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03/05/2017

Les finances publiques dans le programme de M. Le Pen

François ECALLE

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Le site officiel de M. Le Pen présente un document intitulé « Economie générale du projet », qui comporte des indications sur l’évolution des finances publiques de 2017 à 2022 au cas où son programme serait mis en œuvre. Bien que ce cadrage économique et financier soit peu détaillé, il est possible d’en tirer des conclusions sur sa vraisemblance et sa cohérence.

La programmation des finances publiques de M. Le Pen repose sur une croissance moyenne annuelle du PIB de 2,3 % sur la période 2018-2022. Dans un premier temps, le scénario de finances publiques est examiné en supposant que cette prévision de croissance sera réalisée ; dans un second temps, les moteurs possibles de cette croissance et leur cohérence avec la programmation des finances publiques sont analysés.

La croissance des recettes à législation constante est beaucoup plus forte que celle du PIB en 2018 et 2019, ce qui n’est pas réaliste, et à peu près égale à celle du PIB sur 2020-2022, ce qui est plus raisonnable. En conséquence, la croissance des recettes à législation courante est égale celle du PIB sur 2018-2022 (2,3 %) malgré les baisses d’impôts.

La croissance prévue des dépenses publiques est de 1,6 % en moyenne annuelle en euros constants sur 2018-2022, ce qui correspond à leur progression tendancielle. Pour obtenir ce résultat, il faudrait que les dépenses nouvelles soient égales aux économies, qui sont estimées par la candidate à 58 Md€ en 2022. Or, d’une part, le coût de quelques dépenses nouvelles plus facilement chiffrables, mais loin d’être exhaustives, dépasse largement 60 Md€ ; d’autre part, il est difficile d’identifier plus de 10 Md€ d’économies. Les prévisions d’évolution des dépenses sont donc invraisemblables.

Sans même remettre en cause le scénario macroéconomique, les déficits et dettes publics prévus sont donc fortement sous-estimés.

Les moteurs de cette croissance de 2,3 % par an ne sont pas clairement explicités, mais il est certain que la politique budgétaire serait très expansionniste. Une forte augmentation du déficit des échanges extérieurs serait alors inévitable et les mesures protectionnistes envisagées ne pourraient qu’entraîner un enchainement de représailles commerciales dont nous sortirions perdants.

La nouvelle « monnaie nationale » créée en sortant de la zone euro, ou en la faisant éclater par des mesures inacceptables par nos partenaires, se déprécierait alors rapidement, ce qui aurait surtout des effets inflationnistes. Pour qu’une dévaluation soutienne l’activité économique par les échanges extérieurs, elle doit être accompagnée d’une politique budgétaire rigoureuse et de mesures permettant de relever la production potentielle. Or le programme de M. Le Pen conjugue une forte hausse des dépenses publiques et des mesures malthusiennes de nature à réduire l’offre de travail.

Dans ces conditions, la monnaie nationale risque d’être l’objet d’une spéculation à la baisse incontrôlable. Au lieu de partager la souveraineté monétaire avec nos partenaires de la zone euro, nous serions soumis aux injonctions des acteurs financiers jusqu’à ce nous menions une politique plus rassurante pour eux. En attendant, l’Etat devrait payer une forte prime de risque sur ses charges d’intérêt, qui pourraient augmenter considérablement. Même si l’Etat en reprenait le contrôle, la Banque de France ne pourrait rien faire pour alléger la dette publique. Elle serait probablement obligée de mettre bien plus de monnaie en circulation, mais cela aurait surtout pour effet de stimuler l’inflation, de renforcer la dépréciation du change et de réduire encore plus le pouvoir d’achat des Français.

A)   Les invraisemblances du scénario de finances publiques en supposant néanmoins que la croissance sera de 2,3 % par an

Le document de cadrage publié sur le site de M. le Pen présente le taux de croissance du PIB et le taux d’inflation ainsi que les dépenses, le solde et la dette publics en points de PIB pour les années 2017 à 2022. A partir du PIB retenu pour 2016 par Eurostat (2 237 Md€), il est possible d’en déduire le tableau suivant où les chiffres sont en euros constants de 2016[1].

