02/11/2016
Le taux de l'impôt sur les sociétés
François ECALLE
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Selon plusieurs médias, des conseillers de Th. May ont laissé entendre que le taux de l’impôt sur les sociétés pourrait passer de 20,0 à 10,0 % au Royaume-Uni pour en améliorer l’attractivité si les futures négociations avec l’Union européenne lui sont défavorables. Cette information devrait nous rappeler que l’impôt sur les sociétés est particulièrement fragilisé par la concurrence fiscale entre les Etats.
L’impôt sur les sociétés (IS) a en apparence profondément changé avec la création du « crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi » (CICE). Toutefois, alors que l’IS est un impôt sur le bénéfice des sociétés, le CICE est une subvention à l’emploi attribuée aux entreprises sur la base de leur masse salariale et, comme tout crédit d’impôt, il n’a pas de rapport avec le bénéfice fiscal[1]. Si ce bénéfice augmente de 100 €, le supplément d’IS est de 33,3 € (hors majorations) quel que soit le montant du CICE. L’IS a donc deux composantes indépendantes : un impôt sur les bénéfices des sociétés, qui fait l’objet du présent billet et dont les principales caractéristiques sont décrites dans une fiche de l’encyclopédie, et des crédits d’impôt, comme le CICE qui est présenté dans une autre fiche.
L’IS fait partie des prélèvements obligatoires sur le capital, qui sont particulièrement importants en France par rapport aux autres pays européens, par leur poids en pourcentage du PIB ou par leur taux implicite (rapport entre leur produit et les revenus du capital). Son taux est en France le plus élevé de l’Union européenne, alors que l’IS est particulièrement fragilisé par la concurrence fiscale entre les Etats et par le jeu des prix de transfert au sein des groupes multinationaux. Or il est peu probable que la concurrence fiscale et l’évasion fiscale soient significativement réduites avant très longtemps. En outre, l’IS a un impact négatif sur l’investissement.
Dans ces conditions, une forte baisse du taux de l’impôt sur les sociétés est nécessaire, quelle que soit la taille des sociétés. Elle devrait être en partie compensée par une hausse de l’imposition des dividendes et plus-values au titre des impôts sur le revenu (IR et CSG). Il est en effet préférable d’imposer les actionnaires au niveau de l’IR, qui est indépendant du pays d’implantation des sociétés d’où proviennent les revenus, plutôt qu’au niveau de l’IS, les sociétés pouvant plus facilement que les ménages délocaliser leurs activités dans les pays où la fiscalité est plus faible. Les bénéfices des sociétés seraient moins taxés mais l’IR sur les dividendes et plus-values serait plus important. Pour réduire l’imposition globale des placements en actions, cette compensation devrait toutefois être seulement partielle.
A) Les prélèvements sur le capital sont très élevés en France
Les économistes distinguent les prélèvements obligatoires sur la consommation et sur les deux « facteurs de production » que sont le travail et le capital.
Les prélèvements obligatoires sur le capital sont constitués de prélèvements sur ses revenus (impôts sur les bénéfices des sociétés et les revenus des personnes physiques, CSG et prélèvements sociaux) sur son stock (ISF, taxes foncières…) et sa transmission (droits de succession…). Apprécier l’ampleur de ces prélèvements suppose de résoudre d’importants problèmes méthodologiques exposés dans une fiche de l’encyclopédie.
La Commission européenne publie chaque année une estimation des prélèvements sur le travail, le capital et la consommation dans les pays européens selon une méthodologie harmonisée. Son rapport de 2015, le dernier disponible, montre que les prélèvements obligatoires sur le capital représentaient 10,6 % du PIB en France en 2012, contre une moyenne de 8,2 % dans la zone euro comme dans l’Union européenne. La France est au deuxième rang, avec l’Italie, le Luxembourg étant au premier (10,8 % du PIB).
Le « taux implicite de taxation du capital » est le rapport entre le produit des prélèvements obligatoires sur le capital et le montant des revenus du capital. Ces derniers présentent également d’importantes difficultés de mesures. Dans ce même rapport, la Commission européenne publie néanmoins une estimation du taux implicite de taxation du capital dans les pays de l’Union en s’appuyant sur la comptabilité nationale. Le taux implicite de taxation du capital en France en 2012 (46,9 %) est le plus élevé de l’Union européenne, loin devant ceux de l’Allemagne (22,2 %), du Royaume-Uni (35,7 %) et de l’Italie (37,0 %).
