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26/06/2019

La révision des valeurs locatives cadastrales des logements

François ECALLE

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Le ministre des comptes publics et la ministre de la cohésion des territoires ont récemment confirmé la suppression de la taxe d’habitation sur toutes les résidences principales en 2023. Ils ont ajouté qu’ils proposeront « d’ouvrir le sujet de la réévaluation des valeurs locatives » sur lesquelles les taxes foncières (payées par plus de la moitié des ménages) et la taxe d’habitation sur les résidences secondaires continueront à être assises. Ils ont enfin précisé que le prochain projet de loi de finances pourrait « autoriser Bercy à travailler sur ce point en 2021, en collectant les données locatives des habitants, et qu’à partir de 2022 la réforme pourrait être mise en place sur une durée de 5 à 10 ans ».

Cette note porte sur la taxe d’habitation et la taxe foncière payée par les ménages au titre de leurs résidences, dont les principales caractéristiques sont présentées dans une fiche de l’encyclopédie, et non sur les impôts fonciers des entreprises.

La taxe d’habitation et les taxes foncières sont assises sur des « valeurs locatives cadastrales » établies par l’administration qui sont supposées refléter la valeur locative des biens immobiliers et qui sont en réalité depuis très longtemps totalement déconnectées des valeurs de marché. Les impôts fonciers locaux sont de ce fait inéquitables et incompréhensibles.

Les valeurs locatives cadastrales n’ont pas été révisées depuis 50 ans, cette révision ayant été reportée par tous les gouvernements. La loi de finances rectificative de décembre 2013 a déjà prévu une nouvelle révision des valeurs cadastrales des logements sur la base d’une classification et de critères rénovés, mais le plus probable est qu’elle ne sera jamais mise en œuvre en dépit des nouvelles déclarations des ministres. Si elle l’était, ce serait certainement après une très longue période de transition à la fin de laquelle les nouvelles bases seraient déjà devenues obsolètes.

Plutôt que d’essayer vainement d’appliquer systématiquement des valeurs établies sur la base de critères et de classifications administratives qui ne reflèteront jamais la réalité du marché immobilier, il faudrait finir par admettre que la seule valeur observable et incontestable est celle retenue par les parties dans une transaction. Il faudrait donc que cette valeur de marché remplace progressivement les valeurs cadastrales actuelles au fur et à mesure des nouvelles transactions. Si la dernière mutation est trop ancienne, il faudrait que les valeurs locatives soient estimées en utilisant la méthode statistique des prix hédoniques lorsqu’elle permet d’obtenir une estimation fiable.

A)Les modalités d’estimation des valeurs cadastrales

L’administration détermine pour chaque logement une « surface pondérée totale » dont les coefficients de pondération et de majoration, selon la situation géographique et les éléments de confort par exemple, sont nombreux et complexes. Cette surface pondérée totale est ensuite multipliée par un « tarif au mètre carré » en fonction de l’état du logement (il y en a huit, allant de « somptueux » à « délabré »), ce qui permet d’obtenir la « valeur locative cadastrale ». Le tarif au mètre carré correspond à la valeur locative moyenne des logements qui étaient dans cet état dans la commune concernée en 1970, dernière année de révision systématique de ces bases, multipliée par les « coefficients de revalorisation des bases » votés chaque année par le Parlement de 1970 à 2018. Un seul coefficient est voté chaque année et s’applique à tous les logements sur tout le territoire.

La valeur locative cadastrale résulte donc d’une classification et de prix datant de 1970 qui sont devenus parfois totalement obsolètes. Par rapport à la valeur de marché, elle peut être très fortement sur ou sous-évaluée suivant, par exemple, que les prix du foncier ont plus ou moins augmenté dans la zone concernée.

Les caractéristiques des biens dans les fichiers de l’administration sont modifiées en cas de changements de consistance, notamment s’ils donnent lieu à un permis de construire, en théorie mais pas toujours en pratique. Elles le sont parfois également sur la base de questionnaires envoyés aux propriétaires dans le cadre de rares « vérifications sélectives de locaux ». Elles ne sont pas vraiment contrôlées, l’administration ne pouvant pas pénétrer dans les locaux sans autorisation du propriétaire[1]. La valeur locative repose donc souvent sur des caractéristiques déclaratives et anciennes qui peuvent n’avoir plus aucun rapport avec la réalité.

