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16/01/2024

Les nouvelles règles budgétaires européennes

François ECALLE

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Le Conseil de l’Union européenne a approuvé en décembre 2023 une réforme des règles budgétaires européennes qui doit faire l’objet d’une consultation du Parlement européen sur leur « volet correctif » et d’une négociation avec celui-ci sur leur « volet préventif ».

Après avoir rappelé les dispositions du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatives à la coordination des politiques économiques et aux « déficits publics excessifs », qui ne seront pas révisées, la présente note présente le volet préventif puis le volet correctif des nouvelles règles. Celles-ci sont plus compliquées que les précédentes, le « pacte de stabilité et de croissance », alors qu’un objectif de cette réforme était de les simplifier. La présentation qui en est faite ici fait l’impasse sur quelques subtilités réglementaires.

Les règles en vigueur aujourd’hui sont décrites dans une fiche du site de FIPECO. Leur volet préventif sera nettement modifié pour être mieux adapté à la situation de chaque pays. Ceux dont la dette est inférieure à 60 % du PIB et le déficit inférieur à 3,0 % du PIB relèveront seulement de ce volet préventif. Les pays dont la dette est supérieure à 60 % du PIB mais dont le déficit est inférieur à 3,0 % du PIB relèveront de ce volet préventif à condition de le respecter. Les pays dont le déficit est supérieur à 3,0 % du PIB relèveront du volet correctif, qui est précisément encadré par le traité et qui ne sera que marginalement amendé.

A) Les dispositions du traité de Maastricht

Les dispositions du traité de Maastricht sur la coordination des politiques économiques et sur les déficits publics excessifs ont été reprises dans le « traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » (TFUE). Les articles 121, 126 et 136 présentés ici sont ceux du TFUE.

1) La coordination des politiques économiques (article 121)

Selon l’article 121 du TFUE, le Conseil fixe, sur recommandation de la Commission, les « grandes orientations de la politique économique » (GOPE) des États membres et de l’Union européenne, surveille les politiques économiques menées par les États et leur conformité avec ces orientations, peut adresser des recommandations à un État membre qui ne les respecte pas. Cet article 121 fonde juridiquement le volet préventif des règles budgétaires européennes, la procédure de surveillance des « déséquilibres macroéconomiques » et la coordination des réformes économiques structurelles.

2) Les déficits excessifs (article 126)

L’article 126 du TFUE commence par : « les Etats membres évitent les déficits publics excessifs ».

Il précise ensuite que la Commission surveille l’évolution de la situation budgétaire et du montant de la dette publique « en vue de déceler les erreurs manifestes ». Elle examine notamment « si la discipline budgétaire est respectée », et ce sur la base des deux critères suivants :

  • Si le rapport entre le déficit public effectif ou prévu et le PIB est inférieur à une « valeur de référence », à moins qu’il n’ait diminué de manière substantielle et constante et atteint un niveau proche de cette référence ou que le dépassement soit limité, exceptionnel et temporaire ;
  • le rapport entre la dette publique et le PIB est inférieure à une valeur de référence, à moins qu’il ne diminue suffisamment et ne s’en rapproche à un rythme satisfaisant[1].

Un protocole annexé au traité fixe les valeurs de référence à 3 % du PIB pour le déficit public et à 60 % pour la dette publique et précise qu’il s’agit du déficit et de la dette des administrations publiques au sens du système européen de comptes nationaux, avec quelques corrections pour ce qui concerne la dette.

L’article 126 établit ensuite une « procédure relative aux déficits excessifs » en application de laquelle ceux-ci sont constatés et corrigés.

Si un Etat membre ne semble pas respecter la discipline budgétaire, la Commission élabore un rapport où elle « examine également si le déficit public excède les dépenses publiques d’investissement et tient compte de tous les autres facteurs pertinents », y compris la « position économique et budgétaire à moyen terme » qui correspond au solde structurel. Si elle estime qu’il y a un déficit excessif ou qu’il risque de se produire, elle adresse un avis à l’Etat concerné et en informe le Conseil.

Le Conseil, sur proposition de la Commission et en tenant compte des observations de l’État concerné, décide alors, « après une évaluation globale » s’il y a déficit excessif. Le cas échéant, sur proposition de la Commission, le Conseil adresse des recommandations à l’État concerné pour qu’il mette fin à la situation de déficit excessif dans un délai donné.

