19/06/2019
La signification du déficit de la sécurité sociale
François ECALLE
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La commission des comptes de la sécurité sociale, dans son rapport de juin 2019, prévoit que le déficit du régime général et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) se creusera en 2019 pour atteindre – 1,7 Md€, mais le Gouvernement peut affirmer que le régime général dégagera le même excédent qu’en 2018, soit + 0,5 Md€. Il pourrait lui être répondu que la commission a retenu pour hypothèse une compensation par l’Etat des pertes de recettes de la sécurité sociale résultant des mesures d’urgence de décembre dernier. Si elles ne sont pas compensées, ce que la commission estime probable, le déficit du régime général et du FSV sera de - 4,4 Md€ en 2019. On peut donc se demander quelle est la signification du déficit ou, plus rarement, de l’excédent de la sécurité sociale.
Il existe plusieurs définitions de la « sécurité sociale », qui correspondent à des soldes différents. Si les régimes obligatoires de base et le FSV ont enregistré en 2018 un déficit de - 1,5 Md€, les administrations de sécurité sociale (ASSO) au sens de la comptabilité nationale ont dégagé un excédent de + 10,8 Md€.
La sécurité sociale reposait à l’origine sur un modèle bismarckien d’assurance, où les prestations dépendent des cotisations et où celles-ci doivent équilibrer les prestations. Elle a évolué vers un modèle beveridgien où, dans une logique de solidarité, les prestations dépendent des besoins (maladie) et peuvent être modulées selon les revenus (allocations familiales). Dans un tel modèle, les prestations doivent être financées par l’impôt et par l’Etat.
Aujourd’hui, les dispositifs d’assurance et de solidarité sont souvent indistinctement mêlés. Le solde des comptes de la sécurité sociale, quelle que soit sa définition, dépend du partage des dépenses de solidarité et de la répartition des impôts affectés entre l’Etat, les régimes sociaux et les divers fonds. Or ce partage est devenu financièrement déterminant (les impôts constituent 35 % des recettes des ASSO), incompréhensible et très instable. Le solde des comptes de la sécurité sociale, et par symétrie celui de l’Etat, n’a plus guère de signification et seul le solde du compte des administrations publiques dans leur ensemble en a une.
Les prestations d’assurance maladie et familiales relèvent désormais d’une logique de solidarité. Les caisses concernées devraient être financées par des dotations de l’Etat fixées en fonction de leurs objectifs de dépenses. Leur solde signifierait alors qu’il y a un écart entre ces objectifs et les dépenses constatées. Une autre option serait de les financer par la CSG et une fraction stable de la TVA.
Les comptes des régimes de retraite, ou du futur régime universel, devraient distinguer : une section d’assurance où seraient enregistrées les cotisations et les prestations auxquelles elles donnent droit ; un fonds de solidarité qui aurait pour recettes des dotations de l’Etat et pour dépenses la composante des pensions qui relève de la solidarité. Le solde de la section d’assurance permettrait de vérifier que le principe de base d’un régime par répartition – le montant total des pensions est égal au montant total des cotisations – est respecté. Le solde du fonds de solidarité aurait la même signification que celui des caisses d’assurance maladie et d’allocations familiales.
Suivant que son évolution vers un système beveridgien sera ou non confirmée, l’Unédic devrait relever du premier ou du deuxième modèle comptable et financier.
A)Un solde des comptes de la sécurité sociale qui a perdu une grande partie de sa signification
1)Les multiples définitions de la sécurité sociale et de son solde
La sécurité sociale est divisée en « régimes », chaque régime étant défini par une catégorie de la population et par des règles relatives aux prestations dont cette population bénéficie et aux modalités de leur financement. Il existe ainsi un « régime général » pour les salariés du secteur privé hors agriculture et des régimes pour les non-salariés, les fonctionnaires, les salariés de certaines entreprises publiques comme la SNCF, les salariés agricoles…
En matière d’assurance vieillesse, une distinction est opérée entre les « régimes de base » qui versent une « pension de base », ce qui est le cas du « régime général », et les « régimes complémentaires » qui versent une « retraite complémentaire », ce qui est le cas des organismes fédérés par l’Agirc-Arrco dans le secteur privé non agricole. Les régimes complémentaires sont obligatoires comme les régimes de base, mais gérés différemment.