La taxe d’habitation (TH) est due pour une année donnée par les occupants au 1er janvier de tous les locaux meublés affectés à l’habitation, qu’ils en soient propriétaires ou locataires. Elle est calculée par les services fiscaux en appliquant le taux voté par la commune ou l’intercommunalité à la « valeur locative nette ». Celle-ci est égale à la valeur locative cadastrale diminuée du fait de divers abattements décidés par l’Etat ou la collectivité locale. Les principaux abattements correspondent, pour la résidence principale, aux charges de famille (nombre d’enfants notamment) ou sont accordés à des personnes handicapées.

La taxe sur le foncier bâti (TF) est due pour une année donnée par les personnes physiques propriétaires au 1er janvier de bâtiments, ou de parties de bâtiments (copropriétés), quelle qu’en soit la nature (logements, bureaux, locaux commerciaux, établissements industriels…). Elle est établie par les services fiscaux en appliquant le taux voté par les collectivités concernées au « revenu cadastral », qui est égal à la moitié de la valeur locative cadastrale calculée comme indiqué précédemment. Cet abattement de 50 % est supposé correspondre aux frais de gestion des biens.

B)Des impôts injustes et incompréhensibles

Dans son rapport public annuel de 2009, la Cour des comptes a rappelé que ces bases cadastrales sont « obsolètes et inéquitables » et qu’elles sont déterminées à l’issue d’une procédure « complexe et opaque ».

Ce constat reste d’actualité, rien n’ayant changé depuis le rapport de la Cour. Les impôts fonciers locaux sont incompréhensibles et injustes. Ils peuvent peser beaucoup trop lourdement sur des ménages dont le logement est fortement surévalué par l’administration.

De nombreuses dispositions fiscales ont toutefois été créées pour que les ménages modestes ne supportent pas un prélèvement démesuré. Elles permettent notamment d’exonérer de TH certains foyers dont le revenu fiscal de référence est faible (inférieur à 11 000 € pour un célibataire de plus de 60 ans). Les bénéficiaires de certains minima sociaux, comme l’allocation de solidarité aux personnes âgées, en sont ainsi exonérés. Par ailleurs, la TH est plafonnée, après abattements pour charges de famille, à 3,44 % du revenu de l’année précédente, pour les ménages dont le revenu est au-dessous d’un autre revenu fiscal de référence (25 800 € pour une personne seule).

De même, des dégrèvements, voire des exonérations, de TF sur l’habitation principale sont accordées en fonction de critères sociaux tels que le niveau de revenus et l’âge. Les constructions nouvelles sont exonérées pendant deux ans. Les logements sociaux peuvent donner lieu à exonération pendant 15 ans ou plus.

L’ensemble de ces dispositions est devenu très complexe. En outre, une légère hausse du revenu fiscal de référence peut conduire à passer au-dessus du seuil d’exonération ou de plafonnement et à devoir s’acquitter d’une TH ou d’une TF relativement importantes. Pour éviter ces effets de seuil, la loi de finances initiale pour 2016 a instauré un dispositif de lissage de la première imposition à la taxe d’habitation.

Les impôts fonciers locaux constituent donc un mélange très complexe de taxes foncières, d’impôt sur le revenu et de loterie nationale.

Les taux de la taxe d’habitation sont fixés par les communes ou leurs groupements et sont très variables d’un endroit à l’autre, selon les besoins et les choix des collectivités en matière de dépenses publiques et de fiscalité. La disparité des taux de TH selon les collectivités n’est donc pas particulièrement critiquable dans la mesure où elle résulte de leurs besoins et de leurs choix. En revanche, la complexité et l’injustice qui résultent de valeurs cadastrales obsolètes n’est pas acceptable.

C)Des velléités de révision depuis 25 ans

En 1990, à l’issue d’un travail approfondi qui avait duré deux ans et en application d’une obligation légale, la direction générale des impôts avait procédé à une révision systématique des valeurs cadastrales sur l’ensemble du territoire. Ces nouvelles bases n’ont cependant pas été adoptées car le rapport présenté au Parlement a montré qu’elles entraîneraient, à rendement inchangé des impôts locaux, des transferts très importants entre les contribuables D’importants transferts apparaissaient également entre les collectivités locales mais celles-ci peuvent les compenser par des variations de taux. Il y a eu d’autres velléités de réforme dans les années 1990 à 2013 mais elles n’ont pas plus prospéré.