Si un Etat membre « persiste à ne pas donner suite aux recommandations du Conseil », celui-ci peut, sur proposition de la Commission, le « mettre en demeure » de prendre les mesures nécessaires à la réduction de son déficit dans un délai déterminé. Il peut lui demander de rendre périodiquement des rapports afin de pouvoir suivre la mise en œuvre des ajustements demandés.

Si l’Etat membre ne se conforme pas à cette mise en demeure, le Conseil peut, sur proposition de la Commission, décider notamment qu’il fasse auprès de l’Union « un dépôt d’un montant approprié et ne portant pas intérêts » ou lui « imposer des amendes d’un montant approprié ».

S’il considère que le déficit excessif a été corrigé, le Conseil abroge toutes ou certaines de ses décisions et recommandations antérieures et déclare qu’il n’y a plus de déficit excessif dans cet Etat membre. Bien que ce ne soit pas explicite dans le traité, il a toujours été admis que, sur proposition de la Commission, le Conseil peut abroger toute décision ou recommandation en les remplaçant par d’autres décisions ou recommandations avec notamment un délai rallongé pour mettre fin à la situation de déficit excessif.

Les décisions et recommandations du Conseil sont prises sans tenir compte du vote de l’État membre concerné.

3) Les dispositions spécifiques à la zone euro (article 136)

L’article 136 du traité permet aux États membres de la zone euro de renforcer les procédures qui leur sont applicables sur la base des articles 121 et 126.

B) Le nouveau volet préventif

Le volet préventif des nouvelles règles reposera sur des « plans budgétaires et structurels nationaux à moyen terme ». Ces « plans budgétaires » remplaceront les programmes de stabilité et les programmes de réformes des États membres.

L’élaboration de ces plans budgétaires dans les pays où soit le déficit public dépasse 3,0 % du PIB, soit la dette dépasse 60 % du PIB, s’appuiera sur une « trajectoire technique » établie et transmise préalablement au gouvernement de ce pays par la Commission européenne. Les pays où ni la dette ni le déficit ne dépassent les valeurs de référence pourront demander une trajectoire technique à la Commission pour information.

1) La trajectoire technique de la Commission européenne

Cette trajectoire technique portera sur l’évolution des dépenses publiques, qui devra permettre à un horizon de quatre ou cinq ans (la « période d’ajustement ») de placer la dette publique durablement au-dessous de 60 % du PIB, ou sur une pente décroissante, et de ramener durablement le déficit public au-dessous de 3,0 % du PIB. Pour les pays qui sont déjà dans cette situation, elle permettra de les y maintenir.

Pour apprécier la durabilité de la consolidation des finances publiques au bout de cette période d’ajustement, la Commission s’appuiera sur une analyse technique de la soutenabilité de la dette, c’est-à-dire une analyse de son évolution dans différents scénarios macroéconomiques et à politique inchangée au cours des années ultérieures. La méthodologie devra être approuvée par le Conseil et publiée.

Quelle que soient les résultats de cette analyse technique, le déficit structurel devra être inférieur à 1,5 % du PIB à la fin de cette période d’ajustement.

Sous cette réserve, les objectifs de déficit et de dette à atteindre à l’horizon des quatre ou cinq ans de cette période d’ajustement seront spécifiques à chaque pays. Un pays dont les perspectives démographiques à long terme sont défavorables devra ainsi viser un endettement plus faible à cet horizon pour être sûr qu’il reste au-dessous de 60 % du PIB ou sur une pente décroissante.

Les dépenses publiques prises en compte pour fixer cette trajectoire seront les dépenses primaires (hors intérêts de la dette) et excluront les dépenses conjoncturelles d’indemnisation du chômage, les dépenses financées par des fonds européens ainsi que les dépenses exceptionnelles et temporaires.

Cette trajectoire d’évolution des dépenses publiques supposera qu’aucune mesure nouvelle ne viendra augmenter ou diminuer les prélèvements obligatoires. Si de nouvelles mesures de hausse ou de baisse de ces prélèvements sont décidées par l’Etat membre concerné, la trajectoire d’évolution des dépenses devra être modifiée en conséquence pour atteindre le même déficit public. Cette trajectoire d’évolution des dépenses publiques primaires sera en pratique très proche d’une chronique d’efforts structurels primaires.

Dans la proposition initiale de la Commission européenne, il suffisait que cette chronique d’efforts structurels primaires permette d’atteindre une situation « soutenable » à la fin de la période d’ajustement. Certains pays ont fait ajouter deux « garde-fous » : au cours de cette période d’ajustement, le rapport de la dette publique au PIB devra diminuer chaque année d’au moins 1 point s’il dépasse 90 % du PIB et 0,5 point s’il est compris entre 60 et 90 % du PIB ; le déficit primaire structurel devra diminuer d’au moins 0,4 point de PIB chaque année.

