19/09/2017
Les contrats aidés
François ECALLE
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La ministre du travail a annoncé une baisse du nombre de contrats aidés et des crédits associés dans le projet de loi de finances pour 2018, « en les ciblant sur les personnes les plus éloignées de l’emploi et dans les secteurs où il y en a le plus besoin ».
Créés en 1984, les contrats aidés ont atteint un maximum (900 000) à la fin des années 1990 puis leur nombre a fortement diminué, surtout ceux du secteur marchand, jusqu’à un minimum de 300 000 en 2012. Il est ensuite remonté jusqu’à plus de 500 000 en 2016 avant une inflexion début 2017. Alors que les crédits consommés en 2016 se sont élevés à 3,4 Md€, les crédits prévus en loi de finances initiale pour 2017 étaient de 2,5 Md€.
Malgré les effets d’aubaine qu’ils induisent, les contrats aidés ont un impact positif sur l’emploi total à court terme, plus fort lorsqu’il s’agit d’emplois dans le secteur non marchand. Cependant, leurs bénéficiaires ont moins de chances de trouver un emploi durable que ceux qui n’en bénéficient pas et ceux qui ont un contrat aidé dans le secteur non marchand ont moins de chances de trouver un emploi durable que ceux qui en ont un dans le secteur marchand. Il est probable que l’expérience acquise dans le secteur non marchand soit difficile à valoriser dans les entreprises privées.
Les services rendus par les personnes qui ont un contrat aidé ont une utilité, mais il n’est pas du tout sûr qu’elle soit suffisante pour compenser le coût des prélèvements obligatoires nécessaires pour les financer. L’impact à moyen terme de ces contrats sur l’emploi total dans l’économie est donc probablement négatif. Les dépenses publiques affectées à de tels dispositifs dans plupart des pays sont bien plus faibles qu’en France.
Des contrats aidés sont nécessaires pour donner un emploi à ceux qui ne peuvent pas être employés dans les conditions de rémunération de droit commun, notamment parce que leur qualification est très faible. Les caractéristiques des bénéficiaires de ces contrats suggèrent toutefois qu’une grande partie d’entre eux est employable dans les conditions de droit commun. Une diminution du nombre d’emplois aidés, obtenue en les ciblant mieux sur les populations qui en ont besoin, est donc nécessaire.
A) Une forte hausse dans les années 1990 suivie d’une forte baisse dans les années 2000 et d’une remontée dans les années 2010
Beaucoup d’emplois du secteur marchand bénéficient de subventions (primes à l’embauche…) ou d’un allègement des cotisations sociales. Les emplois dans le secteur non marchand sont, par définition, financés par des prélèvements obligatoires. Sauf à y inclure la majorité des emplois, la définition du périmètre des contrats aidés n’est pas évidente et doit être plus restreinte.
Cette note s’inspire d’une analyse publiée par la DARES en mars 2017 et retient le même périmètre. Il s’agit de contrats dérogatoires au droit commun, autres que ceux en alternance avec une formation (apprentissage…), pour lesquels l’employeur bénéficie d’une aide de l’Etat sous forme de subvention ou d’allègements de cotisations sociales, qui sont réservés aux personnes rencontrant des difficultés particulières d’accès à l’emploi et dont le nombre et la répartition sont fixés par l’Etat.
Cette dernière caractéristique est essentielle : les crédits affectés aux contrats aidés et leur nombre sont inscrits dans la loi de finances et répartis d’abord par l’administration centrale entre les secteurs, les publics et les régions puis par les préfets au niveau local. Il s’agit donc d’un outil très pratique pour les gouvernements qui leur permet de cibler les créations d’emplois, mais pas toujours à bon escient.
La DARES fait remonter l’origine des contrats aidés en 1984 avec la création des « travaux d’utilité collective ». Une vingtaine de dispositifs, chacun comportant de multiples variantes, se sont succédés de 1984 à 2017. Comme le souligne Bertrand Martinot[1], il n’y a pas eu de plan de lutte contre le chômage qui n’ait comporté un volet contrats aidés ou stages de formation. Sous des appellations diverses, ces dispositifs ont les mêmes grandes caractéristiques et diffèrent seulement par la valeur de certains paramètres (publics prioritaires, taux de subvention…), constamment modifiés sans évaluation de leur pertinence.
