17/09/2024
François ECALLE
Les administrations publiques françaises sont très endettées mais détiennent des actifs financiers et non financiers qui doivent être pris en compte pour analyser la soutenabilité des finances publiques. L’endettement public peut en effet être justifié s’il permet d’accroître ces actifs. Ceux-ci figurent dans les comptes de patrimoine publiés par l’Insee (actifs non financiers) et la Banque de France (actifs et passifs financiers) dans le cadre de la comptabilité nationale. Les comptes provisoires à fin 2023 viennent d’être mis en ligne.
Les actifs et passifs des administrations publiques en comptabilité nationale ne sont pas consolidés[1] et sont exprimés en valeur de marché[2] alors que la dette publique au sens du traité de Maastricht est consolidée, est exprimée en valeur faciale et ne comprend pas tous les passifs (les charges à payer en sont par exemple exclues). Les fiches de l’encyclopédie de FIPECO sur la dette publique et les actifs des administrations publiques présentent plus précisément leur définition et les méthodes utilisées pour les estimer. Les engagements de retraite ne sont inclus ni dans la dette publique maastrichtienne ni dans les passifs de la comptabilité nationale.
Si la dette publique au sens du traité de Maastricht s’élève à 3 101 Md€, soit 109,9 % du PIB, à la fin de 2023, le total des passifs des administrations publiques en comptabilité nationale est de 3 705 Md€, soit 131,3 % du PIB. Il a augmenté de 223 Md€ par rapport à la fin de 2022 et il est resté stable en pourcentage du PIB.
Les actifs financiers des administrations publiques sont estimés à 1 649 Md€. Ils ont diminué par rapport à la fin de 2022 et sont ainsi passés de 62,6 % du PIB à 58,4 %. Leurs actifs non financiers s’élèvent à 2 791 Md€. Ils ont diminué de 105 Md€, du fait de la baisse de la valeur des terrains, et sont passés de 109,1 % du PIB fin 2022 à 98,9 % fin 2023.
La valeur nette du patrimoine des administrations publiques est ainsi de 735 Md€, soit 26,1 % du PIB, à la fin de 2023. Elle a diminué de 342 Md€ par rapport à son montant à la fin de 2022, passant de 40,6 % à 26,1 % du PIB.
Après une période de hausse, imputable à la revalorisation du prix des terrains, cette valeur nette a atteint un point haut à 63 % du PIB en 2007. Elle a ensuite diminué de 37 points pour revenir à 26 % du PIB fin 2023 du fait de l’augmentation des passifs.
S’il est intéressant d’examiner le patrimoine des administrations publiques, la dette publique au sens du traité de Maastricht est un meilleur indicateur de la soutenabilité des finances publiques. En effet, les obligations du trésor étant le plus souvent remboursées à leur échéance et à leur valeur faciale, leur valeur de marché est moins pertinente ; une grande partie des actifs des administrations ne peut pas être vendue ; les actifs de nature à augmenter la production potentielle sont probablement minoritaires.
Si la dette publique au sens du traité de Maastricht s’élève à 3 101 Md€, soit 109,9 % du PIB, à la fin de 2023, le total des passifs des administrations publiques se situe à 3 705 Md€, soit 131,3 % du PIB. Dans les statistiques publiées par les organisations internationales, comme l’OCDE, c’est souvent ce montant qui est publié et qui doit être comparé à la dette publique de pays comme les Etats-Unis ou le Japon[3].
En France, ces passifs sont constitués principalement (72 %) de titres de créance (obligations du trésor notamment) et plus secondairement de crédits bancaires (10 %). Le poste « autres passifs » (12 %) comprend surtout des charges à payer (aux fournisseurs de l’Etat, aux bénéficiaires de prestations sociales…). Les liquidités (5 %) sont surtout les fonds déposés sur des comptes courants auprès du trésor public. Ces passifs ne comprennent pas d’engagements au titre des retraites.
Source : Insee ; FIPECO.
Ils ont augmenté de 223 Md€ par rapport à la fin de 2022 (3 482 Md€) alors que la dette au sens du traité de Maastricht s’est accrue de 147 Md€. En effet, ils sont comptabilisés en valeur de marché et la baisse des taux d’intérêt de fin 2022 à fin 2023 a conduit à réviser cette valeur à la hausse. Une évolution inverse et de bien plus grande ampleur avait été observée de fin 2021 à fin 2022.
En euros, ces passifs ont augmenté de 6,4 %, soit le même taux de croissance que celui du PIB nominal. En pourcentage du PIB, ils sont ainsi au même niveau fin 2022 et fin 2023.
Les actifs financiers des administrations publiques sont estimés à 1 649 Md€ à la fin de 2023. Ils sont composés d’actions (participations de l’Etat dans des sociétés notamment) pour 43 %, de crédits pour 11 %, de liquidités pour 14 %, de titres de créance (obligations, par exemple) pour 3 %. Une catégorie « autres » en représente 29 % et correspond surtout à des produits, tels que les impôts et cotisations, à recevoir au titre de l’exercice clos.
Source : Insee ; FIPECO.
Ces actifs financiers ont diminué de 14 Md€ par rapport à la fin de 2022, soit de 0,8 %. En pourcentage du PIB, ils sont ainsi passés de 62,6 à 58,4 %. La valeur des actions cotées détenues par les administrations publiques à la fin de 2023 est inférieure de 29 Md€ à celle de fin 2022.
