19/07/2018
Les conséquences du remplacement du CICE par une réduction des cotisations sociales patronales
François ECALLE
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La loi de finances pour 2018 prévoit la suppression du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) à compter du 1er janvier 2019 et la loi de financement de la sécurité sociale prévoit un allègement supplémentaire des cotisations sociales patronales à compter de la même date.
L’impôt sur les bénéfices des sociétés est un instrument inadéquat pour réduire le coût du travail et les modalités de remboursement du CICE sont particulièrement complexes. En outre, celui-ci n’est pas assez ciblé sur les bas salaires pour maximiser son impact sur l’emploi. Il n’est donc pas étonnant que les conclusions des premières évaluations de ses effets soient mitigées. Le remplacer par un allègement supplémentaire et mieux ciblé des cotisations sociales patronales est donc souhaitable.
Cette réforme augmentera ponctuellement le déficit public de 1 point de PIB en 2019, mais elle réduira le déficit structurel par rapport à une situation où le CICE serait maintenu au taux de 7 %. Les crédits d’impôt étant considérés en comptabilité nationale comme des dépenses publiques, le rapport de celles-ci au PIB sera diminué de 1 point.
Les nouveaux allègements de charges portent sur les cotisations aux régimes d’assurance chômage et de retraite complémentaire dont les ressources propres seront fortement réduites sans que les modalités de compensation de cette perte financière soient pour le moment précisées.
Ces mesures doivent en effet s’inscrire dans le cadre de réformes bien plus ambitieuses et à peine esquissées : création d’un système universel de retraite, qui remet en cause l’existence même des régimes complémentaires, et réforme des prestations, du financement et de la gouvernance de l’assurance chômage. Ces projets posent la question des places respectives de l’assurance et de la solidarité dans la protection sociale et celle des places respectives de l’impôt et des cotisations dans son financement.
A)Le CICE est un instrument moins efficace que les allègements de cotisations patronales sur les bas salaires pour créer des emplois
Les principales caractéristiques du CICE sont présentées dans une fiche de l’encyclopédie. Ses bénéficiaires sont les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés (IS) ou l’impôt sur le revenu (IR) au titre de leurs bénéfices industriels et commerciaux. Son montant est égal à 6 % de la masse des rémunérations brutes inférieures à 2,5 fois le SMIC en 2016. La loi de finances pour 2017 a porté ce taux à 7 % sur les salaires de 2017 et des années suivantes.
Le CICE a pour objet d’améliorer la compétitivité des entreprises et l’emploi en réduisant le coût du travail. Par rapport aux allègements de cotisations patronales ciblés sur les bas salaires, il a les inconvénients suivants.
1)Un effet sur la trésorerie des entreprises décalé dans le temps
Le CICE est un « crédit d’impôt », ce qui signifie qu’il est déduit de l’impôt dû par les entreprises au moment où leur bénéfice est déclaré et où l’impôt est soldé, en mai de l’année N+1 s’agissant de l’IS ; s’il est supérieur au montant de l’impôt dû, la différence est payée par l’Etat à l’entreprise.
Pour la plupart des crédits d’impôt, ce versement de l’Etat intervient assez vite après le dépôt de la déclaration d’IS en N+1. Le CICE présente toutefois, comme le crédit d’impôt en faveur de la recherche, des spécificités par rapport à cette règle : si le CICE est supérieur à l’impôt dû, la différence donne lieu à une créance sur l’Etat de son montant qui soit est imputée sur l’impôt dû au titre des exercices N+2 ou N+3, si cet impôt dû est suffisant, soit est remboursée en N+4. Cette créance au titre de l’exercice N peut toutefois être remboursée dès N+1 aux petites et moyennes entreprises, aux entreprises nouvelles et aux entreprises innovantes.
Alors que les allégements de cotisations sociales ont un effet immédiat sur la trésorerie des entreprises, le CICE leur est donc versé, ou est déduit de leur impôt, au plus tôt en mai de l’année N+1 et au plus tard en N+4. La créance des entreprises sur l’Etat peut certes être cédée à des banques qui préfinancent ainsi le CICE à la place de l’Etat, mais au prix de démarches nécessairement coûteuses en temps.
