16/07/2024
Les finances publiques en France et en Allemagne de 1996 à 2023
François ECALLE
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La dette publique de la France atteignait 110 % du PIB à la fin de 2023 alors que celle de l’Allemagne ne représentait que 64 % de son PIB.
Les deux pays avaient pourtant des dettes publiques quasiment identiques, au voisinage de 60 % du PIB, à la fin des années 1990, quand la zone euro a été créée. Leurs dettes sont ensuite restées très proches jusqu’à 2007, puis se sont inscrites sur des trajectoires divergentes. Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut revenir plus loin en arrière.
La divergence de leurs dettes publiques trouve son origine dans les années 2003-2007 pendant lesquelles l’Allemagne a mis en œuvre des mesures de redressement budgétaire, en ralentissant très fortement ses dépenses publiques. Les soldes structurels des deux pays se sont écartés dès 2003.
Leurs déficits publics sont néanmoins restés très proches jusqu’à 2006 parce que l’Allemagne a connu une récession, mais pas la France, en 2003. Cette récession a sans doute été aggravée par sa politique budgétaire, mais celle-ci lui a permis de dégager un léger excédent public en 2007 alors que le déficit de la France était égal à 3,0 % du PIB. L’écart entre leurs soldes publics s’est ensuite creusé.
Les dettes publiques des deux pays étaient néanmoins encore proches en 2010 parce que l’Allemagne a beaucoup emprunté pendant la période 2008-2010 pour soutenir ses établissements financiers par des prêts et dotations en capital qui ne sont pas entièrement pris en compte dans le calcul du déficit public.
De 2010 à 2019, le solde public de l’Allemagne a presque toujours été supérieur de 4 à 5 points de PIB à celui de la France. Le taux des prélèvements obligatoires a augmenté à peu près autant en France et en Allemagne, sur une période plus courte en France, et le rapport des dépenses publiques au PIB a diminué à peu près autant dans les deux pays.
De 2019 à 2023, le solde public français a diminué de 3,1 points de PIB tandis que le solde public allemand diminuait de 4,0 points. Le rapport des dépenses publiques au PIB a augmenté de 2,1 points en France et de 3,6 points en Allemagne. Le taux français des prélèvements obligatoires a baissé de 1,0 point et le taux allemand de 0,6 point.
Malgré une dégradation moins forte du solde public en France mais parce que celui-ci est néanmoins resté plus déficitaire qu’en Allemagne, la dette publique a plus augmenté en France de fin 2019 à fin 2023 (13 points de PIB) qu’en Allemagne (4 points).
A) La dette publique
En 1996, peu après la réunification de l’Allemagne, les dettes publiques française et allemande étaient très proches (au voisinage de 60 % du PIB) et elles le sont restées jusqu’à 2007. Ensuite, elles se sont inscrites sur des trajectoires divergentes. La dette française a presque toujours augmenté (sauf une légère baisse de 2020 à 2023). La dette allemande s’est accrue pendant les crises de 2008-2010 et 2020-2021 mais a nettement diminué les années suivantes.
Selon Eurostat, la dette publique de la France représentait 110,6 % du PIB à la fin de 2023[1], après avoir augmenté de 12,7 points depuis fin 2019, tandis que celle de l’Allemagne représentait 63,6 % du PIB, après avoir augmenté de 4,0 points de PIB depuis fin 2019.
Source : Eurostat ; FIPECO
B) Le solde public
Le solde des administrations publiques a été quasiment le même dans les deux pays de 1996 à 2005. En particulier, les deux pays se sont trouvés en 2002 en situation de « déficit excessif » au regard du traité de Maastricht et du pacte de stabilité et de croissance, leur déficit étant supérieur au seuil de 3,0 % du PIB.
Au cours du premier semestre 2003, le Conseil de l’Union européenne leur a demandé de ramener leur déficit public au-dessous de 3,0 % du PIB dès 2004. Considérant que les budgets présentés en septembre 2003 par les deux pays ne permettaient pas de respecter cet objectif, la Commission européenne a recommandé au Conseil de leur adresser une mise en demeure formelle, dernière étape avant l’application de sanctions, afin qu’ils prennent les mesures nécessaires pour ne plus être en déficit excessif en 2004.