En comptabilité nationale, les actifs non financiers des administrations publiques s’élèvent à la fin de 2023 à 2 791 Md€. Ils sont constitués pour 37 % par des terrains, généralement bâtis, les espaces naturels étant valorisés à un prix égal à zéro. Les bâtiments non résidentiels en représentent 14 % et les autres ouvrages de génie civil 36 %. Les immobilisations incorporelles, les systèmes d’armes et les logements ont des parts beaucoup plus faibles.
Ces actifs ont diminué de 105 Md€, soit de 3,6 %, en 2023 et sont ainsi passés de 109,1 % du PIB fin 2022 à 98,9 % fin 2023. Cette diminution est imputable à celle de la valeur des terrains (- 151 Md€) en raison de la baisse des prix. En revanche, les flux d’actifs nouveau (investissements) sont de 123 Md€, dont 38 Md€ dans les autres ouvrages de génie civil et 27 Md€ en recherche et développement. La consommation de capital fixe (l’équivalent des dotations aux amortissements) est de 108 Md€.
Source : Insee, FIPECO.
La valeur nette du patrimoine des administrations publiques, différence entre le total de leurs actifs et le total de leurs passifs, est de 735 Md€, soit 26,1 % du PIB, à la fin de 2023. Elle a diminué de 342 Md€ par rapport à son montant à la fin de 2022, passant ainsi de 40,6 % du PIB à 26,1 %.
La valeur nette du patrimoine des administrations publiques représentait 32 % du PIB en 1995 et à peu près autant en 2002. Elle a ensuite fortement augmenté pour atteindre 63 % du PIB en 2007, principalement en raison d’une forte hausse de la valeur des actifs non financiers, qui tient elle-même presque entièrement à la valeur des terrains.
Elle a ensuite diminué de plus de 40 points entre 2007 jusque vers 20 % du PIB dans les années 2014 à 2020 en raison de l’augmentation des passifs. Elle est ensuite remontée jusqu’à 40 % du PIB en 2022, surtout du fait de la baisse de la valeur de marché des passifs des administrations publiques qui résultait elle-même de la hausse des taux d’intérêt. A la fin de 2023, elle est revenue à 26 % du PIB, soit une baisse de 37 points par rapport à son point haut de 2007 qui est imputable pour 46 points à l’augmentation des passifs, la valeur des actifs ayant un peu augmenté (3 points pour les actifs non financiers et 5 points pour les actifs financiers).
Source : Insee ; FIPECO.
La valeur de marché des obligations émises par les administrations publiques varie en fonction de l’évolution des taux d’intérêt. Or ces obligations sont en fait très majoritairement remboursées à leur échéance et donc à leur valeur faciale. En outre, quand elles sont remboursées par anticipation, c’est toujours moins de deux ans avant leur échéance et donc à une valeur qui est proche de leur valeur faciale. La dette publique au sens du traité de Maastricht est donc une meilleure mesure de l’endettement de la France.
Ensuite, la plupart des actifs non financiers des administrations publiques font partie du domaine public et sont donc « inaliénables et imprescriptibles » en application d’une législation qui remonte à l’édit de Moulins en 1566. En pratique, ils peuvent être cédés après avoir été déclassés pour être transférés au « domaine privé » des administrations, ce qui suppose de mettre en œuvre des procédures parfois complexes allant jusqu’au vote d’une loi. En tout état de cause, la vente de certains biens est impossible techniquement (la voirie municipale…) ou serait très difficile politiquement (les équipements des armées…). Il serait également très difficile de vendre certains actifs financiers (Banque de France, Caisse des dépôts et consignations…).
Les actifs financiers les plus liquides sont déduits par l’Insee de la dette publique maastrichtienne pour estimer une dette nette (2 870 Md€, soit 101,7 % du PIB, fin 2023).
Enfin, les actifs de nature à augmenter la production potentielle sont probablement très minoritaires. Les terrains, les bureaux, les logements et les armements représentent au total près de 50 % des actifs non financiers. Le bénéfice socio-économique des autres actifs non financiers (ouvrages de génie civil, matériels et équipements, logiciels…) est en outre parfois loin d’être positif.
Au total, si le patrimoine des administrations publiques tel qu’il est estimé dans les comptes nationaux constitue une information intéressante, la dette publique brute au sens du traité de Maastricht est un meilleur indicateur pour apprécier la soutenabilité des finances publiques.
On peut également noter que ces comptes de patrimoine ne retiennent ni la capacité de l’Etat à augmenter et lever l’impôt du côté des actifs, mais elle pourrait être remise en question compte-tenu du niveau déjà atteint par le taux des prélèvements obligatoires, ni les engagements hors bilan de l’Etat du côté des passifs. Ces derniers sont décrits dans une fiche particulière. En raison de leur grande hétérogénéité, il est préférable de ne pas les totaliser mais certains d’entre eux, comme les engagements de retraite de l’Etat vis-à-vis de ses agents, représentent des montants très importants.
[1] La consolidation consiste à éliminer les créances et dettes réciproques entre administrations publiques.
[2] La valeur à laquelle les titres sont échangés sur le marché et non le montant qui sera remboursé à l’échéance (la valeur faciale).
[3] En soustrayant le passif associé aux retraites des fonctionnaires dans le cas des Etats-Unis.
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