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09/06/2016

Le coût de la SNCF pour les finances publiques

François ECALLE

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Les administrations publiques versent chaque année près de 10 Md€ à la SNCF, ce qui correspond à presque la moitié de ses charges sur le territoire national. En outre, les contributions de l’Etat et du régime général des salariés du secteur privé au financement de son régime spécial de sécurité sociale s’élèvent à près de 4 Md€, soit plus de la moitié des prestations versées. En dépit de ces concours publics, la dette ferroviaire a fortement augmenté pour atteindre 58 Md€ à la fin de 2015, dont 18 Md€ sont inclus dans la dette publique au sens du traité de Maastricht.

Le rapport financier du groupe SNCF pour l’exercice 2015 met en avant un chiffre d’affaires de 31,4 Md€, dont 33 % est réalisé à l’international, et un résultat net quasiment nul hors charges exceptionnelles (une dépréciation de 12 Md€ de la valeur de ses actifs). En supposant que les résultats des activités domestiques et internationales du groupe sont identiquement nuls, il en ressort que les charges de la SNCF sur le territoire national sont de l’ordre de 67 % de son chiffre d’affaires total, soit 21 Md€.

Les dépenses publiques en sa faveur s’élevant à 9,6 Md€, hors contributions au régime de sécurité sociale de ses agents, le coût des activités domestiques de la SNCF est financé à hauteur de 46 % par des impôts. Les contributions de l’Etat et du régime général des salariés du secteur privé au régime spécial de sécurité sociale de la SNCF sont par ailleurs de 3,8 Md€.

Les annonces faites par le Premier ministre le 8 juin ajoutent donc quelques centaines de millions d’euros à une addition qui s’élève déjà à 13,5 Md€, soit plus de la moitié du budget de la recherche et de l’enseignement supérieur (26,2 Md€ en loi de finances initiale pour 2016). Le projet d’une « caisse d’amortissement de la dette de la SNCF » fait penser au « service annexe d’amortissement de la dette de la SNCF » qui a servi à en cacher comptablement une partie jusqu'en 2007.

A)   Les dépenses publiques en faveur de la SNCF : 9,6 Md€

Ces dépenses apparaissent dans le rapport financier de la SNCF ainsi que dans le rapport de la commission des comptes des transports, dans le « projet annuel de performance » du programme budgétaire « infrastructures et services de transport » et dans le rapport de l’observatoire des finances locales. Les montants indiqués dans ces documents diffèrent parfois un peu car les méthodes de comptabilisation ne sont pas les mêmes, mais les ordres de grandeur sont identiques. Les chiffres cités ici sont ceux du rapport financier de la SNCF pour 2015, car ce sont les plus récents.

1)    Les contributions aux charges de service public : 7 Md€

La principale contribution des administrations publiques (4,2 Md€ en 2015) est constituée par « la vente de prestations de services ferroviaires » aux « autorités organisatrices » des transports régionaux (les régions et le syndicat des transports en Ile-de-France). Ces ventes de services apparaissent dans le rapport financier de la SCNF sous la dénomination « commandes publiques de prestations de services » et sont considérées par elle comme un élément de son chiffre d’affaires.

Elles ont cependant une nature très particulière qui les éloigne fortement d’opérations commerciales : les autorités organisatrices ont l’obligation d’acheter à la SNCF, qui est en situation de monopole, les services rendus par les trains express régionaux (TER) et le Transilien. Elles peuvent seulement modifier à la marge la nature des services proposées aux voyageurs et créer des tarifs sociaux, à leur charge (0,5 Md€ en plus des 4,2 Md€ cités ci-dessus).

La SNCF leur facture principalement des charges « au réel » (notamment les péages, qui représentent le coût des infrastructures) et des charges « au forfait » qui correspondent à ses coûts d’exploitation prévisionnels diminués de ses prévisions de vente de billets aux voyageurs.

Les péages facturés « au réel » par les autorités organisatrices régionales sont en réalité minorés car l’Etat en prend lui-même une partie en charge. Il paye également une partie des péages dus par les trains d’équilibre du territoire et les trains de fret, ce qui conduit à une dépense totale de 1,8 Md€ pour l’Etat au titre de l’utilisation du réseau qui s’ajoute aux contributions précédentes des autorités régionales.

