01/12/2016
La transformation du CICE en baisse des cotisations sociales patronales
François ECALLE
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La transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en une baisse des cotisations sociales patronales a été annoncée par le Président de la République en janvier 2014, lors de la présentation du pacte de responsabilité et de solidarité, puis en janvier 2016, mais elle a été repoussée au-delà de 2017. Cette réforme est également proposée par le candidat de la droite et du centre à l’élection présidentielle.
L’impôt sur les bénéfices des sociétés est un instrument inadéquat pour réduire le coût du travail. De plus, les modalités de remboursement de ce crédit d’impôt sont particulièrement complexes. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les conclusions des premières évaluations des effets du CICE soient mitigées. Un allègement des cotisations sociales patronales sur les bas salaires aurait un impact plus important sur l’emploi mais deux problèmes devront être résolus pour qu’il remplace le CICE.
La technique du crédit d’impôt sur les sociétés a été retenue en 2012 parce qu’elle permettait de repousser l’impact d’une baisse des charges des entreprises sur le déficit public en 2014 et au-delà, ce qui est très regrettable car il sera difficile de revenir en arrière. En effet, si le CICE est transformé en allègement de cotisations sociales, le déficit public sera majoré de 25 Md€ l’année de cette transformation. Le remplacement du CICE par un allégement de charges pose donc un problème de transition entre les deux dispositifs. Cette transition pourrait se faire sur plusieurs années, mais au prix d’une plus grande complexité administrative pendant cette période.
Un deuxième motif, beaucoup plus recevable, explique le choix d’un crédit d’impôt. Une nouvelle baisse des cotisations sociales au niveau du SMIC ne peut porter que sur des cotisations affectées à l’Unédic et aux régimes de retraites complémentaires. Elle contribuerait donc à distendre le lien, pourtant souhaitable, entre les cotisations et les prestations de ces régimes d’assurances sociales. Les allègements de cotisations sociales ne devraient concerner que les cotisations aux branches maladie et famille de la sécurité sociale, les seules à être « non contributives ». En outre, une baisse des cotisations affectées à l’Unédic et aux régimes de retraite complémentaires obligerait l’Etat à engager des négociations difficiles avec les partenaires sociaux sur la compensation des pertes de recettes de ces régimes.
Il faudrait remplacer le CICE par un « crédit de cotisation » sur les cotisations aux branches maladie et famille, remboursable mensuellement par les URSSAF si ce crédit de cotisations est supérieur aux cotisations dues par les entreprises. Cette solution résout le deuxième problème (les modalités de l’allègement), mais pas le premier (la transition).
A) Le CICE est un instrument inadéquat pour réduire le coût du travail
Les principales caractéristiques du CICE sont présentées dans une fiche de l’encyclopédie.
Les bénéficiaires du CICE sont les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés (IS) ou à l’impôt sur le revenu (IR) au titre de leurs bénéfices industriels et commerciaux réels. Son montant est égal à 6 % de la masse des rémunérations brutes inférieures à 2,5 fois le SMIC. Le projet de loi de finances pour 2017 porte ce taux à 7 % sur les salaires de 2017 et des années suivantes.
Le CICE a pour objet d’améliorer la compétitivité des entreprises et l’emploi en réduisant le coût du travail. Par rapport aux allègements de cotisations patronales ciblées sur les bas salaires, il a les inconvénients suivants.
1) Un effet sur la trésorerie des entreprises décalé dans le temps
Le CICE est un « crédit d’impôt », ce qui signifie qu’il est déduit de l’impôt dû par les entreprises au moment où leur bénéfice est déclaré et où l’impôt est soldé, en mai de l’année N+1 s’agissant de l’IS ; s’il est supérieur au montant de l’impôt dû, la différence est payée par l’Etat à l’entreprise.
Pour la plupart des crédits d’impôt, ce versement de l’Etat intervient assez vite après le dépôt de la déclaration d’IS. Le CICE présente toutefois, comme le crédit d’impôt en faveur de la recherche, des spécificités par rapport à cette règle : si le CICE est supérieur à l’impôt dû, la différence donne lieu à une créance sur l’Etat de son montant qui soit est imputée sur l’impôt dû au titre des exercices N+1 à N+3, si cet impôt dû est suffisant, soit est remboursée en N+4. Cette créance au titre de l’exercice N est toutefois remboursable dès l’année N+1 aux petites et moyennes entreprises, aux entreprises nouvelles et aux entreprises innovantes.
Alors que les allégements de cotisations sociales ont un effet immédiat sur la trésorerie des entreprises, le CICE leur est donc versé, ou est déduit de leur impôt, au plus tôt en mai de l’année N+1 et au plus tard en N+4. La créance des entreprises sur l’Etat peut certes être cédée à des banques qui préfinancent ainsi le CICE à la place de l’Etat, mais aux prix de démarches nécessairement coûteuses en temps.