Une annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 recense 27 régimes obligatoires de base. Ils ont des comptes qui se soldent chacun par un excédent ou un déficit différent. Le plus important est le régime général des salariés non agricoles du secteur privé qui a dégagé un excédent de + 0,5 Md€ en 2018.
Les lois de financement de la sécurité sociale couvrent les régimes obligatoires de base de sécurité sociale mais aussi les « organismes concourant à leur financement » : le fonds de solidarité vieillesse (FSV)), la caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) et le fonds de réserve pour les retraites (FRR).
Le solde de la branche retraite du régime général a peu de sens si on ne lui ajoute pas celui du FSV car ce fonds finance une partie des prestations « non contributives » (non associées au versement de cotisations) du régime général. Il est donc plus pertinent de considérer le solde cumulé du régime général et du FSV, soit un déficit de – 1,2 Md€ en 2018.
La sécurité sociale ne se limite cependant pas au régime général et les comptes de l’ensemble des régimes obligatoires et du FSV se sont soldés en 2018 par un déficit de – 1,5 Md€.
La distinction entre les régimes obligatoires de retraite de base et complémentaires repose sur des fondements surtout historiques, de même que la distinction entre l’assurance chômage et la sécurité sociale au sens juridique. Pour les économistes et pour les comptables nationaux, ces régimes d’assurances sociales sont des administrations de sécurité sociale comme les autres et classés dans cette catégorie des administrations publiques.
Les administrations de sécurité sociale incluent également en France la CADES et le FRR. En effet, la CADES porte la dette des régimes obligatoires de base de sécurité sociale à leur place. Cette dette résulte des déficits passés de ces régimes et le choix aurait pu être fait de la leur laisser en augmentant le taux des cotisations sociales pour en rembourser les annuités. Le FRR accumule des réserves destinées à financer la sécurité sociale grâce à des ressources qui auraient pu être affectées directement à celle-ci.
Le solde du compte des administrations de sécurité sociale (ASSO) en comptabilité nationale était excédentaire en 2018 à hauteur de + 10,8 Md€ (0,5 % du PIB), grâce notamment à la CADES (+ 14,8 Md€)[1].
Les comptes de la protection sociale couvrent un champ plus large, incluant par exemple les dépenses sociales des collectivités locales et les assurances complémentaires facultatives, et se sont soldés en 2016 par un déficit de 0,4 Md€. Ces comptes ont pour inconvénients d’être publiés tardivement et, puisqu’il s’agit ici d’examiner des comptes publics, de couvrir des assurances privées facultatives.
2)L’évolution de régimes d’assurance financés par des cotisations sociales vers des régimes universels financés par des impôts affectés par l’Etat
A l’origine, la sécurité sociale a été conçue en France sur un modèle essentiellement « bismarckien » d’assurance. Les prestations étaient financées par des cotisations sociales dont elles dépendaient fortement, au moins dans la mesure où le paiement de cotisations était une condition nécessaire pour en bénéficier. Dans un tel modèle, les gestionnaires des régimes doivent équilibrer les prestations et les cotisations et, si un déficit apparaît, augmenter le taux des cotisations ou réaliser des économies sur les prestations. Le solde comptable des régimes a une signification claire.
Les prestations de l’assurance maladie et les prestations familiales ont ensuite été rendues universelles, puis modulées selon les revenus s’agissant des allocations familiales, dans une logique de solidarité « beveridgienne ». Le financement de l’assurance maladie a été en partie adapté avec la création de la CSG en substitution des cotisations sociales salariales, mais pas totalement puisque les cotisations sociales patronales ont été maintenues. Le financement des prestations familiales a été encore moins réformé.
Le lien entre cotisations et prestations a également été distendu du fait des allégements de cotisations sur les bas salaires, ceux-ci n’entraînant pas une diminution des prestations dues aux assurés.
Enfin, de multiples dispositions ont introduit des éléments de solidarité dans tous les régimes : revenus de remplacement minima, majoration des prestations en fonction de la situation familiale, de l’existence de handicaps….