En outre, l’Etat « achète » aussi à la SNCF les prestations des « trains d’équilibre du territoire » (0,3 Md€) et lui rembourse le manque à gagner au titre du transport des militaires et des tarifs sociaux nationaux (0,2 Md€).

Au total, ces dépenses des administrations publiques en faveur de la SNCF s’élèvent en 2015 à 7,0 Md€. Elles sont économiquement de même nature que les « contributions aux charges de service public » versées par l’Etat à ses « opérateurs », en principe également dans le cadre de contrats d’objectifs et de moyens dans lesquels l’Etat s’engage à les financer tout en modulant ses concours en fonction de leurs performances.

2)    Les subventions d’investissement : 2,6 Md€

Le rapport financier de la SNCF fait par ailleurs apparaître des « subventions et concours publics reçus de l’Etat et des collectivités publiques » pour un total de 2,6 Md€ en 2015.

Il s’agit principalement des subventions de l’Etat pour la modernisation et l’extension (nouvelles lignes à grande vitesse) du réseau, qui transitent pour certaines par « l’agence de financement des infrastructures de transport de France » (AFITF), et des apports des collectivités locales au financement du matériel roulant.

Des subventions d’investissement d’un tel montant à la SNCF (et RFF avant leur fusion) sont récurrentes et il est donc justifié de les ajouter aux dépenses précédentes (7 Md€) pour faire apparaitre un total de 9,6 Md€ qui peut être rapproché des charges du groupe dans le cadre de ses activités sur le territoire français (21 Md€).

3)    Le coût de la SNCF financé à hauteur de 46 % par l’impôt

Il en ressort que les charges de la SNCF sont financées à hauteur d’environ 46 % par des prélèvements obligatoires, ce qui n’est pas loin du seuil de 50 % au-delà duquel la SNCF pourrait être classée parmi les administrations publiques en comptabilité nationale. Ces prélèvements sont des impôts d’Etat, des impôts locaux et le « versement transport » des entreprises aux autorités organisatrices.

S’agissant des seuls trains régionaux et du Transilien, les usagers ne supportent que 30 % de leur coût selon un rapport de 2011 du centre d’analyse stratégique et un rapport de la Cour des comptes de 2016. La participation des usagers à la couverture du coût des trains à grande vitesse est supérieure à 50 %.

B)   Les contributions au financement du régime spécial de sécurité sociale des agents de la SNCF : 3,8 Md€

Les développements suivants proviennent du rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) de septembre 2015.

Les agents de la SNCF ont un régime spécial de sécurité sociale qui a été réformé en 2008 pour l’aligner, partiellement, sur celui des fonctionnaires. Si le mode de calcul des pensions est le même que pour ces derniers (75 % du salaire hors primes des six derniers mois[1] pour une durée de cotisation équivalente à celle requise dans le secteur privé pour obtenir le « taux plein »), l’âge minimal de départ en retraite est calé sur celui des catégories dites « actives » et « super actives » de la fonction publique, soit respectivement 55 ans (tous les agents hors les conducteurs à la SNCF) et 50 ans (les agents de conduite). Cette limite d’âge doit être relevée de deux ans comme dans le secteur privé, mais avec un décalage de plusieurs générations. En matière d’assurance maladie, les agents de la SNCF bénéficient d’un service médical gratuit sans avance de frais.

Depuis 2007, ce régime spécial est géré par une caisse autonome de sécurité sociale, la « caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF ».

Sa branche maladie est financée par des cotisations sociales de l’employeur et des salariés à des taux (respectivement 9,6 et 0,15 %) inférieurs à ceux du régime général de sécurité sociale (respectivement 12,8 % et 0,75 %). Selon le rapport de la CCSS, « la branche est équilibrée par le produit de la compensation bilatérale versée par la CNAM. Ce transfert est écrêté pour équilibrer parfaitement le régime ». Son montant en 2015 s’est élevé à 0,5 Md€.

Pour la branche retraite, le taux de cotisation salariale est de 8,15 % et le taux à la charge de l’employeur est, selon le rapport de la CCSS, la somme de deux composantes : la première (23,9 %) est « déterminé afin de couvrir, déduction faite du produit des cotisations salariales, le montant qui serait dû si les salariés relevaient du régime général et des régimes de retraite complémentaires obligatoires ; la deuxième (11,7 %) est destiné à contribuer forfaitairement au financement des droits spécifiques de retraite du régime spécial ».

