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15/11/2016

Les performances financières de l'Etat actionnaire depuis 2006

François ECALLE

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L’Etat détient des participations financières, gérées par « l’agence des participations de l’Etat » (APE), dans 81 entreprises, qui font l’objet du « rapport annuel relatif à l’Etat actionnaire ». Les « comptes combinés » des 62 plus importantes (en 2015) sont présentés dans le rapport financier de l’APE.

Les performances financières de l’Etat actionnaire depuis 2006 sont analysées dans ce billet sur la base de ratios financiers tirés de ces comptes combinés et présentés dans les rapports annuels relatif à l’Etat actionnaire ou dans les « projets annuels de performance » du « compte d’affectation spéciale des participations financières de l’Etat ». Elles sont comparées, en utilisant les mêmes ratios financiers, à celles des entreprises privées présentées dans les « profils financiers du CAC 40 » du cabinet Ricol Lasteyrie.

Au cours des années 2006 à 2010, la rentabilité financière des participations de l’Etat (17,7 % en moyenne) a été beaucoup plus élevée que celle des sociétés du CAC 40 (10,9 %). En pourcentage du résultat net part du groupe, les dividendes de l’Etat actionnaire ont été beaucoup plus faibles (39,9 %) que ceux des actionnaires des sociétés du CAC 40 (57,5 %). Rapportée aux capitaux propres, la dette financière nette des participations de l’Etat a bien plus diminué (de 1,5 à 1,0) que celle des sociétés du CAC 40 (de 0,5 à 0,35). L’Etat actionnaire a mieux géré la crise de 2008-2009 que les actionnaires du CAC 40.

Ensuite, au cours des années 2011 à 2015, la rentabilité financière des participations de l’Etat s’est fortement dégradée (1,9 % en moyenne) ; elle est passée nettement au-dessous de celle des sociétés du CAC 40 (7,1 %) et est devenue très négative (- 11 %) en 2015. En pourcentage du résultat net part du groupe, les dividendes de l’Etat (79,5 %) ont été beaucoup plus importants que ceux des actionnaires du CAC 40 (60,8 %). L’Etat a ainsi contribué à fragiliser les entreprises dans lesquelles il détient une participation. Rapportée aux capitaux propres, la dette financière nette des participations de l’Etat est de nouveau sur une tendance croissante (de 1,0 à 1,5) alors que celle des sociétés du CAC 40 est restée orientée à la baisse (de 0,35 à 0,25).

Ces participations de l’Etat ne sont pas classées dans les administrations publiques de la comptabilité nationale ; leur déficit et leur dette ne sont pas compris dans le déficit et la dette publics. La dégradation de leur situation financière présente néanmoins un risque important d’aggravation du déficit et de la dette publics à travers deux canaux : l’Etat devra revoir à la baisse les dividendes prélevés sur ces entreprises, ce qui augmentera le déficit public ; il devra doter en fonds propres certaines d’entre elles pour des montants très importants, ce qui augmentera la dette publique, voire le déficit public. Les besoins de recapitalisation de SNCF, EDF et AREVA par l’Etat atteignent 15 Md€.

A)   Les caractéristiques des comptes combinés et des indicateurs retenus

1)     Les comptes combinés

Les comptes combinés d’un ensemble d’entreprises se distinguent des « comptes consolidés » d’un groupe d’entreprises essentiellement par l’absence de prise en compte de la « société-mère », qui serait en l’espèce l’Etat. Le projet d’établir des comptes consolidés de l’Etat existe depuis longtemps mais n’a jamais connu un début de mise en œuvre. Pour le reste, les techniques de combinaison et de consolidation sont semblables.

Les sociétés (comme EDF) ou les établissements publics (comme la SNCF) dans lesquels l’Etat détient une participation ou qu’il possède sont généralement eux-mêmes à la tête d’un groupe dont ils consolident les comptes. Les comptes consolidés de ces entités sont « globalement intégrés » dans les comptes combinés lorsqu’elles sont contrôlées par l’Etat, ce qui signifie que les créances et dettes réciproques et les flux de produits et charges entre les entités du périmètre de combinaison sont neutralisées[1].

Ils sont « mis en équivalence » dans les comptes combinés lorsque l’Etat dispose seulement d’une influence notable, qui est présumée lorsqu’il dispose d’au moins 20 % des droits de vote ou siège dans un comité ayant un pouvoir significatif. La mise en équivalence consiste à seulement prendre en compte les fonds propres et les résultats de ces entités dans les comptes combinés au prorata de la quote-part de l’Etat dans leur capital.

Les comptes combinés ne retiennent que des sociétés ou des établissements publics sur lesquels l’Etat exerce une influence et dont l’activité principale est marchande. Ceux qui ont une activité principalement non marchande sont les « opérateurs » de l’Etat au nom duquel ils assurent généralement une mission de service public.

En raison de l’indépendance que leurs statuts leur confèrent, ni la Banque de France ni la Caisse des dépôts et consignations ne sont comprises dans le périmètre des comptes combinés. En revanche, le groupe BPI France, détenu par l’Etat à parité avec la Caisse des dépôts et consignations, y est inclus.

Les principales entreprises retenues dans les comptes combinés de 2015

 

Entreprise

Part Etat du capital (%)

Chiffre d’affaires (Md€)

Résultat net pris en compte (Md€)

ENGIE

32,8

69,9

- 4,6

EDF

85,3

75,0

1,2

Renault

19,7

45,3

2,8

Orange

13,5

40,2

2,7

SNCF

100 (EPIC)

31,4

- 12,2

Air France KLM

17,6

26,1

 

La Poste

73,7

23,0

0,6

BPI groupe

100 (EPIC)

Non significatif

0,3

Source : APE ; FIPECO.