Pour élaborer cette trajectoire technique, la Commission consultera le comité budgétaire indépendant européen, qui est chargé de donner un avis sur la politique budgétaire menée au niveau de la zone euro et sur la pertinence des orientations données aux États membres.

2) Les plans budgétaires

Les Etats membres devront transmettre leur plan budgétaire à la Commission européenne avant le 30 avril de la dernière année couverte par le plan précédent. Ce plan devra notamment : présenter l’évolution des dépenses publiques sur une période de quatre ou cinq ans en précisant les hypothèses macroéconomiques et les mesures budgétaires et fiscales retenues ; expliquer pourquoi la croissance des dépenses publiques est supérieure à celle de la trajectoire technique transmise par la Commission, le cas échéant ; présenter les investissements et les réformes prévues en expliquant en quoi ils répondent aux recommandations de l’Union européenne dans des domaines tels que la lutte contre le changement climatique.

La Commission a publié un projet de directive qui précise les informations à inclure dans ces plans budgétaires en clarifiant et complétant une directive de 2011 sur les programmes budgétaires nationaux à moyen terme.

Les Etats membres pourront demander un allongement de trois ans de la période d’ajustement en le justifiant par des investissements ou des réformes permettant d’augmenter le PIB potentiel, d’améliorer la soutenabilité des finances publiques et de répondre aux recommandations de l’Union européenne. Ces réformes et investissements devront être précisément documentés.

Cette extension de la période d’ajustement permettra d’étaler les efforts requis pour placer la dette publique durablement au-dessous de 60 % du PIB, ou sur une pente décroissante, et pour ramener durablement le déficit public au-dessous de 3,0 % du PIB. Les deux garde-fous mentionnés ci-dessus devront néanmoins être respectés.

La Commission européenne devra évaluer ces plans budgétaires et notamment vérifier que : soit l’évolution des dépenses publiques est cohérente avec la trajectoire technique transmise à l’Etat membre (pays dont le déficit est supérieur à 3,0 % du PIB ou la dette supérieure à 60 % du PIB) ; soit cette évolution des dépenses permet de maintenir durablement la dette publique au-dessous de 60 % du PIB et le déficit public au-dessous de 3,0 % du PIB (autres pays).

La Commission devra faire rapport au Conseil dans un délai de six semaines. Celui-ci pourra soit adopter le plan budgétaire de l’Etat concerné, avec ses engagements relatifs aux réformes et investissements justifiant une période d’ajustement prolongée, le cas échéant, soit demander à cet Etat de lui transmettre un plan révisé. Si cet Etat ne lui transmet pas de plan révisé ou si celui-ci prévoit des écarts injustifiés par rapport à la trajectoire technique de la Commission, le Conseil lui recommandera de suivre cette trajectoire.

Chaque Etat membre devra transmettre à la Commission un « rapport d’étape » avant le 30 avril de chaque année où il présentera l’évolution de ses dépenses publiques et les réformes et investissements engagés. Il pourra demander un avis sur ce rapport d’étape à son comité budgétaire indépendant national (le Haut Conseil des finances publiques en France).

Si les dépenses publiques sont supérieures ou inférieures au montant prévu dans le plan budgétaire, cet écart sera enregistré dans un « compte de contrôle ». Le cumul des écarts annuels enregistrés sur ce compte pourra entraîner le déclenchement du volet correctif des règles s’il dépasse certains seuils (cf. plus loin).

Le projet de règlement relatif au volet préventif prévoit une « clause générale de sauvegarde » en cas de « sévère » récession dans la zone euro ou dans l’Union européenne et une « clause nationale de sauvegarde » en cas de choc exceptionnel et hors de contrôle sur les finances publiques d’un Etat membre. Ces clauses de sauvegarde autorisent une déviation par rapport à la trajectoire des dépenses publiques fixée dans les plans budgétaires.

Ce projet de règlement prévoit enfin la possibilité pour un pays de présenter un nouveau plan budgétaire après des élections nationales.

Ce projet de règlement sur le volet préventif des règles budgétaires est certainement conforme à l’article 121 (très général) du TFUE. Son exposé des motifs mentionne qu’il est également conforme au traité de 2012 sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union européenne, ce qui est moins évident. En effet, celui-ci impose notamment aux Etats membres de viser un « objectif à moyen terme » de déficit structurel inférieur à 0,5 % du PIB, certes sans préciser à quel horizon.

