Fipeco

Partager Partage sur Twitter Partage sur Facebook Partage sur Linkedin


06/10/2017

La nécessaire réduction du déficit structurel

François ECALLE

Lire et imprimer en PDF

Selon le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, le déficit structurel sera ramené de 2,5 % du PIB en 2016 à 0,8 % en 2022. L’équilibre structurel des comptes publics ne sera donc pas atteint à la fin du quinquennat.

Source : Haut Conseil des finances publiques ; FIPECO.

Si la mesure du solde structurel est notoirement fragile, les estimations de son niveau en France sont dans une fourchette d’ampleur limitée et cet indicateur est essentiel pour apprécier correctement la pertinence de la politique budgétaire.

Les règles budgétaires européennes imposent donc avec raison l’équilibre structurel des comptes publics et, pour les pays qui ne l’ont pas atteint, une réduction de leur déficit structurel d’au moins 0,5 point de PIB par an, ce que le projet de loi de programmation ne prévoit pas. Les éléments de flexibilité associés à ces règles permettront peut-être à la France de ne pas être sanctionnée mais sa crédibilité budgétaire n’en sera pas améliorée.

Indépendamment de ces règles, il est dans l’intérêt de la France d’atteindre plus rapidement l’équilibre structurel de ses comptes pour réduire durablement son endettement.  Une réduction plus rapide du déficit public pourrait certes ralentir la croissance, mais celle-ci semble solide et cet effet négatif serait temporaire, alors que la réduction de la dette éviterait de prendre des risques importants à moyen terme.

A)   Le solde structurel est un indicateur essentiel pour guider la politique budgétaire bien que sa mesure soit fragile

Une fiche de l’encyclopédie des finances publiques de FIPECO explique comment est calculé le solde structurel des administrations publiques.

En simplifiant, ce calcul commence par l’estimation du PIB qui serait enregistré si l’activité économique ne connaissait pas de fluctuations, le « PIB potentiel ». Ensuite sont estimés les gains ou pertes de recettes, ainsi que les économies ou les dépenses supplémentaires, dus à « l’écart de production » entre le PIB effectif et ce PIB potentiel, ce qui permet d’obtenir la composante conjoncturelle du solde effectif appelée « solde conjoncturel ». Le solde structurel est enfin la différence entre le solde effectif mesuré par les comptables nationaux et ce solde conjoncturel.

Par définition, le solde structurel est, en principe, indépendant de la conjoncture économique. Il résulte des mesures de politique économique relatives aux prélèvements obligatoires et aux dépenses publiques mises en œuvre par les gouvernements qui se sont succédés jusqu’à l’année considérée.

1)    La mesure du solde structurel est notoirement fragile

La principale fragilité du solde structurel réside dans la mesure du PIB potentiel, qui est précisée dans une autre fiche. Pour déterminer le PIB potentiel, les économistes sont obligés de s’appuyer assez largement sur des estimations de la tendance à long terme du PIB ou de certaines de ses composantes, notamment la productivité des facteurs de production. Le résultat dépend beaucoup de la période prise en compte pour estimer cette tendance et il peut changer fortement lorsque les années les plus récentes sont ajoutées à cette période, surtout si elles s’avèrent atypiques comme les années 2008 et 2009. En conséquence, les économistes sont amenés à réviser fréquemment leurs estimations du PIB potentiel, non seulement pour les années les plus récentes, mais aussi pour des périodes anciennes.

La mesure du solde structurel est donc elle-même fragile et sujette à révision. Il convient toutefois de rappeler que le solde structurel est également souvent revu non parce que le PIB potentiel est corrigé mais parce que le solde effectif est révisé : le déficit public de 1997 a été estimé par l’Insee à 3,0 % du PIB en 1998 et il est estimé aujourd’hui à 3,6 % du PIB[1].

En outre, le solde structurel n’est pas totalement indépendant de la conjoncture. En effet, il repose sur l’estimation du solde conjoncturel qui est lui-même calculé en supposant qu’une augmentation du PIB de 1,0 % entraîne une hausse des recettes publiques de 1,0 %. Or, si cette hypothèse est vérifiée en moyenne sur plusieurs années, elle ne l’est pas année par année : « l’élasticité des recettes publiques au PIB » (le rapport entre leurs taux de croissance) n’est pas toujours égale à 1,0 et elle est en partie cyclique. Le déficit structurel est en conséquence lui-même en partie cyclique[2].

