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01/08/2017

La réforme ou la suppression de la taxe d'habitation

François ECALLE

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D’après le programme d’En-Marche, « dès 2020, 4 français sur 5 ne paieront plus la taxe d’habitation et l’Etat remboursera entièrement auprès des communes leur manque à gagner, à l’euro près, en préservant leur autonomie fiscale ». Le discours de politique générale du Premier ministre annonce une concertation avec les collectivités locales sur une réforme de la taxe d’habitation devant permettre de rendre du pouvoir d’achat aux Français.

Lors de la conférence des territoires, le 17 juillet 2017, le Président de la République a précisé que la taxe d’habitation ferait l’objet, pour 80 % des ménages au bout de trois ans, d’un « mécanisme de dégrèvement qui permet la compensation financière pour les collectivités locales sans leur faire perdre la liberté de taux ». Admettant que « un impôt qui serait in fine payé par 20 % de la population, ce n’est pas un bon impôt », il a invité les élus locaux à une réflexion collective sur la suppression totale de la taxe d’habitation et son remplacement, éventuellement par une part d’un impôt national comme la CSG.

La taxe d’habitation (TH) est assise sur des valeurs cadastrales établies par l’administration qui sont totalement déconnectées des valeurs de marché. Elle est devenue un hybride très complexe et injuste d’impôt foncier, d’impôt sur le revenu et de loterie nationale. La meilleure réforme de la TH serait une réforme des valeurs cadastrales, mais pas comme l’envisage l’administration. Il faudrait les aligner progressivement sur les loyers ou les prix des transactions au fur et à mesure des changements de locataire ou de propriétaire. La suppression de la TH pour 80 ou 100 % des ménages rend la réforme des valeurs cadastrales encore plus improbable alors qu’elles constituent également l’assiette de la taxe foncière qui est payée par la plupart des 58 % de Français propriétaires de leur logement.

Supprimer la taxe d’habitation pour 80 % des ménages aurait deux inconvénients majeurs, outre celui qui a été avancé par le Président de la République et cité ci-dessus. D’abord, les contribuables qui franchiront le seuil de revenu au-delà duquel il n’y aura plus d’exonération subiront un fort choc fiscal, sauf si un dispositif complexe de lissage de ce choc est mis en place. Ensuite, soit la gestion des dégrèvements sera très difficile, soit l’Etat prendra entièrement à sa charge les exonérations de TH, ce qui incitera les communes à en relever le taux à son détriment et à celui des ménages non exonérés.

Il semble préférable de supprimer totalement la taxe d’habitation. Il faudrait alors la remplacer par une part d’un impôt national payé par la plupart des ménages et dont les communes pourraient moduler le taux, de sorte que le plus grand nombre de ménages ait conscience du coût des services publics locaux. Ce pourrait être un impôt additionnel à l’impôt sur le revenu, à un taux fixe appliqué dès le premier euro mais non prélevé à la source et donc pas la CSG. Il ne pourrait cependant pas concerner les résidences secondaires des étrangers, ce qui pourrait conduire à maintenir la TH sur toutes les résidences secondaires pour ne pas créer une discrimination entre Français et étrangers.

A)   La taxe d’habitation est un mélange complexe et injuste d’impôt foncier, d’impôt sur le revenu et de loterie nationale

L’administration détermine pour chaque logement une « surface pondérée totale » dont les coefficients de pondération et de majoration, selon la situation géographique et les éléments de confort par exemple, sont nombreux et complexes. Cette surface pondérée est ensuite multipliée par un « tarif au mètre carré » en fonction de l’état du logement (il y en a huit, de « somptueux » à « délabré »), ce qui permet d’obtenir la « valeur locative cadastrale ». Le tarif au mètre carré correspond à la valeur locative au mètre carré des logements qui étaient dans cet état dans la commune, ou la zone, concernée en 1970, dernière année de révision systématique de ces bases, multipliée par les « coefficients de revalorisation des bases » votés chaque année par le Parlement de 1970 à 2017. Un seul coefficient est voté chaque année et s’applique à tous les logements sur tout le territoire.

