14/10/2021
Les dépenses fiscales de 2017 à 2022
François ECALLE
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Les « dépenses fiscales », parfois appelées « niches fiscales » (les deux expressions sont utilisées ici avec la même signification), sont des dispositions législatives ou réglementaires dérogatoires par rapport à une « norme fiscale » de référence et qui entraînent des pertes de recettes budgétaires pour l’Etat. La liste officielle des dépenses fiscales est discutable car la norme fiscale à laquelle elles sont supposées déroger est elle-même parfois floue et contestable. Il arrive d’ailleurs que le ministère des finances retire des dispositifs de la liste alors qu’ils existent toujours et y ajoute des dispositifs qui existaient déjà auparavant.
Si elles peuvent parfois permettre d’atteindre des objectifs pertinents de politique économique et être plus faciles à gérer que des aides et subventions, les dépenses fiscales sont souvent plus difficiles à contrôler, contribuent à accroître la complexité du système fiscal et vont à l’encontre d’un principe essentiel d’une fiscalité optimale selon lequel les impôts à taux faible sur une assiette large sont moins dommageables pour l’activité économique. En outre, si les dépenses fiscales sont rarement évaluées, les évaluations disponibles montrent souvent leur faible efficience. Il est donc souhaitable de réduire leur nombre et leur coût (cf. note sur ce site). Ce billet examine si cet objectif a été atteint sur la période 2017-2022 compte-tenu des prévisions pour 2021 et 2022 du projet de loi de finances (PLF) pour 2022.
La liste du PLF 2022, établie en septembre 2021, compte 20 dépenses fiscales de plus que celle du PLF 2017, établie en septembre 2016 (471 contre 451). D’un côté, 93 créations et 63 suppressions de niches auront été votées depuis septembre 2016 si les propositions du PLF 2022 sont adoptées. D’un autre côté, des niches dont la suppression avait été votée avant septembre 2016 ont été retirées de la liste entre septembre 2016 et septembre 2021. Le nombre de dépenses fiscales aura donc été accru au cours de ce quinquennat.
L’estimation du coût d’un grand nombre de dépenses fiscales pose des problèmes méthodologiques difficiles. Dans le rapport annexé au PLF 2022, seules 412 niches fiscales sur 471 sont chiffrées et, pour 134 d’entre elles, il s’agit seulement d’un ordre de grandeur. Sous cette réserve, le coût des niches autres que le CICE est passé de 75,4 Md€ en 2017 à 84,0 Md€ en 2020.
La croissance des dépenses fiscales est souvent sous-estimée en prévision par le ministère des finances. Sous cette réserve, le coût des niches hors CICE atteindrait selon lui 85 Md€ en 2022 et, en pourcentage du PIB, il serait au même niveau en 2022 qu’en 2017 (3,3 %). Il n’y aura donc pas eu de réduction du coût des dépenses fiscales, hors CICE, au cours du quinquennat.
A) Le nombre de niches
Pour déterminer si une disposition législative ou réglementaire constitue ou non une niche fiscale, il faut définir la norme fiscale applicable à laquelle elle pourrait déroger.
La définition de cette norme de référence est parfois très difficile car elle renvoie à des conceptions de la fiscalité qui font débat et peuvent évoluer. La question de savoir si, par exemple, le « quotient familial », utilisé pour moduler l’impôt sur le revenu en fonction de la taille du ménage, est ou non une niche peut être longuement débattue sans qu’aucune conclusion consensuelle ne soit tirée. En pratique, sont considérées comme des niches fiscales les dispositifs figurant sur la liste du tome II du rapport sur les voies et moyens annexé chaque année au projet de loi de finances (PLF).
Cette liste est donc discutable mais il n’y en a pas d’autre. Il arrive d’ailleurs fréquemment que le ministère des finances retire des dispositifs de la liste, alors qu’ils existent toujours, et y ajoute des mesures qui existaient déjà auparavant. Le quotient familial était ainsi autrefois sur la liste et il en a été retiré (il y a longtemps). Il est rare que le ministère des finances justifie ces retraits et ces ajouts.
Les dépenses fiscales prennent des formes diverses. Les principales sont les exonérations, les abattements, les déductions, les taux réduits, les demi-parts supplémentaires de quotient familial (mais pas les demi-parts « normales »), les réductions et les crédits d’impôts[1].
Il y avait 451 dépenses fiscales recensées en septembre 2016 dans le rapport annexé au PLF pour 2017 et 471 en septembre 2021 dans celui qui est annexé au PLF pour 2022. Le nombre de niches a donc augmenté.
