03/02/2022
François ECALLE
Depuis près de 30 ans, le taux normal de TVA dans les pays de l’Union européenne doit être supérieur à 15 % et l’application de taux réduits (inférieurs à 15 %) est très encadrée. Cette réglementation avait pour objectif de préparer le passage à un régime de TVA dans lequel celle-ci serait payée dans le pays du fournisseur au taux appliqué dans ce pays. Des taux différents d’un pays à l’autre pouvaient alors en effet créer des distorsions de concurrence. Ce projet a été abandonné et la TVA restera payée dans le pays du consommateur au taux appliqué dans ce pays. L’encadrement communautaire des taux de TVA est donc beaucoup moins justifié et un accord sur de nouvelles règles a été trouvé en décembre 2021, sous la forme d’un projet de directive qui étend les possibilités d’appliquer des taux réduits.
Après avoir rappelé la situation de la France en matière de TVA et précisé les nouvelles règles européennes, ce billet examine l’opportunité de créer de nouveaux taux réduits au regard des trois grandes fonctions des finances publiques : la régulation macroéconomique par le déficit public ; la redistribution des revenus ; l’allocation des ressources.
Ce billet reprend pour une large part le texte de mon audition sur ce sujet par la commission des finances du Sénat, qui a suivi celle du directeur de la législation fiscale (vidéo en ligne).
Le taux normal de la TVA en France (20 %) ne s’applique qu’à environ 65 % de son assiette. Le coût des taux réduits (entre 5 et 15 %) et super-réduits (inférieurs à 5 %), par rapport à l’application de ce taux normal et à comportements inchangés, est d’un peu plus de 50 Md€. Une partie (17 Md€) est incluse dans les dépenses fiscales.
Le projet de directive étend le champ des biens et services éligibles aux taux réduits, super-réduits ou nuls. Les possibilités d’extension des taux super-réduits ou nuls sont plus particulièrement importantes pour la France au vu des taux actuels. Elle pourrait, par exemple, appliquer un taux nul à tous les produits alimentaires, ce qui coûterait 7 Md€.
Or il sera difficile de seulement stabiliser la dette publique aux environs de 115 % du PIB à l’horizon de 2027 par le moyen d’économies sur les dépenses publiques dans le contexte social français. Il n’y a donc pas de marges pour baisser des impôts, TVA ou autres, sauf à prendre le risque d’une nouvelle hausse de la dette. Un redéploiement des prélèvements à recettes totales constantes est en revanche envisageable.
Les taux réduits de TVA constituent un mauvais instrument de redistribution des revenus car ils ne peuvent pas en pratique être ciblés sur les ménages les plus modestes et une partie des baisses de TVA est récupérée par les entreprises. Les prestations sociales sous condition de ressources et l’impôt progressif sur le revenu sont les meilleurs outils de redistribution.
L’application d’un taux réduit de TVA à certains produits pourrait être justifiée par leurs externalités positives mais les subventions sont souvent préférables car elles sont plus faciles à gérer. En outre, l’aide apportée par un taux réduit de TVA est d’autant plus forte que le prix de ce produit est élevé, ce qui n’est pas toujours justifié. Les taux réduits de TVA, comme les subventions, entraînent toujours des effets d’aubaine et il s’agir de savoir s’ils induisent néanmoins une hausse suffisante de la consommation et des externalités associées pour justifier leur coût. Les quelques exemples d’évaluation de taux réduits de TVA ne vont pas dans ce sens.
On peut enfin noter qu’un encadrement communautaire des taux réduits de TVA a été maintenu seulement parce que certains pays avaient peur des conséquences budgétaires d’une liberté totale. C’est une sorte de palliatif au non-respect des règles budgétaires.
Les principales caractéristiques de la TVA sont présentées dans une fiche de ce site.
La TVA s’applique économiquement à une assiette, appelée « emplois taxables », constituée pour environ 60 % d’une partie de la consommation des ménages, pour environ 8 % de leurs investissements en logements neufs, pour environ 15 % d’une partie des achats de biens et services des entreprises (les non assujetties et assujetties partielles) et pour 16 % d’achats des administrations publiques.
