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03/07/2024

Les audits des finances publiques

François ECALLE

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Ce billet présente l’histoire des audits des finances publiques depuis celui de 1997. J’étais alors sous-directeur des finances publiques à la direction de la prévision du ministère des Finances. En 2002, lors du deuxième audit, j’étais dans l’équipe des auditeurs. En 2012, j’étais à la Cour des comptes et j’ai fait le troisième audit avec un autre magistrat. En 2017, la Cour des comptes a effectué un quatrième audit, mais je l’avais quittée pour créer FIPECO.

Lorsque les élections présidentielles ou législatives ont conduit à un changement de majorité, le nouveau gouvernement a toujours demandé un audit des finances publiques, d’abord à deux magistrats de la Cour des comptes choisis intuitu personae en 1997 et 2002 puis à la Cour des comptes elle-même en 2012 et 2017.

Les auditeurs se sont appuyés sur les prévisions internes d’évolution du déficit public établies par les services du ministère des Finances, qui étaient toujours moins optimistes que les prévisions officielles. Ils les ont analysées et confrontées avec d’autres sources d’informations pour formuler leur propre diagnostic et présenter une nouvelle prévision de déficit. Celle-ci était toujours assez proche de la prévision interne des services du ministère que le nouveau ministre connaissait depuis son arrivée rue de Bercy. Sauf en 2002, le nouveau gouvernement a mis en avant les conclusions de l’audit pour justifier des mesures urgentes de redressement des comptes publics.

Quand j’étais à la Cour des comptes et membre du Haut Conseil des finances publiques, je n’ai eu connaissance des prévisions internes des services du ministère des Finances que dans le cadre de ces audits demandés par un nouveau gouvernement.

Les pouvoirs du Haut Conseil ont été légèrement renforcés par la loi organique de décembre 2021, mais il ne semble pas encore obtenir toutes les informations nécessaires. Son mandat devrait en outre être ajusté pour tenir compte des nouvelles règles budgétaires européennes.

La situation en 2024 et les perspectives des finances publiques sont déjà claires. Si on se contente de compenser le coût des mesures nouvelles par des économies ou des hausses d’impôt, même réalistes, la dette publique dépassera 120 % du PIB en 2030.

En outre, la Cour des comptes déposera son rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques auprès du Parlement dès qu’il sera réuni. Elle dispose très probablement des informations internes au ministère des Finances qui sont nécessaires pour que ce rapport comprenne un « audit des finances publiques » équivalent à ceux de 1997, 2002, 2012 et 2017.

A) L’audit de 1997

J’étais en 1997 le sous-directeur des finances publiques de la direction de la prévision (DP) du ministère des Finances, plus tard fusionnée avec la direction générale du trésor, qui établissait les prévisions de déficit public en comptabilité nationale, à la fois les prévisions techniques internes et les prévisions officielles.

Le rapport économique annexé en septembre 1996 au projet de loi de finances pour 1997 affichait un déficit public de 3,0 % du PIB, c’est-à-dire le maximum autorisé en application des nouvelles règles européennes pour entrer dans la zone euro (et même créer l’euro, celui-ci pouvant difficilement être créé sans la France). A la fin de février 2017, le directeur de la prévision a informé le ministre que notre prévision de déficit était de 3,5 % du PIB en 1997[1] et de 3,6 % en 1998. En mars, plusieurs notes communes des directions de la prévision, du trésor et du budget pour le ministre l’ont informé que le déficit public de 1997 serait d’au moins 3,5 % du PIB.

Fin avril, Jacques Chirac a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale avec les conséquences que l’on connait. Le nouveau ministre des Finances a été aussitôt informé de la situation des finances publiques et Lionel Jospin a demandé le 24 juin « une évaluation précise de notre situation budgétaire et de celle des comptes sociaux dans le cadre de la situation d’ensemble des administrations publiques » à deux magistrats de la Cour des comptes choisis intuitu personae : J. Bonnet et Ph. Nasse. Le premier avait été président de la 1ère chambre de la Cour des comptes jusqu’à janvier 1997 et le deuxième avait été directeur de la prévision jusqu’à sa nomination à la Cour des comptes en mars 1997.