Une clarification a été opérée s’agissant de l’assurance chômage, l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) qui relève de l’assurance étant versée par l’Unedic et financée par des cotisations alors que l’allocation de solidarité spécifique (ASS), qui est un minimum social, est versée par l’Etat et financée par l’impôt. La création du fonds de solidarité vieillesse (FSV) permet également d’isoler certaines des prestations de retraite qui relèvent d’une logique de solidarité (validations de trimestres au titre des périodes de chômage par exemple) et de les financer par l’impôt (la CSG principalement). Enfin, le financement des allocations de logement a été récemment transféré de la sécurité sociale à l’Etat.
Dans un modèle beveridgien, les prestations doivent être financées par l’impôt et par l’Etat, ce qui est d’ailleurs le cas au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves. Dans le système français actuel, les éléments d’assurance et de solidarité sont mêlés, souvent indistinctement, et l’équilibre des comptes de la sécurité sociale dépend fortement du partage des dépenses de solidarité entre les régimes sociaux et l’Etat (voire les collectivités locales), d’une part, et de la répartition des impôts affectés, d’autre part. Or le partage des dépenses de solidarité et des impôts transférés, entre l’Etat et les régimes et fonds, est devenu à la fois financièrement déterminant, incompréhensible et très instable.
Les impôts constituent 35 % des recettes des ASSO en 2018 (contre 2 % en 1980) et, s’agissant des retraites de droit direct[2] qui constituent les prestations sociales relevant le plus clairement d’une logique d’assurance, les dispositifs de solidarité représentent 16 % de leur montant en 2016.
3)Des transferts de ressources et dépenses importants, instables et illisibles qui limitent beaucoup la signification de l’équilibre des comptes sociaux
En annexe figure un schéma de l’usine à gaz budgétaire constituée par les canaux d’affectation des impôts à la protection sociale tels que prévus dans le projet de loi de finances pour 2019. Ce schéma, qui n’est même pas complet[3], pourrait finir par être compris s’il ne changeait pas tous les ans dans des conditions et pour des motifs que seuls quelques initiés des directions du budget et de la sécurité sociale peuvent comprendre.
Il n’est même pas sûr que ces spécialistes de la tuyauterie budgétaire sachent ce qu’ils font malgré le temps et l’énergie qu’ils y consacrent. En effet, le rapport de juin dernier de la commission des comptes de la sécurité sociale signale qu’il y a une erreur dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 concernant une opération indescriptible de modification des canaux de transmission de la CSG et des prélèvements sociaux sur les revenus du capital entre l’Etat, le FSV et la CNAM. Cette erreur aurait dégradé les comptes prévisionnels du FSV pour 2019 de 0,7 Md€.
Les modifications apportées au fil des années à ces canaux ont souvent des justifications, la principale étant de s’adapter à l’évolution des exonérations de cotisations sociales décidées par l’Etat. Une loi de 1994 a en effet posé le principe d’une compensation intégrale de ces exonérations par l’Etat aux régimes de sécurité sociale.
Le champ de cette compensation a été progressivement étendu, des exonérations au sens strict vers les réductions de cotisations, les abattements d’assiette… mais il reste au moins 1 Md€ de mesures non compensées en 2018, pour des motifs obscurs. Ses modalités ont surtout fortement varié au cours du temps. La compensation a pris la forme de crédits budgétaires de l’Etat, d’affectation d’impôts ou de transferts de dépenses de la sécurité sociale à l’Etat. Elle a pu correspondre à une compensation à l’euro près, calculée ex ante ou ex post et tenant parfois compte du surplus de recettes résultant pour la sécurité sociale des créations d’emplois induites par ces exonérations, ou encore à l’affectation d’un impôt ou d’une fraction d’un impôt « pour solde de tout compte » (cf. rapport de 2018 du Haut Conseil du financement de la protection sociale). La plupart de ces modifications ont eu un impact sur le solde des comptes de la sécurité sociale.
Parmi les plus importantes de ces dernières années, on peut citer les suivantes qui sont très loin de former une liste exhaustive. Le coût du pacte de responsabilité et de solidarité mis en œuvre sous le quinquennat précédent a été principalement compensé en 2015 et 2016 par la prise en charge par le budget de l’Etat de certaines aides au logement, l’aide personnalisée (APL) et l’allocation de logement familiale (ALF). Le produit de la CSG a fortement augmenté en 2018, en partie en contrepartie de la baisse du taux des cotisations salariales, et sa répartition entre affectataires a été profondément modifiée. La hausse du produit de la CSG pour la sécurité sociale en 2018 a en outre conduit l’Etat à réduire la part de la TVA affectée à la CNAM. L’ACOSS s’est vu affecter une fraction de la TVA pour pouvoir compenser l’Unedic à l’euro près de la perte de ses cotisations salariales. Une partie du produit des prélèvements sociaux sur les revenus du capital ainsi que le produit du prélèvement de solidarité de 2 % ont été transférés à l’Etat en 2018.
