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27/09/2023

Le coût et le financement des transports publics franciliens

François ECALLE

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Créé pour remplacer le syndicat des transports d’Ile-de-France (STIF) en 2020, l’établissement public Ile-de-France Mobilités (IdFM) est chargé d’organiser, de développer et de financer le service public des transports en Ile-de-France. La présente note s’appuie largement sur un rapport de mai 2023 de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale de l’environnement et du développement durable ainsi que sur le document publié par IdFM à destination des investisseurs et sur le bilan annuel des transports en comptabilité nationale.

Le coût de fonctionnement des transports publics franciliens s’élève en 2022 à 10,0 Md€, dont 4,8 Md€ pour la RATP, 3,2 Md€ pour la SNCF, 1,4 Md€ pour les autres opérateurs et 0,6 Md€ pour IdFM.

Les recettes de fonctionnement sont de 10,6 Md€ en 2022, dont 6,0 Md€ sont payés par les entreprises (notamment à travers une taxe sur les salaires, le versement mobilité), 2,3 Md€ par les usagers et 1,5 Md€ par l’Etat et les collectivités locales.

Les investissements dans les transports publics d’Ile-de-France, financés par IdFM mais aussi d’autres organismes publics comme la société du Grand Paris, s’élèvent à 7,0 Md€ en 2022. Ils sont financés par des subventions et, surtout, par l’emprunt. La dette financière d’IdFM est de 8,8 Md€ à la fin de 2022 et celle de la société du Grand Paris est de 25,3 Md€.

Les contribuables (ménages et entreprises), principalement franciliens, ont payé 9,2 Md€ en 2022, qu’ils utilisent ou non les transports publics. Ils pourraient avoir à payer dans le futur le remboursement avec intérêts d’une grande partie des montants empruntés.

Par rapport aux grandes métropoles étrangères, le financement des transports publics franciliens se distingue par l’importance des taxes sur les entreprises et la faiblesse des tarifs payés par les usagers.

Le rapport des inspections générales conclut que la trajectoire financière d’IdFM n’est pas soutenable. Les recettes de fonctionnement ne permettent pas, à législation inchangée, de couvrir les dépenses de fonctionnement à l’horizon de 2035 et le financement des investissements déjà prévus par IdFM ferait passer l’encours de sa dette de 9 Md€ en 2022 à 28 Md€ en 2030 et 38 Md€ en 2035.

A défaut d’une meilleure maîtrise des coûts de fonctionnement des opérateurs ou d’une remise en cause de certains investissements, il faut relever les tarifs payés par les usagers, les taux du versement mobilité ou les contributions de l’Etat et des collectivités locales. L’Etat et la région ont convenu le 26 septembre d’actionner l’ensemble de ces leviers, notamment une hausse de 300 M€ du versement mobilité qui est un impôt de production.

Ces montants ne tiennent pas compte des subventions versées par l’Etat aux régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP. La subvention d’équilibre attribuée par l’Etat à celui de la RATP est de 0,8 Md€, à la charge des contribuables nationaux et donc surtout provinciaux.

A) Le coût des transports publics franciliens

Ile-de-France Mobilités (IdFM) finance les dépenses de fonctionnement des opérateurs de transports publics franciliens, qui s’élèvent à 10,0 Md€ en 2022. La répartition de ces dépenses était la suivante en 2021 : 48 % pour la RATP ; 32 % pour la SNCF ; 14 % pour les autres opérateurs (surtout de lignes d’autobus : Keolis, Transdev…) et 6 % pour IdFM lui-même.

IdFM finance également les investissements dans les transports publics franciliens hors la construction de lignes nouvelles (ou le prolongement de lignes anciennes). Ces investissements s’élèvent à 2,5 Md€ en 2022 et sont constitués d’achats de matériels roulants à hauteur de 1,5 Md€ et d’investissements sur les infrastructures anciennes à hauteur de 0,5 Md€.

Les lignes nouvelles et prolongations de lignes anciennes sont financées par la société du Grand Paris (SGP), par l’Etat et par les collectivités territoriales de la région. En comparant le total des investissements en infrastructures donné par le bilan annuel des transports et ceux financés par IdFM on peut les estimer à 4,5 Md€, dont 2,6 Md€ pour la SGP, en 2021.

Au total, les coûts de fonctionnement atteignent 10,0 Md€ et les investissements probablement plus de 7,0 Md€ en 2022.

B) Le financement des transports publics franciliens

Les recettes de fonctionnement d’IdFM s’élèvent à 10,6 Md€ en 2022 et la section de fonctionnement de l’établissement public dégage donc un solde positif de 0,6 Md€.