Depuis le 1er janvier 2014, le « taux normal » de TVA est de 20,0 %. Il s’applique à environ 65 % des emplois taxables.
Un taux de 10 % s’applique notamment à l’hôtellerie, à la restauration et aux transports de voyageurs. Un taux de 5,5 % s’applique notamment aux aliments et boissons à emporter, au gaz et à l’électricité, aux livres. Un taux de 2,1 % s’applique notamment aux médicaments remboursables par la sécurité sociale, à la presse et aux spectacles vivants. Des taux plus faibles s’appliquent, pour ces produits, en Corse et dans les départements et territoires d’outre-mer
La décomposition du produit de la TVA par taux en 2014 figure dans le rapport de 2015 sur la TVA du conseil des prélèvements obligatoires, ce qui permet d’estimer le coût de chacun des taux réduits par rapport à l’application du taux normal en 2014 (à comportements inchangés). En multipliant ces coûts par la croissance du produit de la TVA de 2014 à 2019, on obtient un coût total de 53 Md€ en 2019 avec la décomposition suivante.
Le coût des taux réduits de TVA en 2019
Taux |
10 % |
5,5 % |
2,1 % |
Outre-mer et Corse |
Total |
Coût (Md€) |
13 |
29 |
8 |
3 |
53 |
SoSource : FIPECOurce : FIPECO
Une partie de ce coût (17 Md€) est comprise dans les dépenses fiscales. Selon le rapport sur ces dispositifs qui est annexé chaque année au projet de loi de finances, seules les mesures incitatives, et non celles qui ont une vocation redistributive, sont considérées comme des dépenses fiscales.
Les Etats membres devront continuer à appliquer un taux de TVA normal supérieur à 15 %.
Ils pourront appliquer deux taux réduits, compris entre 5 % et 15 %, à 24 catégories de produits au plus parmi les 33 catégories figurant sur une liste qui a été élargie par rapport à la liste actuelle pour y inclure notamment : les services numériques (accès à Internet, retransmission d’événements sportifs et culturels…), les biens qui contribuent à protéger la santé (masques…), les biens dont la consommation a un impact positif sur l’environnement (panneaux solaires, vélos…) et « divers produits et services jugés appropriés et utiles par les Etats membres, guidés par l’intérêt général des objectifs de politique publique ». Selon le directeur de la législation fiscale entendu par la commission des finances du Sénat, « l’extension du champ des opérations éligibles à un taux réduit est relativement limitée » pour la France compte-tenu des taux qui existent déjà.
Ces taux réduits ne pourront en revanche plus être appliqués aux biens et services incompatibles avec le « pacte vert pour l’Europe » au-delà de 2030. Pour la France, cela concerne notamment les abonnements au gaz naturel et le bois de chauffage.
Les pays européens pourront également appliquer un taux « super-réduit » (inférieur à 5 %) et une exonération (un taux nul) à 7 catégories de biens et services au maximum parmi celles inscrites sur une autre liste et considérées comme permettant de couvrir des « besoins fondamentaux » telles que les denrées alimentaires, les produits pharmaceutiques, les transports de passagers, les livres et journaux.
Certains Etats membres peuvent aujourd’hui appliquer des taux super-réduits, voire nuls, à des biens et services qui ne figurent pas sur la liste actuelle, pour des raisons historiques (conditions d’entrée dans l’Union européenne par exemple). Ces dérogations historiques seront maintenues et ouvertes aux autres Etats membres à condition qu’elles soient compatibles avec le pacte vert pour l’Europe.
Pour le directeur de la législation fiscale, cette extension possible du champ des taux super-réduits ou nuls constitue « vraisemblablement l’aspect le plus important du compromis ». Le coût du taux réduit actuel de 5,5 % sur les produits alimentaires s’élève à 22 Md€ (coût de l’écart entre 20 et 5,5 %) et leur appliquer un taux nul coûterait 7 Md€.