Source graphique : Commission européenne ; FIPECO
Michel Didier et Jean-François Ouvrard ont prolongé ces données jusqu’à 2014[2] et le constat reste le même : les prélèvements sur le capital sont plus élevés en France que dans les autres pays européens, notamment en Allemagne.
La fiscalité française du capital en France est enfin beaucoup plus lourde sur les placements en actions que sur les placements sans risque (livrets réglementés, assurance-vie en euros...), alors qu’un investissement dans ces derniers est moins bénéfique pour l’économie française.
B) L’IS est fragilisé par la concurrence fiscale entre les Etats
Les bénéfices des sociétés dont le chiffre d’affaires est inférieur à 7,6 M€ et dont le capital est détenu pour plus de 75 % par des personnes physiques sont imposés au taux de 15 % sur les premiers 38 000 € puis de 33,3 %. Les bénéfices des autres sociétés sont imposés au taux de 33,3 %. Il s’y ajoute : une « contribution exceptionnelle » de 10,7 % sur le montant de l’IS, jusqu’à l’exercice 2015 ; une « contribution sociale » de 3,3 % de l’impôt sur les bénéfices des sociétés dont le chiffre d’affaires dépasse 7,6 Md€ et dont l’IS dépasse 763 000 € ; une « contribution additionnelle » de 3 % sur les dividendes distribués (sauf à l’intérieur d’un groupe). Jusqu’à 2015, les bénéfices distribués pouvaient donc être imposés à plus de 40 % et, depuis 2016, à plus de 37 %.
Le taux normal de l’IS en France (hors contribution additionnelle sur les dividendes) est le plus élevé de l’Union européenne. La comparaison des taux légaux est toutefois insuffisante car, d’une part, il existe des taux minorés, voire nuls, sur certains revenus et pour certaines entreprises et, d’autre part, le bénéfice fiscal n’est pas mesuré partout de la même manière. L’assiette réelle de l’IS peut fortement différer d’un pays à l’autre.
Pour mieux apprécier le poids réel de l’impôt sur les sociétés, la Commission européenne, comme d’autres organisations internationales, rapporte l’IS collecté par les administrations publiques, sans en déduire les crédits d’impôts, à l’excédent net d’exploitation des sociétés tel que mesuré par les comptables nationaux (assiette assez différente du bénéfice fiscal). Ce « taux effectif moyen » est également plus élevé en France que dans le reste de l’Europe.
L’imposition des bénéfices des sociétés
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France
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Allemagne
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Royaume-Uni
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Italie
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Taux légal supérieur 2015
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38,0
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30,2
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20,0
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31,4
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Taux effectif moyen en 2014
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39,4
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28,2
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22,4
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24,0
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Pays-Bas
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Belgique
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Suède
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Espagne
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Taux légal supérieur 2015
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25,0
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34,0
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22,0
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28,0
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Taux effectif moyen en 2014
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22,6
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26,7
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19,4
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32,6
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Source : « taxation trends in EU » Commission européenne, 2015 ; FIPECO.
Or l’impôt sur les sociétés est le principal objet de la « concurrence fiscale » entre les Etats. En effet, les grandes entreprises peuvent délocaliser tout ou partie de leurs activités dans les pays où l’imposition de leurs bénéfices est la plus faible. Si les choix de localisation répondent à bien d’autres préoccupations (le poids des autres prélèvements obligatoires, mais aussi la qualité de la main d’œuvre, des infrastructures, les lourdeurs administratives etc.), le taux de l’IS apparaît souvent comme un critère important, d’autant plus qu’il est parfois très différent d’un pays à l’autre et que certains Etats en font un outil de communication majeur pour attirer les entreprises.
En outre, les groupes multinationaux ont la possibilité, en se situant aux marges de la légalité (ce qu’on appelle « évasion fiscale »), voire en-dehors, de transférer leurs bénéfices dans les pays à bas taux d’imposition sans pour autant délocaliser réellement leurs activités.