Enfin, l’impact des « mesures ponctuelles et temporaires » de montant significatif est également déduit du solde effectif, comme le solde conjoncturel, pour mesurer le solde structurel. La justification en est simple : il ne faut pas que le solde structurel d’une année donnée puisse être amélioré ou dégradé par des mesures qui n’ont d’effet que sur cette seule année et ne se traduisent pas par une amélioration, ou une dégradation, durable des finances publiques. En pratique, il n’existe toutefois aucune définition consensuelle de ces mesures ponctuelles et temporaires.

2)    L’ordre de grandeur du déficit structurel de la France et de ses variations annuelles est néanmoins assez bien connu

La mesure du solde structurel d’un pays résultant de choix techniques pouvant être biaisés, elle ne peut pas être laissée sous la responsabilité de son gouvernement. C’est pourquoi les règles budgétaires européennes prévoient que l’estimation du solde structurel et de son évolution par les gouvernements soit placée sous la surveillance de « comités budgétaires indépendants ». En France, c’est une des missions du Haut Conseil des finances publiques.

Le projet de loi de programmation pour les années 2018 à 2022 repose sur une estimation du déficit structurel de 2016 à 2,5 % du PIB, qui repose elle-même sur un scénario de croissance potentielle considéré comme une « base raisonnable » par le Haut Conseil.

Le déficit structurel de 2016 de la France est estimé à 2,6 % du PIB par la Commission européenne, à 1,8 % par l’OCDE et à 1,9 % par le FMI et à 2,0 % par l’OFCE[3] (estimations du printemps 2017) Il y a donc tout lieu de penser qu’il est dans la fourchette 2,0 / 2,5 % du PIB, dont l’ampleur est relativement limitée.

L’incertitude est en général un peu moins grande sur la croissance potentielle, et donc la variation du solde structurel d’une année à l’autre, que sur le niveau du PIB potentiel, et donc du solde structurel. La réduction du déficit structurel de la France de 2015 à 2016 est ainsi de 0,2 ou 0,3 point de PIB selon les estimations.

Par ailleurs, si les évolutions du solde structurel sont en partie cycliques, ce n’est pas le cas d’un indicateur voisin, « l’effort structurel ». Celui-ci ne présente pas non plus un autre défaut du solde structurel : sa variation d’une année à l’autre ne peut pas être décomposé pour déterminer la contribution de mesures particulières de politique économique relatives aux dépenses publiques ou aux prélèvements obligatoires. Les contributions de ces mesures à l’effort structurel peuvent en revanche être estimées.

3)    Le solde structurel est un indicateur essentiel pour guider la politique budgétaire

L’examen du solde structurel a été introduit dans les procédures de suivi des finances publiques du pacte de stabilité et de croissance en 2005, après des erreurs de politique économique commises par les pays membres au tournant des années 2000 lorsque la croissance, gonflée par la « bulle Internet », était forte.

Dans cette conjoncture favorable, les déficits publics ont mécaniquement diminué et se sont souvent situés au-dessous du plafond de 3 % du PIB. De nombreux gouvernements, dont celui de la France, en ont conclu qu’ils pouvaient, sans risque de revenir au-dessus de ce plafond, réduire les prélèvements obligatoires ou augmenter les dépenses dans de fortes proportions[4].

Lorsque la conjoncture économique s’est retournée en 2002-2003, les déficits publics, notamment ceux de la France et de l’Allemagne, sont repartis à la hausse et sont devenus excessifs au sens du traité de Maastricht (supérieurs à 3,0 % du PIB).

Si ces pays avaient été contraints de réduire leur déficit structurel, malgré l’amélioration de leur solde effectif, ils se seraient trouvés en 2002 avec un solde effectif plus élevé et dans une situation beaucoup plus favorable pour gérer le ralentissement de l’activité économique.

