16/12/2021
Les impôts sur la production en 2020
François ECALLE
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La baisse des impôts sur la production est une des principales composantes du plan de relance. La contribution sur la valeur ajoutée et les impôts fonciers des entreprises sont réduits de 10 Md€ par an à partir de 2021 (cf. note d’analyse). Le présent billet fait le point sur la nature et le produit des impôts sur la production en 2020, avant cette réforme, ainsi que sur leurs effets économiques.
Le produit des impôts sur la production, au sens de la comptabilité nationale, est passé de 119,2 Md€ en 2019 (4,9 % du PIB) à 120,9 Md€ en 2020 (5,3 % du PIB), alors que le total des prélèvements obligatoires a diminué en euros. Les impôts sur la production qui ont le plus contribué à cette hausse sont la taxe sur les salaires et les taxes foncières.
Les impôts sur la production représentaient 5,3 % du PIB en France en 2020 contre 2,4 % dans la zone euro et 2,6 % dans l’Union européenne et seulement 0,8 % en Allemagne. La France est au deuxième rang de l’Union, mais loin derrière la Suède (9,9 % du PIB).
Les impôts sur la production constituent un ensemble hétéroclite de prélèvements sur la masse salariale, le foncier et d'autres assiettes, qui ne sont pas tous supportés par les entreprises (ils incluent par exemple les taxes foncières payées par les ménages, ceux-ci étant considérés par les comptables nationaux comme des producteurs de services de logements). Les impôts payés par les seules sociétés représentaient 3,7 % du PIB en 2020 en France contre 1,5 % du PIB dans la zone euro et 1,7 % dans l’Union européenne.
Les impôts sur les salaires représentaient 2,0 % du PIB en France et sont négligeables dans les autres grands pays, sauf en Suède (8,9 % du PIB) où ils remplacent pour partie les cotisations sociales. Les taxes foncières atteignaient 2,8 % du PIB en France, ce qui la place au premier rang de l’Union européenne où la moyenne est de 1,2 %. Les autres impôts sur la production sont assis sur le chiffre d’affaires, la valeur ajoutée ou des actifs physiques. Ils représentaient 0,5 % du PIB en France, soit moins que la moyenne de l’Union européenne (0,7 %). Ils sont particulièrement importants en Italie (1,7 % du PIB).
En France, les impôts sur la production sont presque tous affectés à des organismes publics autres que l’Etat, notamment à des collectivités locales dont il faut compenser les pertes de recettes quand ils sont supprimés comme dans le cas de la réforme de 2021.
Ils contribuent tous à majorer les prix et à dégrader la compétitivité des entreprises, mais leurs effets dommageables sont de nature et d’ampleur diverses. Les taxes sur le chiffre d’affaires sont sans doute les plus critiquables et la contribution sociale de solidarité des sociétés aurait donc dû être supprimée en priorité. En revanche, la valeur ajoutée n’est pas une mauvaise assiette et les taxes foncières peuvent être, dans certaines conditions, de bons impôts locaux.
A) Un ensemble de prélèvements hétéroclites, en hausse en 2020 et souvent plus lourds que dans les autres pays
1) Des prélèvements globalement en hausse en 2020
Les impôts sur la production forment un ensemble assez hétéroclite de prélèvements obligatoires regroupés sous cette appellation par Eurostat et l’Insee. Ils ont des rendements très divers en France puisqu’on y trouve aussi bien les taxes foncières (36,4 Md€ en 2020) et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (15,0 Md€) que la taxe pour frais des chambres d’agriculture (0,2 Md€) et l’imposition des pylônes (0,3 Md€).
Ils sont passés de 119,2 Md€ en 2019 (4,9 % du PIB) à 120,9 Md€ en 2020 (5,3 % du PIB). Leur hausse en pourcentage du PIB, comme celle du taux global des prélèvements obligatoires (passé de 43,8 % en 2019 à 44,5 % en 2020), résulte surtout de la diminution de la valeur du PIB. En revanche, leur augmentation en euros (+ 1,7 Md€) contraste avec la baisse du produit du total des prélèvements obligatoires.
