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14/12/2023

Les nouvelles possibilités de baisse des taux de TVA

François ECALLE

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Jusqu’en 2022, le taux normal de TVA dans les pays de l’Union européenne devait être supérieur à 15 % et l’application de taux réduits (inférieurs à 15 %) était très encadrée. Ces contraintes imposées par les directives sur la TVA (la dernière datant de 2006) avaient pour objectif de préparer le passage à un régime de TVA dans lequel celle-ci serait payée dans le pays du fournisseur au taux appliqué dans ce pays. Des taux différents d’un pays à l’autre pouvaient alors en effet créer des distorsions de concurrence. Ce projet a été abandonné et la TVA restera payée dans le pays de l’acheteur au taux appliqué dans ce pays. L’encadrement communautaire des taux de TVA est donc beaucoup moins justifié et une directive du 5 avril 2022 étend les possibilités d’appliquer des taux réduits.

Le taux normal de la TVA en France (20 %) ne s’applique qu’à environ 65 % de son assiette. Le coût des taux réduits (entre 5 et 15 %) et super-réduits (inférieurs à 5 %), par rapport à l’application de ce taux normal et à comportements inchangés, est d’un peu moins de 50 Md€. Certains de ces taux réduits sont classés parmi les dépenses fiscales.

La directive de 2022 étend le champ des biens et services éligibles aux taux réduits, super-réduits ou nuls. Les possibilités d’extension des taux super-réduits ou nuls sont plus particulièrement importantes pour la France au vu des taux actuels. On pourrait, par exemple, comme le proposent certains, appliquer un taux nul à tous les produits alimentaires, ce qui coûterait 7 Md€.

Cependant, il est difficile de réduire le déficit, et partant la dette publique, par des économies sur les dépenses publiques dans le contexte social français. Il n’y a donc pas de marges pour baisser des impôts, TVA ou autres, sauf à prendre le risque d’une nouvelle hausse de la dette. Un redéploiement des prélèvements à recettes totales constantes est en revanche envisageable.

Les taux réduits de TVA constituent un mauvais instrument de redistribution des revenus car ils ne peuvent pas en pratique être ciblés sur les ménages les plus modestes et une partie des baisses de TVA est récupérée par les entreprises. Les prestations sociales sous condition de ressources et l’impôt progressif sur le revenu sont les meilleurs outils de redistribution.

L’application d’un taux réduit de TVA à certains produits pourrait être justifiée par leurs externalités positives mais les subventions sont souvent préférables car elles sont plus faciles à gérer. En outre, l’aide apportée par un taux réduit de TVA est d’autant plus forte que le prix de ce produit est élevé et une telle aide n’est pas toujours justifiée. Les taux réduits de TVA, comme les subventions, entraînent toujours des effets d’aubaine et il faudrait savoir s’ils induisent néanmoins une hausse suffisante de la consommation et des externalités associées pour justifier leur coût. Les quelques exemples d’évaluation de l’impact de taux réduits de TVA ne vont pas dans ce sens.

A) Les taux réduits de TVA en France

Les principales caractéristiques de la TVA sont présentées dans une fiche de ce site.

La TVA s’applique économiquement à une assiette, appelée « emplois taxables », constituée pour environ 60 % d’une partie de la consommation des ménages, pour environ 8 % de leurs investissements en logements neufs, pour environ 15 % d’une partie des achats de biens et services des entreprises (les non assujetties et assujetties partielles) et pour 16 % d’achats des administrations publiques.

Depuis le 1er janvier 2014, le « taux normal » de TVA est de 20,0 %. Il s’applique à environ 65 % des emplois taxables.

Un taux de 10 % s’applique notamment à l’hôtellerie, à la restauration, aux travaux d’entretien du logement et aux transports de voyageurs. Un taux de 5,5 % s’applique notamment aux aliments et boissons à emporter, au gaz et à l’électricité, aux livres. Un taux de 2,1 % s’applique notamment aux médicaments remboursables par la sécurité sociale, à la presse et aux spectacles vivants. Des taux plus faibles s’appliquent, pour tous les produits, dans les départements et territoires d’outre-mer et, pour certains produits, en Corse.