Les auditeurs ont adopté des principes méthodologiques  toujours d’actualité : mettre l’accent sur le déficit public et sa décomposition par catégories d’administrations publiques en comptabilité nationale, en indiquant néanmoins les résultats prévus pour l’Etat et le régime général de sécurité sociale dans leurs comptabilités spécifiques ; ne pas trop s’appuyer sur les informations comptables disponibles au milieu de l’année car elles sont très difficiles à interpréter ; procéder à un examen de la vraisemblance des prévisions des directions du budget, de la sécurité sociale et de la prévision (plus accessoirement du trésor à l’époque) en les confrontant entre elles et avec d’autres sources[2] ; prendre en compte les mesures habituelles de régulation budgétaire (réserve de précaution…) mais pas de mesures nouvelles non encore votée (hausse d’impôt…) ; s’appuyer sur la direction de la prévision pour ce qui concerne le passage de la comptabilité publique à la comptabilité nationale ; corriger les prévisions de recettes sur la base des prévisions macroéconomiques de la note de conjoncture publiée fin juin par l’Insee ; insister sur les nombreux aléas entourant toute prévision du déficit public à ce moment de l’année.

Les auditeurs ont obtenu tous les documents demandés aux administrations, notamment leurs prévisions internes. Ils ont évalué le déficit de 1997 dans une fourchette allant de 3,5 à 3,7 % du PIB dans leur rapport publié le 21 juillet[3]. Le même jour, le ministre de l’Économie a annoncé une majoration de l’impôt sur les sociétés appliquée sur les acomptes dus en 1997, pour un montant de 0,3 % du PIB, et des économies, surtout sur les dépenses militaires, de l’ordre de 0,1 point de PIB. Il a en outre déclaré attendre une croissance un peu plus forte que prévu jusque-là pour ramener le déficit à 3,0 % du PIB. En mars 1998, l’Insee a estimé le déficit public de 1997 à 3,0 % du PIB[4].

Le gouvernement Jospin a en outre fait annuler par le Parlement une baisse de l’impôt sur le revenu qui avait été votée fin 1996 et dont le coût approchait 1,0 % du PIB avec une première étape importante en 1998.

B) L’audit de 2002

Dans le programme de stabilité transmis en février 2002 à la Commission européenne par le gouvernement de L. Jospin, le déficit public de 2002 était estimé à 1,9 % du PIB.

En précisant que leur expérience de l’audit de 1997 les qualifiait tout particulièrement, Jean-Pierre Raffarin a donné pour mission à J. Bonnet et Ph. Nasse, le 16 mai 2002, de lui présenter « une image fidèle de la situation des finances publiques ». Les deux auditeurs ont été secondés par six rapporteurs : deux magistrats de la Cour des comptes originaires du ministère des Finances (dont moi-même) ; trois personnes de l’inspection générale des finances et une de l’inspection générale des affaires sociales.

Les auditeurs ont repris les principes méthodologiques définis en 1997. Leur rapport ayant été publié le 27 juin, ils n’ont pas pu appuyer leur analyse de la situation économique sur la note de conjoncture de l’Insee mais sur les prévisions des organisations internationales et le « consensus » des économistes. Les rapporteurs ont obtenu tous les documents demandés.

Il est d’abord apparu que la direction de la prévision prévoyait un déficit public de 2,2 points de PIB en 2002, en faisant l’hypothèse du respect de la norme d’évolution des dépenses de l’Etat. L’écart par rapport à la loi de finances initiale tenait surtout à l’effet d’une conjoncture moins favorable que prévu sur les recettes et à une dérive des remboursements de l’assurance maladie. Les prévisions d’exécution de la direction du budget établies fin mai ont ensuite fait apparaitre d’importantes menaces sur les dépenses de l’Etat liées notamment à des reports de dépenses de 2001 sur 2002 et à une sous-budgétisation de certains programmes pour 2002. Le rapport d’audit a finalement conclu que le déficit public de 2002 pouvait être estimé entre 2,2 et 2,6 % du PIB.

Après l’avoir présenté, le ministre de l’Economie a déclaré que « contrairement à ce qui a été fait par le passé, nous allons libérer les énergies », en commençant par réduire l’impôt sur le revenu de 0,15 point de PIB dès le paiement du solde de 2001 en septembre 2002. S’agissant des dépenses publiques, il a seulement annoncé que les crédits nécessaires pour couvrir les dépenses non budgétées seraient ouverts, qu’une réforme des retraites était en préparation et que la loi organique de 2001 sur les lois de finances (LOLF) serait pleinement mise en œuvre.

Comme la croissance du PIB et, surtout, l’élasticité des recettes publiques à cette croissance ont été plus faibles que prévu lors de l’audit, le déficit public de 2002 publié par l’Insee en 2003 s’est établi à 3,1 % du PIB, mettant la France, avec l’Allemagne, en situation de « déficit excessif » au regard des règles budgétaires européennes.

C) Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques

1) Les origines

La mission historique de la Cour des comptes, outre le jugement des comptables publics, est de vérifier la régularité des recettes et dépenses inscrites dans les comptes et de s’assurer du bon emploi des fonds publics au cours des exercices passés.

Au début de 1997, la Cour a lancé un « contrôle » du « compte des administrations publiques » établi par l’Insee qui l’a conduite à faire des critiques méthodologiques. Les directions concernées du ministère des finances ont fortement contesté sa compétence, juridique et technique, pour contrôler une statistique établie selon des normes internationales dont le respect est vérifié dans l’Union européenne par Eurostat. Ce contrôle n’a pas eu de conséquences sur l’élaboration du compte des administrations publiques mais n’a pas contribué à améliorer les relations entre le ministère des Finances et la Cour des comptes.

L’audit de 1997 puis celui de 2002 ont été confiés à deux magistrats de la Cour des comptes désignés intuitu personae et non à la Cour elle-même, ce qui a provoqué un débat en son sein à partir de 2003 à l’occasion de la mise en œuvre de la LOLF.

Une partie de la Cour considérait que sa mission était seulement d’examiner les comptes et la gestion des exercices passés et qu’elle devait éviter les débats économiques. Certains faisaient en outre valoir que la Cour devait s’appuyer seulement sur les comptes qu’elle peut contrôler et non sur la comptabilité nationale, le « contrôle » de 1997 ayant été pour eux inopportun. Cette position était largement partagée par le ministère des Finances, qui ajoutait souvent que la Cour risquait un « conflit d’intérêt » en se prononçant ex ante sur les prévisions du Gouvernement puis en portant une appréciation ex post sur les résultats budgétaires.

Les magistrats d’avis opposé se sont appuyés sur l’article 58-3 de la LOLF et sont devenus majoritaires. Cet article prévoyait le dépôt par la Cour au Parlement d’un « rapport préliminaire » en vue du débat d’orientation des finances publiques qui se tient d’ordinaire en juillet. Cet article était mal rédigé et pouvait donner lieu à diverses interprétations, ce qui donnait à la Cour une certaine liberté pour définir elle-même le contenu de ce rapport.

Le premier « rapport préliminaire » a été publié en juin 2005 et portait surtout sur les résultats de 2004, assez largement en comptabilité nationale ce qui constituait une forte innovation pour la Cour. Il est devenu de plus en plus précis sur l’année en cours et les années suivantes si bien qu’il a été intitulé en 2007 « rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques » (RSPFP). La structure du rapport adoptée en 2007 a ensuite peu varié : situation d’ensemble et par catégorie d’administrations publiques l’année précédentes avec des comparaisons internationales ; premières tendances relatives à l’exercice en cours ; enjeux à moyen et long terme ; problèmes posés par la programmation et le pilotage des finances publiques ; réformes nécessaires.

2) Le tournant stratégique de 2008

Le diagnostic de la Cour sur la situation et les perspectives des finances publiques était alors très prudent et, lorsque j’ai été appelé au début de 2008 à préparer le rapport prévu en juin, j’ai reçu pour consigne d’écrire « en style notarial », par exemple écrire que le déficit augmente de x % et non qu’il s’aggrave. En particulier, les titres devaient être complètement plats, comme dans le rapport de 2007. Le rapport préparé mettait néanmoins en évidence, sans l’écrire ainsi, une aggravation de la situation en 2007, des risques réels pour 2008 et la nécessité d’une action durable sur les dépenses publiques. Quelques jours avant son approbation par la « chambre du Conseil » et sa publication, Philippe Séguin a demandé qu’il soit réécrit pour faire clairement apparaître ce diagnostic, notamment dans les titres. Avec le recul, j’ai compris ensuite qu’il s’agissait d’un tournant stratégique pour la Cour.

3) Les rapports de 2009 à 2011

Les audits de 1997 et 2002 portaient sur le déficit de l’année en cours, dont l’analyse constituait le point faible du RSPFP jusqu’à 2012. En effet, comme les deux auditeurs l’avaient souligné, il est difficile d’apprécier la fiabilité des prévisions officielles sans disposer des mêmes informations que le ministère des Finances, notamment des prévisions techniques des directions du trésor (après sa fusion avec la DP), de la sécurité sociale et du budget. Or la Cour n’y avait pas accès, le ministère des Finances considérant qu’elle sortait de son champ de compétences en examinant ses prévisions pour l’année en cours.