2) Un ciblage non pertinent
Le seuil de 2,5 SMIC au-dessous duquel les salaires donnent droit au CICE résulte d’un compromis insatisfaisant entre deux objectifs : améliorer la compétitivité des entreprises par un allégement des charges sociales sur l’ensemble des salaires ; obtenir un impact maximal sur l’emploi en ciblant la baisse des charges sur les bas salaires.
La plupart des études économiques montrent que l’effet des allégements de charges sociales est beaucoup plus important quand ils portent sur des salaires au voisinage du SMIC. Des baisses de cotisation au niveau du SMIC permettent en effet d’embaucher les nombreuses personnes dont la productivité est insuffisante pour que des entreprises les emploient en supportant le coût du travail résultant de l’application du taux de cotisation normal au SMIC.
En outre, le taux de chômage des moins qualifiés est bien plus élevé que celui, quasiment inexistant, des plus qualifiés. En conséquence, une baisse de cotisations sur les hauts salaires entraîne plus souvent une hausse des rémunérations brutes qu’une augmentation de l’emploi. Pour ces raisons, le seuil de 2,5 SMIC est probablement trop élevé.
Les allègements de cotisations ciblés sur les bas salaires ont pour inconvénient de diminuer au fur et à mesure que les rémunérations augmentent. En conséquence, le coût du travail pour les entreprises augmente plus vite que le salaire brut et elles peuvent donc être dissuadés de revaloriser les salaires, entraînant ainsi des effets de « trappe à bas salaires ».
Le CICE n’a pas cet inconvénient puisqu’il a le même taux pour tous les salaires jusqu’à 2,5 SMIC, mais il en a un autre qui résulte de ce seuil au-delà duquel les salaires n’y donnent pas droit. En effet, le franchissement de ce seuil, à l’occasion d’une hausse de salaires, entraîne une forte augmentation du coût du travail pour l’entreprise : 6 % de 2,5 SMIC, soit 220 € par mois.
3) Des résultats mitigés
Aux termes de travaux approfondis, mais fondés sur des données de 2013 et 2014 donc sur une durée trop courte, le comité d’évaluation du CICE a conclu en septembre 2016 que :
- ce crédit d’impôt a conduit à une amélioration significative des marges des entreprises ;
- il n’a pas eu d’impact en 2013 et 2014 sur l’investissement, les exportations et les efforts de recherche et développement, mais des effets peuvent être escomptés à plus long terme ;
- l’impact sur l’emploi est difficile à mesurer précisément mais la création ou la sauvegarde de 50 000 à 100 000 emplois en 2013 et 2014 est probable ; de nouveau, des effets plus importants pourraient être observées sur une période plus longue ;
- peu d’effets sont observables sur l’évolution des salaires par tête ; il ne semble pas y avoir de concentration des salaires juste au-dessous du seuil de 2,5 SMIC mais la période d’observation reste trop courte pour que des conclusions définitives soient tirées.
L’impact du CICE sur l’emploi est bien plus faible que celui d’allégements ciblés sur les bas salaires de même montant (10 Md€ en 2014[1]), qui serait de 400 000 à 700 000 postes créés ou sauvegardés. Il était certes trop tôt en 2014 pour qu’il ait pu produire tous ses effets, mais il est probable que ceux-ci restent limités à plus long terme.
4) Une hausse des dépenses publiques en comptabilité nationale
Le montant d’un crédit d’impôt n’a en général aucun rapport avec l’impôt auquel il est rattaché et une telle dépense fiscale s’analyse économiquement comme une subvention. C’est pourquoi les comptables nationaux enregistrent désormais les crédits d’impôts comme des dépenses publiques. Le CICE a donc pour effet de majorer le rapport des dépenses publiques au PIB, pour lequel la France est mal placée dans les comparaisons internationales.
B) La technique du crédit d’impôt a été retenue pour repousser dans le temps la dégradation du déficit public et rend difficile son remplacement par une baisse des cotisations sociales
1) Un impact sur le déficit public décalé dans le temps
Lorsque le CICE a été créé, par une loi de finances rectificative de décembre 2012, la France devait ramener son déficit public à 3,0 % du PIB en 2013 et le rapport d’audit des finances publiques de la Cour des comptes de juillet 2012 avait montré que cet engagement serait très difficile à respecter.
Si la baisse des prélèvements obligatoires sur le travail qui était recherchée avait pris la forme d’un allègement des cotisations sociales patronales, les recettes de la sécurité sociale auraient été réduites de plus de 10 Md€ en 2013 et le déficit public aurait été majoré d’autant, rendant ainsi impossible le respect de cet engagement.
