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03/11/2020

La répartition des emplois publics sur le territoire en 2018

François ECALLE

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Pour de nombreux commentateurs de la vie politique, le mouvement des gilets jaunes a traduit pour partie la souffrance d’une France rurale qui se sent abandonnée, en particulier parce qu’elle voit disparaître les services publics. En conséquence, le Gouvernement a annoncé le transfert de services de l’Etat hors de la région parisienne. Dans ce contexte, ce billet examine si la répartition des emplois publics sur le territoire correspondait aux besoins de la population en 2018 en s’appuyant sur les « taux d’administration », rapports entre le nombre de fonctionnaires et le nombre d’habitants, qui sont publiés dans des fichiers annexés au rapport annuel sur l’état de la fonction publique.

Le taux d’administration est un indicateur certes fruste de l’adéquation des emplois publics aux besoins mais il est mesuré avec précision et rapidement disponible. Il est en moyenne de 73 agents publics civils pour 1 000 habitants en 2018. Il est très différent d’une région à l’autre et, encore plus, d’un département à l’autre. Il est particulièrement élevé Outre-mer (87 pour 1 000), en Ile-de-France (82) du fait des administrations centrales et en Corse (82), malgré la faiblesse des emplois hospitaliers dans ces deux régions.  

Si on met à part les régions qui présentent des taux atypiques (DOM et Corse ; Ile-de-France pour les fonctionnaires de l’Etat), l’écart est de 19 % entre la région la plus pourvue en fonctionnaires civils de l’Etat (PACA) et la moins pourvue (Pays-de-la-Loire) ; il est de 47 % entre la région la plus dotée en fonctionnaires publics locaux (PACA) et la moins dotée (Grand-Est) ; il est de 50 % entre la région la plus pourvue en fonctionnaires hospitaliers (Bourgogne-Franche-Comté) et la moins pourvue (Ile-de-France).

Le rapport entre les taux d’administration le plus fort et le plus faible par département, hors Paris, est d’environ 2 à 1, pour l’ensemble des trois fonctions publiques et les fonctions publiques d’Etat et locale, et d’environ 3 à 1 pour les effectifs des hôpitaux.

Au vu de ces observations, la répartition des emplois publics ne semble pas correspondre aux besoins et le principe d’égalité devant le service public ne parait pas respecté. Hors Ile-de-France, la répartition des fonctionnaires civils de l’Etat répond toutefois un peu mieux aux besoins que celle des fonctionnaires locaux et hospitaliers.

Ces statistiques montrent également que les départements ruraux ne sont pas systématiquement défavorisés ; ils apparaissent notamment mieux pourvus en emplois publics hospitaliers que ceux de la région parisienne. La répartition géographique des emplois des collectivités locales est surtout marquée par leur héliotropisme.

Dans une note de juin 2019, France Stratégie a présenté une analyse approfondie de la répartition des fonctionnaires par zones d’emploi en distinguant l’emploi public « local », qui regroupe les services à destination des usagers proches, et « non local ». Ses conclusions, présentées à la fin de ce billet, sont cohérentes avec les observations précédentes. Cette note fait en outre apparaître que les zones dynamiques sont relativement moins bien dotées en emplois éducatifs et hospitaliers parce que ces services publics s’ajustent aux évolutions démographiques avec une certaine inertie.

A) Les critères permettant d’apprécier la répartition géographique des emplois publics

Dans une conception très simple, le principe d’égalité des citoyens devant le service public voudrait que les services publics soient répartis entre les zones géographiques en fonction de leur population, chacun ayant alors un accès égal à ces services.

L’accès aux services publics est toutefois une notion complexe dont la mesure est difficile. Il pourrait, par exemple, être mesuré en considérant la distance moyenne parcourue par la population pour se rendre dans les locaux de l’administration ou encore le temps moyen de traitement des dossiers. Le nombre de fonctionnaire dans la zone concernée, qui peut être ventilé entre les trois fonctions publiques, en est un indicateur synthétique certes discutable mais dont l’avantage est d’être mesuré rapidement et avec précision à un niveau géographique fin.