La France et l’Allemagne ont toutefois réussi à convaincre les autres membres du Conseil de ne pas suivre la recommandation de la Commission et de « conclure », sans « recommander » formellement, que l’échéance pour ramener le déficit au-dessous de 3,0 % du PIB pouvait être reportée à 2005.
Source : Eurostat ; FIPECO
Les deux pays n’ont ramené leur déficit public au-dessous de 3,0 % du PIB qu’en 2006. L’Allemagne a ensuite dégagé un excédent de ses comptes publics en 2007 alors que la France voyait son solde se dégrader de nouveau. L’écart s’est creusé de 2007 à 2009 et, de 2009 à 2019, le solde public de l’Allemagne a presque toujours été supérieur de 4 à 5 points de PIB à celui de la France.
L’écart entre les soldes publics des deux pays s’est nettement creusé à partir de 2007 mais leurs dettes publiques sont restées assez proches jusqu’à 2010. En effet, la crise financière de 2008-2009 ayant touché beaucoup plus fortement les banques allemandes, l’Etat fédéral et les länder les ont été refinancées pour des montants considérables. En 2010, ces opérations de résolution de la crise bancaire avaient eu beaucoup plus d’impact sur la dette publique (de l’ordre de 10 points de PIB) que sur le déficit (de l’ordre de 1 point). Les banques allemandes ont remboursé l’Etat et les länder à partir de 2011, ce qui a permis à ceux-ci, avec des comptes équilibrés puis excédentaires à partir de 2012, de réduire leurs dettes.
Le solde allemand était presque nul en 2012 et 2013 puis excédentaire de 2013 à 2019. Le déficit français n’est repassé au-dessous de 3,0 % du PIB qu’en 2018 et 2019.
De 2019 à 2023, le déficit public français s’est accru de 3,1 points de PIB et le solde public allemand s’est dégradée de 4,0 points de PIB. Comme l’Allemagne partait d’un solde beaucoup plus favorable en 2019, son endettement a néanmoins augmenté moins fortement.
C) Le solde corrigé de l’impact de la conjoncture
Le solde des administrations publiques est très dépendant des fluctuations de l’activité économique et son observation ne permet pas d’apprécier la contribution des mesures prises par les gouvernements au redressement, ou à la dégradation, des finances publiques. Le « solde structurel » est, lui, corrigé de l’impact des fluctuations du PIB et des mesures « exceptionnelles et temporaires ». Il permet donc, en principe, de mieux apprécier l’impact des politiques publiques mais il est souvent difficile de déterminer les mesures réellement « exceptionnelles et temporaires », surtout dans les plans d’urgence et de relance dont l’ampleur a été considérable en 2009-2010 et depuis le printemps 2020.
En conséquence, le graphique suivant retrace le solde corrigé par la Commission européenne du seul impact des fluctuations de la conjoncture mais pas des mesures exceptionnelles et temporaires. Il peut différer du solde structurel sur une ou deux années mais en principe pas sur plusieurs années puisque cette différence ne tient qu’à des mesures temporaires. On pourra donc par la suite le désigner par l’appellation de solde structurel.
Source : Commission européenne ; FIPECO
L’examen de ce solde corrigé, ou structurel, montre qu’il était à peu près identique dans les deux pays jusqu’à 2002. La divergence entre leurs politiques budgétaires a commencé en 2003. L’Allemagne a dès cette année-là pris les mesures nécessaires pour redresser son solde corrigé (d’environ 1 point de PIB en 2003 et 2 points de PIB sur 2004-2007).
L’Agenda 2010 du Chancelier Schroeder a été présenté le 24 mars 2003. Les mesures de redressement des finances publiques ont contribué, dans un premier temps, à réduire l’activité économique, déjà faible, et une récession a été enregistrée en 2003 (- 0,7 %) suivie d’une relativement faible croissance en 2004 et 2005, ce qui a eu pour effet de maintenir le déficit effectif au-dessus de 3,0 % du PIB jusqu’à 2005.
