08/10/2019
Le coût de la SNCF pour les contribuables en 2018
François ECALLE
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Ce billet présente le coût, sans préciser comment il pourrait être justifié, de la SNCF et du régime spécial de sécurité sociale des cheminots pour l’Etat (ou l’AFITF[1]) et les régions (ou Ile-de-France Mobilités[2] en Ile-de-France), donc pour les contribuables, en 2018.
Les régions et Ile-de-France Mobilités ont versé 5,3 Md€ à la SNCF en 2018 pour exploiter les transports ferroviaires de proximité et l’Etat a pris 2,9 Md€ de frais de fonctionnement de la SNCF à sa charge. Les contribuables ont donc payé par leur intermédiaire 8,2 Md€ à la SNCF, soit 35 % de ses coûts de fonctionnement.
En outre, l’Etat et les autorités régionales ont subventionné les investissements de la SNCF à hauteur de 42 %, soit 3,4 Md€, en 2018. En dépit de ces subventions, les investissements de la SNCF doivent être largement financés par l’emprunt et son endettement net financier atteignait 57 Md€ à la fin de 2018. Seul l’Etat pourrait en assurer le remboursement, par des impôts futurs ou de nouveaux emprunts.
Hors protection sociale des cheminots, les contribuables ont donc supporté 11,6 Md€ en 2018, dont on peut déduire 0,5 Md€ de taxes spécifiques payées par la SNCF, soit une contribution nette de 11,1 Md€.
L’Etat a enfin versé une subvention d’équilibre de 3,3 Md€ au régime spécial de retraite des cheminots, ce qui représente 62 % des pensions versées.
Au total, le coût de la SNCF pour les contribuables s’est donc élevé à 14,4 Md€ en 2018, ce qui s’ajoute au prix payé pour acheter des billets de train.
La reprise de la dette de SNCF Réseau par l’Etat à hauteur de 25 Md€ en 2020 entraînera une hausse de la charge d’intérêt de l’Etat, donc du coût pour les contribuables, d’environ 0,5 Md€ par an.
Les réformes engagées en 2018 pourraient se traduire par une réduction du coût pour les contribuables, hors protection sociale, mais cela dépendra beaucoup des modifications qui seront apportées en pratique à l’organisation de l’entreprise et à la gestion de ses ressources humaines. Le coût de la protection sociale des cheminots dépendra à long terme des conditions dans lesquelles ils seront intégrés au futur système universel de retraite et des avantages qu’ils garderont éventuellement.
A)Le coût de la SNCF hors régime spécial de sécurité sociale
Depuis début 2015, le « groupe SNCF » comprend trois établissements publics industriels et commerciaux (EPIC), un EPIC tête de groupe et les EPIC SNCF Réseau (les infrastructures ferroviaires, pour simplifier) et SNCF Mobilité (les trains, pour simplifier), ainsi que leurs filiales.
Ce billet s’appuie sur les montants des dépenses de l’Etat (ou de l’AFITF) et des régions (ou d’Ile-de-France Mobilités) en faveur de la SNCF en 2018 qui figurent dans le rapport annuel de la commission des comptes des transports de la Nation et dans le rapport financier du groupe SNCF. Les méthodes comptables appliquées dans ces documents n’étant pas les mêmes, ces montants diffèrent parfois. Les chiffres de la commission des transports ont été privilégiés, pour leur cohérence avec les comptes nationaux, et les montants retenus ont été comparés avec ceux du rapport de J.C. Spinetta de février 2018 pour en vérifier la cohérence.
Le coût de la SNCF, hors protection sociale des cheminots, pour les contribuables est ainsi estimé dans ce billet à 11,6 Md€ en 2018, dont on peut déduire 0,5 Md€ de taxes et redevances spécifiques payées par la SNCF ce qui conduit à un coût net de 11,1 Md€. Le rapport financier de la SNCF fait état de 11,3 Md€ de ventes de services aux régions et à Ile-de-France Mobilités et de subventions en provenance de celles-ci, de l’Etat et de l’AFITF en 2018. Le rapport Spinetta estimait le coût de la SNCF pour ces collectivités publiques à 10,5 Md€ en 2016 avant déduction des taxes spécifiques. Il ne faudrait pas en déduire que ce coût est passé de 10,5 Md€ en 2016 à 11,6 Md€ en 2018 car ces deux chiffres ne sont probablement pas tout-à-fait comparables. En revanche, le montant de 11,6 Md€ pour 2018 est une approximation raisonnable.