Le graphique ci-joint met en évidence une forte hausse du nombre de contrats aidés dans les années 1990, jusqu’à un maximum de 900 000 dans les années 1997 à 2000, d’abord en réaction à la récession de 1993 puis, malgré une bonne conjoncture économique, pour satisfaire les promesses de création « d’emplois jeunes ».
Source : DARES ; FIPECO.
Les années 2000 ont été marquées par une forte baisse du nombre de contrats aidés, notamment dans le secteur marchand où ils sont devenus presque résiduels. Malgré une remontée provisoire en 2009-2010 en raison de la crise économique, cette tendance à la baisse, notamment dans le secteur marchand, s’est prolongée jusqu’à 2012 où ils sont revenus à un minimum de 310 000. Le nombre de contrats aidés a ensuite significativement augmenté dans les années 2013-2016 dans le secteur marchand comme dans le secteur non marchand. Une inflexion est enfin perceptible sur le premier trimestre 2017.
Sur l’ensemble des années 1990 à 2017, on observe une tendance à la hausse des contrats aidés dans le secteur de l’insertion par l’activité économique (associations intermédiaires, entreprises d’insertion…), mais leur nombre reste relativement limité.
En mars 2017, on recensait 294 000 contrats aidés dans le secteur non marchand (contrats uniques d’insertion et d’accompagnement pour l’emploi (CUI-CAE) ; emplois d’avenir), 124 000 dans le secteur marchand (contrats uniques d’insertion et d’initiative emploi (CUI-CIE) ; emplois d’avenir) et 57 000 dans le secteur de l’insertion, soit un total de 475 000 contrats.
Dans les années 2000, les crédits annuels affectés aux contrats aidés ont été compris entre 2,0 et 2,5 Md€ hors insertion par l’activité économique[2]. En 2016, ils se sont élevés, en exécution, à 3,4 Md€ correspondant à la signature de 457 000 nouveaux contrats. Le projet de loi de finances pour 2017 prévoyait la signature de 280 000 nouveaux CUI et emplois d’avenir et un montant de crédits de paiement s’élevant à 2,5 Md€. Des crédits complémentaires ont été ouverts par décret d’avance en cours d’année.
B) Un effet positif sur l’emploi à court terme mais souvent négatif à moyen terme
1) Un impact positif sur l’emploi à court terme
Toute aide à l’emploi entraîne : des « effets d’aubaine » (l’employeur aurait créé un emploi sans aide), des « effets d’éviction » (un emploi aidé remplace un emploi non aidé) et des « effets d’anticipation » (l’emploi est créé plus tôt que prévu par l’employeur). Une fiche de l’encyclopédie montre comment les méthodes d’évaluation des politiques publiques permettent de mesurer ces effets.
Les évaluations de la DARES concluent à la création de 0,19 emploi dans le secteur marchand lorsque 1 contrat y est aidé (0,16 pour les CUI-CIE et 0,25 pour les emplois d’avenir) et de 0,64 emploi dans le secteur non marchand quand 1 contrat y est aidé (0,67 pour les CUI-CAE et 0,56 pour les emplois d’avenir).
Les effets sur l’emploi sont beaucoup plus forts à court terme lorsque les contrats sont passés avec des organismes publics, en particulier les collectivités locales et les hôpitaux, parce que leurs dépenses sont largement déterminées par les ressources que l’Etat leur apporte. Toute aide supplémentaire de l’Etat entraîne une dépense supplémentaire et, si cette aide est conditionnée par le recrutement de personnes particulières, ces organismes embauchent ces personnes.
2) Un impact probablement négatif sur l’emploi à moyen terme
Les enquêtes de la DARES permettent depuis longtemps de suivre le parcours professionnel des personnes qui ont bénéficié d’un contrat aidé, dans le secteur marchand ou non marchand, et de celles qui n’en ont pas bénéficié.