Dans une conception plus ambitieuse du principe d’égalité, la quantité de services publics ne doit pas seulement dépendre du nombre d’habitants de la zone géographique considérée mais aussi de besoins spécifiques liés par exemple aux caractéristiques physiques du territoire (zone de montagne…) ou aux caractéristiques sociales de la population (pyramide des âges, niveau de qualification etc.). La définition des besoins à prendre en compte est en outre spécifique à chaque catégorie de service public (éducation, santé…). Le nombre d’habitants est néanmoins, comme le nombre d’agents publics, un indicateur synthétique simple qui a au moins le mérite d’être connu rapidement et avec précision à un niveau géographique fin.

Le « taux d’administration », qui rapporte l’emploi public au nombre d’habitants, est finalement un critère simple et fiable qui a une certaine pertinence, même s’il fait l’impasse sur les réserves précédentes ou encore sur les différences de productivité des emplois publics d’une région à l’autre. Il peut et doit être décomposé entre les trois fonctions publiques car la localisation des agents de l’Etat est plus concentrée dans certaines zones, notamment l’Ile-de-France, car ils rendent pour partie des services d’intérêt national.

La répartition des emplois publics sur le territoire a fait l’objet d’une analyse approfondie dans une note de France Stratégie en juin 2019. Elle distingue l’emploi public « local », qui regroupe les services à destination des usagers proches, et l’emploi public « non local », qui comprend la défense, la justice, l’enseignement supérieur et la recherche, les directions locales ou centrales des ministères, les sièges des collectivités territoriales (22 % du total). L’analyse porte en outre sur les zones d’emplois, plus petites et plus homogènes que les départements.

B) La répartition géographique des emplois publics

1) L’ensemble des trois fonctions publiques

Le taux d’administration pour l’ensemble des trois fonctions publiques est en moyenne de 73,1 agents (civils) pour 1 000 habitants en 2018. Il est nettement plus élevé dans les régions d’Outre-mer (87,4). Deux régions métropolitaines se distinguent : l’Ile-de-France (81,8), en raison de la forte concentration de services centraux de l’Etat en région parisienne, et la Corse (81,5) pour des raisons moins évidentes.

Hors DOM, Ile-de-France et Corse, il reste un écart de 16 % entre les régions les plus pourvues en agents publics, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Nouvelle-aquitaine (74,2 agents pour 1 000 habitants), et la région la moins pourvue, les Pays-de-la-Loire (64,2).

Source : rapport de 2020 sur l’état de la fonction publique ; FIPECO.

Au niveau départemental, les écarts sont bien plus forts. Hors DOM, Paris et Corse, l’éventail des taux d’administration va de 46,2 agents pour 1 000 habitants dans l’Ain à 92,8 dans la Haute-Vienne, soit un rapport de deux à un.

Les taux d’administration les plus forts (hors Paris) et les plus faibles

Les plus forts

Les plus faibles

Départements

Taux

Départements

Taux

Corse du sud

103,1

Ain

46,2

Martinique

99,6

Haute-Saône

49,3

Guadeloupe

93,4

Eure

55,6

Haute-Vienne

92,8

Vendée

55,9

Vienne

89,7

Oise

56,7

SouSource : rapport de 2020 sur l’état de la fonction publique ; FIPECO.rce : rapport de 2020 sur l’état de la fonction publique ; FIPECO.

Ces écarts peuvent résulter de l’implantation de services publics non locaux, qui relèvent surtout de l’Etat, au sens de l’étude précitée de France Stratégie.

2) La fonction publique civile d’Etat

Le taux d’administration par les fonctionnaires civils de l’Etat est en moyenne de 30,6 agents pour 1 000 habitants et de 36,1 dans les DOM. En métropole, l’Ile-de-France se distingue avec un ratio de 40,8 ; hors Ile-de-France, l’écart est de 20 % entre la Corse (30,0) et les Pays-de-la-Loire (25,0) ou de 19 % entre la région PACA (29,7) et les Pays-de-la-Loire.

Source : rapport de 2020 sur l’état de la fonction publique ; FIPECO.

Au niveau des départements (hors Paris où le taux d’administration est de 83,8), le rapport est de 2,4 à 1 entre celui où ce taux est le plus élevé, la Guyane (42,8) et celui où il est le plus faible, la Vendée (17,7). Si on met de côté la Guyane, le taux le plus élevé est en Ille-et-Vilaine (38,1) et le rapport entre les extrêmes est d’un peu plus que deux à un.

