02/12/2020
Le coût de la SNCF pour les contribuables en 2019
François ECALLE
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Ce billet présente le coût, sans chercher à évaluer son bien-fondé, de la SNCF et du régime spécial de sécurité sociale des cheminots pour l’Etat (ou l’AFITF[1]) et les régions (ou Ile-de-France Mobilités[2] en Ile-de-France), donc pour les contribuables (ménages et entreprises).
Dans un billet publié en juin 2016 sur ce site, ce coût avait été estimé, pour la première fois, à 14 Md€ en 2015. Le rapport de J.C. Spinetta de février 2018, établi à la demande du Gouvernement, l’a ensuite évalué à 13,7 Md€ en 2016.
Les régions et Ile-de-France Mobilités ont versé 5,7 Md€ à la SNCF en 2019 pour exploiter les transports ferroviaires de proximité. L’Etat a pris 0,4 Md€ de frais de fonctionnement de la SNCF à sa charge mais il a prélevé sur elle 0,8 Md€ de recettes spécifiques. Par l’intermédiaire de l’Etat et des autorités régionales, les contribuables ont donc payé 5,3 Md€ à la SNCF, soit 22 % de ses coûts de fonctionnement.
En outre, l’Etat et les autorités régionales ont subventionné les investissements de la SNCF à hauteur de 46 %, soit 4,4 Md€, en 2019. Le coût de la SNCF pour les contribuables, hors protection sociale des cheminots, était donc de 9,7 Md€ en 2019.
En dépit de ces subventions, le résultat net de la SNCF a souvent été déficitaire (-0,8 Md€ en 2019) et ses investissements doivent être largement financés par l’emprunt. Son endettement net atteignait 60,3 Md€ à la fin de 2019 (+ 3,6 Md€ par rapport à fin 2018) et ses fonds propres étaient fortement négatifs (-8,7 Md€). Une société se trouvant dans cette situation devant déposer son bilan et la SNCF devenant une société en 2020, l’Etat s’est engagé à reprendre les dettes de la SNCF à hauteur de 35 Md€.
L’Etat a enfin versé une subvention d’équilibre de 3,2 Md€ au régime spécial de retraite des cheminots, ce qui représente 60 % des pensions versées. Elle couvre à la fois le déséquilibre démographique du régime spécial de la SNCF et les droits spécifiques des cheminots. Le coût de ces derniers était de 1,0 Md€ en 2017.
Au total, le coût de la SNCF pour les contribuables (ménages et entreprises) s’est élevé à 12,9 Md€ en 2019[3], sans tenir compte de son endettement. Cette charge s’ajoute au prix payé par les voyageurs pour acheter des billets de train.
A) Le coût de la SNCF hors régime spécial de sécurité sociale
De 2015 à 2019, le « groupe SNCF » comprenait trois établissements publics industriels et commerciaux (EPIC), un EPIC tête de groupe et les EPIC SNCF Réseau (les infrastructures ferroviaires, pour simplifier) et SNCF Mobilité (les trains, pour simplifier), ainsi que leurs filiales. La loi du 27 juin 2018 prévoit la transformation au 1er janvier 2020 des trois EPIC en une société nationale, SNCF, à capitaux entièrement publics détenant deux sociétés, SNCF Réseau et SNCF Mobilités.
Ce billet s’appuie sur les montants des dépenses de l’Etat (ou de l’AFITF) et des régions (ou d’Ile-de-France Mobilités) en faveur de la SNCF en 2019 qui figurent dans le rapport annuel de la commission des comptes des transports de la Nation et dans le rapport financier du groupe SNCF. Les méthodes comptables appliquées dans ces documents n’étant pas les mêmes, ces montants diffèrent parfois. Les chiffres de la commission des transports ont été privilégiés pour leur cohérence avec les comptes nationaux.
1) Les coûts de fonctionnement
La principale contribution des contribuables aux coûts de fonctionnement de la SNCF (5,7 Md€ en 2019) est « la vente de prestations de services ferroviaires » par SNCF Mobilités aux « autorités organisatrices » des transports régionaux, à savoir les régions (3,4 Md€) et Ile-de-France Mobilités (2,3 Md€)[4]. Ces ventes de services apparaissent dans le rapport financier de la SNCF sous la dénomination « commandes publiques de prestations de services » et sont considérées par elle comme une composante de son chiffre d’affaires.
