11/05/2021
Les finances publiques locales en 2020
François ECALLE
PDF à lire et imprimer
Ce billet examine la situation des finances publiques locales en 2020 telle qu’elle apparait dans le compte des « administrations publiques locales » (APUL) de la comptabilité nationale, établi par l’Insee et publié par Eurostat, tout en rappelant les principales évolutions observées dans le passé. Une comparaison de la situation des administrations publiques territoriales dans les pays européens en 2020 est également présentée.
Depuis 1993, le résultat des APUL oscille entre un excédent de 0,2 point de PIB et un déficit de 0,5 point. Il est resté dans cet intervalle avec un déficit qui est passé de moins de 0,1 point de PIB en 2019 à 0,2 point en 2020. Cette aggravation est très modérée au regard de celle du déficit de l’ensemble des administrations publiques en 2020.
La dette des APUL a augmenté de 20 Md€ en 2020 pour atteindre 230 Md€, soit un niveau inédit de 10,0 % du PIB. Cette hausse de leur endettement est supérieure au montant du déficit de 2020 (4 Md€) car les APUL, notamment la société du Grand Paris, ont emprunté pour accroître leurs liquidités de 15 Md€.
A périmètre constant, les recettes des APUL ont diminué de 3,4 Md€, soit de 1,3 %. Leurs recettes fiscales ont baissé de 5,1 Md€ et leurs ventes de produits et services ont diminué de 2,9 Md€, ce qui a été en partie compensé par une hausse de 4,9 Md€ des transferts en provenance des autres administrations publiques, notamment de l’Etat. La nouvelle étape de la suppression de la taxe d’habitation s’est traduite par une baisse des recettes fiscales des collectivités locales et une hausse des transferts venant de l’Etat.
A périmètre constant, les dépenses des APUL sont restées quasi-stables en euros courants en 2020. Leurs investissements ont diminué de 4,0 Md€, du fait notamment de l’impact des élections municipales et des contraintes sanitaires sur les dépenses d’équipement des communes, mais leurs prestations sociales et autres transferts ont augmenté d’autant. Leurs dépenses de personnel ont été accrues de 1,3 Md€ mais leurs autres dépenses de fonctionnement ont été réduites d’autant. La valeur du PIB ayant diminué, les dépenses des APUL sont passées de 11,2 % du PIB en 2019 à 11,8 % en 2020.
Comme en France, le solde des administrations publiques territoriales des autres pays de l’Union européenne (à 27) ne s’est que modérément dégradé en 2020, le déficit moyen ayant représenté 0,2 % du PIB. La dette des APUL françaises (10,0 % du PIB) était inférieure à la moyenne européenne (14,1 %) à la fin de 2020. Les compétences des administrations territoriales sont toutefois très différentes d’un pays à l’autre. La part des dépenses publiques payée par les administrations territoriales est particulièrement faible en France (19 % en 2020 pour une moyenne européenne de 31 %).
A) Le solde du compte des APUL et leur endettement
Les « administrations publiques locales » (APUL) regroupent non seulement les collectivités territoriales, avec leurs budgets principaux et annexes, et les établissements publics de coopération intercommunales mais aussi les « organismes divers d’administration locale ». Ces derniers sont constitués des établissements publics locaux tels que les centres communaux d’action sociale, les services départementaux d’incendie et de secours, les collèges et les lycées, ainsi que de certains établissements publics nationaux dont l’activité s’exerce sur une partie du territoire comme les parcs nationaux, les chambres consulaires ou les agences de l’eau.
En revanche, les services publics industriels et commerciaux locaux (distribution d’eau…), quelle que soit leur mode de gestion (délégation de service public ou régie), ne font pas partie des APUL, parce que leur activité est principalement « marchande » au sens des comptes nationaux.
1) Le solde du compte des APUL
En comptabilité nationale, le compte des APUL se solde par une capacité ou un besoin de financement (excédent ou déficit) qui est égal à la différence entre leurs recettes et dépenses non financières (c’est-à-dire hors emprunts et remboursements d’emprunts). Les dépenses prises en compte comprenant les investissements non financiers, les APUL peuvent se trouver en déficit (avoir un « besoin de financement ») en dépit de la « règle d’or » budgétaire qui impose aux collectivités locales de ne pas être en déficit. En effet, cette règle d’or les oblige seulement à équilibrer leurs dépenses de fonctionnement par leurs recettes de fonctionnement et elles peuvent financer leurs investissements non financiers par de nouveaux emprunts[1].
Source : Insee ; FIPECO
Les administrations publiques locales avaient un important besoin de financement, supérieur à 1 point de PIB au début des années 1980, avant la première vague de décentralisation. Ce déficit est ensuite resté autour de 0,5 point de PIB jusqu’au début des années quatre-vingt-dix. A partir de 1993, le solde des APUL a oscillé entre un excédent de 0,2 point de PIB et un déficit de 0,5 point.