La valeur locative cadastrale résulte donc d’une classification et de prix datant de 1970 qui sont devenus parfois totalement obsolètes. Par rapport à la valeur de marché, elle peut être très fortement sur ou sous-évaluée suivant, par exemple, que les prix du foncier ont plus ou moins augmenté dans la zone concernée par rapport au coefficient de revalorisation national.

Les caractéristiques des biens dans les fichiers de l’administration sont modifiées si des changements de consistance donnent lieu à un permis de construire, en théorie mais pas toujours en pratique. Elles le sont parfois également sur la base de questionnaires envoyés aux propriétaires dans le cadre de rares « vérifications sélectives de locaux ». Elles ne sont pas vraiment contrôlées, l’administration ne pouvant pas pénétrer dans les locaux sans autorisation du propriétaire. La valeur locative repose donc souvent sur des caractéristiques déclaratives et anciennes qui peuvent n’avoir plus aucun rapport avec la réalité.

La taxe d’habitation (TH) est due pour une année donnée par les occupants au 1er janvier de tous les locaux meublés affectés à l’habitation, qu’ils en soient propriétaires ou locataires. Elle est calculée par les services fiscaux en appliquant le taux voté par la commune ou l’intercommunalité à la « valeur locative nette ». Celle-ci est égale à la valeur locative cadastrale diminuée du fait de divers abattements décidés par l’Etat ou la collectivité locale. Les principaux abattements correspondent, pour la résidence principale, aux charges de famille (nombre d’enfants notamment) ou sont accordés à des personnes handicapées.

Dans son rapport public annuel de 2009, la Cour des comptes a souligné que ces bases cadastrales sont « obsolètes et inéquitables » et qu’elles sont déterminées à l’issue d’une procédure « complexe et opaque ». Un rapport publié en janvier 2017 sur la fiscalité directe locale montre que la situation n’a pas changé. La taxe d’habitation, comme les taxes foncières, est incompréhensible et injuste. Ces impôts peuvent peser très lourdement sur des ménages dont le logement est fortement surévalué par l’administration fiscale.

De nombreuses dispositions ont ainsi été créées pour que les ménages modestes ne supportent pas un prélèvement incompatible avec leur revenu. Elles permettent notamment d’exonérer de TH certains foyers dont le revenu fiscal de référence est faible (inférieur à 10 700 € pour un célibataire). Par ailleurs, la TH est plafonnée, après abattements pour charges de famille, à 3,44 % du revenu de l’année précédente, pour les ménages dont le revenu est au-dessous d’un autre revenu fiscal de référence (25 200 € pour une personne seule).

Une légère hausse du revenu fiscal de référence peut conduire à passer au-dessus du seuil d’exonération ou de plafonnement et à devoir s’acquitter d’une TH relativement importante. Pour éviter ces effets de seuil, la loi de finances initiale pour 2016 a instauré un dispositif de lissage de la première imposition à la taxe d’habitation.

Au total, selon un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de 2011, les ménages appartenant au premier décile de revenus ne payent pratiquement aucune TH. Celle-ci est ensuite « progressive » jusqu’au quatrième décile (le rapport entre la TH et le revenu croît avec le revenu), puis proportionnelle jusqu’au sixième décile et enfin « dégressive » au sommet de la distribution des revenus (le rapport entre la TH et le revenu est décroissant).

Les taux de la taxe d’habitation sont fixés par les communes ou leurs groupements et sont très variables d’un endroit à l’autre, selon les besoins et les choix des collectivités en matière de dépenses publiques et de fiscalité. La disparité des taux de TH selon les collectivités n’est donc pas particulièrement critiquable dans la mesure où elle résulte de ces besoins et choix.