Le nombre de dépenses fiscales
PLF 2017
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PLF 2018
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PLF 2019
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PLF 2020
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PLF 2021
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PLF 2022
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451
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457
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474
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468
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475
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471
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SourceSource : rapports annexés aux projets de loi de finances : rapports annexés aux projets de loi de finances
Les informations figurant dans les rapports sur les voies et moyens ne permettent pas de compter facilement les créations et suppressions de niches ainsi que les ajouts sur la liste de mesures qui existaient déjà et les retraits de mesures qui existent toujours. En outre, une niche peut être supprimée par une loi de finances et figurer toujours sur la liste plusieurs années après parce qu’elle continue à avoir un coût budgétaire. Par exemple, le CICE a été supprimé par la loi de finances initiale pour 2018 mais il figure encore sur la liste du PLF pour 2022 car le CICE sur les salaires de 2018 pourra être remboursé jusqu’à 2022.
Entre septembre 2016 et septembre 2021, ont été votées 93 créations de niches (dont 25 depuis septembre 2020) et 57 suppressions. En outre la suppression de 6 niches est proposée dans le PLF pour 2022 (et aucune création). Par ailleurs, 15 mesures qui existaient déjà ont été ajoutées à la liste et 7 mesures qui existent toujours en ont été retirées. S’il n’y a que 20 dépenses fiscales de plus dans le PLF 2022 par rapport au PLF 2017, c’est parce que des niches supprimées avant septembre 2016 ont eu un coût budgétaire au-delà de cette date et ont été retirées de la liste entre septembre 2016 et septembre 2021.
Outre le CICE, on peut noter parmi les principales niches supprimées, la réduction d’ISF pour investissement dans une PME, certaines dépenses fiscales relatives à la taxe d’habitation et le crédit d’impôt pour la transition énergétique (transformé en subvention). Parmi les dépenses fiscales créées, on trouve notamment l’exonération des heures supplémentaires au titre de l’impôt sur le revenu (qui existait déjà dans les années 2008-2012) et l’exonération des aides versées par le fonds de solidarité au titre de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu. Les autres créations ont un coût relativement limité.
B) Le coût des niches
1) Les difficultés méthodologiques
Le tome II du rapport sur les voies et moyens présente le coût budgétaire individuel de 412 niches fiscales (sur 471) et la somme de ces coûts. La fiabilité du coût total des niches dépend donc de la pertinence de la liste et du partage entre les dépenses fiscales qui peuvent être chiffrées et celles qui ne le peuvent pas. Les plus importantes sont toutefois toujours chiffrées. La fragilité des méthodes de chiffrage s’ajoute à ces éléments d’incertitude (voir fiche sur les dépenses fiscales pour plus de précisions).
Le coût des crédits d’impôts est facile à évaluer. Il suffit en effet de prendre les déclarations des contribuables et de totaliser les crédits d’impôts qu’ils réclament et qui leur sont accordés.
Le chiffrage du coût des réductions d’impôt est plus difficile, car son montant est plafonné par celui de l’impôt dû avant réduction. Il est néanmoins possible en procédant à des simulations sur un échantillon représentatif ou la base complète des déclarations fiscales, comme pour le coût d’un abattement, d’une déduction ou d’une demi-part supplémentaire.
Les revenus, activités ou actifs exonérés, ou se situant sous les franchises, sont rarement renseignés dans les déclarations fiscales et le chiffrage de leur coût est souvent très difficile, voire impossible. Il faut estimer le montant exonéré sur la base d’autres données fiscales ou de statistiques telles que les comptes nationaux, puis lui appliquer le taux d’imposition auquel il aurait été soumis s’il n’avait pas été exonéré, ce qui n’est pas toujours évident.
Le chiffrage du coût d’un taux réduit de TVA appliqué à une activité particulière n’est pas facile car les déclarations des entreprises ne permettent généralement pas de le calculer. Il n’est donc pas estimé sur la base des déclarations fiscales mais sur celle des statistiques de consommation. Celles-ci ne permettent cependant pas de mesurer avec une précision suffisante le montant de certains achats très particuliers qui bénéficient d’un taux réduit.
Sur les 412 niches fiscales faisant l’objet d’un chiffrage dans le PLF pour 2022, il s’agit seulement d’un ordre de grandeur pour 134 d’entre elles.
Ces estimations sont toujours faites en supposant que les comportements des contribuables ne changent pas du fait de la modification d’une dépense fiscale.
2) L’évolution du coût des niches de 2017 à 2022
Il arrive que des mesures soient retirées de la liste des dépenses fiscales, alors qu’elles existaient toujours, et que d’autres y soient ajoutées, alors qu’elles existaient déjà auparavant. En outre, les méthodes de chiffrage changent parfois. L’évolution des coûts figurant dans les rapports annexés aux lois de finances successives n’a donc guère de signification et doit être corrigée pour présenter une évolution du coût des dépenses fiscales à format (périmètre et méthodes) constant, ce qui a été fait ici pour obtenir une série cohérente avec la liste du projet de loi de finances pour 2022 (format PLF 2022).