Les finances publiques dans le programmes de M. le Pen

(Montants en milliards d’euros de 2016)

 

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

PIB

2 266

2 311

2 360

2 414

2 475

2 536

Recettes publiques

1 177

1 202

1 239

1 265

1 295

1 321

Dépenses publiques

1 249

1 290

1 307

1 318

1 334

1 354

Déficit public

72

88

68

53

39

33

Source : FIPECO à partir du document sur l’économie générale du projet figurant sur le site de M. Le Pen

Les dépenses et recettes publiques apparaissant pour 2017 ne doivent pas être comparées avec les montants publiés fin mars par l’Insee pour 2016, la programmation de M. le Pen ayant été construite avant leur publication sur la base de prévisions antérieures pour 2016. Sous cette réserve, le compte des administrations publiques retenu par M. Le Pen pour 2017, qui se solde par un déficit de 3,2 % du PIB, est vraisemblable et n’appelle pas d’autres observations. Il pourrait résulter de la politique du gouvernement actuel.

Le document de cadrage présente également l’évolution prévue de la dette publique, qui serait ramenée à 89 % du PIB en 2022. La dette en euros courants à la fin de chaque année N est obtenue en ajoutant le déficit de N à la dette à la fin de N-1, en euros courants, sauf en 2018 où il est tenu compte de la nationalisation des autoroutes. Cela signifie qu’aucune nationalisation n’est prévue, sauf à la financer par la vente d’actifs publics.

Des montants en euros de 2016 du tableau précédent peuvent être déduits les taux de croissance en euros constants du tableau suivant.

Les finances publiques dans le programmes de M. le Pen

(Taux de croissance en euros constants en %)

 

 

2018

2019

2020

2021

2022

Moyenne

PIB

2,0

2,1

2,3

2,5

2,5

2,3

Recettes publiques

2,1

3,1

2,1

2,4

2,0

2,3

Dépenses publiques

3,3

1,3

0,8

1,2

1,5

1,6

Source : FIPECO à partir du document sur l’économie générale du projet figurant sur le site de M. Le Pen

1)    Des prévisions de recettes très optimistes en début de période

Dans ce programme, la croissance annuelle moyenne des recettes publiques est de 2,3 % en euros constants de 2017 à 2022, comme celle du PIB, ce qui correspond donc en apparence à une élasticité unitaire des recettes au PIB. Sur une période de quelques années, cette élasticité est en général unitaire et ne peut pas être beaucoup plus élevé que 1,0 mais, pour la calculer, il faut rapporter la croissance des recettes à législation constante à la croissance du PIB.

Or le document relatif à l’économie générale du projet prévoit des mesures de baisse des impôts qui atteignent 27,5 Md€ en 2022 (baisse de l’impôt sur le revenu etc.). Tout en précisant que « bien entendu, les baisses d’impôts et les dépenses nécessaires ne seront pas financées par des hausses d’impôt », il prévoit une contribution sociale de 3 % sur les importations pour financer une prime de 80 € par mois pour les personnes ayant un salaire ou une retraite inférieure à 1 500 €.

Une contribution de 3 % sur toutes les importations de biens et services rapporterait 21 Md€ mais la mesure sociale qu’elle doit financer aurait un coût compris entre 12 et 18 Md€[2]. En outre, la déclaration relative à l’alliance passée avec N. Dupont-Aignan note que cette taxe toucherait seulement les produits importés qui concurrencent « déloyalement » la production française. Il est fait ici l’hypothèse que le coût de la mesure sociale est de 15 Md€ et que la taxe rapportera autant, bien que ce montant soit très élevé au regard de celui des importations pouvant être considérées « déloyales ». Il s’y ajouterait une taxe sur l’embauche des salariés étrangers pour 2 Md€. On peut supposer que ces deux taxes seraient mises en place en 2018.

Sous cette hypothèse, le calendrier de mise en œuvre des baisses d’impôts figurant dans le document sur l’économie du projet permet de calculer une croissance des recettes publiques à législation constante pour chaque année.

Les recettes publiques dans le programmes de M. le Pen

(Taux de croissance en euros constants en %)

 

 

2018

2019

2020

2021

2022

Moyenne

PIB

2,0

2,1

2,3

2,5

2,5

2,3

Recettes publiques à législation constante

2,6

3,1

2,2

2,4

2,2

2,5

Source : FIPECO à partir du document sur l’économie générale du projet figurant sur le site de M. Le Pen

Il en ressort une élasticité des recettes publiques au PIB de 1,1 sur 2018-2022, ce qui est cohérent avec sa valeur passée sur des périodes de cinq ans. Elle est toutefois particulièrement forte en début de période (1,3 en 2018 et 1,5 en 2019) : de telles élasticités n’ont jamais été observées deux années de suite. Ces élasticités en 2018 et 2019 seraient encore plus fortes si la taxe sur les importations rapportait moins de 15 Md€, ce qui est très probable.