B)   La meilleure réforme serait celle des valeurs cadastrales, mais pas comme l’envisage l’administration, et elle restera nécessaire pour asseoir les taxes foncières sur des bases satisfaisantes

En 1990, à l’issue de deux années d’un travail approfondi, l’administration avait procédé à une révision systématique des valeurs cadastrales sur l’ensemble du territoire. Ces nouvelles bases n’ont cependant pas été appliquées car le rapport présenté au Parlement a montré qu’elles entraîneraient, à rendement inchangé des impôts locaux, des transferts très importants entre les contribuables (également entre les collectivités locales mais celles-ci peuvent les compenser par des variations de taux). Il y a eu des velléités de réforme dans les années 1990 à 2013 mais elles n’ont pas plus prospéré.

La loi de finances rectificative du 29 décembre 2013 a prévu une nouvelle révision des valeurs cadastrales des logements sur la base d’un tarif au mètre carré dépendant de leur secteur géographique et de leurs caractéristiques. Dans cinq départements, les propriétaires bailleurs (mais pas les propriétaires occupants) devaient déclarer les caractéristiques de leurs biens (77 % l’ont fait) et, sur cette base, la direction générale des finances publiques (DGFIP) devait évaluer l’impact de la révision et en faire rapport au Parlement en septembre 2015.

Ce rapport, remis en février 2017, analyse l’impact de la révision envisagée sur la seule taxe foncière. Il précise en effet que ce serait plus difficile pour la TH compte-tenu de ses caractéristiques, notamment la prise en compte des revenus des ménages. La sectorisation géographique des logements retenue est fragile, les frontières entre secteurs étant assez arbitraires, et les caractéristiques prises en compte se limitent aux suivantes (sans prise en compte de l’entretien des locaux) : surface ; maison ou appartement ; secteur privé ou social.

Ce rapport montre que les transferts entre propriétaires pourraient être considérables. Les maisons de 65 à 74 m² du parc privé pourraient voir leur taxe foncière majorée de 26 % en moyenne et les appartements de 80 à 89 m² la voir minorée de 16 %. Il y a fort à parier que cette réforme n’aura pas lieu ou qu’elle nécessitera des modalités d’accompagnement et de transition, comme pour la révision des valeurs cadastrales des locaux professionnels prévue à l’automne 2017, qui rendront les impôts fonciers locaux encore plus incompréhensibles.

En outre, à supposer même que ces nouvelles valeurs cadastrales soient mises en œuvre, il est probable qu’elles seront ensuite actualisées forfaitairement, comme aujourd’hui, ou en utilisant des coefficients de revalorisation par grandes catégories de biens ou zones géographiques qui ne reflèteront pas mieux l’hétérogénéité des évolutions des prix de marché. Dix ans après leur révision, elles seront de nouveau obsolètes.

Plutôt que d’essayer vainement d’appliquer systématiquement des valeurs cadastrales établies sur la base de critères administratifs qui ne reflèteront jamais la réalité du marché immobilier, il faudrait admettre que la seule valeur observable et incontestable est celle retenue par les parties dans un contrat de bail ou de vente.

Les impôts fonciers dus sur un bien immobilier devraient être assis sur le loyer effectivement payé ou sur le prix enregistré à l’occasion de la dernière mutation. Le passage des anciennes aux nouvelles bases pourrait se faire progressivement à l’occasion des changements de propriétaire ou de locataire. Cette proposition de réforme est présentée en détail dans une note d’analyse de ce site.

Que la taxe d’habitation soit supprimée pour 80 ou 100 % des ménages, les propriétaires de leur logement, soit 58 % des ménages, continueront pour la plupart (il existe quelques cas d’exonération) à être soumis à une taxe foncière assise sur les mêmes valeurs cadastrales obsolètes qu’il sera toujours nécessaire de réviser. La taxe foncière concernant toutefois moins de ménages, cette révision, forcément difficile, risque d’être indéfiniment reportée.