1)Les coûts de fonctionnement
La principale contribution des contribuables aux coûts de fonctionnement de la SNCF (5,3 Md€ en 2018) est « la vente de prestations de services ferroviaires » par SNCF Mobilités aux « autorités organisatrices » des transports régionaux (les régions et Ile-de-France Mobilités). Ces ventes de services apparaissent dans le rapport financier de la SNCF sous la dénomination « commandes publiques de prestations de services » et sont considérées par elle comme une composante de son chiffre d’affaires.
Elles ont cependant une nature très particulière qui les éloigne fortement d’opérations commerciales : les autorités organisatrices ont l’obligation d’acheter à la SNCF, qui est en situation de monopole, les services rendus par les trains express régionaux (TER) et le Transilien. Elles peuvent seulement modifier à la marge la nature des services proposées aux voyageurs et créer des tarifs sociaux, à leur charge. Que l’on considère ce montant comme un achat de services ou une subvention, il est en tout état de cause payé par les autorités publiques régionales et donc par les contribuables.
Parmi les coûts facturés par la SNCF aux autorités organisatrices régionales figurent en principe les péages dus par SNCF Mobilités à SNCF Réseau pour l’utilisation du réseau. Une partie des péages dus au titre des TER et transiliens est toutefois payée par l’Etat (1,8 Md€).
Celui-ci prend également en charge une partie des péages dus par les trains de fret (0,1 Md€). Il « achète » à la SNCF les prestations des « trains d’équilibre du territoire » (0,3 Md€). Il compense le coût de certains tarifs sociaux et des déplacements des militaires (0,4 Md€).
Compte-tenu de quelques autres charges, les coûts de fonctionnement de la SNCF supportés par les contribuables s’élèvent au total à 8,2 Md€, dont 2,9 Md€ à travers l’Etat et l’AFITF et 5,3 Md€ à travers les autorités régionales.
Le chiffre d’affaires consolidé du groupe SNCF est de 33,3 Md€ en 2018, dont environ un tiers à l’international et deux tiers (environ 22 Md€) sur le marché national. Son compte de résultat est à peu près équilibré compte-tenu des achats et subventions de l’Etat et des autorités régionales. Si on suppose qu’il est équilibré aussi bien pour le marché international que pour le marché domestique, les coûts de fonctionnement de la SNCF sur le marché domestique sont d’environ 22 Md€ et ils sont supportés par les contribuables à hauteur de 35 % (en tenant compte des taxes spécifiques payées par la SNCF à l’Etat). Ce taux de contribution est plus élevé pour les transports de proximité et de fret, plus faible pour les trains à grande vitesse.
2)Le coût des investissements et l’endettement
Les subventions d’investissements reçus par la SNCF s’élèvent à 3,4 Md€, dont 1,5 Md€ pour SNCF Mobilités et 1,8 Md€ pour SNCF Réseau. Elles proviennent de l’Etat et de l’AFITF pour 0,9 Md€ et des autorités régionales pour 2,4 Md€. Comme le rapport financier du groupe SNCF fait état de 8,1 Md€ d’investissements en France en 2018, ceux-ci sont subventionnés par les contribuables à hauteur de 42 %.
En dépit de ces subventions, les investissements de la SNCF doivent être largement financés par l’emprunt et le rapport Spinetta estime à 3 Md€ le besoin de financement annuel du système ferroviaire, ce qui explique l’endettement du groupe SNCF et notamment de SNCF Réseau.
