lourd que dans l’approche réglementaire. En effet, l’entreprise qui peut facilement respecter son quota initial pourra vendre ses droits non utilisés et celle qui a un quota initial trop limité devra acheter des droits.

Pour remédier à cet inconvénient, les droits initiaux peuvent être vendus aux enchères par l’Etat. Si les enchères fonctionnent correctement, ce qui n’est pas toujours le cas, les quotas sont vendus à un prix qui égalise les coûts marginaux de réduction des émissions. Leur répartition est alors efficace et équitable. La vente des droits initiaux accroît les recettes de l’Etat qui peut alors réduire des prélèvements obligatoires défavorables à l’activité et à l’emploi, mais l’achat des droits augmente les coûts des entreprises au détriment de leur compétitivité comme la taxation.

2)Le prix du carbone

Les économistes préfèrent la taxation et les marchés de droits avec vente aux enchères des droits initiaux parce que ces instruments permettent de répartir efficacement les efforts de dépollution et parce que les recettes supplémentaires encaissées par l’Etat lui permettent de réduire d’autres prélèvements obligatoires.

La taxe et le prix des quotas constituent pour eux un « signal prix » qui oriente les décisions des entreprises et des consommateurs dans un sens favorable à la réduction des émissions de gaz à effet de serre parce qu’ils sont obligés de payer un prix, le « prix du carbone », pour chaque tonne de CO² émise.

Pour que ce prix du carbone entraîne une répartition efficace des efforts, il doit être le même dans toute l’économie.

B)Le prix effectif du carbone en France et dans l’OCDE

Dans son rapport de septembre 2018 sur la taxation effective du carbone, l’OCDE retient les taxes spécifiques sur le carbone, le prix des quotas d’émission de CO² quand il existe un marché organisé (ce qui est le cas dans l’Union européenne) et les taxes sur les produits énergétiques (notamment les accises telles que la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques en France). Dans ce dernier cas, si la taxe est, par exemple, exprimée en euros par litre de gazole, elle est convertie en euros par tonne de CO².

L’OCDE répartit l’économie en six secteurs : l’industrie, la production d’électricité, les logements et le secteur tertiaire, les transports routiers, les transports non routiers et l’agriculture. Pour chacun d’eux, le prix du carbone est la somme des taxes et des prix des quotas en euros par tonne de CO². Le prix national du carbone est la somme de ces prix par secteur, pondérée par leur part des émissions totales de CO².

En moyenne dans l’ensemble des pays retenus, les taxes forment la quasi-totalité du prix du carbone sauf dans la production d’électricité et l’industrie où les permis d’émission y contribuent à hauteur de respectivement 81 et 38 %. Les taxes sont également prédominantes en France (le prix du CO² sur le marché européen de quotas retenu par l’OCDE est de seulement 7,6 € par tonne).

L’OCDE compare ce prix effectif du carbone à deux références : un prix de 30 € par tonne de CO² (soit environ 100 € par tonne de carbone sachant que le carbone compte pour 27 % dans le poids du dioxyde de carbone) et un prix de 60 € par tonne de CO². Ce prix de 60 € est, selon l’OCDE, le minimum requis en 2030 pour atteindre les objectifs fixés dans l’accord de Paris.

Pour répartir efficacement les efforts de dépollution, le prix effectif du carbone devrait être partout égal au prix de référence. En conséquence, il faut tenir compte non seulement du prix effectif moyen national mais aussi de la dispersion des prix effectifs entre les secteurs.

Le rapport met à cette fin en évidence un « carbon pricing gap » ou « écart à une taxation optimale du carbone » qui est la somme des écarts entre le prix de référence et le prix effectif, mesurés au niveau le plus fin possible, dans les secteurs où le prix effectif est inférieur au prix de référence, multipliée par la part de ces secteurs dans les émissions. Les secteurs où le prix effectif est supérieur au prix de référence ne sont donc pas pris en compte, ce qui est une manière relativement fruste de tenir compte de la dispersion des prix effectifs. Cet écart est exprimé en pourcentage du prix de référence.

Par exemple[3], si la référence est 30 € et si un pays a un prix de 2,5 € sur 90 % des émissions et 227,5 € sur 10 % des émissions, le prix effectif national est de 25 € mais l’écart à une taxation optimale est égal à (30 – 2,5) x 0,9 / 30 = 82,5 %.

Source : OCDE ; FIPECO.

En retenant la référence de 60 €, l’écart français (52 %) est en 2015 le plus faible parmi ceux du G20. Les seuls pays où l’écart est inférieur sont la Suisse, la Norvège, le Luxembourg et la Slovénie. L’Italie et les Pays-Bas (54 %) sont proches de la France. Les Etats-Unis et la Chine sont très loin d’une taxation optimale. L’écart est important en Suède.

L’écart français a diminué de 6 points entre 2012 et 2015, en raison notamment de la hausse de la fiscalité sur les carburants, contre une moyenne de 3 points dans les pays retenus par l’OCDE. La hausse de la fiscalité des carburants intervenue depuis 2015 et prévue pour les prochaines années devrait conforter la place de la France.

 

[1] Rapport entre la variation des émissions due à une variation de la taxe et cette même variation de la taxe.

[2] Ou pour l’achat d’un matériel plus économe en énergie qui permet une telle réduction.

[3] Exemple donné dans le rapport de l’OCDE.

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