Le déficit public prévu par le gouvernement pour l’année en cours dans le programme de stabilité était examiné surtout sur la base d’informations publiques, ce qui permettait néanmoins de faire des observations pertinentes : la confrontation du scénario macroéconomique du programme de stabilité et des dernières prévisions économiques (Insee, organisations internationales, instituts privés…) permet ainsi de mettre en évidence un risque macroéconomique et d’en déduire un impact sur les recettes et sur certaines dépenses (effet d’une inflation plus élevée sur les dépenses indexées par exemple) ; il pouvait aussi apparaître que l’élasticité des prélèvements obligatoires n’était pas vraisemblable ; le rapport de la Cour des comptes sur l’exécution du budget précédent montrait les risques de reports de dépenses et de dotation insuffisante des programmes budgétaires ; les mesures nouvelles décidées après la publication du programme de stabilité pouvaient être prises en compte, de même que le dernier avis du comité d’alerte sur le risque de dépassement de l’objectif de dépenses d’assurance maladie (ONDAM).

D) L’audit de 2012

Au début de 2012, la Cour a décidé de procéder à une analyse plus précise de la situation des finances publiques en 2012 pour faire un véritable audit et j’ai demandé à la mi-avril aux directions du trésor et du budget de me transmettre leurs prévisions internes. La ministre du Budget du gouvernement Fillon a donné son accord à cette transmission après les élections et juste avant la passation de ses pouvoirs à son successeur.

Le Premier ministre a écrit le 18 mai au Premier président de la Cour pour exprimer le souhait qu’elle procède à un audit des risques pesant sur la réalisation des objectifs de finances publiques pour 2012 et 2013. Le programme de stabilité déposé en avril prévoyait un déficit de 4,4 % du PIB en 2012 et 3,0 % en 2013. Toutes les informations demandées au ministère des finances pour analyser cette prévision ont été obtenues.

Pour 2012, le RSPFP, adopté le 28 juin, a conclu que les risques de dépassement des objectifs de dépenses étaient limités et pouvaient être prévenus par des mesures de régulation budgétaire. En revanche, une perte de recettes de 0,3 à 0,5 points de PIB paraissait probable, en raison d’une conjoncture moins favorable que prévu dans le programme de stabilité et d’une surestimation de l’élasticité des recettes au PIB. S’agissant de 2013, le respect de l’engagement pris par la France de ramener le déficit à 3,0 % du PIB imposait un effort structurel supplémentaire de 1,6 point de PIB dans un scénario économique central.

Une loi de finances rectificative voté au cours de l’été 2012 a maintenu l’objectif de dépenses et approuvé des mesures fiscales dont le rendement devait être de l’ordre de 0,4 point de PIB en 2012 puis de 0,3 point supplémentaire en 2013. Le déficit de 2012 publié par l’Insee en 2013 s’est néanmoins élevé à 4,8 % du PIB, la croissance de l’activité ayant été encore plus mauvaise que prévu en juin.

E) Les audits de la Cour des comptes depuis 2013

1) Les rapports de 2013 à 2015

Dans le RSPFP de juin 2013, la Cour a signalé que les prévisions internes des directions du trésor et du budget ne lui avaient pas été communiquées et, dans ceux de 2014 et 2015, elle a noté que les informations obtenues avaient été un peu plus précises qu’en 2013 mais qu’elles étaient restées insuffisantes pour mesurer les risques et éclairer complètement les débats parlementaires. J’ai en effet obtenu dans les années 2013-2015 des informations du ministère des Finances un peu plus précises qu’avant 2012 mais pas les prévisions techniques internes.

A la fin de 2015, j’ai quitté la Cour des comptes et je n’ai depuis lors que des informations publiques sur les conditions d’élaboration des RSPFP.

2) L’audit de 2017

En mai 2017, Edouard Philippe a confié à la Cour des comptes un audit des finances publiques qui a été intégré, comme en 2012, dans le RSPFP. Celui-ci a été publié à la fin du mois de juin. La Cour y note qu’elle s’est appuyée, entre autres documents, « sur les prévisions techniques de la direction générale du trésor et sur les précisions apportées par cette direction, la direction du budget et la direction de la sécurité sociale concernant l’élaboration de la prévision du programme de stabilité ».