Dans un rapport de 2008 sur le réseau ferroviaire, la Cour des comptes observait que la dette ferroviaire avait atteint 41 Md€ à la fin de 2006 et que l’Etat en avait repris formellement à sa charge 8 Md€ en 2007. Elle soulignait déjà que cette reprise était insuffisante et qu’une grande partie de la dette restant à la charge du système ferroviaire ne pouvait être remboursée que par l’Etat. Elle recommandait donc à celui-ci de la reprendre formellement à son compte.
A la fin de 2018, la dette financière nette du groupe SNCF atteignait 56,6 Md€ (54,6 Md€ à la fin de 2017), dont 48 Md€ pour SNCF Réseau, et ses fonds propres étaient fortement négatifs (- 6,5 Md€). La SNCF était donc insolvable, ses passifs étant supérieurs à ses actifs.
Si la SNCF a coûté 11,1 Md€ aux contribuables en 2018[3], il faudrait y ajouter les impôts futurs qu’ils devront payer pour rembourser ces dettes.
B)Le coût du régime spécial de sécurité sociale
Les développements suivants proviennent du rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) de septembre 2019.
Les agents de la SNCF ont un régime spécial de sécurité sociale qui a été réformé en 2008 pour l’aligner, partiellement, sur celui des fonctionnaires. Si le mode de calcul des pensions est le même que pour ces derniers (75 % du salaire hors primes des six derniers mois[4] pour une durée de cotisation équivalente à celle requise dans le secteur privé pour obtenir le « taux plein »), l’âge minimal de départ en retraite est calé sur celui des catégories dites « actives » et « super actives » de la fonction publique, soit respectivement 55 ans (tous les agents hors les conducteurs à la SNCF) et 50 ans (les agents de conduite). Cette limite d’âge doit être relevée de deux ans comme dans le secteur privé et pour les catégories actives et super actives, mais avec un décalage de plusieurs générations. En matière d’assurance maladie, les agents de la SNCF bénéficient d’un service médical gratuit sans avance de frais.
Depuis 2007, ce régime spécial est géré par une caisse autonome de sécurité sociale, la « caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF ».
Sa branche maladie n’est plus distinguée dans le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale. Les prestations et cotisations de droit commun sont intégrées à celles de la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et il apparaît seulement que les prestations spécifiques (0,2 Md€) font l’objet d’une subvention d’équilibre de 0,1 Md€ du régime général.
Pour la branche retraite, le taux de cotisation salariale est de 8,8 % en 2018 et le taux à la charge de l’employeur (37,1 %) est, selon le rapport de la CCSS, la somme de deux composantes : la première est « déterminé afin de couvrir, déduction faite du produit des cotisations salariales, le montant qui serait dû si les salariés relevaient du régime général et des régimes de retraite complémentaires obligatoires ; la deuxième est destinée à contribuer forfaitairement au financement des droits spécifiques de retraite du régime spécial ».
Malgré cette contribution « forfaitaire » de la SNCF aux « droits spécifiques » de ses agents, l’Etat attribue au régime une subvention d’équilibre qui était de 3,3 Md€ en 2018 et représentait 62 % des pensions versées (5,3 Md€).
C)Les effets des réformes engagées
1)La reprise de la dette de la SNCF par l’Etat
Considérant que les recettes marchandes de SNCF Réseau (les péages prélevés sur les opérateurs de trains) représentaient moins de la moitié de ses coûts de production depuis 2016, l’Insee a décidé en 2018 de classer cet EPIC parmi les administrations publiques (dans la catégorie « organismes divers d’administration centrale ») à compter de l’exercice 2016.
En conséquence, la dette de SNCF Réseau (37 Md€ à la fin de 2016) a été ajoutée à la dette publique à partir de l’exercice 2016. Les dépenses publiques sont majorées chaque année des dépenses de SNCF Réseau, déduction faite des versements que lui font l’Etat, l’AFITF et les autorités régionales. Les recettes publiques sont majorées chaque année du montant des péages perçus par SNCF Réseau sur les opérateurs ferroviaires. Le déficit public est au total accru chaque année (de 3,2 Md€ en 2016).
Ce reclassement statistique ne change rien au coût de la SNCF pour les contribuables.
