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17/02/2022

Les enjeux fiscaux du prochain quinquennat

François ECALLE

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Ce billet présente les enjeux fiscaux du prochain quinquennat, sans prétendre à l’exhaustivité. La politique fiscale au sens strict a pour objet les « impositions de toute nature » que la Constitution distingue des cotisations sociales. Elle est entendue ici dans un sens plus large qui comprend l’ensemble des prélèvements obligatoires, impôts et cotisations sociales.

Ces enjeux fiscaux sont regroupés en trois catégories qui correspondent aux trois grandes fonctions souvent attribuées par les économistes aux finances publiques : réguler l’activité économique par le déficit et l’endettement publics ; redistribuer les revenus et patrimoines ; corriger les dysfonctionnements des marchés, ce qui passe notamment par une fiscalité incitative. En outre, le système fiscal ne doit pas être excessivement complexe et sa simplification reste un enjeu majeur pour les prochaines années.

Il n’y a aucune marge budgétaire pour de nouvelles baisses pérennes des impôts et cotisations sociales en France dans les prochaines années et les marges de hausse sont très limitées. Le principal enjeu est donc de redéployer les prélèvements obligatoires, à recettes totales constantes, pour qu’ils soient plus efficaces, plus lisibles et contribuent mieux à réduire les inégalités. La baisse des impôts sur la production ou des cotisations patronales contribuerait certes à améliorer la compétitivité des entreprises, mais elle ne doit pas précéder la réalisation des économies nécessaires à la stabilisation de la dette publique.

Le meilleur instrument de redistribution des revenus est la combinaison d’un impôt sur le revenu (IR) progressif et de prestations sociales sous conditions de ressources. La réduction de certaines niches fiscales pourrait améliorer le rendement et la progressivité de l’IR tandis que les conditions d’attribution des prestations à vocation redistributive devraient être harmonisées. Les autres outils, comme les taux de TVA, devraient être abandonnés. Les droits sur les successions et donations constituent le meilleur instrument pour redistribuer les patrimoines et pourraient être majorés en contrepartie de la baisse d’autres prélèvements sur le capital.

S’agissant de la fiscalité incitative, le principal enjeu est d’augmenter la taxe carbone en affectant une part de son rendement à la compensation de son coût pour les ménages les plus modestes et en protégeant les entreprises contre les concurrents étrangers dont les émissions de carbone ne sont pas soumises à une imposition équivalente.

La simplification du système fiscal devrait notamment passer par une réduction du nombre de niches fiscales. Il serait par ailleurs souhaitable de remettre à plat les mécanismes de péréquation des recettes fiscales entre les collectivités locales et de revoir le partage des ressources entre l’Etat et la sécurité sociale pour mieux distinguer les prestations de solidarité, financées par l’impôt, et les prestations d’assurance, financées par les cotisations sociales. Il faudrait enfin éviter de complexifier encore plus la fiscalité en « verdissant » certains impôts (IS, TVA, éventuel nouvel ISF…).

A) La politique budgétaire et les prélèvements obligatoires

La hausse du déficit et de l’endettement publics était nécessaire pour atténuer l’impact des mesures de restriction de l’activité économique sur les entreprises et sur les ménages puis pour relancer la croissance en 2020 et 2021.

L’Etat a pu emprunter très facilement et à des taux quasiment nuls grâce à la politique d’achat des obligations publiques des pays de la zone euro mise en en œuvre par la banque centrale européenne (BCE). Il faut toutefois se préparer à un arrêt progressif de cette politique, surtout si l’inflation dépasse durablement l’objectif de la BCE. L’Etat devra donc emprunter plus largement sur les marchés financiers et maintenir la confiance de ses créanciers en sa capacité d’honorer ses engagements, à savoir payer les intérêts de ses dettes et surtout, parce que le montant en est bien plus important, en rembourser le principal.

Aucun économiste ne sait à quel niveau d’endettement public les créanciers d’un Etat prennent peur et provoquent une crise car cela dépend de facteurs spécifiques à chaque pays et chaque période, parfois aussi qualitatifs que la crédibilité de la politique économique suivie. On peut seulement dire que l’Etat doit se montrer capable de contrôler l’évolution de sa dette en la stabilisant en pourcentage du PIB, hors périodes de récession.