Elle a observé que « le programme de stabilité d’avril 1997 comporte des biais de construction qui affectent la sincérité de la trajectoire financière pour 2017-2018 ». Pour 2017, elle a conclu que la prévision de déficit du programme de stabilité pourrait être dépassée de 0,4 point de PIB. Pour 2018, elle jugeait nécessaire un « effort d’économies sans précédent pour réduire le déficit de 0,5 point de PIB ».

Dans son rapport de juillet 2017 en vue du débat d’orientation budgétaire au Parlement, le gouvernement a annoncé des ouvertures de crédits sur les programmes insuffisamment dotés plus que compensées par des annulations sur d’autres programmes de sorte à réduire au total le déficit de 2017 de 0,2 point de PIB.

3) La situation en 2024

En mars 2024, le rapporteur général de la Commission des finances du Sénat a procédé à un contrôle sur place dans les locaux du ministère des Finances qui lui a permis d’obtenir les notes internes de la direction général du trésor et d’autres directions. Le rapport de la mission d’information créée ensuite par le Sénat montre que les prévisions techniques des services du ministère étaient, de nouveau, plus pessimistes que les prévisions officielles.

L’article 58-3 de la LOLF prévoit désormais que la Cour des comptes dépose auprès du Parlement « avant la fin du mois de juin, un rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques ». La dissolution de l’Assemblée nationale a obligé la Cour à suspendre la publication de ce rapport, mais elle devrait le présenter au Parlement quand il sera de nouveau réuni. Ce rapport pourra certainement s’appuyer au moins sur les prévisions internes du ministère des Finances déjà obtenues par la commission des finances du Sénat. Il comprendra donc très probablement un audit des finances publiques équivalent à ceux de 1997, 2002, 2012 et 2017 même si le terme « audit » n’est pas employé.

Si un Premier ministre souhaite qu’il soit complété, il peut le demander à la Cour des comptes en application de l’article L 132-7 du code des juridictions financières.

En attendant ce rapport, la situation et les perspectives des finances publiques sont déjà très claires. Comme je l’ai montré dans Le Nouvel Economiste, si on se contente de compenser les dépenses et baisses d’impôt nouvelles par des économies et des hausses d’impôt (réalistes, ce qui est rarement le cas en pratique dans les programmes électoraux), le déficit structurel ne diminuera pas et la dette publique dépassera 120 % du PIB en 2030.

F) Le Haut Conseil des finances publiques

1) Les origines

Le traité de 2012 sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l’Union économique et monétaire prévoit l’inscription d’une règle d’équilibre structurel des comptes des administrations publiques dans les droits nationaux des parties contractantes. Un règlement européen précise que des « organismes budgétaires indépendants » sont chargés, dans chaque pays, de vérifier le respect de cette règle. Il prévoit aussi que les textes budgétaires sont fondés sur des prévisions macroéconomiques « réalisées ou approuvées par des organismes indépendants ». La Cour des comptes a été reconnue en 2011 par la Commission européenne comme un organisme budgétaire indépendant au sens des règles communautaires, sauf pour ce qui concerne les prévisions macroéconomiques.

Elle aurait donc pu devenir l’institution budgétaire indépendante chargée de vérifier le respect de la règle d’équilibre structurel. Il est toutefois difficile de séparer le suivi du solde structurel et les prévisions macroéconomiques. Le solde structurel dépend de la croissance potentielle et de l’écart entre le PIB effectif et le PIB potentiel, qui sont aussi des éléments essentiels pris en compte pour établir des prévisions économiques à moyen terme. Or la Cour n’avait pas les compétences techniques et la crédibilité suffisantes pour se prononcer sur des prévisions économiques et ne pouvait donc pas elle seule être chargée à la fois de la vérification des prévisions économiques et de la trajectoire de solde structurel.

Il était alors envisageable de confier l’ensemble de ces fonctions à un autre organisme, existant ou créé à cette fin, option étudiée au ministère des Finances. Toutefois, il n’était pas certain qu’un tel organisme soit aussi indépendant que la Cour. Il n’aurait pas eu la même crédibilité sur les questions budgétaires et aurait dû se construire progressivement une réputation favorable.

Le Parlement a finalement décidé, à travers la loi organique du 17 décembre 2012 sur la programmation et la gouvernance des finances publiques, de créer un Haut Conseil des finances publiques (HCFP), « organisme indépendant placé auprès de la Cour des comptes ».

2) Des missions et des moyens limités

Le HCFP doit donner un avis sur les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent notamment les projets de lois de finances et se prononcer sur le PIB potentiel et la croissance potentielle retenus dans les projets de loi de programmation. Les règles européennes imposent toutefois qu’il « produise » ou « valide » ces prévisions et pas seulement qu’il donne un avis.