La loi de finances rectificative du 29 décembre 2013 a prévu une nouvelle révision des valeurs cadastrales des logements sur la base d’un tarif au mètre carré dépendant de leur secteur géographique et de leurs caractéristiques. Dans cinq départements, les propriétaires bailleurs (mais pas les propriétaires occupants) devaient déclarer les caractéristiques de leurs biens (77 % l’ont fait) et, sur cette base, la direction générale des finances publiques (DGFIP) devait évaluer l’impact de la révision et en faire rapport au Parlement en septembre 2015.

Ce rapport, remis en février 2017, analyse l’impact de la révision envisagée sur la seule TF des propriétaires bailleurs. Il précise que ce serait plus difficile pour la TH compte-tenu de ses caractéristiques, notamment la prise en compte des revenus des ménages. Il en ressort que la sectorisation géographique des logements est fragile et que la classification se limite à distinguer des tranches de surface pour les maisons et appartements sans tenir compte d’éléments de confort.

Ce rapport montre que les transferts entre propriétaires pourraient être considérables. Les maisons de 65 à 74 m² du parc privé pourraient voir leur taxe foncière majorée en moyenne de 26 % et les appartements de 80 à 89 m² la voir minorée de 16 %. Il est fort probable que cette réforme n’aura pas lieu ou que le passage des anciennes aux nouvelles valeurs cadastrales sera étalé sur une très longue durée.

C’est d’ailleurs ce qui est prévu s’agissant des valeurs locatives cadastrales sur lesquelles sont assises la taxe foncière sur les immeubles commerciaux, professionnels et industriels ainsi que la cotisation foncière des entreprises, qui présentent des problèmes semblables. La loi de finances de 2010 a prévu leur révision sur la base d’une nouvelle formule de calcul, d’une classification rénovée et de déclarations des propriétaires permettant à l’administration d’actualiser les caractéristiques des locaux. Ces nouvelles valeurs cadastrales des locaux professionnels sont appliquées à partir de 2017 mais avec une transition progressive de l’ancienne à la nouvelle valeur qui s’étale pour chaque local sur dix ans.

Lorsque les nouvelles valeurs cadastrales seront retenues pour asseoir les taxes foncières, elles seront donc probablement déjà redevenues obsolètes. En outre, il est probable qu’elles seront ensuite actualisées forfaitairement, comme aujourd’hui, ou en utilisant des coefficients de revalorisation par grandes catégories de biens ou zones géographiques qui ne reflèteront pas mieux l’hétérogénéité des évolutions des prix de marché.

D)Retenir le prix de la dernière mutation à titre onéreux, à défaut la méthode des prix hédoniques

Plutôt que d’essayer vainement d’appliquer systématiquement des valeurs cadastrales établies sur la base de critères et de classifications administratives qui ne reflèteront jamais la réalité du marché immobilier, il faudrait admettre que la seule valeur observable et incontestable est celle retenue par les parties à l’occasion d’un bail ou d’une mutation à titre onéreux.

Les impôts fonciers dus sur un bien immobilier devraient donc être assis sur le loyer en vigueur ou sur le prix enregistré à l’occasion de la dernière mutation à titre onéreux intervenue depuis l’annonce de la réforme ainsi envisagée. Comme ces impôts seront prélevés essentiellement sur les propriétaires après la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, c’est plutôt le prix de la dernière mutation qui devrait être retenu.

Le montant des impôts fonciers changerait donc à l’occasion des nouvelles mutations à titre onéreux. L’acheteur ne gagnerait ni ne perdrait quoi que ce soit en s’acquittant d’impôts fonciers différents de ceux qui étaient supportés par le vendeur mais dont il connaîtrait le montant avant d’accepter la transaction, ce montant résultant mécaniquement du prix de la transaction. Il n’aurait donc pas matière à se plaindre[2].

Le conseil des prélèvements obligatoires recommande d’étudier cette solution dans son rapport de janvier 2018 sur les prélèvements obligatoires sur le capital des ménages.