Elles ont cependant une nature très particulière qui les éloigne fortement d’opérations commerciales : en attendant leur prochaine ouverture à la concurrence, les autorités organisatrices avaient en 2019 l’obligation d’acheter à la SNCF, qui était en situation de monopole, les services rendus par les trains express régionaux (TER) et le Transilien. Elles pouvaient seulement modifier à la marge la nature des services proposées aux voyageurs et créer des tarifs sociaux, à leur charge. Que l’on considère ce montant comme un achat de services ou une subvention, il est en tout état de cause payé par les autorités publiques régionales et donc par les contribuables (surtout les entreprises à travers le versement transports).
L’Etat verse des subventions à SNCF Mobilité (0,4 Md€), notamment au titre du transport des militaires et des trains d’équilibre du territoire.
Les coûts de fonctionnement de la SNCF supportés par les contribuables s’élèvent au total à 6,1 Md€ en 2019, dont 5,6 Md€ pour les TER et le Transilien.
La SNCF a prélevé des recettes autres que les impôts de droit commun sur la SNCF pour 0,8 Md€ en 2019, notamment des dividendes sur son bénéfice de 2018. Le coût net à la charge du contribuable est donc de 5,3 Md€.
Le chiffre d’affaires consolidé du groupe SNCF est de 35 Md€ en 2019, dont environ un tiers à l’international et deux tiers (soit 23,3 Md€) sur le marché national. Son compte de résultat dégage un déficit de 0,8 Md€ compte-tenu des achats et subventions de l’Etat et des autorités régionales. Si on suppose que ce déficit est imputable pour un tiers au marché international et deux tiers au marché domestique, les coûts de fonctionnement de la SNCF sur le marché domestique sont de presque 24 Md€ et sont supportés par les contribuables à hauteur de 22 %.
2) Le coût des investissements
Les subventions d’investissements reçus par la SNCF s’élèvent en 2019 à 2,0 Md€ pour SNCF Mobilités (surtout des subventions des autorités organisatrices régionales pour acheter des matériels roulants) et à 2,4 Md€ pour SNCF Réseau (dont 0,8 Md€ de l’Etat ou de l’AFITF et 1,6 Md€ des collectivités locales ou d’Ile-de-France Mobilités), soit un total de 4,4 Md€.
Comme le rapport financier du groupe SNCF fait état de 9,5 Md€ d’investissements en France en 2019, ceux-ci sont subventionnés par les contribuables à hauteur de 46 %.
3) Le coût total net en 2019
Le coût total net de la SNCF, hors protection sociale des cheminots, pour les contribuables est ainsi estimé à 9,7 Md€ en 2019. Cette charge s’ajoute au prix payé par les voyageurs pour acheter des billets de train.
4) Le coût futur : la dette de la SNCF
Malgré ces subventions, le compte de résultat de la SNCF a souvent été déficitaire (- 0,8 Md€ en 2019) et le groupe a dû s’endetter pour financer ses investissements. A la fin de 2019, son endettement net financier atteignait 60,3 Md€ (+ 3,6 Md€ par rapport à fin 2018) et l’accumulation de résultats déficitaires se traduisait par des capitaux propres fortement négatifs (-8,7 Md€).
Une société se trouvant dans cette situation devrait déposer son bilan au tribunal de commerce et serait mise en redressement judiciaire. Comme la SNCF devait être transformée en société, l’Etat s’est engagé en 2018 à reprendre la dette de SNCF Réseau à hauteur de 25 Md€ en 2020 et 10 Md€ en 2022. La première tranche est prévue dans le projet de loi de finances pour 2020. Cette reprise de dette augmentera les fonds propres de la SNCF du même montant. Ces 25 Md€ devront être remboursés par l’Etat, soit en réempruntant le même montant soit par une baisse de ses dépenses ou une hausse de ses recettes.
En comptabilité nationale, une partie de la dette de SNCF Réseau à la fin de 2016 (37 Md€) a déjà été ajoutée à la dette publique à partir de l’exercice 2016. Ce traitement statistique a anticipé la reprise de dette au sens juridique.