Ils peuvent en effet jouer sur les « prix de transfert », c’est-à-dire les prix auxquels les sociétés d’un groupe facturent les services qu’elles se rendent entre elles. Ces services doivent être facturés au « prix du marché » mais celui-ci est souvent très difficile à mesurer objectivement. Ils peuvent donc, sans risque majeur d’être sanctionnés même si l’encadrement juridique des prix de transfert est de plus en plus strict aux niveaux national et international, minorer les prix des services vendus par les filiales des pays à taux d’IS élevé aux filiales des pays à taux d’IS faible, minorant ainsi les bénéfices dans les premiers pays et les majorant dans les deuxièmes. Le caractère intangible des infrastructures modernes (logiciels en particulier), permet aux multinationales de les localiser là où les revenus qu’elles en tirent (royalties) sont les moins imposées.
En outre, l’impôt sur les sociétés est prélevé sur les bénéfices tirés des activités commerciales exercées dans un pays. Or la localisation des activités en ligne sur Internet est souvent très difficile en pratique et les grandes entreprises de l’Internet en profitent pour localiser fiscalement leurs activités commerciales dans les pays où son taux est le plus favorable.
Enfin, les flux d’intérêts à l’intérieur d’un groupe sont souvent biaisés au moyen de structures ad-hoc dont le seul rôle est de localiser les revenus d’intérêt là où les taux d’imposition sont faibles.
La note de 2014 du conseil d’analyse économique « renforcer l’harmonisation fiscale en Europe » relève que la concurrence fiscale sur l’IS entre les Etats membres a des effets significatifs sur les investissements directs.
Cette fragilité de l’IS peut expliquer en partie pourquoi les recettes qui en sont tirées en France (2,5 % du PIB en 2015, hors CICE) sont plus faibles que dans d’autres pays européens, alors que le taux d’imposition y est plus élevé. Cette faiblesse du montant total collecté en part de PIB provient également des nombreuses niches fiscales qui bénéficient à certaines entreprises et qui pourraient être remises en cause.
Source : OCDE ; FIPECO.
L’OCDE (projet BEPS) et l’Union européenne se mobilisent pour empêcher ces dérives, mais les mesures annoncées seront difficiles à mettre en œuvre en pratique et l’impôt sur les sociétés fera toujours l’objet d’une intense concurrence fiscale (cf. les conclusions d’une étude récente du Institute for Fiscal Studies).
L’objectif visé par les institutions européennes à travers le projet ACCIS (assiette commune consolidée pour l’IS) relancé fin octobre est d’abord d’harmoniser l’assiette de l’impôt sur les sociétés entre les pays membres et ensuite d’autoriser (puis sans doute d’obliger) les groupes européens à présenter un résultat fiscal consolidé au niveau européen. Un taux commun pourrait s’appliquer sur cette assiette faisant ainsi de l’IS un impôt européen pouvant éventuellement être affecté au budget européen. L’importance des écarts d’assiette et de taux ainsi que la nécessité d’un vote à l’unanimité des Etats en matière fiscale font que ces projets, déjà anciens, ne seront probablement mis en œuvre que dans un avenir lointain. En outre, à supposer que l’IS devienne un jour un impôt européen, les différences de taux et d’assiette avec les pays non-européens, y compris désormais le Royaume-Uni, poseront toujours les mêmes problèmes.
C) L’impôt sur les sociétés a un impact négatif sur l’investissement
Une hausse de l’IS accroît le « coût du capital », diminue la rentabilité des investissements des entreprises pour leurs actionnaires et contribue à réduire le montant de l’investissement parce que soit des projets sont abandonnés, soit ils sont réalisés dans d’autres pays. Les entreprises peuvent également réduire l’emploi et les salaires pour restaurer leur profitabilité.
En outre, l’IS pèse sur la rémunération des actionnaires des sociétés mais pas sur celle de leurs créanciers puisque les charges d’intérêt en sont largement déductibles. Le financement par actions est en conséquence pénalisé par rapport au financement bancaire ou obligataire[3]. Or les entreprises ont besoin de fonds propres pour amortir les chocs négatifs sur leurs résultats auxquelles elles doivent faire face. Une entreprise sans fonds propres et qui enregistre une perte est insolvable et doit rapidement déposer son bilan, mais les placements en actions sont risqués pour les ménages, leur rémunération étant par nature très volatile.