Elles pourraient s’expliquer par de nouvelles ressources tirées de la lutte contre la fraude fiscale et sociale permettant d’obtenir une croissance des recettes nettement supérieure à celle du PIB. Toutefois, les outils juridiques et techniques de lutte contre la fraude ont été bien améliorés ces dernières années et aller plus loin pourrait devenir excessivement intrusif pour beaucoup de contribuables alors que les redressements résultent souvent d’erreurs dues à la complexité du système fiscal. De plus, bien qu’elles aient fortement augmenté ces dernières années, les recettes encaissées après des contrôles s’élèvent à seulement 12 Md€ en 2015 pour les impôts et à moins de 0,5 Md€ pour les cotisations sociales.

Pour augmenter de 0,1 point l’élasticité des recettes en 2018 et 2019 (la faire passer de 1,2 à 1,3 par exemple), il faudrait que les encaissements tirés des contrôles augmentent de 2 Md€ chacune de ces deux années. Or le développement de nouveaux moyens de lutte contre la fraude mettrait plusieurs années avant de se traduire par des recettes supplémentaires de ce montant compte-tenu de la durée des contrôles.

Ces prévisions de recettes publiques pour 2018 et 2019 sont donc très optimistes, ce qui est seulement en partie compensée par des hypothèses raisonnables pour 2020 à 2022.

2)    Des dépenses nouvelles sous-estimées et des économies illusoires

Cette programmation des finances publiques table sur une croissance des dépenses publiques de 1,6 % en moyenne annuelle et en euros constants, ce qui est quasiment égal à la croissance tendancielle des dépenses (1,5 %) telle que mesurée par la Cour des comptes et l’inspection générale des finances en 2012 à l’issue de l’analyse la plus approfondie qui a été menée sur cette question au cours de ces dernières années.

Toutefois, si le programme de M. Le Pen est mis en œuvre, la croissance des dépenses ne sera égale à cette tendance que si les économies sont égales aux dépenses nouvelles. Le document relatif à l’économie générale du projet fait état de 58 Md€ d’économies et n’indique pas de montant pour les dépenses nouvelles. En se limitant à quelques dépenses nouvelles dont le chiffrage est plus facile, il apparait que leur total est nettement supérieur à 58 Md€ alors qu’il est impossible d’identifier 58 Md€ d’économies dans ce programme.

a)     Les dépenses nouvelles

Le retour à 60 ans pour l’âge minimal de départ en retraite et à 40 ans pour le nombre d’annuités donnant droit à une retraite à taux plein entraînerait une augmentation de 11 Md€ des dépenses sociales (cf. note sur ce sujet).

Faire passer le budget de la défense de 1,8 % du PIB en 2016 (pensions comprises) à 3,0 % en 2022 aurait un coût de 27 Md€.

La mesure sociale en faveur du pouvoir d’achat des salariés et retraités modestes aurait un coût de 15 Md€ (cf. plus haut). Le coût de la revalorisation du minimum vieillesse et de l’allocations aux adultes handicapés ainsi que du retour à l’universalité des allocations familiales et de la protection logement pour les jeunes est estimé au total à 4 Md€ par la candidate. Elle évalue à plus de 7 Md€ le reste à charge des personnes dépendantes et envisage de le faire davantage financer par la collectivité. Si la moitié du reste à charge est ainsi socialisé, le coût serait de près de 4 Md€.

La dépense intérieure de recherche et développement réalisée par les administrations publiques s’élevant à 17 Md€, son augmentation de 30 % coûterait 5 Md€.

Ces seules décisions accroîtraient au total les dépenses publiques de 66 Md€ et beaucoup d’autres peuvent être très coûteuses (en faveur de la sécurité par exemple).