B) Le coût du régime spécial de sécurité sociale
Les développements suivants proviennent du rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) de septembre 2020.
Les agents de la SNCF ont un régime spécial de sécurité sociale qui a été réformé en 2008 pour l’aligner, partiellement, sur celui des fonctionnaires. Si le mode de calcul des pensions est le même que pour ces derniers (75 % du salaire hors primes des six derniers mois[5] pour une durée de cotisation presque équivalente à celle requise dans le secteur privé pour obtenir le « taux plein »), l’âge minimal de départ en retraite est calé sur celui des catégories dites « actives » et « super actives » de la fonction publique, soit respectivement 55 ans (tous les agents hors les conducteurs à la SNCF) et 50 ans (les agents de conduite). Cet âge minimal doit être relevé de deux ans comme dans le secteur privé (de 60 à 62 ans) et pour les catégories actives et super actives, mais avec un décalage de plusieurs générations. En matière d’assurance maladie, les agents de la SNCF bénéficient d’un service médical gratuit sans avance de frais.
Depuis 2007, ce régime spécial est géré par une caisse autonome de sécurité sociale, la « caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF ».
Sa branche maladie n’est plus distinguée dans le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale. Les prestations et cotisations de droit commun sont intégrées à celles de la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et il apparaît seulement que les prestations spécifiques de la SNCF (0,2 Md€) font l’objet d’une subvention d’équilibre de 0,1 Md€ du régime général de sécurité sociale.
Pour la branche retraite, le taux de cotisation salariale est de 9,1 % en 2019 et le taux à la charge de l’employeur (38,0 %) est, selon le rapport de la CCSS, la somme de deux composantes : la première est « déterminé afin de couvrir, déduction faite du produit des cotisations salariales, le montant qui serait dû si les salariés relevaient du régime général et des régimes de retraite complémentaires obligatoires ; la deuxième est destinée à contribuer forfaitairement au financement des droits spécifiques de retraite du régime spécial ». Le premier taux est de 24,0 % et le deuxième de 14,0 %.
Malgré cette contribution « forfaitaire » de la SNCF aux « droits spécifiques » de ses agents, l’Etat attribue au régime une subvention d’équilibre qui était de 3,2 Md€ en 2019 et représentait 60 % des pensions versées (5,3 Md€).
Cette subvention d’équilibre compense d’une part le déséquilibre démographique de la SNCF (1,85 retraités pour 1 cotisant) et d’autre part les droits spécifiques des cheminots (départs précoces notamment). Selon un rapport de 2019 de la Cour des comptes, le coût des droits spécifiques s’élevait à 1,0 Md€ en 2017.
La loi de 2018 prévoit que les recrutements de cheminots au statut cessent le 1er janvier 2020 pour faire place à des embauches sous contrat de droit privé dans le cadre d’une convention collective de la branche ferroviaire à élaborer par les partenaires sociaux.
L’arrêt du recrutement de cheminots au statut réduira progressivement les cotisations sociales versées au régime spécial de retraite à partir de 2020, ce qui obligera l’Etat à augmenter sa subvention d’équilibre. Les nouveaux agents seront toutefois affiliés au régime général dont les cotisations sociales augmenteront. Le coût pour les contribuables, entendus comme les redevables d’impôts et de cotisations sociales, ne devrait pas être significativement modifié.
[1] Agence de financement des infrastructures de transports de France, qui finance ces infrastructures pour le compte de l’Etat.
[2] Cet établissement public, qui a remplacé le syndicat des transports en Ile-de-France (STIF), finance les transports collectifs transiliens par un impôt sur les salaires (le versement transports), le produit des amendes liées à la circulation et des subventions des collectivités locales.
[3] La méthode de calcul n’étant pas exactement la même, ce coût n’est pas totalement comparable aux estimations données ci-dessus pour 2015 et 2016.
[4] Une partie de ces achats de services ferroviaires par les autorités organisatrices régionales leur est remboursée par l’Etat (la partie correspondant aux redevances d’usage du réseau par les TER et Transiliens).
[5] Mais les fonctionnaires n’ont pas de retraite complémentaire. Ce taux se compare donc à un taux de remplacement dans le secteur privé qui est aussi de l’ordre de 75 % avec les retraites complémentaires.