Les recettes commerciales (ventes de billets et d’abonnements pour l’essentiel) sont de seulement 3,3 Md€. Si on suppose que leur ventilation n’a pas changé entre 2021 et 2022, les achats de titres de transport sont payés à hauteur de 2,3 Md€ par les passagers, de 0,7 Md€ par les entreprises (remboursement partiel des abonnements à leurs salariés) et de 0,2 Md€ par les collectivités locales de la région (subventions versées à IdFM pour compenser le coût des tarifs sociaux décidés par ces collectivités). Les usagers ne supportent que 23 % du coût de fonctionnement des transports publics franciliens.

Le « versement mobilité » (anciennement « versement transport ») des entreprises franciliennes est la principale ressource d’IdFM avec 5,3 Md€ en 2022. Il s’agit d’un impôt sur la masse salariale des établissements de plus de 10 salariés, situés dans la zone de compétence d’IdFM, des entreprises privées et publiques. Son taux est décidé par IdFM dans des limites fixées par la loi. En pratique, IdFM applique les taux maximaux autorisés (de 1,6 % dans les communes les moins bien desservies à 2,95 % dans les mieux desservies)[1]. Le versement mobilité est classé parmi les impôts sur la production en comptabilité nationale.

En incluant le remboursement partiel des abonnements à leurs salariés, les entreprises implantées dans la région financent 60 % des coûts de fonctionnement des transports publics franciliens.

Outre le financement des tarifs sociaux qu’elles ont décidés d’appliquer, les collectivités locales de la région apportent 1,3 Md€ de contributions « statutaires » à IdFM en 2022. Au total, elles financent 15 % des dépenses de fonctionnement des transports publics franciliens.

Les autres recettes de fonctionnement d’IdFM (0,7 Md€ en 2022) sont très diverses : dotation de l’Etat en faveur des transports scolaires, produit du supplément de taxe sur les carburants appliqué en Ile-de-France…

Les investissements d’IdFM sont financés par l’excédent de la section de fonctionnement de ses comptes, par le produit de certaines amendes, des subventions et, surtout, par des emprunts (1,5 Md€ en 2022). Alors qu’elle était quasiment nulle en 2012, la dette d’IdFM atteint 8,8 Md€ à la fin de 2022.

Les investissements de la SGP sont surtout financés par l’emprunt et sa dette financière atteint 25,3 Md€ à la fin de 2022.

Les autres investissements non financés par IdFM ou la SGP le sont par des subventions de l’Etat ou des collectivités territoriales de la région, donc par l’impôt ou l’endettement.

Le coût et le financement des transports publics franciliens en 2022 (Md€)

Fonctionnement

Dépenses

Ressources

RATP : 4,8

SNCF : 3,2

Autres opérateurs : 1,4

IdFM : 0,6

Total : 10,0

Entreprises : 6,0

Usagers : 2,3

Etat et collectivités locales : 1,5

Autres ressources : 0,7

Total : 10,6

Investissements

Dépenses

Ressources

IDFM : 2,5

SGP : 2,6

Autres organismes publics : 1,9

Total : 7,0

Excédent section de fonctionnement : 0,6

Emprunts : 4,0

Subventions : 2,4

Total : 7,0

Source : IdFM ; SGP ; bilan annuel des transports ; inspections générales des finances et de l’environnement et du développement durable ; FIPECO.

Les contribuables (ménages et entreprises) ont payé 9,2 Md€ en 2022 (5,3 Md€ pour le versement mobilités et 3,9 Md€ à travers les subventions de l’Etat et des collectivités locales pour le fonctionnement et les investissements en supposant qu’elles sont elles-mêmes financées par l’impôt), qu’ils utilisent ou non les transports publics. Les subventions de l’Etat étant relativement marginales, ces contribuables sont surtout franciliens. Ils pourraient avoir à payer dans le futur une grande partie du remboursement avec intérêts des 4,0 Md€ empruntés en 2022.

Les montants précédents ne tiennent pas compte du coût des régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP et de leur financement par une subvention d’équilibre de l’Etat. Si celui de la RATP est identifiable, ce n’est pas possible pour celui du réseau francilien de la SNCF. S’agissant du régime spécial de la RATP, l’Etat lui a versé une subvention d’équilibre de 0,8 Md€ en 2022 qui couvre à la fois son déséquilibre démographique et ses avantages spécifiques pour les agents. Elle est financée par les recettes de l’Etat, donc surtout par les contribuables de province.

C) Les comparaisons internationales

Les comparaisons entre les transports collectifs en Ile-de-France et dans les autres régions françaises sont peu pertinentes car les réseaux sont très différents du fait des dimensions de la région capitale. Les comparaisons avec de grandes métropoles étrangères sont plus intéressantes et le rapport des inspections générales des finances et de l’environnement et du développement durable apporte des éclairages sur les transports publics dans quelques métropoles comme Berlin, Londres ou New-York dont les réseaux de transport sont comparables à ceux de l’Ile-de-France mais où l’organisation administrative est souvent très différente ce qui invite à prendre ces comparaisons avec précaution.