C)    Supprimer la taxe d’habitation pour 80 % des ménages pose au moins deux importants problèmes techniques

1)    Un fort effet de seuil ne pouvant être atténué qu’au prix d’une forte complexité

Pour exonérer 80 % des ménages, le Gouvernement devra définir le revenu pris en compte, le plus simple étant de retenir le revenu fiscal de référence du ménage habitant le logement en le divisant par le nombre de parts. Il devra ensuite fixer le seuil d’exonération à la limite du dernier quintile obtenu en classant les ménages dans l’ordre croissant selon ce critère.

Les contribuables qui franchiront ce seuil en gagnant quelques euros de plus devront payer une taxe d’habitation qui pourra représenter quelques centaines d’euros. Se trouvant à la limite du dernier quintile de revenu, ils habitent en effet généralement des logements pour lesquels la TH est plutôt élevée. Un dispositif de lissage de ce choc sera sans doute mis en place avec, par exemple, le paiement de 25 % de l’impôt dû l’année de franchissement du seuil puis 50 % l’année suivante etc.

Toutefois, un tel mécanisme ne peut que lisser l’effet de seuil sans le supprimer et peut devenir très compliqué lorsque les franchissements du seuil, dans un sens ou dans l’autre, sont temporaires. Il faudrait alors compléter le dispositif en ne prenant en compte que la moyenne des revenus sur plusieurs années.

2)    Un mécanisme de dégrèvement difficile à gérer, sauf à faire payer par l’Etat les augmentations de TH dues à la hausse des taux

Si la technique du dégrèvement est appliquée, l’Etat calcule d’abord la TH due par chaque contribuable en appliquant le taux voté par la commune (ou le groupement de communes) à la valeur cadastrale de son logement, avant dégrèvement. Il garantit ensuite à la commune qu’il lui versera le montant de la TH ainsi calculée pour tous les logements sur son territoire. Enfin, ses services prélèvent le montant de cette TH, net des dégrèvements, sur le contribuable. Si le dégrèvement porte sur l’intégralité de la TH, le contribuable ne paye rien. C’est donc l’Etat qui supporte le coût des dégrèvements d’impôts locaux, du moins ceux qu’il décide lui-même. Ce coût, qui correspond à la différence entre le montant perçu par les collectivités locales et celui payé par les contribuables, est imputé sur la mission « remboursements et dégrèvements » du budget général.

En application de l’article 72-2 de la Constitution, qui pose un « principe d’autonomie financière des collectivités territoriales », et d’une loi organique de 2004 qui en précise les conditions, les recettes fiscales des communes et de leurs groupements et leurs « autres ressources propres » (redevances pour services rendus…) doivent être supérieures à 61 % de leurs recettes totales. La technique du dégrèvement permet de maintenir constant ce ratio de ressources propres alors que, si la mesure prenait la forme d’une « exonération », elle serait compensée par une dotation forfaitaire de l’Etat, donc pas forcément égale à la recette que la commune aurait tirée de la TH et non considérée comme une ressource propre. La perte de de recettes fiscales pour les communes ferait alors passer ce ratio au-dessous de 61 % (57 % si le coût est de 11,5 Md€ ; cf. plus loin).

La technique du dégrèvement a pour défaut de déresponsabiliser les collectivités locales. En effet, si l’Etat prend en charge les impôts locaux à la place des ménages, elles sont incitées à en augmenter le taux, n’ayant pas à craindre de réactions des électeurs, au détriment de l’Etat.

Le Gouvernement a donc laissé entendre que la part de la TH due par les contribuables et résultant d’une hausse des taux pourrait ne pas être prise en charge par l’Etat. C’est techniquement possible mais difficile à mettre en œuvre car cela obligerait les services du ministère des finances à prélever des montants très faibles sur les contribuables. Sur une TH de 500 €, une hausse de 1 % résultant du relèvement du taux communal conduirait à prélever 5 €. Or le seuil au-dessous duquel l’administration s’abstient de prélever un impôt direct est de 61 € pour l’impôt sur le revenu et 12 € pour les autres impôts directs parce que le coût de gestion des prélèvements est probablement plus élevé.