En outre, le scénario macroéconomique retient une inflation de 2,5 % en régime permanent (de 2020 à 2022 tout au moins), soit environ 0,8 point au-dessus de la cible de la BCE. Sans même envisager une hausse de la prime de risque des emprunts publics (cf. plus loin), les marchés financiers anticiperaient cette hausse de l’inflation et les taux d’intérêt nominaux seraient majorés de 0,8 point. En conséquence, la charge d’intérêt annuelle de la dette de l’Etat augmenterait de 8 Md€ au bout de cinq ans et de 13 Md€ au bout de dix ans.

b)     Les économies

Le document publié sur le site de la candidate prévoit des économies sur l’évasion fiscale, mais elles sont déjà comptées dans les prévisions de recettes, ainsi que sur la gestion de la sécurité sociale, l’Union européenne, l’immigration et la réforme institutionnelle.

Les coûts de gestion de la sécurité sociale s’élèvent à 17 Md€ et sont constitués à hauteur de 60 % par les rémunérations des personnels. Sauf à licencier de nombreux agents et à dégrader la qualité du service rendu, il est impossible de réaliser une économie supérieure à 2 Md€.

Le montant de la contribution de la France à l’Union européenne, net des transferts en sa faveur, est de 6 Md€. L’économie envisageable ne peut pas être plus importante.

La seule économie chiffrable relative à l’immigration est la suppression de l’aide médicale d’Etat dont le coût est inférieur à 1 Md€ et qui devrait vraisemblablement être remplacée par un autre dispositif dont il faudrait intégrer le coût (les immigrés irréguliers gravement malades recevront toujours un minimum de soins).

Les réformes institutionnelles porteuses d’économies n’apparaissent pas clairement. S’il s’agit de la suppression des régions et des groupements de communes non approuvés par tous leurs membres, ces réformes risquent surtout d’entraîner des coûts supplémentaires. Il y a en effet des économies d’échelle dans la gestion des services publics locaux. Même si le développement des intercommunalités et des régions s’est accompagné de la duplication inutile de certaines fonctions, qu’il faudrait surtout essayer d’éviter, la fragmentation des structures locales, qui conduirait par exemple à faire gérer les transports ferroviaires locaux par les départements, ne peut qu’être inefficace.

Des économies peuvent être identifiées dans les propositions sur le système de santé (développement de la part des génériques, investissement dans les nouvelles technologies…), mais elles sont contrebalancées par des dépenses nouvelles non comptées ci-dessus (maintien « au maximum » des hôpitaux de proximité et hausse des effectifs, par exemple).

Au total, les économies identifiables sont d’une dizaine de milliards d’euros et donc très loin d’atteindre 58 Md€.

B)   Les incohérences de la politique économique proposée

Le programme de M. Le Pen donne peu d’indications sur les conditions permettant d’obtenir une croissance moyenne du PIB de 2,3 % par an pendant cinq ans. Une telle performance n’a pas été enregistrée en France depuis les années 1997-2001, qui ont été caractérisées par une très forte croissance dans l’ensemble du monde.

Le programme de stabilité présenté par le Gouvernement actuel table sur une croissance de 1,6 % par an sur la période 2018-2020 et le Haut Conseil des finances publiques a jugé qu’il s’agit d’une base raisonnable pour construire une trajectoire de finances publiques. E. Macron retient une croissance de 1,75 % par an sur 2018-2022.

1)    Une politique budgétaire qui creuserait le déficit extérieur

Le programme de M. Le Pen prévoit des baisses d’impôt (cf. plus haut) du même ordre de grandeur que le programme de stabilité mais beaucoup plus de dépenses, ce qui se traduirait par une forte hausse du déficit public dès le début du quinquennat, nettement au-delà du montant de 3,8 % du PIB inscrit pour 2018 dans sa programmation.

Cette politique budgétaire très expansionniste est de nature à stimuler l’activité économique à court terme par un effet de relance keynésienne de la demande des ménages. Une telle relance aurait également pour effet de relancer l’inflation, ce qui semble intégré dans le scénario économique retenu, et de creuser le déficit des échanges extérieurs, à la fois parce qu’une augmentation de la demande intérieure accroît les importations et parce que la hausse des prix dégrade la compétitivité des entreprises.

Les mesures protectionnistes envisagées (taxe à l’importation, interdiction d’entrée des produits ne respectant pas les normes françaises…) entraîneront inévitablement des représailles de la part de nos partenaires commerciaux qui limiteront nos exportations. Etant donné que certaines de nos importations sont inévitables (matières premières) alors qu’aucun produit français n’est indispensable pour les autres pays, nous avons tout à perdre à l’enchainement d’un cycle de représailles commerciales.