Les impôts sur la production qui ont le plus augmenté sont les taxes foncières (+ 0,6 Md€) et la taxe sur les salaires (+ 1,0 Md€)[1]. En revanche, la contribution au développement de l’apprentissage a diminué de 0,4 Md€.
2) Des prélèvements plus lourds que dans presque tous les autres pays
Selon Eurostat, le produit des impôts sur la production était égal à 5,3 % du PIB en France en 2020 contre 2,4 % en moyenne dans la zone euro, 2,6 % dans l’Union européenne à 27 et seulement 0,8 % en Allemagne. La France est au deuxième rang de l’Union, mais très loin derrière la Suède (9,9 % du PIB) où le financement de la protection sociale est assuré en très grande partie par des impôts et non par des cotisations sociales.
Source : Eurostat ; FIPECO.
3) Des impôts surtout payés par les sociétés
Les impôts sur la production ne sont pas tous payés par des entreprises car on y trouve, par exemple, les taxes foncières dues par les ménages. Celles-ci constituent en effet un impôt sur la production de services de logements par les ménages pour les comptables nationaux. Elles représentaient 20,3 Md€ sur un total de 120,9 Md€ d’impôts sur la production en France en 2020. On y trouve également la taxe sur les salaires dont une partie est payée par les hôpitaux publics.
En 2020, les impôts sur la production payés par les sociétés (donc hors entreprises individuelles), financières et non financières, se sont élevés à 85,5 Md€ en France (comme en 2019), soit 3,7 % du PIB, ce qui était nettement supérieur à la moyenne de la zone euro (1,5 %) ou de l’Union européenne (1,7 %) et au niveau atteint dans les autres grands pays européens, Suède exceptée.
Source : Eurostat ; FIPECO
4) Des assiettes très diverses mais avec une prédominance de la masse salariale et du foncier
Les comptables nationaux distinguent les impôts sur la production qui sont assis sur la masse salariale, comme la taxe sur les salaires (14,5 Md€ prélevés en 2020 sur les organismes non assujettis à la TVA) et le versement transports (9,2 Md€). Certains de ces impôts sur les salaires ressemblent à des cotisations sociales et en ont parfois même l’appellation, comme la cotisation patronale au profit de l’association pour la garantie des salaires (0,8 Md€).
En Suède, le poids global des impôts sur la production provient d’ailleurs pour une très grande part de ceux qui pèsent sur la masse salariale (8,9 % du PIB en 2020) et qui remplacent probablement des cotisations sociales.
En France, ces impôts sur les salaires représentaient 2,0 % du PIB en 2020 mais ils sont marginaux dans beaucoup de pays. La moyenne était de 0,5 % du PIB dans la zone euro et de 0,8 % dans l’Union européenne en 2020.
Il est également possible de distinguer les taxes foncières, qui représentaient 2,0 % du PIB en France en 2020 (taxes foncières au sens strict mais aussi taxes pour frais de chambres consulaires, taxes sur les surfaces commerciales, la création de bureaux en Ile-de-France…).
Eurostat y inclut la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) car elle est associée, par des règles de plafonnement commun, avec la cotisation foncière des entreprises, l’ensemble formant la contribution économique territoriale, ce qui porte les impôts de production sur le foncier à 2,8 % du PIB en France en 2020, contre 1,2 % en moyenne dans la zone euro et l’Union européenne. La France était au premier rang de l’Union européenne.
Les autres impôts sur la production sont surtout constitués en France de la contribution sociale de solidarité des sociétés (4,1 Md€ en 2020) et de la taxe perçue par le fonds de garantie des dépôts bancaires et de résolution (3,0 Md€).
Ils représentaient 0,5 % du PIB en France en 2020, soit moins que la moyenne de la zone euro ou de l’Union européenne (0,7 %). Ils étaient particulièrement élevés en Italie (1,7 % du PIB).
Source : Eurostat ; FIPECO.
5) Des impôts souvent affectés à des collectivités locales ou à des régimes de sécurité sociale
Beaucoup de ces impôts sont affectés aux collectivités locales, notamment les taxes foncières, la cotisation foncière des entreprises et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Le versement transports est affecté à Ile-de-France Mobilités ou aux autorités organisatrices des transports urbains.