S'agissant de la fonction de régulation macroéconomique, il n’y a pas de marges budgétaires dans les années à venir pour réduire les prélèvements obligatoires, qu'il s'agisse de la TVA ou de n'importe quel autre impôt. La France peut se financer aujourd'hui grâce aux interventions de la Banque centrale européenne, mais nous ne pouvons pas considérer qu’elles sont illimitées, à la fois dans le temps et en volume. Par conséquent, il nous faudra à terme reprendre le contrôle de la dette publique. Cela ne remet pas en cause le « quoi qu'il en coûte » pour sortir de la crise de ces deux dernières années, mais il faudra à terme stabiliser la dette publique.
Dans une note sur les finances publiques françaises écrite avec V. Bourquard et qui a été publiée en janvier 2022 par l'Institut Montaigne, il apparaît, avec des hypothèses raisonnables de croissance de l'activité et à législation fiscale inchangée, qu’il faut faire un effort d'économie sur les dépenses supérieur à ce qui a été fait dans le passé pour parvenir à simplement stabiliser la dette publique à environ 115 % du PIB à l’horizon de 2027. C'est peu réaliste après deux ans de « quoi qu’il en coûte » donnant l’impression qu’il n’y a pas de limite à l’endettement, mais ce le sera encore davantage si nous baissons les impôts, qu'il s'agisse de la TVA ou d'un autre prélèvement obligatoire. Cette situation n'interdit pas de redéployer des prélèvements obligatoires, dont les taux de TVA, à niveau de recettes constant.
La deuxième fonction des finances publiques consiste à redistribuer les revenus et la TVA est pour cela un mauvais instrument. Depuis longtemps, des taux réduits sont appliqués sur les produits de première nécessité pour redistribuer le pouvoir d'achat au profit des ménages les moins aisés. Il est toutefois impossible de cibler des taux de TVA sur des produits qui sont seulement consommés par des ménages modestes. Les ménages riches consomment en effet également des produits de première nécessité.
Les efforts de ciblage en faveur des ménages modestes devraient s'appuyer sur des mécanismes particulièrement complexes ; la TVA sur le chocolat en est une illustration[1]. Il n’est pas envisageable de généraliser ce genre de dispositif, sauf à fortement complexifier la législation fiscale sans jamais obtenir le résultat attendu en termes de redistribution.
L'autre raison pour laquelle les taux réduits de TVA constituent un mauvais instrument de redistribution est que, si la TVA est réduite sur des produits quels qu'ils soient, il n’est jamais sûr que cela bénéficiera au consommateur. Une partie de cette baisse se traduira par une hausse des prix hors-taxes et sera donc prélevée par les entreprises sous forme de hausse des marges.
Comme le montrait le Conseil des prélèvements obligatoires dans son dernier rapport sur la TVA, l'impact des taux réduits de TVA sur la redistribution des revenus est en conséquence quasiment nul.
Le bon instrument de redistribution des revenus est la combinaison de prestations sociales sous conditions de ressources et de l'impôt progressif sur le revenu. Avec cet outil, il est possible d’obtenir toute redistribution souhaitée et il est donc inutile d’utiliser les taux réduits de TVA.
La troisième fonction des finances publiques est l’allocation des ressources, ce qui peut justifier la création de services publics ou la correction des externalités par la taxation ou la subvention. Les économistes parlent d'externalités lorsque le comportement d'un agent a des effets positifs ou négatifs sur les autres agents dont il ne tient pas compte. Il est justifié économiquement de corriger ce comportement en subventionnant ou en taxant l'achat d'un bien ou d'un service. Il s’agit d’abord de savoir s'il faut passer par la législation fiscale ou par les aides budgétaires.
Les accises sont déjà utilisées pour corriger les externalités négatives d’un certain nombre de produits. Il existe ainsi des accises sur les produits énergétiques, le tabac, l'alcool, etc. Leur avantage sur des taux de TVA est qu'elles sont prélevées sur le volume de consommation, qu’il s’agit de réduire.