Il est donc fort probable que l’Etat ne prélèvera pas la part de TH correspondant à la hausse des taux, car le coût de gestion serait plus élevé, mais qu’il en versera néanmoins le montant aux collectivités locales puisque le Président de la République s’est engagé à compenser leurs pertes « sans leur faire perdre la liberté de taux ». En pratique, il est donc très probable que l’Etat prendra entièrement à sa charge les exonérations de taxe d’habitation, ce qui incitera les communes à en relever le taux à son détriment et à celui des ménages non exonérés.

D)   La taxe d’habitation pourrait être remplacée par une taxe additionnelle à l’impôt sur le revenu

1)    Le coût d’une suppression complète pour les finances publiques impose de trouver un impôt de remplacement

Selon la direction générale des collectivités locales, la TH a rapporté 21,9 Md€ aux collectivités locales en 2016 auxquels s’ajoutent une dotation forfaitaire de l’Etat (1,5 Md€ en 2015) correspondant en principe au coût de l’exonération accordée aux contribuables les plus modestes. Sur les 21,9 Md€ reçus par les communes et leurs groupements, 3,8 Md€ (en 2015) ne sont pas payés par les ménages mais par l’Etat à travers les dégrèvements qu’il leur accorde, notamment au titre du plafonnement de la TH en fonction de leur revenu. La TH payée par les ménages s’élève donc à environ 18,1 Md€ en 2016. Comme le notait déjà un rapport d’information du Sénat en 2003, la taxe d’habitation n’est plus un vrai impôt local, un grand nombre de contribuables ne payant pas ou ne payant que partiellement cet impôt.

Le « portrait social » de 2016 de l’Insee répartit les ménages par quintile de niveau de vie (revenu du ménage divisé par un indicateur de sa taille) et indique pour chaque quintile le niveau de vie avant redistribution par les prélèvements obligatoires et les prestations sociales ainsi que les montants moyens payés et reçus au titre de chacun de ces prélèvements et prestations. Il en ressort que les 20 % de ménages les plus aisés acquittent 6,4 Md€ de TH. Le montant payé par les autres ménages, qui correspond à la perte pour les administrations publiques, est donc de 11,7 Md€.

Le coût de la réforme pourrait donc être supérieur aux 10 Md€ inscrits dans le programme d’En-Marche mais le calcul précédent n’intègre sans doute pas tous ses paramètres, encore peu détaillés, par exemple le traitement des résidences secondaires[1].

Si la TH est totalement supprimée, la perte de recettes pour les administrations publiques sera de 18,1 Md€, soit 8,1 Md€ de plus que les 10 Md€ annoncés. Or, comme le montre un billet précédent, l’évolution du déficit public prévue par le Gouvernement pour 2017-2020 repose sur un objectif de quasi-stabilisation des dépenses en volume qui sera très difficile à atteindre. Il est donc très peu probable que des économies plus importantes soient réalisées, ce qui implique, à déficit prévu inchangé, de créer un impôt additionnel dont le rendement soit de 18 Md€ si la TH est complètement supprimée[2].

2)    Les maires devraient pouvoir moduler le taux de l’impôt de substitution, qui doit être prélevé sur les ménages

D’abord, la TH doit être remplacée par un autre impôt sur les ménages et non par un prélèvement sur les entreprises pour ne pas dégrader la compétitivité de celles-ci.

Ensuite, la taxe d’habitation est affectée aux communes et à leurs groupements à fiscalité propre. Les maires voudront très probablement qu’elle soit remplacée par un impôt dont ils maîtrisent le taux, ce qui est justifié pour les raisons suivantes.