Cette valeur vénale résultant d’une transaction serait actualisée jusqu’à une nouvelle vente ou pendant une période de, par exemple, 5 années en utilisant les indices des prix des biens immobiliers établis par l’Insee et les chambres des notaires.

En attendant qu’ils fassent l’objet d’une première transaction à partir de la réforme, ou si la dernière transaction date de plus de 5 ans, les valeurs vénales des logements devraient être estimées en utilisant la méthode statistique des prix hédoniques. Celle-ci part du principe que la valeur d’un bien est la somme des prix de ses principales caractéristiques (par exemple la surface du terrain et la surface habitable pour une maison). Ces prix peuvent être estimés par l’économétrie à partir d’un échantillon de transactions de sorte qu’ils expliquent le mieux possible le prix des transactions de cet échantillon. Ensuite, il suffit de les appliquer au bien considéré en fonction de ses caractéristiques propres.

La méthode des prix hédoniques est utilisée par les instituts statistiques pour estimer les prix des biens immobiliers, notamment l’Insee avec la chambre des notaires (cf. note méthodologique) ; elle est recommandée par de nombreux économistes et les travaux menés dans de nombreux pays (depuis 40 ans aux Etats-Unis) montrent qu’elle permet d’approcher de près la valeur vénale de ces biens ; elle a également été recommandée pour estimer les valeurs locatives cadastrales dans un rapport de 2018 de la délégation de l’Assemblée nationale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

La DGFIP devrait s’appuyer sur une commission indépendante d’experts chargée de mettre au point la méthode et ses conditions d’application aux cas individuels : caractéristiques des logements à prendre en compte, tests de robustesse des estimations à réaliser…

Si les données disponibles sur les transactions ne permettent pas d’obtenir une estimation fiable d’un logement, les valeurs cadastrales administratives actuelles devraient continuer à être utilisées jusqu’à ce qu’il soit vendu.

La coexistence de plusieurs modes d’imposition, selon que le bien a fait ou non l’objet d’une mutation depuis la réforme ou que la méthode des prix hédoniques aboutit ou non à une estimation fiable, pourrait être considérée comme une inégalité devant l’impôt. Toutefois, le système actuel est déjà totalement inéquitable et des biens de plus en plus nombreux seraient estimés à leur juste prix dans le nouveau système. Cette réforme conduirait donc à des inégalités devant l’impôt moins fortes qu’aujourd’hui.

Retenir la valeur de marché, ou appliquer la méthode des prix hédoniques, permettrait enfin aux collectivités locales d’obtenir un retour financier sous forme de produits fiscaux plus importants lorsque leurs services aux ménages entraînent une hausse des prix de l’immobilier.

Du point de vue des collectivités locales, l’inconvénient pourrait être de remplacer des impôts très prévisibles, puisque fondées sur des bases historiques établies par l’administration, par des impôts au rendement fluctuant en fonction de l’évolution des prix de l’immobilier et des loyers, comme les droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Cet inconvénient doit être relativisé parce que ces impôts sont assis sur des stocks d’actifs relativement stables et non des flux, comme le sont les DMTO. Ensuite, c’est la valeur au 1er janvier qui est retenue pour asseoir la taxe foncière et, sur la base des transactions antérieures, elle pourrait être communiquée aux collectivités locales par les services fiscaux avant la fin de janvier, à temps pour être intégrée dans la préparation du budget de l’année, comme l’est actuellement la valeur cadastrale.

A taux d’imposition inchangé, certaines collectivités locales perdraient et d’autres gagneraient des recettes fiscales. L’ampleur des variations des taux d’impositions nécessaires pour maintenir leurs recettes constantes ne serait pas nécessairement plus importante que celle qui résulterait de l’application des nouvelles valeurs cadastrales établies par l’administration. En outre, les évolutions du rendement des impôts fonciers résultant de cette réforme pour les collectivités locales seraient progressives dans le temps, au fur et à mesure des transactions.

 

[1] Les services fiscaux commencent à utiliser Google Earth pour connaître l’extérieur des bâtiments.

[2] C’est en fait le vendeur qui pourrait perdre ou gagner par rapport au prix auquel il aurait vendu son bien si les impôts actuels avaient été maintenus mais il ne saura jamais quel aurait été ce prix « contrefactuel ».

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