Le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2022 montre, comme d’autres rapports, que la dette peut seulement être stabilisée à son niveau de fin 2020 (soit aux environs de 115 % du PIB) à l’horizon de 2027. Cette stabilisation de la dette repose sur des hypothèses raisonnables de croissance du PIB, une législation fiscale inchangée et, surtout, une croissance des dépenses publiques limitée à 0,7 % en moyenne annuelle et en euros constants (hors mesures d’urgence et de relance). C’est à peu près le rythme de croissance des dépenses dans les années 2011-2019, mais il a été obtenu avec des mesures d’économie significatives comme le recul de l’âge minimal de départ en retraite, la baisse des dotations de l’Etat aux collectivités locales et le gel de la valeur du point de la fonction publique.

Il faudrait donc prendre de nouvelles mesures d’économie d’une ampleur équivalente dans les prochaines années, ce qui est probablement peu réaliste après deux ans de « quoi qu’il en coûte » donnant l’impression que l’endettement n’a pas de limite. En outre, la transition énergétique appelle des investissements publics importants qui devraient être financés par des économies encore plus substantielles sur les autres dépenses. Il n’y a donc aucune marge budgétaire pour de nouvelles baisses pérennes des prélèvements obligatoires dans les prochaines années (des baisses temporaires en cas de crise restant souhaitables).

Une réduction des impôts sur la production ou des cotisations sociales patronales pourrait certes contribuer à améliorer la compétitivité des entreprises et à redresser la balance commerciale, mais elle ne doit pas précéder la réalisation des économies nécessaires pour rééquilibrer les comptes publics. La baisse des impôts n’a que très rarement un impact suffisant sur l’activité économique pour être compensée par les recettes supplémentaires que celle-ci génère.

Certains impôts pourraient, au contraire, être relevés (cf. plus loin la fiscalité incitative) mais les marges dans ce sens ne sont guère plus importantes, sans être nulles, compte-tenu du poids des prélèvements obligatoires en France au regard de celui des pays voisins et concurrents.

Le principal enjeu pour les années à venir est donc de redéployer les prélèvements obligatoires, à recettes totales constantes, pour qu’ils soient plus efficaces, plus lisibles et contribuent mieux à réduire les inégalités.

B) La redistribution des revenus et des patrimoines

Les premières données disponibles ne montrent pas une aggravation des inégalités de revenus en France en 2020 malgré la crise. En revanche, la forte hausse du prix des actifs financiers et immobiliers, qui est commune à l’ensemble des pays de l’OCDE et qui résulte pour beaucoup de la politique monétaire, a sans doute contribué à aggraver les inégalités de patrimoine. En tout état de cause, les économistes ont peu de choses à dire sur la distribution souhaitable des revenus et des patrimoines mais ils peuvent se prononcer sur l’efficacité des instruments disponibles pour les redistribuer.

La combinaison de prestations sociales sous conditions de ressources (minima sociaux, prime d’activité, prestations familiales et allocations de logement) et d’un impôt sur le revenu progressif permet d’obtenir toutes les distributions des revenus qui peuvent être souhaitées et constitue donc le meilleur outil de redistribution.

Pour que cet instrument soit pleinement efficace, encore faudrait-il réduire les niches fiscales qui limitent le rendement et la progressivité de l’IR. Du côté, des prestations, il faudrait en clarifier et harmoniser les conditions d’attribution (par exemple, les ressources prises en compte sont rarement les mêmes) et les barèmes, de sorte de réduire les taux de non-recours. Il convient également de mieux concilier les deux objectifs que sont la garantie d’un revenu minimum décent et une incitation suffisante à prendre un travail rémunéré.

Il faudrait aussi renoncer à utiliser des instruments moins efficaces, comme les taux de TVA. En effet, les taux réduits ou, éventuellement, majorés de TVA ne seront jamais suffisamment ciblés sur les ménages les plus pauvres ou les plus riches, même en complexifiant fortement la législation pour distinguer les produits de première nécessité des produits de luxe.