Dans son rapport de 2023 sur la TVA, le conseil des prélèvements obligatoires estime le coût de ces taux réduits à 47 Md€ en 2021, par rapport à l’application du taux normal (à comportements inchangés), dont 20 Md€ pour l’application d’un taux de 5,5 % aux produits alimentaires et aux boissons non alcoolisées qui ne sont pas consommés sur place. Les informations disponibles dans ce rapport permettent d’établir la décomposition suivante de ce coût par taux de TVA.

Le coût des taux réduits de TVA en 2021

Taux

10 %

5,5 %

2,1 %

Outre-mer et Corse

Total

Coût (Md€)

12

26

7

3

47

Source : FIPECO

Selon le rapport sur les dépenses fiscales qui est annexé chaque année au projet de loi de finances (PLF), seules les mesures incitatives, et non celles qui ont une vocation redistributive, sont considérées comme des dépenses fiscales. Dans le rapport annexé au PLF pour 2023, la partie du coût des taux réduits de TVA qui est considérée comme des dépenses fiscales était estimée à 20 Md€ et elle a été ramenée à 10 Md€ dans le rapport annexé au PLF pour 2024 au motif que l’Etat rétrocède la moitié des recettes de TVA à d’autres organismes publics. Cette justification est contestable (voir note sur ce sujet) et, quoi qu’il en soit, le coût pour l’ensemble des administrations publiques de ces dépenses fiscales reste bien de 20 Md€.

B) Les nouvelles règles européennes de 2022

Les Etats membres devront continuer à appliquer un taux de TVA normal supérieur à 15 %.

Ils pourront appliquer deux taux réduits, compris entre 5 % et 15 %, à 24 catégories de produits au plus parmi les 33 catégories figurant sur une liste qui a été élargie en 2022 par rapport à la liste antérieure pour y inclure notamment : les services numériques (accès à Internet, retransmission d’événements sportifs et culturels…), les biens qui contribuent à protéger la santé (masques…), les biens dont la consommation a un impact positif sur l’environnement (panneaux solaires, vélos…) et « divers produits et services jugés appropriés et utiles par les Etats membres, guidés par l’intérêt général des objectifs de politique publique ». L’extension du champ des opérations éligibles à un taux réduit est relativement limitée pour la France compte-tenu des taux qui existent déjà.

Ces taux réduits ne pourront en revanche plus être appliqués aux biens et services incompatibles avec le « pacte vert pour l’Europe » au-delà de 2030. Pour la France, cela concerne notamment les abonnements au gaz naturel et le bois de chauffage.

Les pays européens pourront également appliquer un taux « super-réduit » (inférieur à 5 %) et une exonération (un taux nul) à 7 catégories de biens et services au maximum parmi celles inscrites sur une autre liste et considérées comme permettant de couvrir des « besoins fondamentaux » telles que les denrées alimentaires, les produits pharmaceutiques, les transports de passagers, les livres et journaux.

Certains Etats membres pouvaient appliquer des taux super-réduits, voire nuls, à des biens et services qui ne figuraient pas sur la liste précédente, pour des raisons historiques (conditions d’entrée dans l’Union européenne par exemple). Ces dérogations historiques seront maintenues et ouvertes aux autres Etats membres à condition qu’elles soient compatibles avec le pacte vert pour l’Europe.

Cette extension possible du champ des taux super-réduits ou nuls constitue vraisemblablement le volet le plus important de la nouvelle directive pour la France. Le coût du taux réduit actuel de 5,5 % sur les produits alimentaires s’élève à 20 Md€ (coût de l’écart entre 20 et 5,5 %) et leur appliquer un taux nul coûterait 7 Md€ de plus.