2)Un ciblage non pertinent
Le seuil de 2,5 SMIC au-dessous duquel les salaires donnent droit au CICE résulte d’un compromis insatisfaisant entre deux objectifs : améliorer la compétitivité des entreprises par un allégement des charges sociales sur l’ensemble des salaires ; obtenir un impact maximal sur l’emploi en ciblant la baisse des charges sur les bas salaires.
La plupart des études économiques montrent que l’effet des allégements de charges sociales est beaucoup plus important quand ils portent sur des salaires au voisinage du SMIC. Des baisses de cotisation au niveau du SMIC permettent en effet d’embaucher de nombreuses personnes dont la productivité est insuffisante pour que des entreprises les emploient en supportant le coût du travail résultant de l’application du taux de cotisation normal au SMIC.
En outre, le taux de chômage des moins qualifiés est bien plus élevé que celui, très faible, des plus qualifiés. Une baisse de cotisations sur les hauts salaires entraîne plus souvent une hausse des rémunérations brutes qu’une augmentation de l’emploi. Pour ces raisons, le seuil de 2,5 SMIC est probablement trop élevé.
Les allègements de cotisations ciblés sur les bas salaires ont certes pour inconvénient de diminuer au fur et à mesure que les rémunérations augmentent. En conséquence, le coût du travail pour les entreprises augmente plus vite que le salaire brut et elles peuvent donc être dissuadés de revaloriser les salaires, entraînant ainsi des effets de « trappe à bas salaires ».
Le CICE n’a pas cet inconvénient puisqu’il a le même taux pour tous les salaires jusqu’à 2,5 SMIC, mais il en a un autre qui résulte de ce seuil au-delà duquel les salaires n’y donnent pas droit. En effet, son franchissement, à l’occasion d’une hausse de salaires, entraîne une forte augmentation du coût du travail pour l’entreprise : 6 % de 2,5 SMIC, soit 220 € par mois.
3)La complexité administrative
La gestion d’un crédit d’impôt dont le bénéfice n’est parfois obtenu qu’au bout de quatre ans est plus complexe pour les entreprises que celle d’un allègement automatique et immédiat de leurs cotisations sociales.
4)Des résultats mitigés
Aux termes de ses travaux, fondés sur des données de 2013 à 2015, le comité d’évaluation du CICE a conclu en septembre 2017 que :
- il a conduit à une amélioration significative des marges des entreprises, tout en étant en partie répercuté dans les prix de vente ;
- il n’a pas eu d’impact en 2013 et 2014 sur l’investissement, les exportations et les efforts de recherche et développement, ce qui est conforme aux délais usuels d’action des mesures visant à stimuler l’offre ; des effets peuvent être escomptés à plus long terme ;
- son impact sur l’emploi est difficile à mesurer précisément mais la création ou la sauvegarde d’environ 100 000 emplois sur 2013-2015 est probable ; de nouveau, des effets plus importants pourraient être observées sur une période plus longue ;
- peu d’effets sont observables sur l’évolution des salaires par tête ; il ne semble pas y avoir de concentration des salaires juste au-dessous du seuil de 2,5 SMIC mais la période d’observation reste trop courte pour que des conclusions définitives soient tirées.
Une autre évaluation du CICE, fondée sur un modèle du marché du travail calibré pour en représenter les principales caractéristiques, a été publiée en juillet 2017 dans la revue française d’économie[1]. Les simulations du CICE et d’un renforcement des baisses de cotisations employeurs sur les bas salaires montrent que le CICE a moins d’effet sur l’emploi.