En outre, ce biais fiscal défavorise plutôt les petites et moyennes entreprises et explique pour une large part que leur taux effectif moyen d’imposition à l’IS soit supérieur à celui des grandes entreprises malgré un taux légal inférieur[4].
Ces effets négatifs sont difficiles à mesurer empiriquement parce qu’ils se manifestent dans le long terme alors que les modifications législatives des taux et de l’assiette de cet impôt sont très fréquentes. En outre, les choix de localisation des investissements dépendent également des mesures fiscales prises dans les autres pays.
Les tests statistiques mettent cependant en évidence un impact significatif du coût du capital donc indirectement de l’impôt sur les sociétés, sur l’investissement[5]. Le modèle Mésange de l’Insee retient ainsi une élasticité de l’investissement des entreprises au coût réel du capital de – 0,5 à long terme[6]. Le rapport « objectif croissance » de 2009 de l’OCDE comporte une analyse des effets économiques des principales catégories d’impôts dont il ressort que l’IS est le plus dommageable.
D) La baisse de l’impôt sur les sociétés pourrait être pour partie compensée par une hausse de l’impôt sur le revenu
L’impôt sur les bénéfices des sociétés vise leurs actionnaires et joue le rôle d’un acompte sur l’imposition des dividendes et plus-values dans le cadre de l’impôt sur le revenu (IR). Cet acompte est assez largement remboursé par le biais de l’abattement de 40 % sur les dividendes et de l’abattement sur les plus-values en fonction de leur durée de détention, qui sont appliqués avant le barème de l’IR. Or il est préférable d’imposer les actionnaires au niveau de l’IR, parce que celui-ci est indépendant du pays d’implantation des sociétés qui distribuent les dividendes, plutôt qu’au niveau de l’IS, parce que les sociétés peuvent plus facilement que les ménages délocaliser leur activité là où la fiscalité est plus faible.
L’imposition des bénéfices au niveau des sociétés permet certes d’imposer les actionnaires non-résidents, mais ceux-ci présentent un fort risque de se détourner des entreprises françaises si leurs bénéfices sont trop taxés. Il est parfois avancé qu’elle permet également de taxer les bénéfices réinvestis alors que les plus-values réalisées par les actionnaires ne seront taxées que plus tard à l’IR, voire jamais si les actions ne sont pas cédées. Il est cependant préférable de ne pas imposer les bénéfices réinvestis à l’IS et de taxer les plus-values à l’IR, même si certaines plus-values échappent en effet à l’IR.
Il conviendrait donc de réduire fortement le taux de l’IS. Il en résultera mécaniquement une augmentation, pour un montant plus faible, de l’IR et de la CSG : si les dividendes et les plus-values sont plus importants parce que l’IS est plus faible, le produit de l’IR et de la CSG est plus élevé. Il est possible d’aller plus loin en réduisant le taux des abattements sur les dividendes et plus-values au titre de l’IR mais en veillant à réduire globalement les prélèvements obligatoires sur les placements en actions.
[1] Le CICE dû par l’Etat à une entreprise n’a aucun rapport avec son bénéfice fiscal mais il peut lui être versé au bout de seulement trois ans si ce bénéfice est insuffisant pour imputer le CICE sur l’IS dû.
[2] « L’impôt sur le capital au XXIème siècle » M. Didier et J.F. Ouvrard ; COE-Rexecode et Economica, 2016.
[3] Une analyse de ce problème peut être trouvée dans un document de 2009 du département des affaires budgétaires du FMI « Debt bias and other distorsions : crisis related issues in tax policy ».
[4] La direction générale du trésor estimait en 2011 le taux effectif moyen à 32 % pour les PME et 22 % pour les grandes entreprises (entreprises bénéficiaires).
[5] Une revue de ces travaux figure dans un document de travail de 2005 du NBER : « How elastic is the corporate income tax base ? » de J. Gruber et J. Rauh.
[6] L’investissement diminue de 0,5 % si ce coût augmente de 1 %. Document de travail de l’Insee de mars 2010.