Malgré cette contribution « forfaitaire » de la SNCF aux « droits spécifiques » de ses agents, l’Etat attribue au régime une subvention d’équilibre qui était de 3,3 Md€ en 2015.

En théorie, ces contributions de l’Etat et du régime général au régime spécial de la SNCF pourraient se justifier par la nécessité de compenser son déséquilibre démographique (qui résulte pour partie de départs précoces) : environ 150 000 actifs pour 270 000 pensionnés. En pratique, les règles de compensation démographiques entre les régimes de sécurité sociale sont tellement obscures qu’il est impossible de s’en assurer.

Il reste donc que l’Etat et le régime général concourent pour 3,8 Md€ au financement de ce régime spécial dont les prestations ont représenté 7,0 Md€ en 2015 (1,8 Md€ pour la maladie et 5,2 Md€ pour la vieillesse).

C)    La dette ferroviaire : 58 Md€

Selon le rapport de 2008 de la Cour des comptes sur le réseau ferroviaire, la « dette ferroviaire » s’élevait à 35 Md€ en 1995, à 38 Md€ en 2000 et à 42 Md€ en 2005. Elle comprenait, après retraitement des créances et dettes réciproques, les dettes de la SNCF, de RFF et du « service annexe d’amortissement de la dette de la SNCF » (SAAD).

Ce dernier, qui n’avait aucune existence juridique, portait une dette de la SNCF de 8 Md€ que l’Etat s’était engagé en 1991 à amortir lui-même sans pour autant l’enregistrer dans ses comptes et que la SNCF ne voulait pas non plus comptabiliser puisque l’Etat s’était engagé à la rembourser.

Le passage de la SNCF aux normes comptables internationales et la décision prise par Eurostat d’intégrer ces 8 Md€ dans la dette publique au sens du traité de Maastricht, ce qui n’était pas le cas des dettes de la SNCF et de RFF, ont conduit l’Etat à reprendre formellement cette dette en 2007.

Comme pour toutes ses dettes, l’Etat la rembourse en empruntant à nouveau. On peut donc considérer que l’endettement consolidé de la SNCF et de RFF, et du groupe SNCF depuis la réforme de 2014 qui a placé les deux entreprises sous une même holding, doivent être majorés de 8 Md€ pour estimer la dette ferroviaire totale.

Selon un rapport du Sénat de 2011, dont les chiffres sont repris dans un rapport de la Cour des comptes de 2014 sur la grande vitesse ferroviaire, les dettes de la SNCF et de RFF totalisaient 36 Md€ en 2010, soit 44 Md€ avec la dette du SAAD reprise par l’Etat.

Le rapport financier du groupe SNCF fait enfin état d’un endettement financier net non courant de 50 Md€ au 31 décembre 2015, soit 58 Md€ pour la dette ferroviaire totale.

Seule une part minoritaire de cet endettement est compris dans la dette publique au sens du traité de Maastricht : les 8 Md€ de dettes du SAAD reprises par l’Etat et environ 10 Md€ de dettes de RFF qui ont été reclassés en dette des administrations publiques par l’Insee en 2014.

Il n’est pas certain que ces montants sur les années 1995 à 2015 soient totalement comparables car les méthodes comptables ont pu changer, mais les données comparables disponibles ne portent que sur deux années successives dans la mesure où les entreprises sont obligées de présenter un bilan retraité pour l’exercice précédent celui qui fait l’objet des comptes. Le rapport financier de la SNCF montre ainsi que l’endettement financier net non courant a augmenté de 2,2 Md€ de fin 2014 à fin 2015 à méthodes constantes.

Source : Cour des comptes, Sénat et SNCF ; FIPECO

La forte hausse de la dette ferroviaire au cours des dernières années peut s’expliquer par des investissements plus importants que dans le passé avec notamment la construction de plusieurs lignes à grande vitesse en même temps et l’augmentation des travaux de régénération du réseau classique.

 

[1] Mais les fonctionnaires n’ont pas de retraite complémentaire. Ce taux se compare donc à un taux de remplacement dans le secteur privé qui est aussi de l’ordre de 75 % avec les retraites complémentaires.

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