B)Cette réforme aggravera le déficit public en 2019 mais réduira le déficit structurel et les dépenses publiques
1)Les principaux éléments de la réforme proposée au Parlement
La loi de finances pour 2018 ramène le taux du CICE de 7 à 6 % en 2018 et le supprime à compter du 1er janvier 2019. Le CICE sur les salaires versés avant cette date devra néanmoins être imputé sur l’IS ou remboursé aux entreprises en 2019 et jusqu’à 2022. Le crédit d’impôt sur la taxe sur les salaires (CITS) payée par les associations sera également supprimé en 2019.
La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) prévoit à compter du 1er janvier 2019 : d’une part, une réduction de 6 points des cotisations des employeurs à l’assurance maladie pour les salaires inférieurs à 2,5 SMIC ; d’autre part, un allègement supplémentaire de 10 points au niveau du SMIC et diminuant au-delà jusqu’à devenir nul au niveau de 1,6 SMIC, portant surtout sur les cotisations des employeurs à l’assurance chômage et aux régimes de retraites complémentaires. Par rapport à la situation actuelle, l’allègement supplémentaire sera au total de 10 points au niveau du SMIC, de 10 à 6 points entre le SMIC et 1,6 SMIC et de 6 points entre 1,6 et 2,5 SMIC.
2)Une aggravation du déficit public de 2019
En 2019, le coût du CICE, sur les salaires des années antérieures, sera de 20,6 Md€ en comptabilité nationale selon le rapport du comité d’évaluation et compte-tenu de la baisse de son taux sur les salaires de 2018. Le coût du CITS sera de 0,6 Md€. Ces coûts seraient supportés par l’Etat en 2019 même si la réforme n’avait pas lieu.
La même année, les nouveaux allègements de cotisations sociales réduiront de 24,8 Md€ les recettes des administrations de sécurité sociale (dont 21,6 Md€ pour la réduction de 6 points des cotisations maladie jusqu’à 2,5 SMIC). Les bénéfices des entreprises augmenteront d’autant, ce qui se traduira par des recettes supplémentaires d’impôt sur les sociétés d’environ 6 Md€, étalés sur 2019 (dernier acompte), 2020 (solde pour les sociétés bénéficiaires) et au-delà (réduction des déficits reportables).
En 2019, le déficit public sera donc aggravé d’un montant de 25 Md€ dont il faut déduire l’impact sur l’acompte d’IS du mois de décembre, ce qui fait environ 1 point de PIB. C’est la principale raison pour laquelle le programme de stabilité prévoit une remontée du déficit public, de 2,3 % du PIB en 2018 à 2,4 % du PIB en 2019.
3)Une réduction du déficit structurel
Le coût du CICE en régime permanent, au taux de 7 %, est d’environ 23 Md€ et les allègements de charges qui le remplaceront auront un coût, net du supplément d’IS, d’environ 19 Md€. Cette réforme réduira donc le déficit structurel de 0,2 point de PIB.
4)Une baisse des dépenses publiques en comptabilité nationale
Le montant d’un crédit d’impôt n’a en général aucun rapport avec l’impôt auquel il est rattaché et une telle dépense fiscale s’analyse économiquement comme une subvention. C’est pourquoi les comptables nationaux enregistrent désormais les crédits d’impôts comme des dépenses publiques. Le CICE a donc pour effet de majorer le rapport des dépenses publiques au PIB, pour lequel la France est très mal placée dans les comparaisons internationales.
La suppression du CICE réduira mécaniquement le ratio dépenses publiques / PIB d’un point à partir de 2020, ce qui contribuera à améliorer la position de la France dans ce classement.
C)Une perte de ressources pour les régimes d’assurance chômage et de retraites complémentaires
Il n’existe déjà plus de cotisations patronales au régime général pour les salariés payés au SMIC. L’allègement supplémentaire de 10 points prévu dans la LFSS de 2018 porte donc sur les cotisations à d’autres régimes : l’assurance chômage pour 4,05 points, l’AGIRC-ARRCO pour 4,65 points et « l’association pour la gestion du fonds de financement[2] » (AGFF) pour 1,2 point.