C) La régulation macroéconomique

Certains pays européens ont baissé des taux de TVA et accepté une hausse de leur déficit public pendant la crise sanitaire pour contribuer à la relance de l’activité économique. Ces exemples ne doivent pas être suivis car il n’y a plus de marges budgétaires en France pour réduire les prélèvements obligatoires, qu'il s'agisse de la TVA ou de n'importe quel autre impôt.

La France doit en effet reprendre le contrôle de sa dette publique pour garder la confiance de ses créanciers en la réduisant en pourcentage du PIB. Or la loi de programmation des finances publiques montre que pour seulement la réduire de 4 points de PIB à l’horizon de 2027, il faut compter sur un taux de croissance du PIB peu vraisemblable et sur des économies bien plus importantes que celles réalisées au cours des quinquennats précédents dans un contexte politique et social beaucoup moins propice aux réformes.

Il faut donc arrêter de baisser les prélèvements obligatoires, ce qui n’empêche pas de les redéployer. Sinon, il faudra certainement les réaugmenter tôt ou tard, ce qui est d’ailleurs déjà arrivé dans l’histoire économique de la France des 50 dernières années.

D) La redistribution des revenus

La deuxième fonction des finances publiques consiste à redistribuer les revenus et la TVA est pour cela un mauvais instrument. Depuis longtemps, des taux réduits sont appliqués sur les produits de première nécessité pour redistribuer le pouvoir d'achat au profit des ménages les moins aisés. Il est toutefois impossible de cibler des taux de TVA sur des produits qui sont seulement consommés par des ménages modestes. Les ménages riches consomment en effet également des produits de première nécessité.

Les efforts de ciblage en faveur des ménages modestes conduisent à mettre en œuvre des mécanismes fiscaux particulièrement complexes ; la TVA sur le chocolat en est une illustration presque comique[1]. Il n’est pas envisageable de généraliser ce genre de dispositif, sauf à fortement complexifier la législation fiscale sans jamais obtenir le résultat attendu en termes de redistribution.

L'autre raison pour laquelle les taux réduits de TVA constituent un mauvais instrument de redistribution est que, si la TVA est réduite sur des produits quels qu'ils soient, il n’est jamais sûr que cela bénéficiera au consommateur. Une partie de cette baisse se traduira par une hausse des prix hors-taxe et sera donc prélevée par les entreprises sous forme de hausse des marges.

Comme le montre le Conseil des prélèvements obligatoires dans son dernier rapport sur la TVA, l'impact des taux réduits de TVA actuels sur la distribution des revenus est quasiment nul.

Le bon instrument de redistribution des revenus est la combinaison de prestations sociales sous conditions de ressources et de l'impôt progressif sur le revenu. Avec cet outil, il est possible d’obtenir toute la redistribution souhaitée et il est donc inutile d’utiliser les taux réduits de TVA.

E) La correction des externalités

La troisième fonction des finances publiques est l’allocation des ressources, ce qui peut justifier une correction des externalités par la taxation ou la subvention. Les économistes parlent d'externalités lorsque le comportement d'un agent a des effets positifs ou négatifs sur les autres agents dont il ne tient pas compte. Il est justifié économiquement de corriger ce comportement en subventionnant ou en taxant l'achat d'un bien ou d'un service.

Les accises sont déjà utilisées pour corriger les externalités négatives d’un certain nombre de produits. Il existe ainsi des accises sur les produits énergétiques, le tabac, l'alcool, etc. Leur avantage sur des taux de TVA est qu'elles sont prélevées sur le volume de consommation (litres d’essence ou d’alcool par exemple), qu’il s’agit de réduire, et non sur la valeur des produits.

La nouvelle directive TVA conduit à envisager une baisse des taux de TVA sur des produits qui ont des externalités positives, notamment en matière de lutte contre le changement climatique (panneaux solaires ou vélos par exemple). La question est de savoir s'il vaut mieux des taux réduits de TVA ou des aides budgétaires.