Il est également plus difficile et moins efficace pour l’Etat d’agir sur les revenus primaires, en particulier le partage de la valeur ajoutée des entreprises entre les salariés et les actionnaires. Il peut le modifier en faveur des salariés à court terme en augmentant le SMIC ou en substituant des cotisations patronales à des cotisations salariales mais il dégrade alors la compétitivité des entreprises au détriment des salariés à plus long terme. Il est préférable de laisser les entreprises et leurs salariés, par l’intermédiaire de leurs représentants syndicaux, négocier ce partage de la valeur ajoutée.

S’agissant de la redistribution des patrimoines, les économistes mettent souvent en avant l’intérêt des droits sur les successions et donations. En effet, d’une part, ils contribuent à l’égalité des chances et, d’autre part, les inégalités de patrimoine résultent pour beaucoup des héritages. Il est néanmoins légitime de disposer de ses biens comme on le souhaite et donc de les donner ou de les léguer. S’ils sont nécessaires, ces droits doivent donc être modérés.

Ils ont été réduits, voire supprimés, dans la plupart des pays de l’OCDE parce que les électeurs rejettent partout cet « impôt sur la mort » alors même que la plupart d’entre eux n’ont jamais à le payer. La France fait exception et se trouve au premier rang de l’OCDE avec la Belgique pour le poids de ces droits en pourcentage du PIB (0,7 %). Les marges de hausse sont donc limitées mais la France est aussi au deuxième rang pour l’ensemble des prélèvements sur la détention, la transmission et les revenus du capital (11,0 % du PIB).

Il est donc envisageable de réduire certains d’entre eux en augmentant un peu les droits sur les successions et donations. Par exemple, les droits de mutation à titre onéreux freinent la mobilité des ménages en taxant les transactions immobilières en cascade et pourraient être réduits.

C) La fiscalité incitative

Le comportement d’un agent économique a des « externalités négatives » lorsqu’il entraîne des dommages pour d’autres agents dont il ne supporte pas le coût. La taxation est économiquement justifiée pour limiter ces comportements préjudiciables, ce qui est déjà le cas par exemple à travers les accises sur la consommation de tabac et d’alcool.

Le principal enjeu pour les années à venir est de reprendre la trajectoire de hausse de la taxe carbone, de sorte de relever le « prix du carbone ». C’est en effet le meilleur moyen de réduire les émissions de gaz à effet de serre en répartissant efficacement les efforts. La fiscalité ne doit certes pas être le seul instrument utilisé, la réglementation et les subventions ayant également leur place avec les marchés de quotas d’émissions, mais elle ne doit pas non plus être définitivement abandonnée.

Pour que ce soit socialement acceptable, il faut au moins que le produit de cette taxe soit, pour une grande partie, affecté à la compensation de son coût pour les ménages les plus modestes. Cette compensation ne doit pas se faire à l’euro près mais être forfaitaire afin de maintenir une incitation à diminuer la consommation de produits énergétiques. Une note du conseil d’analyse économique montre qu’une aide aux ménages en fonction de leurs revenus et de leur localisation (zones rurales, urbaines…) pourrait permettre d’atteindre cet objectif en réduisant fortement le nombre de ménages perdants au sein des cinq premiers déciles.

La taxation des produits énergétiques pénalise également les entreprises qui les utilisent en majorant leurs coûts et dégrade leur compétitivité au profit de concurrents étrangers. Certains impôts sur les entreprises pourraient être réduits en contrepartie, mais les secteurs les plus intensifs en énergie resteraient pénalisés. Une taxe sur les importations aux frontières de l’Union européenne en fonction de leur contenu en carbone serait donc bienvenue pour limiter cet effet défavorable. Les pays européens s’y sont engagés mais la mise en œuvre de cet « ajustement carbone aux frontières » pose de délicats problèmes techniques de mesure de ce contenu en carbone et pourrait entraîner des représailles commerciales de la part des pays non-européens qui s’estimeraient indûment pénalisés.

La question se pose aussi de savoir si les taxes sur les hydrocarbures doivent être réduites quand leurs prix hors taxes augmentent fortement sur les marchés internationaux. Le risque est de ne pas pouvoir les relever quand ces prix diminuent pour des raisons politiques et sociales. De plus, si les pays consommateurs réduisent leurs taxes, les pays producteurs sont encore plus incités à augmenter leurs prix. Il est donc préférable de ne pas s’engager sur cette voie et d’utiliser l’instrument le plus efficace pour redistribuer les revenus en faveur des plus modestes, les prestations sociales sous condition de ressources.