Au début de 2010, le Conseil de l’Union européenne a recommandé à la France de ramener son déficit effectif au-dessous de 3,0 % du PIB en 2013. En 2013, il est apparu que la croissance du PIB était quasiment nulle et que cet objectif était impossible à atteindre, sauf à prendre des mesures drastiques de redressement qui risquaient d’entraîner une récession. Conformément aux règles européennes, la Commission et le Conseil ont alors accepté de repousser à 2015 le retour du déficit effectif sous le seuil de 3,0 % du PIB tout en demandant à la France une réduction de son déficit structurel beaucoup moins forte que celle qui aurait permis de ramener son déficit effectif au-dessous de 3,0 % du PIB dès 2013.

Dans une telle conjoncture, il est en effet plus pertinent de se donner un objectif raisonnable de réduction du déficit structurel qu’un objectif de réduction du déficit effectif imposant des mesures de redressement de nature à provoquer une baisse de l’activité économique de telle ampleur que cet objectif de déficit effectif en deviendrait inatteignable.

Au total, la politique budgétaire est mieux adaptée aux fluctuations conjoncturelles de l’activité lorsqu’elle se donne des objectifs d’évolution du solde structurel plutôt que des objectifs de solde effectif. Elle évite ainsi de réduire les prélèvements ou d’accroître les dépenses en haut de cycle, quand il faudrait faire l’inverse, ou d’augmenter les prélèvements et de réduire les dépenses en bas de cycle, quand il faudrait également faire l’inverse.

B)   La réduction du déficit structurel inscrite dans la loi de programmation est insuffisante au regard des règles européennes, sauf à en avoir une interprétation très flexible

Si le déficit public est ramené au-dessous de 3,0 % du PIB en 2017, la France sortira en 2018 de la situation de « déficit public excessif » et sera soumise aux dispositions du traité de 2012 sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) dans l’Union européenne ainsi qu’au « volet préventif » du pacte de stabilité et de croissance (PSC) qui précise les dispositions du traité de Maastricht.

Ces textes imposent aux Etats signataires de viser un « objectif de moyen terme » (OMT) de solde structurel proche de l’équilibre (son niveau dépendant notamment de l’importance de la dette publique). S’agissant de la France, l’OMT est un déficit structurel de 0,4 point de PIB et ne sera pas atteint en 2022.

Les textes européens ne fixent pas de délai pour atteindre l’OMT aux pays qui en sont encore éloignés, le TSCG évoquant seulement une « convergence rapide ». L’article 5 du règlement 1466/97, qui constitue un des éléments du PSC, précise néanmoins que le déficit structurel doit diminuer chaque année de 0,5 point de PIB « à titre de référence » (de plus de 0,5 point pour les pays dont la dette dépasse 60 % du PIB). Le projet de loi de programmation ne respecte pas cette règle puisque le déficit structurel diminuerait de 1,7 point en cinq ans.

L’ajustement structurel peut certes être plus faible si la conjoncture est défavorable. Toutefois, le Gouvernement prévoyant un écart de production nul au milieu de la période de programmation (en 2020), cet argument ne devrait pas pouvoir être invoqué.

L’article 5 ajoute que, pour apprécier la trajectoire budgétaire d’un Etat membre, la Commission et le Conseil peuvent tenir compte de la mise en œuvre de « réformes structurelles majeures » ayant des effets budgétaires positifs directs à long terme, y compris en renforçant la croissance potentielle. Encore faut-il, pour que s’applique cette « clause de flexibilité », qu’il existe une « marge de sécurité appropriée » entre le déficit effectif et 3,0 % du PIB. Or le projet de loi de programmation prévoit que le déficit effectif reviendra à 3,0 % du PIB en 2019, certes temporairement[5], et il n’y a donc aucune marge de sécurité.

L’article 5 ajoute enfin que le solde structurel doit atteindre l’OMT à la fin de la période de programmation pour que cette flexibilité puisse jouer (la réduction du déficit structurel peut donc être inférieure à 0,5 point de PIB sur une ou deux années à condition qu’elle soit supérieure au cours des années suivantes). Or le projet de loi de programmation ne prévoit pas d’atteindre l’OMT en 2022.