Le rapport d’évaluation préalable des articles du PLFSS se contente de mentionner que les impacts financiers sur les régimes concernés (25 Md€ à partir de 2019) « feront l’objet d’une neutralisation dans le cadre des transferts entre branches de sécurité sociale et donneront lieu à une compensation des pertes de recettes pour la sécurité sociale, dont les modalités seront précisées dans les textes financiers afférents à l’année 2019 ».
Actuellement, les cotisations sociales dues à l’Unédic sont recouvrées par l’ACOSS et le réseau des URSSAF tandis que les cotisations dues à l’AGIRC et à l’ARRCO sont recouvrées par leur propre réseau (qui collecte aussi celles dues à l’AGFF).
La LFSS comporte seulement des mesures visant une coordination entre ces deux réseaux : les règles du régime général relatives aux conditions de recouvrement et de contrôle des cotisations seront appliquées aux cotisations à l’AGIRC-ARRCO et seront communiquées aux entreprises sur un site Internet unique. Pour le reste, le PLFSS se contente de noter que « Cette mesure aura des impacts importants sur les organismes chargés du recouvrement des cotisations de retraite complémentaire obligatoire ».
Outre la question de la compensation financière de l’Unédic et de l’AGIRC-ARRCO, celle de l’impact de ces exonérations de cotisations sur les droits à retraite complémentaire reste en suspens. En effet, les cotisations versées à l’AGIRC-ARRCO donnent droit à des « points » qui sont accumulés par les salariés pour être convertis en pension lorsqu’ils prennent leur retraite. Il est probable que les points continueront à être acquis sur la base du taux de cotisations avant allégement mais encore faut-il que les partenaires sociaux qui gèrent les régimes de retraite complémentaire en décident ainsi, ce qui suppose probablement pour eux une clarification des modalités de compensation financière.
D)Des mesures à inscrire dans le cadre de plus vastes projets
Les conséquences du remplacement du CICE par des allègements de cotisations sociales pour l’Unédic et les régimes de retraite complémentaire ne sont pas encore précisés parce qu’elles doivent être articulées avec la mise en œuvre des projets plus vastes que sont la création d’un système de retraite universel et la réforme du régime d’assurance chômage qui, pour le moment, sont seulement esquissés. Ces réformes posent la question des places respectives de l’assurance et de la solidarité dans la protection sociale, ou celle des places respectives des cotisations sociales et de l’impôt dans son financement.
1)Le système de retraite universel
Le projet de création d’un système de retraite universel fait l’objet d’une note d’analyse sur ce site. On peut en retenir les observations suivantes concernant les régimes complémentaires.
Ce futur système de retraite ne peut être véritablement universel que s’il rassemble les salariés du secteur privé et les fonctionnaires. Or les régimes de retraite du secteur public servent des pensions à un taux plein de 75 % qui correspond au cumul des retraites de base (50 %) et complémentaires (en moyenne 25 %) servies aux salariés du secteur privé[3].
En outre, la distinction entre des régimes obligatoires de base et complémentaires, fonctionnant tous en répartition, résulte d’une sédimentation historique, n’a pas d’intérêt et n’existe pas dans la plupart des autres pays. Dans ceux-ci, il y a en général une retraite minimale financée par l’impôt, un premier étage public et obligatoire en répartition et un deuxième étage privé, facultatif (la décision étant prise au niveau de la branche ou de l’entreprise) et en capitalisation.
En conséquence, les régimes complémentaires actuels devront très probablement être fondus dans le système universel, comme l’ensemble des régimes de base, ce qui suppose que l’Etat en prenne le contrôle alors qu’ils sont gérés paritairement par les partenaires sociaux[4].
Ce régime universel devrait être un régime par points et, en conséquence, les exonérations de cotisations au niveau du SMIC devraient se traduire par une réduction à due concurrence des droits à pension des salariés concernés. Leurs cotisations pourraient toutefois être prises en charge, dans une logique de solidarité, par un fonds financé par l’impôt, à l’instar de la prise en charge actuelle des cotisations des chômeurs par le fonds de solidarité vieillesse (FSV).