Mais le projet de directive TVA conduit à envisager une baisse des taux d’imposition. L'idée avancée est de subventionner ou de réduire les taux de TVA sur des produits qui ont des externalités positives (ex. : panneaux solaires, vélos). La question est donc de savoir s'il faut mieux jouer sur les taux réduits de TVA ou sur les aides budgétaires.
L'avantage des aides budgétaires est qu'elles peuvent être fixées en euros par unité de produit consommé, tandis que la TVA est fixée sur des prix hors-taxes, donc sur la valeur des produits plutôt que sur le volume consommé. Si on applique un taux réduit de TVA sur les vélos, on va accorder une aide au prix hors-taxe de ces vélos qui sera d'autant plus importante que les vélos sont chers. Or il est préférable de donner cinquante euros par vélo, que le vélo soit un vélo de luxe ou un vélo de base, plutôt que de créer un taux réduit de TVA sur les vélos qui donnerait droit à une aide supérieure lors de l'achat d'un vélo de luxe.
Par ailleurs, les subventions sont plus simples à gérer que les taux de TVA. La direction générale des finances publiques (DGFiP) n’est pas la mieux placée pour dire que tel ou tel type de vélo a des avantages particuliers et doit être particulièrement aidé. Le ministère de la transition écologique peut mieux le faire avec sa propre expertise. De plus la législation fiscale ne peut s’appliquer qu’à des catégories larges de produits. Sinon, elle est beaucoup trop complexe (cf. ci-dessus l’exemple du chocolat).
Une dernière question concerne les effets d'aubaine. Des consommateurs achèteront des panneaux solaires, avec une aide ou un taux réduit de TVA, alors qu'ils les auraient de toute façon acheté, même sans aide. Il s’agit de savoir si malgré ces effets d'aubaine pour certaines personnes, d'autres consommateurs décideront d'acheter un panneau solaire grâce à la subvention ou au taux réduit de TVA alors qu'ils ne l'auraient pas acheté autrement. C'est la condition d’une réelle efficacité de l'aide, que ce soit via une incitation budgétaire ou via un taux réduit de TVA.
La question fondamentale est ensuite de savoir si ce supplément de consommation est suffisant, du fait des externalités associées (réduction des émissions de gaz carbonique…), pour justifier le coût budgétaire de la mesure. C'est tout le sujet de l'évaluation des mesures budgétaires, des mesures fiscales, et plus généralement des mesures de politique économique. La réponse à cette question ne peut être que donnée au cas par cas, produit par produit.
Ces évaluations sont malheureusement trop rares et, quand elles existent, elles ne sont pas toujours suivies d’effet. S’agissant de la TVA, on peut surtout citer des évaluations sur deux mesures de taux réduits importantes et relativement récentes : sur les travaux d'entretien du logement et sur la restauration.
La France s'était battue à Bruxelles pour appliquer ces taux réduits. Dans l'ensemble, ces mesures n’apparaissent pas très efficaces car la baisse du taux de la TVA s'est surtout traduite par une hausse des prix hors taxe. Cet effet n'est pas entièrement négatif en soi puisque l'accroissement des marges qui en résulte pour les acteurs du bâtiment et de la restauration favorise l'investissement. Les effets sur l'emploi ont néanmoins été très limités eu égard au coût budgétaire de ces mesures, par comparaison aux allègements de cotisations sociales sur les bas salaires qui sont donc bien plus efficaces. Ces évaluations ont notamment été reprises par le conseil des prélèvements obligatoires dans son dernier rapport.
Les médias suivants ont parlé de cet article :
[1] « Les chocolats et tous les produits composés contenant du chocolat ou du cacao sont soumis au taux normal. Toutefois le chocolat, le chocolat de ménage au lait, les bonbons de chocolat, les fèves de cacao et le beurre de cacao sont admis au taux réduit de 5,5 % » (article 278-0 bis A) 1) b) du code général des impôts.
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