La technique du crédit d’impôt sur les sociétés permettait de décaler cet impact sur le déficit en 2014. Les modalités particulières de versement du CICE pour les grandes entreprises permettaient même d’en repousser une partie jusqu’à 2016[2].
2) Le remplacement du CICE par une baisse des cotisations sociales en 2018 aurait un impact immédiat de 25 Md€ sur le déficit public
En tenant compte de la hausse de son taux à 7 %, le coût du CICE sera de 24 Md€ en 2018 en comptabilité nationale selon le rapport de septembre 2016 du comité d’évaluation (25 Md€ en 2019).
Si les salaires de 2018 ne donnent plus droit au CICE mais font l’objet d’une baisse de cotisations sociales de 25 Md€ (coût du CICE en régime permanent avec un taux de 7 %), les comptables nationaux enregistreront en 2018 à la fois une baisse de 25 Md€ des recettes des administrations de sécurité sociale et une dépense publique de 24 Md€ au titre du CICE sur les salaires de 2017 et des années précédentes.
Le déficit public sera donc majoré de 25 Md€ en 2018, soit plus de 1,0 % du PIB, et ne pourra donc probablement pas être maintenu au-dessous du seuil de 3,0 % du PIB (à supposer qu’il soit au-dessous de ce seuil en 2017, ce qui est déjà peu probable). La France restera ou redeviendra en situation de « déficit excessif » au sens des règles budgétaires européennes.
Ces règles prévoient que, si les objectifs de déficit public effectif ne sont pas atteints, le Conseil de l’Union européenne examine l’évolution du solde structurel. Or celui-ci sera également dégradé de 25 Md€, sauf si le Conseil admet qu’il s’agit d’une « mesure ponctuelle et temporaire ».
Il est clair que ce coût de 25 Md€ serait ponctuel et temporaire et le solde structurel ne serait donc probablement pas dégradé[3]. Mais le non-respect de l’objectif de déficit effectif conduira à mettre au premier plan la règle selon laquelle le déficit structurel doit baisser d’au moins 0,5 point de PIB par an. Or, indépendamment de cette réforme du CICE, cette obligation de réduire le déficit structurel de 0,5 point de PIB sera encore plus difficile à satisfaire en 2017 et 2018 que l’obligation de ramener le déficit effectif au-dessous de 3,0 % du PIB.
En outre, la dette publique sera majorée de 25 Md€ en 2018 puisque les recettes des administrations de sécurité sociale seront réduites de 25 Md€ alors que l’Etat devra continuer à verser le CICE aux entreprises.
3) La transition pourrait être étalée sur plusieurs années, mais au prix d’une plus grande complexité de gestion
Une solution pour ne pas aggraver le déficit public pendant l’année 2018 pourrait être de verser en 2018 le CICE sur les salaires de 2017 et d’attendre 2019 pour réduire les cotisations sociales. Le coût du travail serait toutefois sensiblement alourdi en 2018 et les entreprises seraient alors incitées à se séparer de leurs salariés en 2017 et à reporter leurs recrutements à 2019. En outre, leurs comptes seraient dégradés en 2018. Cette solution n’est donc pas très satisfaisante.
Une transition « en sifflet », c’est-à-dire étalée sur plusieurs années pourrait aussi être envisagée. Il n’y aurait plus de CICE sur les salaires de 2018 et il serait compensé partiellement par une baisse des cotisations sociales. Il ne serait compensé totalement par la réduction des cotisations qu’en 2019 et 2020. Le coût pour les finances publiques serait moindre et le coût du travail ne serait pas trop aggravé pendant la transition, mais celle-ci serait plus longue, deux ou trois ans, ce qui serait une source de complexité pour les entreprises et les administrations qui gèrent ces dispositifs.
C) Il est devenu difficile de baisser les cotisations sociales patronales au niveau du SMIC
Les taux des cotisations sociales patronales entre 1,6 SMIC et 2,2 SMIC (le « plafond » de la sécurité sociale) pour un non cadre sont de 12,8 % pour la branche maladie maternité, de 8,55 % pour les retraites de base et de 3,45 % pour la branche famille, soit un total de 24,8 %.
Le taux de cotisation pour ces mêmes risques au niveau du SMIC est nul, ce qui correspond à un allègement de 24,8 points. Il est porté à 27,6 points si on considère que le taux normal des cotisations famille est de 5,25 % et si on tient compte de la baisse de 1 point des cotisations au titre des accidents du travail pour les salaires égaux au SMIC. Il est de 28,4 points si on y ajoute la réduction des contributions à la caisse de solidarité pour l’autonomie et au fonds national des aides au logement.