Elles montrent que, six mois après la fin de l’aide de l’Etat, 67 % des personnes ayant bénéficié d’un CUI-CIE (secteur marchand) ont un emploi, contre seulement 41 % pour celles qui ont bénéficié d’un CUI-CAE (secteur non marchand). Les contrats aidés dans le secteur marchand sont donc plus efficaces en termes d’insertion, mais ce résultat pourrait s’expliquer par les caractéristiques différentes de ces deux catégories de bénéficiaires des contrats aidés. En effet, les personnes les plus difficilement employables sont plutôt dirigées vers le secteur non marchand par les agents de Pôle emploi.
S’agissant de l’insertion par l’activité économique, un rapport de 2013 de l’inspection générale des affaires sociales note que les résultats disponibles sont très décevants, bien en deçà des objectifs d’insertion professionnelle visés par le ministère du travail. Six mois après la sortie d’un atelier ou chantier d’insertion, moins de 12 % des personnes aidées ont trouvé un emploi durable.
Pour évaluer plus précisément l’efficacité de ces dispositifs, il faut pouvoir comparer le parcours professionnel des bénéficiaires de ces contrats à celui d’un « groupe témoin » de personnes qui présentent les mêmes caractéristiques mais n’en ont pas bénéficié. Selon la DARES, il en ressort que, deux ans et demi après la fin de l’aide, le bénéficiaire d’un CUI-CIE (secteur marchand) a une probabilité plus élevée de 31 points de pourcentage d’être employé en contrat à durée indéterminée qu’une personne de mêmes caractéristiques du groupe témoin. En revanche, le bénéficiaire d’un CUI-CAE (secteur non marchand) a une probabilité d’être employé en CDI inférieure de 8 points de pourcentage à celle d’une personne de mêmes caractéristiques du groupe témoin.
L’introduction à un dossier sur les contrats aidés publié en 2015 dans la revue Economie et Statistiques note que « si les contrats aidés non marchands améliorent les conditions de vie, notamment du fait qu’ils procurent un revenu à court terme, leurs bénéficiaires sont moins souvent en emploi après leur sortie que les demandeurs d’emploi qui n’en ont pas bénéficié. Les bénéficiaires de contrats aidés marchands sont quant à eux plus souvent en emploi à la fin de l’aide de l’Etat que s’ils n’en avaient pas bénéficié, ce qui tient dans la plupart des cas au fait qu’ils sont maintenus chez leur employeur ».
Il est probable que l’expérience acquise dans le secteur non marchand, ou dans celui de l’insertion, soit plus difficilement valorisable dans le secteur privé. Il est aussi vraisemblable que ces emplois donnent des habitudes de travail inadaptées au secteur privé, ou tout au moins que les employeurs privés aient cette opinion.
La question de l’utilité des activités exercées dans le cadre de ces contrats dans le secteur non marchand doit aussi être posée. Ces activités ont une utilité et répondent à un besoin ressenti par les élus locaux, les gestionnaires d’établissements publics et les usagers des services publics. Mais il faut encore que cette utilité soit supérieure au coût de ces services.
Dans le secteur privé, cette condition est assez facilement vérifiée car une entreprise n’embauche en principe une personne pour rendre des services que si des clients consentent à les payer. Dans le secteur public, il est impossible de vérifier ce consentement à payer, les services rendus étant gratuits. Dans ces conditions, les élus locaux, les gestionnaires d’établissements publics et les ménages demanderont toujours plus d’emplois aidés.
Or, il n’existe pas en économie de « free lunch ». Ces services sont payés par les contribuables, ménages et entreprises, avec leurs impôts et la propension des Français à demander toujours plus de services publics nous place au deuxième rang de l’OCDE pour le niveau des prélèvements obligatoires. La compétitivité des entreprises et l’attractivité du territoire en sont affaiblis, ce qui explique en grande partie le déficit de nos échanges extérieurs.