Les communes doivent pouvoir fixer le taux d’une partie des impôts qu’elles reçoivent pour adapter leurs dépenses aux besoins et aux préférences de leurs habitants. En théorie, elles risquent de perdre des résidents, ménages ou entreprises, si les services publics offerts ne sont pas à la hauteur des impôts prélevés. En pratique, cette « concurrence fiscale » joue assez mal et l’autonomie fiscale des maires doit être limitée, mais une certaine marge de modulation des taux des impôts locaux est souhaitable.

Pour contenir la demande de services publics ou de prestations sociales supplémentaires émanant de leurs électeurs, les maires doivent pouvoir mettre en avant la hausse des impôts locaux qui en résulterait. Pour que cet argument ait une réelle portée, encore faut-il que le plus grand nombre de ménages paye un impôt local et en soit conscient.

En pratique, pour que les maires puissent moduler le taux d’un impôt, il faut que l’assiette ou le redevable de cet impôt soient localisables sur le territoire de la commune ou de son groupement. Il faut aussi que cette assiette ou ces redevables soient répartis sur l’ensemble du territoire de sorte qu’il ne soit pas nécessaire de mettre en place des dispositifs de péréquation des ressources trop importants et complexes entre les communes.

3)    La TH pourrait être remplacée par une taxe additionnelle sur le revenu

L’assiette des impôts fonciers est localisable sur le territoire d’une commune et les maires peuvent donc en moduler le taux. Leur utilisation est en outre souvent recommandée par les économistes car ils ne dégradent pas la compétitivité d’un pays.

Si la taxe d’habitation est supprimée, il reste les taxes foncières, partagées entre le secteur communal (58 %) et les départements (42 %). Elles reposent toutefois sur les mêmes valeurs cadastrales obsolètes et injustes que la TH, ce qui les disqualifie tant que ces valeurs cadastrales n’ont pas été révisées. En outre, elles ne sont dues que par les propriétaires, soit seulement un peu plus de la moitié des ménages.

Les droits de mutation à titre onéreux sont assis sur les valeurs de marché mais ce sont des impôts « en cascade » qui freinent la mobilité et dégradent donc le fonctionnement du marché du travail (cf. fiche). L’imposition des plus-values immobilières repose également sur les prix des mutations et ne perturbe pas le marché du travail mais son rendement est beaucoup trop volatile pour être affecté aux collectivités locales.

Certains impôts sur la consommation sont affectés à des collectivités locales avec un pouvoir de modulation des taux. C’est notamment le cas de la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques dont une part est affectée aux régions. Elle peut toutefois difficilement être affectée à des collectivités de rang inférieur car des taux différents d’une zone à l’autre entraînent des déplacements de la consommation qui deviendraient alors trop importants.

Une taxe sur les salaires, payée par les salariés, pourraient être répartie entre les communes en fonction de l’adresse de l’établissement de rattachement du salarié, mais il n’y a pas de raison pour que seuls les salariés payent des impôts locaux. Il faudrait donc également taxer les pensions, les revenus des indépendants, voire les revenus du capital, ce qui conduit à envisager un impôt sur le revenu.

Le Président de la République a ainsi évoqué la CSG ou la CRDS. S’agissant de la CSG, il faudrait en majorer le taux pour en affecter une partie aux communes sans priver la sécurité sociale d’une recette. S’agissant de la CRDS, elle doit être supprimée lorsque la CADES aura remboursé toutes ses dettes, en théorie avant 2025. Cette échéance a toutefois déjà été reportée plusieurs fois et il est fort probable qu’elle le soit de nouveau.

Surtout, la CSG et la CRDS ne sont pas des substituts satisfaisants de la TH parce qu’elles sont prélevées à la source et qu’il serait pour cette raison très difficile de donner aux maires le pouvoir de moduler leur taux. En effet, cela voudrait dire qu’il y aurait plusieurs milliers de taux de CSG ou de CRDS en France et que les employeurs devraient prélever pour chaque salarié un taux de CSG ou de CRDS différent selon son domicile.