L'avantage des aides budgétaires est qu'elles peuvent être fixées en euros par unité de produit consommé (euros par vélo par exemple), tandis que la TVA est fixée sur des prix hors-taxes, donc sur la valeur des produits plutôt que sur le volume consommé. Si on applique un taux réduit de TVA sur les vélos, on accorde une aide d'autant plus importante que les vélos sont chers. Or il est préférable de donner cinquante euros par vélo, que le vélo soit un vélo de luxe ou un vélo de base, plutôt que d’appliquer un taux réduit de TVA qui donnerait droit à une aide supérieure lors de l'achat d'un vélo de luxe.

En outre, les subventions sont plus simples à gérer que les taux de TVA. La direction générale des finances publiques (DGFiP) n’est pas bien placée pour dire que tel type de vélo a des avantages particuliers et doit être particulièrement aidé. Le ministère de la transition écologique peut mieux le faire avec sa propre expertise. De plus la législation fiscale ne peut s’appliquer qu’à des catégories larges de produits. Sinon, elle devient beaucoup trop complexe (cf. ci-dessus l’exemple du chocolat).

Par ailleurs, des consommateurs achèteront des vélos, avec une aide budgétaire ou un taux réduit de TVA, alors qu'ils les auraient de toute façon achetés, même sans aide. Il faudrait donc savoir si, malgré ces effets d'aubaine pour certaines personnes, d'autres consommateurs décideront d'acheter un vélo grâce à la subvention ou au taux réduit de TVA alors qu'ils ne l'auraient pas fait autrement. C'est la condition d’une réelle efficacité de l'aide, que ce soit via une incitation budgétaire ou via un taux réduit de TVA.

La question fondamentale est alors de savoir si ce supplément de consommation est suffisant, du fait des externalités associées (réduction des émissions de gaz carbonique…), pour justifier le coût budgétaire de la mesure. C'est le sujet de l'évaluation des mesures budgétaires, des mesures fiscales, et plus généralement des mesures de politique économique. La réponse à cette question ne peut être que donnée au cas par cas, produit par produit.

Ces évaluations sont malheureusement trop rares et, quand elles existent, elles ne sont pas toujours suivies d’effet. S’agissant de la TVA, on peut surtout citer des évaluations sur deux taux réduits importants, ceux qui s’appliquent aux travaux d'entretien du logement et à la restauration.

Ces mesures n’apparaissent pas très efficaces car la baisse du taux de TVA s'est largement traduite par une hausse des prix hors taxe. Cet effet n'est pas entièrement négatif en soi puisque l'accroissement des marges qui en a résulté pour les acteurs du bâtiment et de la restauration a pu favoriser l'investissement. Les effets sur l'emploi ont néanmoins été très limités eu égard au coût budgétaire de ces mesures, par comparaison aux allègements de cotisations sociales sur les bas salaires qui sont bien plus efficaces. Dans son dernier rapport, le Conseil des prélèvements obligatoires note ainsi que « des études confirment que les taux intermédiaires de 10 % applicables à la restauration et aux travaux d’amélioration des logements (hors rénovation énergétique) n’ont pas fait la preuve de leur efficacité et pourraient utilement être remplacés par des mesures plus ciblées sur les objectifs d’emploi et de maintien de l’activité tout en étant moins coûteuses ».

 

[1] « Les chocolats et tous les produits composés contenant du chocolat ou du cacao sont soumis au taux normal. Toutefois le chocolat, le chocolat de ménage au lait, les bonbons de chocolat, les fèves de cacao et le beurre de cacao sont admis au taux réduit de 5,5 % » (article 278-0 bis A) 1) b) du code général des impôts). Le Royaume-Uni semble avoir le même genre de réglementation ubuesque sur la TVA avec les « crisps » (voir ici).

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