2)    Une sortie de la France ou un éclatement provoqué de la zone euro, conduisant à la création d’une « monnaie nationale », sans « monnaie commune »

a)     Une sortie de la France ou un éclatement provoqué de la zone euro en essayant de ne pas en assumer la responsabilité

Le projet de M. Le Pen comprend « le rétablissement d’une monnaie nationale adaptée à notre économie, levier de notre compétitivité » (engagement n° 35), ce qui suppose de sortir de la zone euro pour créer ce « nouveau Franc ».

La déclaration commune avec N. Dupont-Aignan du 28 avril est moins claire, mais la politique budgétaire ainsi que certaines mesures envisagées, comme la reprise du contrôle de l’Etat sur la Banque de France pour lui faire financer ses déficits, sont incompatibles avec les règles de fonctionnement de la zone euro. L’Allemagne a sacrifié l’instrument de sa puissance économique, le Mark, en contrepartie de règles budgétaires visant à lui éviter de devoir financer des pays laxistes. Elle n’a accepté finalement de soutenir les pays en difficulté de la zone en 2011-2012, directement ou par l’intermédiaire de la BCE, qu’en contrepartie d’efforts de redressement. Ni l’Allemagne, ni les pays qui partagent sa vision économique n’accepteraient qu’un pays de la zone, même la France, mène une telle politique.

Les traités prévoient des sanctions financières pour les pays qui ne respectent pas les recommandations budgétaires de l’Union européenne. Il est probable que la France refuserait de les payer mais il est tout aussi probable que l’Allemagne et ses alliés arrêteraient, et demanderaient à la BCE d’arrêter, de soutenir les Etats en difficulté de la zone euro, alors même qu’une crise bien pire que celle de 2011-2012 surviendrait certainement.

Si M. Le Pen et N. Dupont-Aignan semblent hésiter à prendre la responsabilité d’une sortie de la zone euro, leur politique conduirait en tout état de cause à son éclatement, ce qui est probablement leur objectif : faire mourir l’Euro sans en assumer la responsabilité.

b)     La fausse solution de la coexistence d’une monnaie nationale et d’une monnaie commune

Leur déclaration commune et l’interview donnée par M. Le Pen au Parisien du 30 avril mettent en avant une « monnaie commune qui ne concernera pas les achats quotidiens mais uniquement les grandes entreprises qui font du commerce international ».

Il existait une monnaie commune en Europe avant la création de l’Euro, l’ECU, mais celui-ci n’avait cours légal dans aucun pays. Cette « unité de compte » servait seulement à mesurer les recettes et dépenses du budget communautaire.

Il ne peut pas y avoir durablement deux monnaies légales dans un pays avec des parités flexibles[3] car les ménages et entreprises essayent alors tous de se faire payer dans la « bonne monnaie », celle qui ne sera pas dépréciée, et de la garder. La « mauvaise monnaie » se déprécie alors automatiquement et finit par disparaître car personne n’en veut. Cette évolution pénalise lourdement ceux qui sont obligés d’accepter la « mauvaise monnaie ».

Des pays d’Amérique latine ont connu une situation voisine avec la coexistence d’une monnaie nationale ayant cours légal et d’une monnaie étrangère, le dollar, très recherchée parce que bien plus forte.

Si la monnaie nationale et une « monnaie commune » coexistaient et si seules les grandes entreprises pouvaient utiliser la deuxième, ces grandes sociétés et leurs actionnaires seraient préservées des effets de la dépréciation de la monnaie nationale alors que les salariés et retraités perdraient beaucoup de pouvoir d’achat en étant payés dans une monnaie nationale qui se déprécierait.

3)    Une dévaluation qui aurait surtout un effet inflationniste et peu d’impact sur le volume des exportations et importations

Quelle que soit sa parité initiale avec l’euro, ce nouveau Franc serait en effet rapidement déprécié sur le marché des changes du fait du creusement du déficit commercial et de l’anticipation d’une inflation relativement forte. Une dépréciation de la monnaie nationale est souvent présentée comme un moyen de soutenir l’activité en rétablissant l’équilibre des échanges extérieurs. En effet une dévaluation majore les prix des produits importés et minore les prix des produits exportés dans les pays étrangers. Il en résulte une baisse des importations et une hausse des exportations, en volume, mais cet effet favorable ne se manifeste que lentement.