D)  La simplification du système fiscal

Les dépenses fiscales, parfois appelées « niches fiscales », sont des dispositions législatives ou réglementaires dérogatoires par rapport à une « norme fiscale » de référence et qui entraînent des pertes de recettes budgétaires pour l’Etat. Elles contribuent fortement à complexifier la législation fiscale. Leur liste officielle est discutable car la norme fiscale à laquelle elles sont supposées déroger est elle-même parfois discutable. Il arrive d’ailleurs que le ministère des finances retire des dispositifs de la liste alors qu’ils existent toujours et y ajoute des dispositifs qui existaient déjà auparavant.

Sous cette réserve, le nombre de dépenses fiscales a augmenté au cours de ces dernières années. La liste annexée au projet de loi de finances (PLF) pour 2022, établie en septembre 2021, compte 20 dispositifs de plus que celle du PLF pour 2017, établie en septembre 2016 (471 niches contre 451). Le coût total des dépenses fiscales, dont l’estimation présente aussi des difficultés méthodologiques, avait été à peu près stabilisé au début des années 2010, mais il remonte depuis 2017 (hors CICE).  Il faudrait donc reprendre le chemin d’une réduction du nombre et du coût de ces dispositifs.  

Au cours de ces dernières années, l’Etat a réduit ou supprimé des impôts locaux (taxe d’habitation, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises…) en affectant des impôts d’Etat, surtout des fractions du produit de la TVA, aux collectivités locales à titre de compensation et en répartissant différemment le produit de certains impôts locaux (taxes foncières). Une stabilisation de la fiscalité locale semble désormais souhaitable pour quelques années. Cependant, les mécanismes de péréquation des ressources entre collectivités riches et pauvres, dont l’efficacité a toujours été limitée, sont devenus encore plus difficilement compréhensibles à la suite de ces réformes. Leur remise à plat est donc nécessaire.

La sécurité sociale reposait à l’origine sur un modèle bismarckien d’assurance, où les prestations dépendent des cotisations et où celles-ci doivent équilibrer les prestations. Elle a évolué vers un modèle beveridgien où, dans une logique de solidarité, les prestations dépendent des besoins (maladie) et peuvent être modulées selon les revenus (allocations familiales). Dans un tel modèle, les prestations devraient être financées par l’impôt et par l’Etat.

De fait, les administrations de sécurité sociale sont de plus en plus financées par des impôts : ceux-ci représentent désormais 38 % de leurs recettes. On y trouve la CSG, qui est un impôt, mais aussi des fractions du produit de la TVA, la taxe sur les salaires, la contribution sociale de solidarité des sociétés etc. La tuyauterie budgétaire par laquelle ces impôts sont transférés de l’Etat aux régimes sociaux est devenue incompréhensible et le déficit de la sécurité sociale a perdu une grande partie de sa signification. Il suffit en effet de changer la fraction d’un impôt qui lui est affectée pour lui faire gagner ou perdre quelques milliards d’euros.

Une remise à plat du financement de la protection sociale est donc souhaitable en distinguant mieux : les prestations de solidarité (maladie, famille, autonomie et logement) qui doivent être financées par l’impôt et donc par le budget de l’Etat ; les prestations d’assurance (vieillesse, chômage, accidents du travail) qui doivent être financées par des cotisations sociales, les éléments de solidarité contenus dans ces prestations étant financés par l’impôt à travers un fonds de solidarité comme le prévoyait le projet de système universel de retraite.

Il faudrait enfin éviter de complexifier encore plus le système fiscal, par exemple en modulant le taux de certains impôts (TVA, IS, éventuellement un nouvel ISF) en fonction du caractère plus ou moins « vert » de leur assiette, ce qui pose de difficiles problèmes de « taxonomie » et de mesure de cette « verdeur ». Il est bien plus simple et efficace de taxer les pollutions à leur source, par exemple la consommation des hydrocarbures avec une taxe sur le carbone.

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