La gestion de plusieurs milliers de taux de prélèvement par les entreprises est envisageable puisque ce serait le cas si la retenue à la source de l’impôt sur le revenu était mise en œuvre. En effet, chaque salarié aurait son propre taux de prélèvement à la source, en fonction du revenu total de son foyer. Ce serait toutefois un très lourd fardeau administratif pour les entreprises, surtout pour les plus petites. La gestion d’un prélèvement avec de multiples taux ne peut raisonnablement être confiée qu’à la direction générale des finances publiques, ce qui est déjà le cas s’agissant des taxes d’habitation ou foncières.

Au total, la meilleure solution serait d’ajouter une taxe additionnelle à l’impôt sur le revenu, non prélevée à la source, et d’affecter le montant dû par chaque contribuable à la commune de sa résidence[3]. Les communes devraient être obligées de voter un taux unique, appliquée dès le premier euro de revenu et conférant à cette taxe additionnelle un caractère proportionnel.

Comme la TH est progressive jusqu’au quatrième décile puis proportionnelle jusqu’au sixième et dégressive ensuite (cf. plus haut), le remplacement à rendement constant de la TH par un impôt proportionnel au revenu se traduirait par une perte financière pour les ménages les plus pauvres et les plus riches. Une exonération de taxe additionnelle pour les ménages ayant les plus faibles revenus pourrait être envisagée.

Une telle réforme augmenterait le poids des impôts sur le revenu en France, mais il est inférieur à la moyenne de l’Union européenne, même en incluant la CSG et la CRDS.

4)    Cette taxe additionnelle ne pourrait pas s’appliquer aux résidences secondaires des étrangers, voire des Français

Si le ménage occupe une ou plusieurs résidences secondaires, il pourrait avoir à payer la taxe additionnelle autant de fois qu’il a de résidences et, pour chacune d’elles, au taux voté par la commune. Ce serait toutefois contestable car les résidences secondaires ont souvent une valeur inférieure à celle des résidences principales et mobilisent moins de services publics locaux. La loi pourrait alors prévoir un taux spécifique aux résidences secondaires égal à une certaine fraction de celui des résidences principales, fraction déterminée de sorte de minimiser la redistribution opérée par la réforme entre les ménages et les communes.

Le problème posé par les résidences secondaires des étrangers est beaucoup plus difficile puisqu’il n’est pas possible de prélever un impôt sur leurs revenus. Comme la valeur cadastrale de leur logement sera toujours établie pour asseoir la taxe foncière, il est envisageable de leur faire payer une taxe spécifique assise sur cette valeur cadastrale. Une imposition différente des logements occupés par les Français et les autres européens pourrait toutefois être contestée par la Cour de justice de l’Union européenne. Le même problème se posera d’ailleurs pour l’exonération de 80 % des ménages si elle est fondée sur leurs revenus et ne peut donc pas s’appliquer aux étrangers occupant une résidence secondaire.

La seule solution est probablement de maintenir la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, qu’elles soient occupées par des français ou des étrangers.


[1] Il est probable qu’elles ne seront pas concernées mais elles appartiennent surtout aux ménages du dernier quintile et cela ne devrait donc pas beaucoup réduire le coût de 11,5 Md€ indiqué ci-dessus.

[2] Il faut affecter un impôt de 18 Md€ aux communes à la place de la TH pour compenser leur perte et en réduire un autre impôt de 10 Md€ pour que les ménages voient leur pouvoir d’achat augmenter de 10 Md€.

[3] Une taxe départementale sur le revenu a été votée en 1990 pour remplacer la part départementale de la taxe d’habitation mais elle n’a pas été appliquée et a été abandonnée par la majorité suivante.

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