2)La réforme de l’assurance chômage
Les allègements de cotisations dues à l’Unédic dans le cadre de la suppression du CICE doivent être replacées dans le cadre de la réforme plus large de l’assurance chômage qui a été annoncée et qui fait l’objet d’une note d’analyse sur ce site.
En particulier, la compensation financière des allègements de cotisations décidées en remplacement du CICE devra être articulée avec le financement de l’indemnisation des salariés démissionnaires et des travailleurs indépendants au chômage. Par ailleurs, les cotisations salariales à l’Unédic sont remplacées dès 2018 par une fraction de la CSG, ce qui devrait faire entrer l’assurance chômage dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale.
3)Les places respectives de l’assurance et de la solidarité, ou encore des cotisations sociales et des impôts, dans la protection sociale
a)Une distinction importante
La protection sociale recouvre deux types de prestations : les premières, dans une logique d’assurance, sont liées au paiement de cotisations ; les deuxièmes, dans une logique de solidarité, sont indépendantes du paiement de cotisations.
Dans une logique d’assurance, dite également « contributive », les prestations sont financées par des prélèvements sur les revenus d’activités des assurés, ce qui est la caractéristique principale des cotisations sociales. Dans une logique de solidarité, ou « non contributive », les prestations doivent être financées par des prélèvements sur l’ensemble des revenus, comme la CSG, ou payés par des impôts sur l’ensemble des ménages, comme la TVA, ce qui caractérise les « impositions de toute nature » prévues par la Constitution.
Les pensions de retraite et les allocations de chômage relèvent en principe de la première catégorie alors que les dépenses d’assurance maladie, les prestations familiales et les allocations de logement relèvent de la deuxième.
Cette distinction a d’importantes conséquences économiques. En effet, si les actifs considèrent que les cotisations prélevées sur les revenus de leur travail leur donnent l’assurance de revenus de remplacement futurs en cas de perte de leur travail, ils peuvent accepter plus facilement aujourd’hui une perte de leur pouvoir d’achat ; étant considérées comme un « salaire différé », les cotisations sociales, qu’elles soient « salariales » ou « patronales », accroissent alors relativement peu le coût du travail pour les employeurs.
En revanche, les actifs acceptent plus difficilement que les revenus de leur travail soient amputés pour financer des prestations universelles, qui ne leur sont donc pas particulièrement destinées. La pression exercée par les prélèvements obligatoires à la hausse sur le coût du travail est alors plus forte.
Une étude économétrique publiée en juin 2017 par l’institut des politiques publiques corrobore la pertinence de cette distinction s’agissant de l’impact des cotisations sociales.
Par ailleurs, les régimes de retraite fonctionnent en principe en France par répartition, ce qui signifie que les pensions versées aux retraités d’aujourd’hui doivent être financées par les cotisations des actifs d’aujourd’hui. En contrepartie, ces actifs doivent être assurés de recevoir à leur retraite une pension en rapport avec leurs cotisations. L’équilibre des régimes par répartition est brouillé et le « lien social » qu’ils créent entre les générations est distendu si les cotisations financent trop d’éléments de solidarité et si les prestations sont financées par des impôts ou des subventions d’équilibre de l’Etat qui sont elles-mêmes financées par l’impôt.
S’agissant de l’assurance chômage, les cotisations patronales ont une autre fonction. En licenciant pour motif économique des salariés en contrat à durée indéterminée ou en mettant fin à des contrats à durée déterminée (CDD), les entreprises font supporter un coût au salarié qui perd son emploi et à la collectivité qui doit financer ses indemnités de chômage. Le licenciement économique et l’utilisation des CDD entraînent ainsi ce que les économistes appellent des « externalités négatives ». Il faudrait les faire supporter aux entreprises responsables en leur faisant payer des cotisations qui dépendent du coût de ces externalités, comme c’est déjà le cas depuis très longtemps aux Etats-Unis (cf. la note sur ce sujet).
b)Une distinction devenue floue en pratique
La sécurité sociale a été conçue en France sur un modèle d’assurance. Les prestations étaient financées par des cotisations sociales dont elles dépendaient fortement, au moins dans la mesure où le paiement de cotisations était une condition nécessaire pour en bénéficier.