Dans son avis du 24 septembre 2017, le Haut Conseil des finances publiques a souligné que « la trajectoire envisagée s’écarte des engagements européens de la France ». Il faut en effet une interprétation souple des règles budgétaires européennes pour considérer que cette programmation les respecte. Ce sera peut-être néanmoins la position de la Commission et du Conseil mais, même dans ce cas, la crédibilité de la France en matière de finances publiques, risque d’être de nouveau amoindrie, ce qui pourrait rendre plus difficile de faire accepter certaines réformes, comme la création d’un budget de la zone euro qui ne soit pas seulement symbolique, par certains de nos partenaires.

C)    Une réduction plus rapide du déficit structurel est nécessaire pour améliorer la soutenabilité de la dette publique et limiter les risques à moyen terme

Indépendamment de son appartenance à l’Union européenne et du respect de ses règles budgétaires, la réduction de son déficit structurel est une nécessité pour la France.

La diminution du déficit structurel a certes un impact négatif à court terme sur l’activité économique et donc sur l’emploi. Mais c’est un effet temporaire, l’activité économique étant indépendante du niveau du déficit public à moyen terme, et les perspectives de croissance sont aujourd’hui assez robustes pour que cet effet négatif ne se fasse pas trop sentir sur l’emploi et le pouvoir d’achat. La France a trop souvent reporté à plus tard le redressement de ses finances publiques parce que la conjoncture n’était pas suffisamment favorable.

Elle ne doit pas refaire l’erreur, commise notamment au tournant des années 2000, de se contenter d’une réduction du déficit effectif qui résulte surtout de la croissance de l’activité et des recettes publiques. En effet, au prochain ralentissement conjoncturel, voire au prochain choc macroéconomique violent car il y en aura d’autres, le déficit et la dette publics repartiront à la hausse.

L’inévitable remontée des taux d’intérêt les fera également remonter dans les prochaines années. Une hausse de 1 point des taux d’intérêt à toutes les échéances accroît les charges de l’Etat d’environ 5 Md€ au bout de deux ans (et de 19 Md€ au bout de dix ans).

Le projet de loi de programmation pourrait nous faire commettre de nouveau cette erreur dans la mesure où la réduction du déficit effectif de 2016 à 2022 est quasiment pour moitié de nature conjoncturelle.

Personne ne peut dire à partir de quel niveau de dette publique les créanciers d’un Etat se mettent à douter de sa solvabilité et ajoutent des primes de risques insupportables au taux d’intérêt des emprunts d’Etat, créant ainsi les conditions d’une crise des finances publiques. Cela dépend de multiples paramètres comme l’endettement net vis-à-vis du reste du monde, les marges de hausse des prélèvements obligatoires ou encore la crédibilité de la politique économique. S’agissant de la France, la force de ses liens avec l’Allemagne est un critère essentiel aux yeux des investisseurs étrangers qui la protège efficacement.

Le franchissement éventuel du seuil de 100 % du PIB par la dette publique française dans les mois qui viennent n’aurait probablement aucun effet sur le taux des OAT, mais ces conditions favorables ne dureront pas indéfiniment. Si la dette continue à augmenter, les acteurs des marchés financiers finiront pas prendre peur et il faudra la réduire dans l’urgence. Ce sera d’autant plus difficile qu’elle aura atteint un niveau élevé car l’excédent primaire requis pour stabiliser la dette publique est proportionnel à son montant.

Pour ne pas prendre ce risque, ou le faire prendre aux générations futures, il faut réduire nettement et rapidement la dette publique, donc ramener les comptes publics à l’équilibre structurel plus vite que prévu dans le projet de loi de programmation.

 

[1] En grande partie en raison de changements méthodologiques.

[2] Le déficit structurel est ainsi souvent sous-estimé dans les périodes de forte croissance car son amélioration résulte alors pour partie d’une élasticité des recettes supérieure à 1,0 qui est de nature conjoncturelle.

[3] Compte-tenu d’un écart de production de 2,7 points de PIB.

[4] En France, des personnalités politiques et des médias ont alors évoqué l’existence d’une « cagnotte » dont le contenu pouvait être dépensé.

[5] Du fait de la transformation du CICE en allègements de charges : en 2019, les administrations publiques supporteront à la fois le coût du CICE sur les salaires de 2018 et la baisse des cotisations sur les salaires de 2019.

Revenir en haut de page