En 2019, le remplacement du CICE par des allègements de cotisations patronales conduit à revoir le financement de la sécurité sociale. En effet, les allègements sur les bas salaires, majorés en contrepartie de la suppression du CICE, concernent désormais les cotisations à l’Unedic et à l’Agirc-Arrco. En 2019, les pertes de ces organismes sont compensées par l’ACOSS qui reçoit à cette fin une fraction de la TVA (pour compenser l’Agirc-Arrco) et de la taxe sur les salaires (pour compenser l’Unédic). Le Haut Conseil pour le financement de la protection sociale note dans son rapport de 2019 que cette compensation est complexe, qu’elle aura un impact sur les comptes de la sécurité sociale car celle-ci supportera l’écart entre les pertes estimées ex ante et les pertes réelles ex post de l’Unédic et de l’Agirc-Arrco et enfin qu’elle est seulement transitoire s’agissant des régimes de retraite complémentaire.
En 2019, les mesures d’urgence votées en décembre 2018, avancement de l’exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires et baisse de 1,7 point du taux de la CSG sur les pensions des retraités dont le revenu est inférieur à certains seuils, auront un coût pour la sécurité sociale estimé à 2,7 Md€ au total, auquel il faudrait ajouter le coût de l’exonération de cotisations et prélèvements sociaux sur les primes exceptionnelles (considéré comme nul par le Gouvernement)[4]. La commission des comptes de la sécurité sociale observe que la loi impose une compensation de ces coûts par l’Etat mais que le programme de stabilité publié en avril 2019 ne la prévoit pas. Pour la commission, il est probable que la prochaine LFSS dérogera au principe de compensation par l’Etat.
La perspective d’excédents croissants du compte des administrations de sécurité sociale (ASSO) a enfin conduit le gouvernement à prévoir un plafonnement de cet excédent à 0,8 point de PIB à partir de 2019 dans la loi de programmation des finances publiques de janvier 2018, sans préciser la forme qu’il prendrait (probablement une diminution des impôts affectés à la sécurité sociale). Ce plafonnement n’apparaît plus dans le programme de stabilité d’avril 2019, où l’excédent des ASSO atteint 1,2 point de PIB en 2022, mais il illustre une fois de plus la nature très conventionnelle du solde des comptes de la sécurité sociale.
B)Il faudrait redonner un sens aux comptes sociaux en distinguant les fonctions d’assurance et de solidarité de la sécurité sociale
Les évolutions proposées ci-dessous ne pourraient être que très progressives. Il s’agit de définir un objectif à moyen terme dont il ne faudrait pas trop s’écarter.
1)Une distinction nécessaire entre assurance et solidarité
La protection sociale recouvre deux types de prestations : les premières, dans une logique d’assurance, remplacent des revenus d’activité qui ne peuvent plus être perçus (pensions de retraite…) ou constituent des remboursements de charges (famille, santé…) au profit des seuls assurés ; les deuxièmes, dans une logique de solidarité, permettent à tous les citoyens, ou seulement aux plus modestes, d’accéder à des services en fonction de leurs besoins ou de disposer de revenus minimaux, indépendamment des cotisations et impôts qu’ils ont payés. Aujourd’hui en France, les pensions de retraite relèvent de la première catégorie ; les dépenses d’assurance maladie (hors indemnités journalières), les prestations familiales et les allocations de logement relèvent de la deuxième ; les indemnités de chômage (ARE et ASS) relèvent des deux.
Dans une logique d’assurance, dite également « contributive », les prestations doivent être financées par des prélèvements sur les revenus d’activités qu’elles remplacent, ce qui est la caractéristique principale des cotisations sociales. Dans une logique de solidarité, ou « non contributive », les prestations doivent être financées par des prélèvements sur l’ensemble des revenus, comme la CSG, ou payés par l’ensemble des ménages, comme la TVA, ce qui caractérise les « impositions de toute nature » prévues par la Constitution.