De son côté, la France a légèrement augmenté son déficit structurel de 2002 à 2004 alors qu’elle bénéficiait d’une conjoncture plus favorable (croissance moyenne annuelle de 1,9 %). Malgré cette croissance plus forte, elle s’est ainsi retrouvée en 2006 avec un déficit public supérieur à celui de l’Allemagne.
En 2007, l’écart entre les soldes corrigés des deux pays atteignait 4,0 points de PIB. Il est ensuite presque toujours resté compris entre 3,0 et 4,5 points de PIB jusqu’à 2019.
On peut noter que le décrochage des soldes structurels en France et en Allemagne au milieu des années 2000 coïncide avec un décrochage des taux d’emploi entre les deux pays (l’écart est passé d’environ 2 points dans la première moitié de cette décennie à environ 6 points dans la deuxième moitié) qui a sans doute la même origine : les réformes de l’Agenda 2010.
De 2019 à 2023, le solde corrigé de l’Allemagne a diminué de 3,0 points de PIB et celui de la France de 2,5 points, leur écart étant ainsi ramené à 3,3 points selon la Commission européenne.
D) Les prélèvements obligatoires
Le déficit public est la différence entre les dépenses et les recettes publiques, dont les prélèvements obligatoires forment l’essentiel mais pas la totalité. Les évolutions du rapport des dépenses publiques au PIB et du taux des prélèvements obligatoires, en pourcentage du PIB, n’expliquent donc pas totalement les variations du déficit public en points de PIB mais elles en expliquent l’essentiel.
Sur une année, les variations du taux des prélèvements obligatoires peuvent résulter d’une élasticité de ces prélèvements au PIB différentes de l’unité. Sur plusieurs années, elles tiennent surtout aux mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires.
De 1996 à 2010, l’écart entre les taux des prélèvements obligatoires en France et en Allemagne a presque toujours été compris entre 3,5 et 5,0 points de PIB. Le taux français a ensuite augmenté de 3,5 points entre 2010 et 2014 pour ensuite quasiment se stabiliser jusqu’à 2019 tandis que le taux allemand augmentait plus lentement, mais au total de presque 3,0 points sur la période 2010-2019.
De 2019 à 2023, le taux français a baissé de 1,0 point et le taux allemand de 0,6 point.
Source : Commission européenne ; FIPECO
E) Les dépenses publiques
De 1996 à 2003, l’écart entre les dépenses publiques de la France et de l’Allemagne, en pourcentage du PIB, était compris entre 5 et 7 points.
De 2003 à 2007, cet écart s’est accru de plus de 4 points pour atteindre 10 points de PIB sous l’effet d’une baisse de 5 points du ratio allemand et de 0,5 point du ratio français. Au cours de cette période les dépenses publiques ont augmenté en moyenne annuelle de seulement 0,4 % en valeur en Allemagne et de 4,2 % en France. La croissance moyenne du PIB en valeur a été de 3,1 % en Allemagne et de 4,5 % en France.
L’écart entre les ratios dépenses / PIB de la France et de l’Allemagne est resté autour de 10 points dans les années 2007 à 2010. Il s’est ensuite creusé jusqu’à 14 points en 2014 pour revenir à 10 points en 2019 (le CICE explique un écart de presque 1,0 point entre 2013 et 2018).
De 2019 à 2023, ce ratio a augmenté de 2,1 points en France et de 3,6 points en Allemagne, ramenant leur écart à 8,7 points en 2023. Les dépenses publiques en valeur ont augmenté en moyenne annuelle de 6,4 % en Allemagne et de 4,5 % en France.
Source : Eurostat ; FIPECO
[1] [1] En mai dernier, l’Insee a révisé le PIB à la hausse ce qui a ramené la dette de la France à 109,9 % du PIB. Cette correction n’est pas encore prise en compte dans la base de données d’Eurostat.