La hausse du prix des produits importés est beaucoup plus rapide et elle se transmet très vite aux prix à la consommation. Si les salaires sont indexés, de droit ou de fait, sur les prix à la consommation et si les entreprises répercutent totalement les hausses de salaires dans leurs prix de vente, l’impact de la dévaluation sur la compétitivité des entreprises finit par être complètement annulé, avant que la balance commerciale n’ait pu être rétablie et que les échanges extérieurs n’aient pu soutenir la production des entreprises françaises.

Pour qu’une dévaluation réussisse, il faut l’accompagner par des politiques rigoureuses sur les plans budgétaire et monétaire ainsi que par des politiques structurelles visant à relever le PIB potentiel de sorte que les tensions inflationnistes soient réduites et que l’appareil de production réponde à la demande. C’est l’inverse de ce qu’envisage M. Le Pen puisqu’elle propose des politiques budgétaire et monétaire expansionnistes et des mesures malthusiennes qui limiteront l’offre : avancement de l’âge de départ en retraite, restrictions à l’immigration, gel des ouvertures de grandes surfaces et entrepôts de vente par correspondance…Elle prévoit certes des mesures favorables aux entreprises (simplification administrative, baisse des charges…) mais elles sont ciblées sur les plus petites et se traduiraient par des effets de seuil qui les empêcheraient de se développer.

4)    Le risque de dévaluations incontrôlables de la monnaie nationale

Sauf si le nouveau gouvernement amorce rapidement un « tournant de la rigueur » comme en 1982, les acteurs des marchés financiers spéculeraient à la baisse du « nouveau Franc » parce que la politique menée aurait surtout des effets inflationnistes et cette baisse serait inévitable. Une banque centrale ne dispose en effet que de trois types d’instruments pour contrer une telle spéculation et leur portée est limitée : racheter sa propre monnaie en cédant des devises étrangères ; relever ses taux d’intérêt pour rendre plus attractifs les placements dans sa monnaie ; contrôler les achats et ventes de devises.

Les réserves en devises d’une banque centrale sont naturellement limitées et, une fois épuisées, la dépréciation de la monnaie nationale est inévitable.

Pour contrer une forte spéculation à la baisse de la monnaie nationale, il faut relever les taux d’intérêt jusqu’à des niveaux insoutenables pour l’économie nationale. Si les acteurs du marché des changes anticipent une dépréciation de seulement 1 % le lendemain, il faut, pour les dissuader de vendre la monnaie nationale, leur offrir un rendement de 1 % par jour, ce qui est équivalent à un taux d’intérêt annuel composé de 3600 %. Pendant la crise des changes du début des années 1990, la banque centrale de Suède a porté ses taux d’intérêt à plus de 500 % en équivalent annuel pour défendre sa monnaie, sans aucun succès.

Le « contrôle des changes » a été pratiqué en France et dans de nombreux pays pendant très longtemps. Il suppose que l’administration soit techniquement capable de contrôler tous les achats et ventes de devises étrangères et d’apprécier leurs justifications. S’agissant du contrôle des opérations de change, la diversification des moyens de paiement et la multiplication des échanges, du fait des nouvelles technologies, le rendent beaucoup plus compliqué à mettre en œuvre aujourd’hui, alors même qu’il n’a jamais empêché les fuites de capitaux. Il est également devenu beaucoup plus difficile d’apprécier la justification des opérations de change des entreprises, leurs activités s’étant fortement diversifiées et complexifiées. Il n’a d’ailleurs jamais été simple de distinguer les opérations de couverture contre un risque de change et les opérations spéculatives[4]. Même le gouvernement chinois, qui exerce pourtant un fort contrôle sur la société et l’économie, n’est arrivé pas à empêcher les sorties de capitaux.

5)    La perte de toute souveraineté

Une banque centrale ne peut pas soutenir seule sa monnaie contre une spéculation à la baisse. Elle doit être aidée par la banque centrale du pays dont la monnaie s’apprécie qui peut, en principe, vendre sans limite sa propre monnaie et fortement baisser ses taux d’intérêt. Encore faut-il que ce soit conforme à ses propres objectifs. C’est ce qui s’est passé en pratique avant la création de l’euro : la valeur du Franc ne pouvait être défendue dans le cadre du système monétaire européen qu’en alignant la politique monétaire de la France sur celle de l’Allemagne.