D’autres impôts sont affectés à des régimes de sécurité sociale, comme la taxe sur les salaires ou la contribution sociale de solidarité des sociétés, ou encore aux chambres consulaires (taxe pour frais des chambres de commerce et d’industrie). Le seul impôt de production affecté à l’Etat et d’un rendement significatif est la taxe au profit du fonds national d’aide au logement (3,0 Md€ en 2020), ce fonds n’étant qu’un démembrement budgétaire de l’Etat sans personnalité juridique.
Leur affectation à des organismes autres que l’Etat peut faire obstacle à la suppression ou à la réduction de ces impôts car il faut généralement que l’Etat compense la diminution de leurs ressources. Depuis quelques années, l’État partage certains de ses grands impôts entre de nombreux acteurs pour compenser la perte de certaines de leurs ressources, en premier lieu la TVA qui est répartie entre l’État, la sécurité sociale et les collectivités locales.
B) Des effets économiques négatifs mais à des degrés divers
Ces prélèvements majorent les coûts de production et les prix des entreprises et réduisent leur compétitivité, au détriment de l’emploi et du pouvoir d’achat.
Ils ont en outre pour caractéristique, souvent mise en avant, de ne pas tenir compte des résultats des entreprises et donc de renforcer les difficultés de celles qui ne dégagent pas de profits. C’est toutefois une propriété commune à tous les prélèvements sur les entreprises à l’exception de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, qui présente d’autres inconvénients. Il constitue notamment le principal vecteur de la concurrence fiscale entre pays, que la coordination internationale freine difficilement.
Cet inconvénient des impôts sur la production est moins fort pour ce qui concerne la cotisation sur la valeur ajoutée : elle n’est certes pas assise sur le bénéfice mais la valeur ajoutée dépend de l’activité des entreprises et cet impôt n’est donc pas une charge totalement fixe.
Comme l’a rappelé une note du Conseil d’analyse économique (CAE) de juin 2019, les taxes sur le chiffre d’affaires sont particulièrement dommageables. Elles s’ajoutent en cascade à toutes les étapes des chaînes de valeur et défavorisent donc les circuits longs sans aucune raison. Elles agissent comme une combinaison de taxes sur les exportations et de subventions aux importations de biens intermédiaires, contribuant ainsi à dégrader le solde commercial.
La suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés, sans équivalent dans les autres pays européens, aurait donc dû être prioritaire, ce qui aurait également contribué à la simplification du système fiscal. Sa disparition avait été programmée pour 2017 dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité de 2014 mais elle a finalement été maintenue au taux de 0,16 % sur le chiffre d’affaires des sociétés, après un abattement de 19 M€ qui conduit à ne la faire payer que par de grandes entreprises.
Les prélèvements sur les salaires, comme le versement transports, accroissent le coût du travail et incitent à une substitution de capital au travail tandis que les prélèvements sur les actifs physiques, comme l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux, accroissent le coût du capital et limitent la substitution de capital au travail. La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises a l’avantage de ne pas introduire trop de distorsion dans le choix des facteurs de production (son mode de calcul pénalise toutefois un peu les investissements selon le CAE). Ce n’est donc pas l’impôt sur la production le plus critiquable.
Les taxes foncières sont souvent considérées comme de bons impôts locaux par les économistes. En effet, le foncier au sens strict (hors constructions) est fixe et ces taxes réduisent les rentes foncières. Elles permettent de sensibiliser les ménages et entreprises qui les payent au coût des services publics locaux, dont elles peuvent refléter la qualité, certes pour partie et conjointement à d’autres facteurs, quand elles sont assises sur des valeurs vénales, ce qui n’est toutefois pas le cas en France (et dans d’autres pays) où les valeurs administratives retenues en sont souvent très éloignées. Elles incitent les collectivités locales à rendre les terrains constructibles, ce qui est souhaitable dans les zones tendues. Elles peuvent certes entraîner une concurrence fiscale excessive entre les collectivités et aggraver les inégalités territoriales, mais l’Etat peut en principe corriger celles-ci par des mécanismes de péréquation. Au total, le CAE a conclu que la cotisation foncière des entreprises ne semble pas causer de distorsions majeures.
[1] Elle est due par les entreprises non assujetties à la TVA (banques…).