En 2019, le solde des APUL était légèrement déficitaire (de 1,1 Md€, soit moins de 0,1 point de PIB) et ce déficit ne s’est que modérément aggravé en 2020, en passant à 4,2 Md€ (soit 0,2 point de PIB), au regard de la dégradation du déficit de l’ensemble des administrations publiques (6,1 points de PIB).
2) L’endettement des APUL
La réduction du besoin de financement des APUL puis l’apparition d’une capacité de financement, entre le début des années quatre-vingt-dix et le début des années deux mille, a entraîné une diminution de leur endettement en points de PIB, qui est ainsi passé de plus de 9 points en 1995 à 6,7 points en 2004. Comme le résultat des APUL a ensuite été plus souvent déficitaire, leur endettement est remonté pour revenir à 9,0 % du PIB en 2016 avant d’entamer une légère décrue jusqu’à 8,6 % en 2019.
En 2020, la dette des APUL a augmenté de 20 Md€ pour atteindre 230 Md€, soit un niveau de 10,0 % du PIB inédit depuis 1978 (début de cette série de l’Insee). Cette hausse de leur dette brute est nettement supérieure au montant du déficit (4 Md€) parce que les APUL ont accru leurs liquidités, surtout sous forme de dépôts auprès du trésor public, à hauteur de 15 Md€. A elle seule, la société du Grand Paris a emprunté 11 Md€ pour placer 8 Md€ en liquidités. Cette trésorerie devrait permettre aux APUL de moins emprunter en 2021 ou au-delà.
Source : Insee ; FIPECO
B) Les recettes et dépenses des APUL
1) Les recettes
Les recettes des administrations publiques locales (APUL) sont passées de 271,0 Md€ en 2019 à 265,6 Md€ en 2020, soit une baisse de 5,4 Md€. La réforme de l’apprentissage et le transfert du produit de la taxe à l’opérateur France compétences ayant contribué pour 2,0 Md€ à cette baisse, leurs recettes ont diminué de 3,4 Md€, soit de 1,3 %, à périmètre constant.
Cette diminution résulte pour partie de la réduction des recettes (- 2,9 Md€) tirées par les collectivités locales, notamment les communes, de la vente de biens et services marchands (redevances pour occupation du domaine public…) et des paiements résiduels des ménages pour certains services (activités culturelles et sportives…). Les contraintes sanitaires expliquent sans doute largement cette baisse.
Elle tient aussi à une réduction de 5,1 Md€ des recettes fiscales des APUL : les impôts sur les produits (droits de mutation à titre onéreux, fractions de la TVA et de la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques…) ont baissé de 2,0 Md€ ; les impôts courants sur le revenu et le patrimoine ont diminué de 3,5 Md€, notamment du fait d’une nouvelle étape de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales (sans cette réforme ils auraient augmenté de 0,3 Md€) ; les impôts sur la production (taxes foncières, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, taxe d’apprentissage, versement transports…) ont augmenté de 0,4 Md€ hors effet du transfert de la taxe d’apprentissage à France compétences.
En revanche, les transferts en provenance des autres administrations publiques, notamment de l’Etat, ont augmenté de 4,9 Md€. En comptabilité budgétaire, les prises en charge de dégrèvements de taxe d’habitation par l’Etat, dans le cadre de sa disparition progressive, ont augmenté de 4,0 Md€ et les mesures de soutien de l’Etat aux collectivités locales pour faire face à la crise sanitaire se sont élevés à 1,3 Md€.
2) Les dépenses
Les dépenses des APUL représentaient 11,9 points de PIB en 2013, contre seulement 8,2 points en 1987. Cette augmentation de 3,7 points est en partie imputable au transfert de nouvelles compétences et de nouvelles charges par l’Etat aux collectivités locales.
Pour en tenir compte (courbe « hors dépenses transférées par l’Etat » du graphique ci-joint), ont été déduites des dépenses des APUL les dépenses correspondant au RMI puis au RSA, à l’allocation personnelle d’autonomie (APA), aux collèges et lycées (fonctionnement et investissement), à la formation professionnelle, aux services d’incendie et de secours et aux transports ferroviaires régionaux conformément à la méthode utilisée dans le rapport de 2006 de P. Richard puis dans celui de 2010 de G. Carrez. Leur montant a été relevé dans ces rapports jusqu’à 1996 puis dans les rapports annuels de l’observatoire des finances locales qui a repris cette méthode.
Toutefois, le dynamisme de ces dépenses transférées par l’Etat, plus fort que celui des autres dépenses locales, pourrait résulter pour partie de leur gestion par les collectivités locales. En les soustrayant entièrement des dépenses des APUL, la contribution de celles-ci à la croissance des dépenses publiques est sans doute minorée.