Sous ces réserves méthodologiques, le coût des niches fiscales a doublé entre 2003 et 2009, surtout du fait des crédits d’impôt et probablement en conséquence de la mise en place de normes contraignantes sur les dépenses budgétaires. Ensuite, les dépenses fiscales ont été encadrées par des règles budgétaires et, bien que celles-ci soient fragiles, on observe une quasi-stabilisation jusqu’à 2013. Une nouvelle hausse est constatée à partir de 2014 mais, de 2014 à 2016, elle est surtout due à la montée en charge du CICE.
En 2017, le coût total des niches fiscales (au format du PLF 2022) s’élevait à 91,1 Md€ et leur coût hors CICE à 75,4 Md€.
Le coût des dépenses fiscales en 2020 était estimé à 89,1 Md€ dans le rapport annexé au projet de loi de finances (PLF) pour 2021. Il est révisé à 92,7 Md€ dans le rapport annexé au PLF 2022 (84,0 Md€ hors CICE) en raison de l’écart entre réalisation et prévision (impact de + 1,9 Md€) et de changements de méthodes de chiffrage de certaines mesures (+ 1,7 Md€).
Les principaux impôts concernés en 2020 sont l’impôt sur le revenu pour 37,3 Md€, les impôts portant à la fois sur le revenu des ménages et sur les sociétés (bénéfices industriels et commerciaux) pour 21,5 Md€, l’impôt sur les sociétés pour 4,4 Md€, la TVA pour 16,5 Md€, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques pour 6,0 Md€ et les impôts locaux pour 3,0 Md€[2].
Les dépenses fiscales les plus coûteuses en 2020 sont : le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (8,6 Md€)[3], le crédit d’impôt en faveur de la recherche (7,5 Md€), le crédit d’impôt en faveur de l’emploi de salariés à domicile (5,0 Md€), l’abattement de 10 % sur le montant des pensions et retraites (4,6 Md€), le taux réduit de TVA (10 %) appliqué aux travaux d’entretien du logement (3,3 Md€), le taux réduit (10 %) appliqué à la restauration sur place (2,9 Md€), les taux réduits appliqués dans les DOM (2,8 Md€), l’exonération des sommes versées au titre de l’intéressement, de la participation ou de l’épargne salariale (2,2 Md€), l’exonération d’impôt sur le revenu des prestations familiales (2,0 Md€) et des heures supplémentaires (1,9 Md€).
Les prévisions du coût des dépenses fiscales publiées par le ministère des finances sont fragiles et elles ont souvent sous-estimé leur dynamisme. Sous cette réserve, ce coût baisserait en 2021 pour revenir à 90,3 Md€ mais cette baisse résulte largement de la disparition progressive du CICE (qui sera remboursé à certaines entreprises jusqu’à 2022). Hors CICE, le coût des dépenses fiscales passerait de 84,0 Md€ en 2020 à 83,3 Md€ en 2021.
Le coût des dépenses fiscales remonterait en 2022 pour atteindre 91,4 Md€, plus fortement hors CICE (85,0 Md€ en 2022).
La crise de 2020 aurait pu entraîner une diminution du coût des dépenses fiscales. En effet, par exemple, si la consommation de produits soumis à un taux de TVA réduit diminue, le coût de ce taux réduit diminue lui aussi. Dans le PLF pour 2021, le ministère des finances estimait que la crise réduirait le coût des niches fiscales de 2 Md€ en 2020 et 3 Md€ en 2021 (cet effet n’a pas été réestimé dans le PLF pour 2022). Leur coût augmenterait néanmoins dans les années 2019 à 2022 parce que de nouvelles mesures ont contribué à l’accroître, comme l’exonération des heures supplémentaires ou des aides du fonds de solidarité au titre des impôts sur le revenu et les sociétés. Ce dernier dispositif (exonération des aides du fonds de solidarité, dont le coût est estimé à 2,6 Md€ en 2022) est toutefois en principe temporaire, comme le fonds de solidarité lui-même.
En pourcentage du PIB, le coût des niches fiscales serait au même niveau (3,3 %) en 2017 et 2022.
Certaines mesures annoncées récemment par des membres du gouvernement, comme le renforcement des aides fiscales à l’investissement immobilier, pourraient majorer le coût des dépenses fiscales au-delà de 2022 si elles étaient adoptées.
Sources : rapports annexés aux projets de loi de finances ; FIPECO.
[1] Une réduction d’impôt ne peut pas dépasser le montant de l’impôt dû avant cette réduction. Un crédit d’impôt peut le dépasser et, le cas échéant, la différence entre le crédit d’impôt et l’impôt dû est remboursée par l’Etat au contribuable.
[2] S’agissant des impôts locaux, la liste ne comprend que les dispositifs dont le coût est supporté par l’État.
[3] Le CICE a été supprimé en 2019 mais continue à être remboursé aux sociétés sur les salaires d’avant 2019.