Les prestations de l’assurance maladie et les prestations familiales ont ensuite été rendues universelles, dans une logique de solidarité. Le financement de l’assurance maladie a été en partie adapté avec la création de la CSG en substitution des cotisations sociales salariales, mais pas totalement puisque les cotisations patronales ont été maintenues. Le financement des prestations familiales a été encore moins réformé. Le lien entre cotisations et prestations a également été distendu avec le déplafonnement des cotisations d’assurance maladie puis les allégements de cotisations sur les bas salaires.
Enfin, de multiples dispositions ont introduit des éléments de solidarité dans tous les régimes : revenus de remplacement minima, majoration des prestations en fonction de la situation familiale, de l’existence de handicaps….
Une clarification a été opérée s’agissant de l’assurance chômage : « l’allocation d’aide au retour à l’emploi », qui relève de l’assurance, est versée par l’Unedic et financée par des cotisations alors que « l’allocation de solidarité spécifique », qui relève de la solidarité, est versée par l’Etat et financée par l’impôt. La création du fonds de solidarité vieillesse (FSV) permet également d’isoler certaines des prestations de retraite qui relèvent d’une logique de solidarité (validations de trimestres au titre des périodes de chômage par exemple) et de les financer par l’impôt (la CSG principalement). Enfin, le financement des allocations de logement a été récemment transféré de la sécurité sociale à l’Etat.
Il reste que les prestations familiales et les dépenses d’assurance maladie sont encore financées par des cotisations sociales, surtout patronales, pour une grande partie, que les cotisations de retraite financent des dépenses de solidarité et que les pensions des régimes de base sont en partie financées par des impôts ou des subventions d’équilibre de l’Etat.
c)Une distinction à rétablir
Il serait souhaitable que les réformes engagées permettent de rétablir cette distinction et de clarifier ainsi le financement de la protection sociale.
Les prestations d’assurance maladie, les prestations familiales, les allocations de logement et les minima sociaux devraient être financés par l’impôt, et plus particulièrement par des impôts sur les ménages comme la CSG et l’impôt sur le revenu, alors que les pensions de retraite et les indemnités de chômage devrait l’être par des cotisations sociales.
Si des éléments de solidarité sont maintenus dans le calcul des pensions de retraite, ils doivent être financés par l’impôt par l’intermédiaire d’un fonds spécifique. Celui-ci devrait notamment financer l’acquisition de points par les salariés payés au SMIC si leurs employeurs sont exonérés de cotisations pour alléger le coût du travail. Le régime universel par points étant un projet de très long terme, ce fonds pourrait à plus court terme apporter aux régimes de retraite la différence entre des cotisations au taux normal et les cotisations après mesures d’allègement.
S’agissant du régime d’indemnisation du chômage, si un système de bonus-malus était appliqué aux cotisations patronales comme aux Etats-Unis, il devrait concerner les salariés payés au SMIC comme les autres. Les allégements des cotisations patronales à l’assurance chômage ne sont pas cohérents avec une telle évolution, ce qui est regrettable.
[1] « Un modèle calibré de l’effet du CICE sur l’emploi » ; Th. Breda, L. Haywood et H. Wang ; revue française d’économie, juillet 2017.
[2] Fonds ayant pour objet de rembourser aux régimes de retraite complémentaire le surcoût du passage (en 1982) de 65 à 60 ans de l’âge minimal requis pour faire valoir ses droits à la retraite.
[3] Il existe également un régime de retraite complémentaire en capitalisation dans le secteur public mais son poids est très faible.
[4] Les régimes complémentaires en capitalisation, comme celui de la fonction publique, devraient toutefois être maintenus et développés pour créer, comme dans les autres pays, un étage complémentaire vraiment différent.