Cette distinction a d’importantes conséquences économiques, comme le rappelle une note de 2016 du conseil d’analyse économique. Si les actifs considèrent que les cotisations prélevées sur les revenus de leur travail leur donnent l’assurance de revenus de remplacement futurs en cas de perte de leur travail, ils peuvent accepter plus facilement une perte de leur pouvoir d’achat si ces cotisations sont augmentées ; étant considérées comme un « salaire différé », les cotisations sociales, qu’elles soient « salariales » ou « patronales », accroissent alors relativement peu le coût du travail pour les employeurs[5].
En revanche, les actifs acceptent plus difficilement que les revenus de leur travail soient amputés pour financer des prestations universelles ou modulées selon les revenus, qui ne leur sont donc pas particulièrement destinées. La pression exercée par les prélèvements obligatoires à la hausse sur le coût du travail est alors plus forte.
Une étude économétrique publiée en juin 2017 par l’institut des politiques publiques corrobore la pertinence de cette distinction s’agissant de l’impact des cotisations sociales.
Par ailleurs, les régimes de retraite fonctionnent en principe en France par répartition, ce qui signifie que les pensions versées aux retraités d’aujourd’hui doivent être financées par les cotisations des actifs d’aujourd’hui. En contrepartie, ces actifs doivent être assurés de recevoir à leur retraite une pension en rapport avec leurs cotisations. L’équilibre des régimes par répartition est brouillé et le « lien social » qu’ils créent entre les générations est distendu si une part importante mais mal identifiée des prestations n’a pas de lien avec les cotisations car elle relève de la solidarité.
2)Transférer à l’Etat les dépenses relevant de la solidarité
Les prestations sociales relevant d’une logique de solidarité, quel que soit le régime, devraient être financées par l’impôt et donc par l’Etat dans le cadre des lois de finance. Cela concerne les prestations familiales, dans la continuité du transfert des allocations de logement, et les dépenses d’assurance maladie.
Ces dépenses continueraient à être versées dans les mêmes conditions qu’actuellement par les caisses de sécurité sociale concernées et seuls changeraient les circuits de financement.
Les cotisations sociales affectées aux branches famille et maladie de l’ensemble des régimes, qui sont désormais seulement patronales, seraient remplacées par des impôts, surtout la TVA, la CSG et l’impôt sur le revenu compte-tenu de la masse de cotisations en jeu (environ 6 points de PIB). Cette substitution ne pourrait être que progressive. Dans une période de transition, les caisses seraient financées à la fois par les cotisations actuelles, par l’intermédiaire de l’ACOSS, et par des transferts de l’Etat permis par une hausse progressive des taux de la TVA, de la CSG ou de l’impôt sur le revenu.
En régime de croisière, deux options sont envisageables : soit l’Etat perçoit la totalité de la CSG et des impôts actuellement affectés à la sécurité sociale et verse des dotations aux caisses d’assurance maladie et d’allocation familiale, éventuellement sur des crédits budgétaires évaluatifs ; soit la CSG et une fraction, stable, de la TVA sont affectés à ces caisses. Dans le premier cas, les transferts de l’Etat aux caisses seraient budgétés pour être égaux aux objectifs de dépenses de ces branches. Dans le deuxième cas, la fraction de la TVA affectée aux caisses serait ajustée chaque année pour que les recettes des caisses soient égales à leurs objectifs de dépenses.
Dans le premier cas, le solde des comptes des caisses signifierait que les dépenses n’ont pas été égales à l’objectif de l’année, ce qui appellerait une correction l’année suivante sous forme d’une hausse ou d’une baisse de la dotation de l’Etat égale à cet écart entre dépenses prévues et constatées. Ce serait cohérent avec des règles budgétaires centrées sur des objectifs de dépenses. Dans le deuxième cas, la signification du solde des caisses serait moins nette car elle pourrait également tenir à un écart entre les rendements prévu et constaté de la TVA.
Certaines taxes affectées aujourd’hui à la sécurité sociale (tabacs et alcools) ont un impact sur les comportements qui contribue à réduire les dépenses d’assurance maladie, mais cet impact est indépendant de l’affectation de ces taxes qui pourraient donc être conservées par l’Etat.
Les caisses ne pourraient être endettées qu’à court terme et en contrepartie d’une créance sur l’Etat, celui-ci garantissant leur équilibre annuel par ses dotations ou l’affectation d’impôts.