Rétablir une monnaie nationale entraînerait en réalité une perte de souveraineté. Aujourd’hui, la France participe aux décisions de la BCE, où l’Allemagne a souvent été mise en minorité ces dernières années, qui dispose d’une taille suffisante pour défendre l’Euro. Si elle sort de la zone Euro et sauf à caler de nouveau sa politique sur celle de la BCE, mais alors sans pouvoir l’influencer, elle sera soumise à la spéculation financière internationale et devra rapidement mener une politique de nature à rassurer les investisseurs. Beaucoup de pays laissent flotter leur monnaie mais, s’ils n’ont pas la chance de pouvoir équilibrer leurs échanges extérieurs avec des exportations de matières premières, ils doivent être compétitifs et attirer les investisseurs, ce qui suppose notamment de mener une politique budgétaire rigoureuse.

6)    Une dégradation des finances publiques bien plus forte que prévu dans la programmation de M. Le Pen

La création d’un nouveau Franc et sa dépréciation rapide entraîneraient une dégradation des finances publiques bien plus forte que prévue dans la programmation de M. Le Pen. En effet, la dette publique de la France n’est pas libellée en Francs mais en Euros et il n’est pas certain que sa conversion en Francs puisse être imposée aux non-résidents, alors qu’ils en détiennent presque 60 %. Dans ces conditions, toute dépréciation de 10 % du Franc entraînerait une augmentation de 6 % de la dette (soit de 130 Md€) et de la charge d’intérêt (soit de 2,5 Md€).

Sa conversion en Francs, à supposer que la « lex monetae » la permette[5], serait considérée par les non-résidents comme une rupture de contrat unilatérale équivalente à un défaut de paiement. Il en résulterait une fermeture de l’accès des administrations publiques aux marchés financiers internationaux, sauf à des taux prohibitifs intégrant une prime de risque très élevée. Pendant la crise de 2011, la prime de risque sur les taux des emprunts de l’Italie et de l’Espagne a atteint 400 points de base, alors même que la probabilité d’une sortie de la zone euro était faible. Une telle prime de risque augmenterait la charge d’intérêt de la dette publique de 40 Md€ au bout de cinq ans.

Si l’épargne des agents économiques nationaux privés était détournée pour financer les déficits publics, elle manquerait au financement des investissements des entreprises. Une telle situation ne pourrait être visée qu’en supposant une supériorité de l’Etat sur les entreprises pour prendre des décisions d’investissement, ce qui n’a rien d’évident. Si les marchés sont souvent myopes, l’Etat l’est au moins aussi souvent.

Si la Banque de France était obligée de financer l’Etat en mettant plus de monnaie en circulation, donc sans limiter le financement des entreprises, la spéculation à la baisse du Franc serait renforcée, l’inflation serait plus forte et le pouvoir d’achat des Français serait plus largement amputé.

Si la Banque de France était obligée de prêter à l’Etat à un taux d’intérêt privilégié, sans pour autant émettre plus de monnaie, la baisse de la charge d’intérêt de la dette serait exactement compensée pour l’Etat par une diminution de ses recettes en provenance de la Banque de France. En effet, celle-ci lui reverse tous ses bénéfices sous forme de dividendes et d’impôt sur les sociétés. Une telle mesure n’aurait donc aucun effet sur le déficit et l’endettement publi

 

[1] Il s’agit des dépenses et du déficit hors « opérations exceptionnelles » : la nationalisation des autoroutes qui aggraverait le déficit de 0,7 point de PIB en 2018 selon le document figurant sur le site de M. Le Pen (une telle opération n’a pourtant en principe pas d’impact sur les dépenses et le déficit publics mais seulement sur la dette).

[2] Selon les chiffrages de COE-Rexecode, l’institut de l’entreprise et l’institut Montaigne.

[3] Si la parité entre ces monnaies est fixe, il est inutile d’en avoir deux.

[4] En outre, pour que des agents se couvrent contre un risque financier, il faut souvent que des spéculateurs prennent ce risque.

[5] L’article 26 de la LOLF prévoit que la dette de l’Etat est libellée en euros et une nouvelle loi précisant qu’elle est libellée en francs devrait avoir un effet rétroactif,  pénalisant pour les créanciers de l’Etat, qui pourrait être anticonstitutionnel.

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