Les taux d’administration civile par l’Etat les plus forts (hors Paris) et les plus faibles

Les plus forts

Les plus faibles

Départements

Taux

Départements

Taux

Guyane

42,8

Vendée

17,7

Ille-et-Vilaine

38,1

Ardèche

19,5

Haute-Garonne

37,9

Ain

19,7

Rhône

37,1

Haute-Savoie

19,8

Guadeloupe

37,1

Deux-Sèvres

20,3

SourcSource : rapport de 2020 sur l’état de la fonction publique ; FIPECO.e : rapport de 2020 sur l’état de la fonction publique ; FIPECO.

Environ 40 % des effectifs civils de l’Etat sont non locaux au sens de l’étude de France Stratégie et expliquent une part très importante des écarts entre régions et entre départements. Ces emplois non locaux sont plutôt concentrés dans les métropoles.

En revanche, les emplois locaux de l’Etat, notamment dans l’enseignement primaire et secondaire, sont répartis de manière plus homogène, qu’on les rapporte au nombre total d’habitants ou au nombre d’habitants de moins de 16 ans. Une analyse économétrique montre que les taux d’administration dans l’enseignement sont plus élevés dans les zones plus pauvres et moins dynamiques sur le plan démographique, les postes d’enseignants pourvus ne suivant qu’avec retard les évolutions démographiques.

3) La fonction publique territoriale

Le taux d’administration de la fonction publique territoriale est en moyenne de 26,1 agents pour 1 000 habitants. Il est considérablement plus élevé dans les DOM (36,2). En métropole, la Corse se distingue de nouveau avec un taux de 36,1. Hors Corse, l’écart est de 47 % entre la région la plus pourvue, PACA (30,4) et la région la moins pourvue, Grand-Est (20,7). La répartition de la fonction publique territoriale est marquée par son héliotropisme : les huit régions les plus administrées (y compris DOM et Corse) sont au sud.

Source : rapport de 2020 sur l’état de la fonction publique ; FIPECO.

Les écarts entre départements sont bien plus importants. Hors DOM et Corse, le rapport est en particulier de plus que deux à un entre les Landes (34,7) et l’Ain (16,4).

L’étude de France Stratégie note cependant que la répartition des emplois « locaux » des collectivités territoriales (c’est-à-dire hors services centraux des régions et départements) est plus homogène au niveau de la zone d’emploi. Une analyse économétrique montre que les taux d’administration sont surtout déterminés par la taille de l’agglomération principale de la zone d’emploi, sa richesse mesurée par son « potentiel financier »[1] et un clivage entre le Sud de la France et l’Ile-de-France, d’un côté, et le reste du territoire, de l’autre côté.

Les taux d’administration par la fonction publique locale les plus forts

(hors DOM et Corse) et les plus faibles

Les plus forts

Les plus faibles

Départements

Taux

Départements

Taux

Landes

34,7

Ain

16,4

Alpes-Maritimes

33,9

Haute-Saône

16,9

Paris

34,4

Haut-Rhin

17,5

Alpes de Haute Provence

33,5

Oise

19,1

Aude

32,5

Bas-Rhin

20,2

SourSource : rapport de 2020 sur l’état de la fonction publique ; FIPECO.ce : rapport de 2020 sur l’état de la fonction publique ; FIPECO.

4) La fonction publique hospitalière

Le taux d’administration de la fonction publique hospitalière est en moyenne de 16,4 agents pour 1 000 habitants et il est plus faible dans les DOM (15,0). La Réunion est la région où le taux d’administration hospitalière est le plus faible (11,4) et la Martinique celle où il est le plus élevé (22,2).

Hors DOM, c’est en Ile-de-France que le taux d’administration est le plus faible (13,7) et il est parmi les plus faibles en Corse (15,5). L’écart est de 50 % entre la région où le taux est le plus élevé, Bourgogne-Franche-Comté (20,5), et l’Ile-de-France où il est le plus faible. En incluant les DOM, l’écart est de presque deux à un (entre la Martinique et La Réunion).

Source : rapport de 2020 sur l’état de la fonction publique ; FIPECO.