L’Etat s’est engagé en 2018 à reprendre la dette de SNCF Réseau à hauteur de 25 Md€ en 2020 et 10 Md€ en 2022. Il s’agit d’une reprise de dette juridique et pas seulement statistique comme le reclassement opéré par l’Insee. La première tranche est prévue dans le projet de loi de finances pour 2020.
En conséquence de cette première reprise de dette, la charge d’intérêt de l’Etat sera augmentée chaque année (de 0,4 à 0,7 Md€ entre 2020 et 2026), de même que le coût de la SNCF pour les contribuables.
2)Les autres réformes
Les opérateurs de fret sont déjà en concurrence depuis plusieurs années et, à partir de 2020, la concurrence s’étendra aux transports de voyageurs. S’agissant des transports de proximité, elle passera par des appels d’offres des autorités régionales. Cette mise en concurrence devrait inciter SNCF Mobilités à réduire ses coûts et à améliorer ses services. Si d’autres opérateurs sont choisis par les autorités régionales, celles-ci n’achèteront plus de services à SNCF mobilités mais à des opérateurs concurrents. Le coût de la SNCF pour les contribuables diminuera. Le coût du transport ferroviaire pour les contribuables baissera à hauteur de l’écart entre les prix de SNCF Mobilités et ceux de l’opérateur retenu.
La loi du 27 juin 2018 prévoit la transformation au 1er janvier 2020 des trois EPIC en une société nationale, SNCF, à capitaux entièrement publics détenant deux sociétés, SNCF Réseau et SNCF Mobilités. La reprise de 25 Md€ de dettes de SNCF Réseau par l’Etat en 2020 se traduira par une augmentation d’un même montant des fonds propres de SNCF Réseau, puis de ceux de la société SNCF du fait de la revalorisation de sa participation dans SNCF Réseau.
Cette réforme de l’organisation juridique du groupe n’aura pas d’effet direct sur son coût pour le contribuable mais, étant soumise aux dispositions du code de commerce, la société SNCF ne devrait pas pouvoir afficher de fonds propres négatifs.
La loi de 2018 prévoit enfin que les recrutements de cheminots au statut cesseront le 1er janvier 2020 pour faire place à des embauches sous contrat de droit privé dans le cadre d’une convention collective de la branche ferroviaire à élaborer par les partenaires sociaux.
Le recrutement sous contrat de droit privé pourrait rendre la gestion des ressources humaines plus flexible et réduire les coûts de fonctionnement de la SNCF mais cela dépendra beaucoup de la convention collective de branche et des accords d’entreprise qui seront adoptés. Ceux-ci pourraient ne pas apporter de changements majeurs à l’organisation du travail et aux rémunérations dans le groupe SNCF.
L’arrêt du recrutement de cheminots au statut réduira progressivement les cotisations sociales versées au régime spécial de retraite à partir de 2020, ce qui obligera l’Etat à augmenter sa subvention d’équilibre. Les nouveaux agents seront toutefois affiliés au régime général dont les cotisations sociales augmenteront. Le coût pour les contribuables, entendus comme les redevables d’impôts et de cotisations sociales, ne devrait pas être significativement modifié. A long terme, l’intégration du régime spécial des cheminots dans le futur régime universel devrait conduire à la disparition du coût de ce régime spécial pour les contribuables, en supposant qu’il ne réapparaisse pas sous forme d’avantages accordés aux cheminots à la retraite par des accords d’entreprise.
[1] Agence de financement des infrastructures de transports de France, qui finance ces infrastructures pour le compte de l’Etat.
[2] Cet établissement public, qui a remplacé le syndicat des transports en Ile-de-France (STIF), finance les transports collectifs transiliens par un impôt sur les salaires (le versement transports), le produit des amendes liées à la circulation et des subventions des collectivités locales.
[3] 8,2 Md€ en contributions à ses dépenses de fonctionnement et 3,4 Md€ de subventions d’investissement moins 0,5 Md€ de taxes spécifiques.
[4] Mais les fonctionnaires n’ont pas de retraite complémentaire. Ce taux se compare donc à un taux de remplacement dans le secteur privé qui est aussi de l’ordre de 75 % avec les retraites complémentaires.