C) Le nouveau volet correctif

1) Le déclenchement de la procédure pour déficit excessif

Comme actuellement, la procédure pourra être ouverte si le rapport entre le déficit public effectif ou prévu et le PIB est supérieur à 3,0 % du PIB à moins qu’il n’ait diminué de manière substantielle et constante et atteint un niveau proche de cette référence ou que le dépassement soit limité, exceptionnel et temporaire.

En revanche, la procédure ne pourra être ouverte pour un endettement supérieur à 60 % du PIB que, d’une part, si le déficit est supérieur à 0,5 % du PIB et, d’autre part, si la trajectoire d’évolution des dépenses publiques inscrite dans le plan budgétaire de l’Etat membre dans le cadre du volet préventif n’est pas respectée. Ce sera le cas si l’écart sur un an par rapport à cette trajectoire dépasse 0,3 % du PIB ou si le cumul des écarts annuels dépasse 0,6 % du PIB (cf. ci-dessus).

Comme prévu par l’article 126 du TFUE, si la Commission considère que, pour ces raisons, un Etat membre ne semble pas respecter la discipline budgétaire, elle élabore un rapport où elle tient compte de tous les « facteurs pertinents ». Le projet de règlement sur le volet correctif élargit un peu la liste des facteurs pertinents envisageables (soutenabilité de la dette à long terme, réformes engagées pour répondre aux recommandations de l’Union européenne…) en y incluant, par exemple, l’augmentation des dépenses militaires. Ces « facteurs pertinents » ne seront toutefois pris en compte que si l’écart entre le déficit public et la valeur de référence de 3,0 % du PIB est limité et temporaire.

Sur la base de l’avis de la Commission et des observations de l’Etat concerné, le Conseil pourra alors déclarer, après une « évaluation globale », qu’un pays est en situation de déficit excessif.

2) Les conséquences d’un déficit excessif

Le Conseil recommandera à ce pays de mettre fin à cette situation à une certaine date en suivant une trajectoire d’évolution des dépenses qu’il lui fixera. Il pourra lui enjoindre de prendre des mesures de redressement de ses comptes publics dans un délai de six mois.

Si la procédure est ouverte en raison d’un déficit supérieur à 3,0 % du PIB, la trajectoire d’évolution des dépenses inscrite dans le plan budgétaire devra respecter la trajectoire technique transmise par la Commission européenne qui elle-même permettra d’atteindre les objectifs du volet préventif avec ses garde-fous (cf. plus haut). Il s’y ajoutera une contrainte supplémentaire : cette trajectoire devra permettre de réduire le déficit structurel de 0,5 point de PIB par an tant que le déficit public sera supérieur à 3,0 % du PIB.

Cette obligation de réduire le déficit structurel de 0,5 point de PIB par an est la même que dans les règles actuelles et il n’y a donc pas de changement, si ce n’est que, pendant une période transitoire couvrant les années 2025 à 2027, le calcul du déficit structurel exclura les charges d’intérêt supplémentaires enregistrées au cours de ces années (certains négociateurs de ces nouvelles règles, peut-être  français, semblent avoir eu à cœur de préserver les intérêts de leur gouvernement au prix d’une complication supplémentaire).

Si la procédure est ouverte en raison d’une dette supérieure à 60 % du PIB, l’évolution des dépenses publiques devra respecter la trajectoire du plan budgétaire prévu dans le cadre du volet préventif, elle-même cohérente avec la trajectoire technique établie par la Commission.

L’Etat membre en situation de déficit excessif devra périodiquement rendre compte des mesures prises pour en sortir et des résultats obtenus. Si ces mesures lui semblent satisfaisantes, le Conseil pourra prolonger, en principe d’un an, le délai requis pour mettre fin au déficit excessif.

Les clauses de sauvegarde, générale et nationale, prévues dans le cadre du volet préventif s’appliqueront de la même façon dans le cadre du volet correctif.

La procédure s’appliquera ensuite conformément aux dispositions de l’article 126. Le projet de règlement précise que l’amende « appropriée » prévue en cas de non-respect d’une mise en demeure sera égale à 0,05 % du PIB et qu’une nouvelle amende de ce montant pourra être imposée tous les six mois jusqu’à ce que le Conseil déclare qu’il n’y a plus de déficit excessif dans ce pays.

 

[1] Un pays pouvait ainsi ne pas respecter la discipline budgétaire du fait uniquement de son endettement et pas forcément de son déficit.

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