Au niveau départemental, hors DOM, le rapport est d’environ 3 à 1 entre le département où le taux d’administration est le plus fort, la Haute-Vienne (29,0), et celui où il est le plus faible, la Seine-et-Marne (9,3 agents pour 1 000 habitants).

Les taux d’administration hospitalière les plus forts et les plus faibles (hors DOM)

Les plus forts

Les plus faibles

Départements

Taux

Départements

Taux

Haute-Vienne

29,0

Seine-et-Marne

9,3

Creuse

28,0

Essonne

9,4

Allier

26,5

Seine-Saint-Denis

10,0

Territoire de Belfort

26,1

Ain

10,1

Paris

25,8

Hauts-de-Seine

10,2

SoSource : rapport de 2020 sur l’état de la fonction publique ; FIPECO.urce : rapport de 2020 sur l’état de la fonction publique ; FIPECO.

Les départements de la région parisienne, autres que la capitale, sont parmi ceux qui ont le plus faible taux d’administration hospitalière mais le taux de Paris (25,8) n’est pas le plus élevé de France. Hors Paris, les taux les plus élevés se trouvent plutôt dans des départements ruraux. Une carte des taux d’administration hospitalière par département montre qu’ils sont les plus élevés sur la « diagonale du vide ».

Ces résultats peuvent traduire pour partie un écart entre : des départements urbains où se trouvent de grands hôpitaux avec une forte productivité et relativement peu d’emplois, qui sont parfois saturés ; des départements ruraux où subsistent beaucoup de petits hôpitaux avec une faible productivité et des effectifs relativement nombreux. Ces écarts entre les taux d’administration hospitalière peuvent être compensés ou aggravés par la répartition territoriale des professionnels libéraux de santé.

L’étude de France Stratégie montre que les taux d’administration hospitalière par zone d’emploi sont également dans un rapport de trois à un entre les 30 zones les plus dotées et les 30 les moins pourvues. Ces écarts s’expliquent seulement à la marge par les taux d’urbanisation. Ils s’expliquent pour environ un tiers par la part des personnes de plus de 80 ans dans la population. Ils résultent aussi de la lenteur de l’adaptation des capacités hospitalières aux évolutions démographiques : à autres caractéristiques identiques, les zones d’emploi ayant connu une baisse de 10 % de la population entre 1990 et 2015 ont un taux d’agents publics hospitaliers plus élevé de 5 %. De nouveau, l’inertie des services publics au regard des évolutions démographiques favorise plutôt les zones rurales en déclin et pénalise les zones urbaines dynamiques.

C) Les conclusions de l’étude de France Stratégie

La note de France Stratégie de juin 2019 montre que : « les taux d’administration en matière d’emplois non locaux sont plus élevés dans les métropoles, les préfectures ou les bases militaires, ce qui résulte de l’implantation des services non locaux de l’Etat. En revanche, la répartition des emplois locaux — qu’ils soient de l’État, des collectivités territoriales ou hospitaliers — apparaît plus homogène, une fois rapportés au nombre d’habitants, sans désavantage marqué pour les zones les moins denses. Les zones dynamiques démographiquement sont même relativement moins bien dotées en emplois éducatifs ou hospitaliers, ces secteurs ne s’ajustant aux évolutions démographiques qu’avec une certaine inertie. Les taux d’administration communaux s’élèvent par ailleurs avec le potentiel financier et la densité des territoires ».

« Au total, le taux d’administration est globalement plus élevé dans les zones d’emploi les plus peuplées : il varie de 7 % dans les zones rurales à près de 10 % dans les grandes métropoles[2]. Ces moyennes par catégories de zones d’emploi masquent toutefois une grande hétérogénéité. Les taux d’administration peuvent varier du simple au double au sein d’une même catégorie, sans que ces variations semblent corrélées avec les besoins économiques et sociaux du territoire ».

Ces conclusions de France Stratégie sont cohérentes avec celles qui ont été tirées plus haut de la seule observation des taux d’administration au niveau régional ou départemental.

 

[1] Dotations de l’Etat et recettes fiscales que les collectivités locales prélèveraient en appliquant les taux moyens des impôts locaux.

[2] Du fait de la concentration des emplois non locaux de l’Etat (services centraux et régionaux des ministères…) dans les métropoles.

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