Il ne subsiste au niveau du SMIC, pour l’essentiel, que les cotisations aux régimes de retraite complémentaire (5,85 %) et au régime d’assurance chômage (4,3 %). Or ces cotisations donnent droit à des prestations qui leur sont assez directement liées. Les retraites complémentaires dépendent du nombre de points acquis et celui-ci dépend des cotisations versées. Les allocations de chômage dépendent, comme les cotisations, des salaires reçus.
Supprimer ou fortement réduire ces cotisations conduirait à distendre le lien entre cotisations et prestations, qui est jusqu’à présent resté fort dans les régimes d’indemnisation du chômage et de retraite complémentaire et traduit leur caractère assurantiel. Les études économiques montrent que les salariés acceptent plus facilement une baisse de leur salaire net du fait de ces cotisations parce qu’ils les considèrent comme un « salaire différé ». En conséquence, elles ont un impact moins négatif sur l’emploi.
En outre, les partenaires sociaux qui gèrent les régimes de retraite complémentaire et l’assurance chômage accepteraient difficilement de telles exonérations pour deux raisons : en limitant le caractère assurantiel de ces régimes, elles les rendraient moins légitimes pour les gérer ; elles se traduiraient par une dégradation de leurs comptes alors que l’Etat leur enjoint de les ramener à l’équilibre. Les partenaires sociaux voudraient donc au moins une compensation financière et une difficile négociation devrait s’engager avec l’Etat pour la fixer.
D) Il faudrait remplacer le CICE par un « crédit de cotisations sociales » mensuel sur les cotisations patronales famille et maladie
Les allègements de cotisations sociales ne devraient porter que sur les contributions aux branches de la sécurité sociale qui fonctionnent selon une logique de solidarité et non d’assurance : les branches famille et maladie. En mettant à part le cas, limité, des indemnités journalières, les remboursements de l’assurance maladie et les allocations familiales n’ont en effet plus aucun rapport avec les cotisations payées.
Le montant de la réduction actuelle des cotisations patronales au niveau du SMIC, toutes branches confondues, est cependant déjà plus important que le montant des cotisations versées aux branches famille et maladie. Il le serait encore plus si le CICE était remplacé par un nouvel allègement des cotisations sociales.
Une solution pourrait être de maintenir les cotisations aux autres branches à leur taux normal et de rembourser aux entreprises l’écart entre le montant souhaité de l’allègement de cotisation et le montant des cotisations dues aux branches maladie et famille. Ce remboursement prendrait la forme d’un « crédit de cotisations » et non d’un « crédit d’impôt » pour avoir un impact rapide sur la trésorerie des entreprises. Ce crédit de cotisation pourrait en effet être remboursé chaque mois sur la base de la déclaration sociale nominative où figurent déjà toutes les informations nécessaires. Les URSSAF n’ont certes pas l’habitude de verser de l’argent aux entreprises, mais il n’y a aucune raison technique pour qu’elles ne puissent pas le faire[4].
Les pertes de recettes des branches famille et maladie, qui supporteraient ainsi la totalité du coût des allègements de charges, seraient compensées par le transfert d’une part des impôts prélevés par l’Etat (des recettes fiscales leur sont déjà affectées). L’Etat ayant plus de légitimité que les partenaires sociaux pour gérer les risques maladie et famille[5], il doit pouvoir fixer lui-même les modalités de cette compensation financière.
[1] Le taux du CICE sur les salaires de 2013 était de 4 %. Il a été porté à 6 % sur ceux de 2014.
[2] En comptabilité nationale, le CICE est comptabilisé au moment où la créance des entreprises sur l’Etat est constatée, donc en principe en mai N+1 s’agissant des salaires de N. Toutefois, les grandes entreprises qui ne peuvent pas le déduire de l’impôt dû et qui doivent attendre N+4 pour se faire rembourser cette créance peuvent la déclarer pendant les années N+1 à N+3. Le coût du CICE sur les salaires de 2013 est donc étalé sur les années 2014 à 2016.
[3] Même si le CICE sur les salaires de 2017 pourrait entraîner des coûts en comptabilité nationale jusqu’à 2020.
[4] Pour limiter ces versements, si les URSSAF ne veulent pas les assurer, le crédit de cotisation pourrait être en partie imputé sur les cotisations salariales payées par les entreprises aux URSSAF pour le compte de leurs salariés, sans qu’il soit remboursé par les entreprises aux salariés puisqu’il s’agit de diminuer le coût du travail pour les entreprises.
[5] S’agissant de la famille, il prend déjà lui-même toutes les décisions importantes.