Selon la loi organique de 2012, il devait aussi rendre un avis sur la « cohérence » entre l’article liminaire du projet de loi de finances, qui présente le solde structurel prévu pour l’année en cours et l’année suivante, et la trajectoire pluriannuelle du solde structurel inscrite dans la loi de programmation.

Il a tout de suite considéré qu’il ne devait pas se contenter de comparer les chiffres figurant à l’article liminaire et dans la loi de programmation pour vérifier leur cohérence arithmétique. Il a estimé devoir, par exemple, vérifier que les prévisions de recettes étaient cohérentes avec le scénario macroéconomique. Si ce n’était pas le cas, l’éventuelle cohérence formelle entre les chiffres figurant dans l’article liminaire et dans la loi de programmation serait en effet trompeuse. Le ministère des Finances considérait pourtant que sa mission se limitait à cette cohérence formelle et qu’il n’avait pas à auditer en détail les prévisions de finances publiques.

Or l’objet des avis du Haut Conseil et les conditions dans lesquelles ils sont donnés sont précisément encadrés par la loi organique. Celle-ci précise même qu’il ne doit pas délibérer ou s’exprimer sur tout autre sujet. S’agissant des programmes de stabilité, par exemple, il ne peut se prononcer que sur le scénario macroéconomique.

Les conditions de saisine du Haut Conseil et les moyens dont il disposait ne lui permettaient pas d’approfondir certaines questions, concernant notamment la qualité des prévisions de finances publiques même s’il lui arrivait souvent de mettre en évidence le manque de vraisemblance de certains chiffres. En effet, la loi organique fixe à une semaine le délai entre sa saisine officielle et la transmission de son avis au Conseil d’Etat. Elle prévoit seulement que « le Gouvernement répond aux demandes d’information que lui adresse le Haut Conseil dans le cadre de la préparation de ses avis ».

En pratique, le délai entre la saisine officielle et la publication de l’avis est d’une semaine mais le HCFP obtient souvent des éléments utiles pour analyser le scénario macroéconomique avant cette saisine. En revanche, les informations relatives aux finances publiques transmises avant ou avec la saisine étaient souvent succinctes et n’étaient complétées que tardivement, en général parce que les arbitrages étaient rendus eux-mêmes tardivement par le gouvernement.

Les explications données par l’administration sur le scénario macroéconomique étaient suffisantes pour en apprécier les risques. En revanche, les éléments d’informations transmis sur les prévisions de finances publiques étaient trop limités. Lorsque j’étais membre du Haut Conseil (de 2012 à fin 2015), celui-ci ne disposait pas des prévisions techniques des services du ministère des Finances.

3) La loi organique de 2021

La loi organique du 28 décembre 2021, qui a modifié la LOLF, a clarifié les missions du HCFP. Il doit ainsi désormais apprécier « le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses », ce qui devrait en principe lui permettre d’obtenir plus d’informations des services du ministère des Finances.

Devant la mission d’information du Sénat créée en mars 2024, le président du HCFP a néanmoins déclaré que : « nous avons besoin - j’y insiste - d’échanges plus nourris et d’une communication plus transparente avec les administrations. Nous leur rappellerons qu’elles doivent communiquer à la Cour et au Haut Conseil les informations, les estimations, les notes ou les prévisions dont elles disposent, ce qui n’a pas été le cas à la fin de l’année 2023 ».

En outre, il faudrait adapter le mandat du HCFP aux nouvelles règles budgétaires européennes, en particulier au remplacement des programmes de stabilité par des « plans budgétaires et structurels » à un horizon de 4 à 7 ans. Il faudrait notamment modifier la loi organique pour qu’il puisse se prononcer chaque année sur l’exécution de ces plans.

 

[1] En tenant compte d’un versement exceptionnel (0,4 % du PIB) de France-Télécom à l’Etat sans lequel le déficit prévu aurait été de 3,9 % du PIB.

[2] Contrôleurs financiers s’agissant des dépenses de l’Etat, caisses de sécurité sociale, direction générale des collectivités locales, direction générale des impôts…

[3] Leur mission était limitée à la situation des finances publiques en 1997.

[4] Après des changements de méthodes, en particulier l’étalement du versement de la soulte de France Télécom sur plusieurs années, il est aujourd’hui estimé à 3,7 % du PIB.

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