3)Réserver les cotisations sociales au financement des assurances vieillesse et chômage
Les lois de financement de la sécurité sociale seraient transformées en lois de financement des assurances sociales obligatoires en étendant leur champ aux régimes de retraite complémentaire et à l’assurance chômage et en retirant de ce champ les branches famille et santé. Ces dernières auraient des transferts de l’Etat pour seules ressources alors que les branches retraite et chômage seraient seulement financées par des cotisations sociales.
Le solde des régimes de retraite, ou du futur régime universel, permettrait alors de vérifier que le principe de base d’un régime par répartition – le montant total des pensions est égal au montant total des cotisations – est respecté. S’il ne l’était pas, un ajustement des cotisations ou des prestations serait nécessaire. Cette appréciation de l’équilibre des régimes devrait tenir compte de l’impact des fluctuations de l’activité économique sur les cotisations et donc porter plutôt sur le solde structurel. Dans ces conditions, les régimes de retraite ne devraient pas être durablement endettés de manière significative.
S’agissant de l’assurance chômage, ce mode de fonctionnement suppose un retour en arrière par rapport à l’évolution récente vers un système beveridgien (extension aux non-salariés, dégressivité des indemnités…) financé par l’impôt. Si cette évolution est confirmée, les indemnités de chômage devraient être financées par l’impôt comme les prestations familiales ou d’assurance maladie.
4)Créer un véritable fonds de solidarité vieillesse
Les pensions de la plupart des retraités ont une composante qui relève de la solidarité : majorations en fonction du nombre d’enfants, pension minimale, part de la pension correspondant à des trimestres validés alors qu’il n’y a pas eu de cotisation (chômage…), pension versée avant l’âge minimal en raison de l’exercice de métiers pénibles etc.
Les pensions devront toujours faire l’objet d’un virement unique de la caisse concernée à leurs bénéficiaires, mais il faudrait que l’information donnée aux retraités distinguent la part qui relève de l’assurance, correspondant au principe selon lequel chaque euro de cotisation donne droit à la même pension dans le futur système universel, et la part qui relève de la solidarité.
Les comptes des caisses devraient comporter deux sections : une section d’assurance où seraient enregistrées les cotisations et les prestations auxquelles elles donnent droit ; un fonds de solidarité qui aurait pour recettes des dotations de l’Etat, ou des impôts affectés, et pour dépenses les éléments de solidarité des pensions.
Les cotisations de retraite font l’objet d’allègements ciblés sur les bas salaires mais ces allègements ne réduisent pas les droits à pension, calculés sur la base des salaires bruts, ce qui relève d’une logique de solidarité. La part des pensions qui correspond ainsi à des salaires n’ayant pas donné lieu à cotisation du fait de ces allégements devrait être financée par le fonds de solidarité.
Dans le futur système universel, le fonds de solidarité achèterait des points qui s’ajouteraient à ceux auxquels donnent droit les cotisations. Ces achats viendraient en dépenses du fonds de solidarité et en recettes de la section d’assurance qui elle-même verserait l’intégralité de chaque pension.
Ce fonds de solidarité serait beaucoup plus étendu que l’actuel FSV qui ne finance qu’une petite partie de la composante solidaire des pensions.
ANNEXE : les impôts affectés à la protection sociale en 2019
Source : rapport annexé au projet de loi de finances pour 2019.
[1] La CADES reçoit des recettes fiscales, notamment la CRDS, pour financer à la fois le remboursement du capital et les intérêts de sa dette. Or si les intérêts sont des dépenses qui réduisent son solde en comptabilité nationale, ce n’est pas le cas du remboursement du capital qui est une opération financière directement inscrite dans les comptes de patrimoine.
[2] Hors pensions de réversion.
[3] Il ne fait pas apparaitre l’affectation de fractions de la TVA et de la taxe sur les salaires à l’Unédic et à l’Agirc-Arrco par l’intermédiaire de l’ACOSS en contrepartie des baisses de leurs cotisations sur les bas salaires venant en remplacement de la suppression du CICE.
[4] Exonération qui devrait être reconduite au vu des annonces du Gouvernement d’avril 2019.
[5] Les salariés acceptant de moindres hausses de leurs salaires bruts en contrepartie de ce salaire différé.