L’Ile-de-France se distingue par le poids des impôts sur les entreprises affectés au financement des transports publics : 45 % des recettes de fonctionnement en 2019 (hors remboursement des abonnements aux salariés) contre 36 % à New-York (où il existe une taxe semblable au versement mobilité mais à un taux maximal de 0,34 %), 18 % à Londres et rien à Berlin. En outre, l’Ile-de-France est la seule de ces quatre métropoles où les entreprises ont l’obligation de rembourser une partie des abonnements de leurs salariés.

L’Ile-de-France se distingue aussi par la faiblesse des recettes commerciales prélevées sur les usagers : 38 % des recettes de fonctionnement en 2019, contre 47 % à Berlin, 48 % à New-York et 70 % à Londres.

La part des subventions dans les recettes de fonctionnement en Ile-de-France (13 % en 2019) est plus élevée qu’à Londres (1 %) et New-York (10 %) mais plus faible qu’à Berlin (53 %).

Les tarifs proposés aux usagers franciliens sont nettement inférieurs à ceux d’une majorité de grandes villes européennes, notamment lorsqu’on considère l’abonnement donnant accès à l’ensemble du territoire de l’autorité organisatrice des mobilités (AOM). À titre d’exemple, le prix de l’abonnement mensuel couvrant le territoire de l’AOM s’élevait en 2019 à environ 280 € à Londres et Francfort, 186 € à Berlin, 99 € à Stockholm contre 75,20 € en Île-de-France (augmenté depuis le 1er janvier 2023 à 84,10 € tandis que l’Allemagne mettait en place un abonnement à 49 € valable sur l’ensemble des réseaux locaux). En mettant le prix au regard du service, le forfait francilien apparaît comme très compétitif par rapport à d’autres métropoles européennes, notamment du fait de la plus grande distance parcourable grâce à l’abonnement.

D) Les perspectives financières d’IdFM

A l’horizon de 2035, le rendement du versement mobilité serait de 7,9 Md€, les recettes commerciales de 5,8 Md€ (en tenant compte de la hausse du prix de l’abonnement en 2023) et les contributions statutaires des collectivités locales de 1,8 Md€ alors que les dépenses de fonctionnement atteindraient 16,0 Md€. Leur augmentation par rapport à 2022 résulterait principalement du renchérissement des coûts du réseau existant (2,2 Md€), de l’extension du réseau dont le projet du Grand Paris Express (1,0 Md€) et des autres offres nouvelles de transport (0,8 Md€) ainsi que du service de la dette (1,5 Md€). Les recettes de fonctionnement ne permettraient donc plus, à législation inchangée, de couvrir les dépenses de fonctionnement à cet horizon.

Faute d’un excédent de la section de fonctionnement, le rythme des investissements d’IdFM conduirait à une dynamique d’endettement insoutenable dans les prochaines années. À partir des hypothèses déjà prévues dans le programme pluriannuel d’investissement d’IdFM, la simulation de la trajectoire financière réalisée dans le rapport conduirait l’établissement à s’endetter massivement. Ainsi, le financement des investissements déjà prévus par IdFM ferait passer l’encours de sa dette de 9 Md€ en 2022 à 28 Md€ en 2030 et 38 Md€ en 2035.

Or IdFM est soumis, comme les collectivités territoriales, à une « règle d’or » selon laquelle, d’une part, les dépenses de fonctionnement doivent être couvertes par les recettes de fonctionnement et, d’autre part, les remboursements d’emprunts doivent être couverts par l’excédent de la section de fonctionnement et les subventions d’investissement. En outre, IdFM est tenu par un de ses principaux créanciers, la Banque Européenne d’Investissement, de ne pas dépasser 15 ans de capacité de désendettement sur deux années consécutives. Ces règles ne seront plus respectées au-delà de 2031.

A défaut d’une meilleure maîtrise des coûts de fonctionnement des opérateurs ou d’une remise en cause de certains investissements, il faut donc relever les tarifs payés par les usagers, les taux du versement mobilité ou les contributions de l’Etat et des collectivités locales. Le rapport des inspections générales examine également l’affectation à IdFM de nouvelles taxes ou du produit de la majoration de taxes existantes : taxes foncières, taxes sur les bureaux, imposition des plus-values immobilières, taxation des modes de transport polluants, taxe de séjour etc. Ces pistes ne semblent pas pouvoir mener très loin (complexité de la gestion pour un faible rendement, impact négatif sur certains secteurs…).

Les médias suivants ont mentionné cet article :

Le Nouvel Economiste

 

[1] Dans les autres régions, les taux vont de 0,55 % à 2,0 %.

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