Si le coût des prélèvements obligatoires n’est pas compensé par l’utilité des dépenses qu’ils permettent de financer, leur impact à moyen terme sur l’activité économique et l’emploi est négatif. C’est très probablement le cas pour une grande partie des emplois aidés dans le secteur non marchand. En effet, leur volume ne résulte pas d’une évaluation de leur bénéfice socio-économique mais, le plus souvent, d’objectifs fixés par les gouvernements pour « traiter statistiquement » le chômage ou satisfaire des promesses de campagne.
C) Une spécificité française
Selon Eurostat, les dépenses publiques relevant de la « politique du marché du travail » et consacrées à « la création directe d’emplois » représentent en 2015 plus de 0,2 % du PIB en France contre moins de 0,1 % du PIB dans tous les pays de l’Union européenne à l’exception de la Bulgarie, de l’Irlande, de la Hongrie et de la Finlande.
Les autres ont sans doute mieux tiré les leçons des évaluations de ces dispositifs. Une revue d’une centaine d’évaluations dans différents pays[3] montre ainsi, au mieux, qu’ils n’ont aucun effet sur la probabilité de trouver un emploi durable et, au pire, qu’ils dégradent les chances d’insertion.
D) Un meilleur ciblage nécessaire
Certaines personnes, non handicapées[4], ne sont pas employables par des entreprises privées dans des conditions de droit commun, c’est-à-dire en étant payées au SMIC et en ouvrant droit pour l’employeur aux allègements de cotisations sociales de droit commun, parce que leur productivité est insuffisante. Cette situation résulte généralement d’une qualification insuffisante, mais des personnes qualifiées peuvent également perdre leur employabilité dans certaines circonstances. Cette situation est souvent provisoire et des formations adéquates doivent permettre en principe d’en sortir.
Il est parfois affirmé que les contrats aidés sont utiles dans les périodes de fort taux de chômage conjoncturel pour maintenir l’employabilité des chômeurs qui en sont bénéficiaires et éviter que ce chômage conjoncturel ne se transforme en chômage structurel. Cependant, les mauvais résultats de ces dispositifs en termes d’insertion contredisent cette affirmation.
En tout état de cause, la solidarité nationale impose de donner des emplois à ceux qui ne sont pas employables dans les conditions de droit commun, à condition qu’ils fassent les efforts nécessaires pour devenir employables, et ces emplois doivent être subventionnés par l’Etat. Il est donc nécessaire de financer un minimum de contrats aidés, ciblés sur les personnes sans qualification et sur celles qui n’arrivent pas à trouver un emploi malgré des efforts de recherche significatifs, donc sur les chômeurs de très longue durée.
Or 48 % des nouveaux bénéficiaires de contrats aidés dans le secteur non marchand en 2015 ont un niveau de formation correspondant au Bac ou à des études supérieures ; seuls 27 % d’entre eux n’ont aucun diplôme. Seuls 35 % des nouveaux bénéficiaires de contrats aidés dans le secteur non marchand sont au chômage depuis plus de 24 mois.
La DARES retient une définition plus large des personnes en difficulté particulière d’accès à l’emploi : les personnes de 50 ans et plus, celles qui sont inscrites à Pôle emploi depuis plus d’un an, les bénéficiaires de minima sociaux et les personnes de moins de 26 ans qui ont un niveau de formation inférieur au Bac. Selon cette définition, 86 % des nouveaux bénéficiaires de contrats aidés dans le secteur non marchand en 2015 sont en difficulté d’accès à l’emploi et donc au moins 14 % sont employables dans des conditions de droit commun.
Il est donc possible de réduire sensiblement le nombre de contrats aidés en les ciblant plus sur les personnes difficilement employables.
[1] « Pour en finir avec le chômage », Bertrand Martinot, Pluriel, 2015.
[2] Pour en finir avec le chômage », Bertrand Martinot, Pluriel, 2015.
[3] « The effectiveness of european active labor market programmes » J. Kluve, Labour economics, 2010.
[4] Les personnes handicapées ont doit à d’autres aides.