Source : Rapports de P. Richard (2006) et G. Carrez (2010) ; rapports de l’observatoire des finances locales ; Insee ; FIPECO.
Ainsi corrigées avec cette réserve, les dépenses des APUL ont une tendance fortement croissante de 1987 à 1996 puis accusent une baisse en 1997 et 1998 avant de reprendre leur hausse jusqu’à 2013, où elles ont atteint 10,2 % du PIB. Leur hausse de 1988 à 2013 a représenté 2,2 points de PIB. Les transferts de compétences de l’Etat expliquent donc moins de 1,5 point sur les 3,7 points de PIB de hausse des dépenses des APUL de 1987 à 2013.
Une baisse significative a ensuite été enregistrée, le rapport des dépenses publiques locales au PIB (avec dépenses transférées) ayant diminué de 0,7 point entre 2013 et 2019 pour revenir à 11,2 % du PIB, sous l’effet notamment de la baisse des dotations de l’Etat pendant les années 2014 à 2017.
En 2020, les dépenses des APUL ont diminué de 2,3 Md€, mais seulement de 0,3 Md€ (soit une quasi-stabilité) hors transfert des dépenses des régions à France compétences en matière d’apprentissage.
Leur « formation brute de capital fixe » (leurs dépenses d’investissement en comptabilité nationale) a diminué de 4,7 Md€, ce qui est très légèrement compensé par une hausse de 0,8 Md€ des subventions d’investissement qu’elles versent à d’autres secteurs. Cette baisse de l’investissement est imputable aux communes (- 4,6 Md€), ce qui est habituel les années d’élections municipales car les nouveaux élus doivent d’abord définir leurs nouvelles priorités et lancer des appels d’offres, ce qui peut prendre plusieurs mois. Les contraintes sanitaires ont en outre certainement retardé le lancement des projets d’investissement.
Les transferts et prestations sociales augmentent de 1,9 Md€, soit de 3,9 Md€ hors affectation des dépenses d’apprentissage à France compétences. L’impact de la crise sur les dépenses sociales des départements (RSA…) n’apparaîtra vraiment qu’en 2021.
Les dépenses de personnel des APUL ont augmenté de 1,3 Md€ et leurs autres dépenses de fonctionnement (consommations intermédiaires en comptabilité nationale) ont diminué de 1,4 Md€.
C) Les finances locales en Europe en 2020
Dans les pays de structure fédérale, les administrations publiques territoriales comprennent les états fédérés (comme les länder en Allemagne) et les administrations publiques locales.
En 2019, les administrations publiques territoriales ont dégagé une légère capacité de financement (0,1 % du PIB) dans la zone euro et dans l’Union européenne (à 27) en moyenne. Comme en France, leur situation ne s’est que modérément aggravée en 2020, avec un besoin de financement de 0,4 % du PIB dans la zone euro et 0,2 % dans l’Union européenne. Ce besoin de financement est particulièrement élevé en Belgique (2,3 % du PIB) et, inversement, il s’agit d’une capacité de financement en Suède (0,3 % du PIB) et en Espagne (0,1 %).
Source : Eurostat ; FIPECO
L’endettement des administration publiques territoriales représentait 15,5 % du PIB dans la zone euro et 14,1 % dans l’Union européenne à la fin de 2020. Il était un peu plus faible que la moyenne en France (10,0 % du PIB) et nettement plus élevé dans les pays fédéraux.
La répartition des dépenses publiques entre les administrations publiques centrales, territoriales et sociales est très différente d’un pays à l’autre, comme le montre le graphique ci-joint où apparaît le rapport des dépenses des administrations territoriales aux dépenses publiques totales.
Parmi les principaux pays de l’Union européenne en termes de PIB, la France est celui où la part des dépenses publiques payée par les administrations territoriales est la plus faible (19 % en 2020, la moyenne européenne étant de 31 %). Elle est deux à deux fois et demie plus élevée dans les pays fédéraux (Allemagne, Espagne, Belgique) et en Suède. Toutefois, comme l’observe une note de France Stratégie, il s’agit d’un indicateur imparfait de l’autonomie financière des collectivités territoriales car les organismes qui payent les dépenses publiques ne sont pas toujours ceux qui les décident.
Source ; Eurostat ; les transferts vers d’autres administrations publiques sont déduits des dépenses publiques locales ; FIPECO. Au Royaume-Uni, l’Angleterre, l’Ecosse, le pays de Galles et l’Irlande du nord sont considérés comme des administrations centrales et non territoriales.
[1] Les collectivités locales doivent également équilibrer la « section d’investissement » de leur budget mais cette section comprend les opérations financières et elle peut être équilibrée par de nouveaux emprunts.