En pratique, le périmètre des comptes combinés correspond à l’ensemble des entités « significatives » relevant du domaine de compétence, le « portefeuille », de l’agence des participations de l’Etat (APE) tel que défini dans le décret qui l’a créée. Les entreprises dont les comptes de 2015 ont été combinés sont au nombre de 62. Leur chiffre d’affaires combiné s’élève à 148 Md€ et le total de leur bilan à 809 Md€.

2)    Les indicateurs financiers retenus

Les rapports annuels relatifs à l’Etat actionnaire et les programmes annuels de performance du compte d’affectation spéciale des participations financières de l’Etat, qui enregistre les opérations en capital (acquisitions et cessions de titres…) entre celui-ci et les entités dans lesquelles il détient une participation, présentent plusieurs indicateurs financiers qui permettent d’apprécier les performances financières de l’Etat actionnaire. Toutefois, ces indicateurs n’ont pas toujours été les mêmes et leur méthode de calcul a parfois changé au cours des dix dernières années. Ces rapports donnent la valeur de ces indicateurs pour l’année passée et leur valeur « pro forma » pour l’année précédente, et rarement une série à méthodologie constante sur plus de deux années.

Les indicateurs retenus ici sont des ratios, moins sensibles aux variations du périmètre des entreprises dont les comptes sont combinés, qui ont pour caractéristiques de figurer dans les rapports des dix dernières années, ou de pouvoir être reconstitués avec les données qui y figurent, et de ne pas avoir été affectés par des changements méthodologiques trop importants au vu des écart entre leurs valeurs courantes et pro forma.

Trois ratios ont été retenus : la rentabilité financière, définie comme le rapport du résultat net part du « groupe Etat » au montant des capitaux propres (hors intérêts minoritaires) ; le taux de distribution, défini comme le rapport entre les dividendes versés à l’Etat (y compris en titres) et le résultat net part du groupe de l’année précédente ; le taux d’endettement, défini comme le rapport entre la dette financière nette et le montant des capitaux propres.

Ces ratios ont été comparés à des indicateurs semblables retenus par le cabinet Ricol Lasteyrie dans ses « profils financiers » annuels des sociétés du CAC 40.

B)   La dégradation de la situation financière des entreprises dans lesquelles l’Etat détient une participation

Au cours des années 2006 à 2010, la rentabilité financière des participations de l’Etat s’est élevée à 17,7 %, nettement au-dessus de celle des sociétés du CAC 40 (10,9 %). Sur la période 2011-2015, elle est tombée à 1,9 %, avec même un taux négatif de – 11 % en 2015, soit nettement au-dessous de celle des sociétés du CAC 40 (7,1 %).

Sources : Rapports annuels relatifs à l’Etat actionnaire ; « profils financiers du CAC 40 » du cabinet Ricol et Lasteyrie ; FIPECO.

Pendant les années 2007 à 2010, l’Etat a prélevé 39,9 % du résultat net part du groupe de l’année précédente, contre 57,5 % pour les actionnaires des sociétés du CAC 40. Au cours des années 2011 à 2015, l’Etat a prélevé 79,5 % du résultat de ses participations contre 60,8 % pour les actionnaires des sociétés du CAC 40[2].

Sources : Rapports annuels relatifs à l’Etat actionnaire ; « profils financiers du CAC 40 » du cabinet Ricol et Lasteyrie ; FIPECO. Le taux de distribution des participations de l’Etat en 2016 sur ce graphique est conventionnel car l’Etat a reçu des dividendes en 2016 sur un résultat net 2015 négatif.

Les participations de l’Etat sont beaucoup plus endettées que les sociétés du CAC 40 (hors banques et assurances) en pourcentage de leurs capitaux propres. De 2006 à 2010, leur taux d’endettement a toutefois plus diminué, passant de 150 à 100 % contre 50 à 35 %. Il est ensuite remonté jusqu’à 150 % en 2015 tandis que celui des sociétés du CAC 40 restait sur une tendance baissière (de 35 à 25 %).

Sources : Rapports annuels relatifs à l’Etat actionnaire ; « profils financiers du CAC 40 » du cabinet Ricol et Lasteyrie ; FIPECO.

C)    Les risques pour les finances publiques

Les entreprises du portefeuille de l’APE sont pour la plupart classées en dehors du périmètre des administrations publiques. Leurs résultats et leur dette ne sont donc pas compris dans le déficit et la dette publics. La dégradation de leur situation financière risque néanmoins d’avoir un impact sur les comptes publics par deux canaux : les dividendes prélevés par l’Etat ne pourront pas être maintenus au même niveau que dans les années 2010 à 2016 (3,5 à 4,5 Md€ par an) ; l’Etat devra doter en capitaux propres certaines de ces entreprises.

Ces dotations en capital contribuent à augmenter la dette publique. Elles sont en principe considérées par les comptables nationaux comme des opérations financières, donc sans impact sur le déficit public, mais à la condition que l’Etat se comporte comme un actionnaire privé qui attend une rémunération normale de son investissement financier.

AREVA a annoncé une augmentation de capital de 5 Md€ à laquelle l’Etat a confirmé qu’il souscrira en tant qu’actionnaire de contrôle aux côtés d’investisseurs tiers et qu’il en assurera le plein succès. Si les investisseurs tiers ne sont pas privés, les apports en capital de l’Etat risquent d’être enregistrés comme des subventions et de majorer le déficit public. Le financement d’AREVA est assuré par des banques seulement jusqu’à la fin de 2016. L’augmentation de capital devra donc intervenir rapidement dans le courant de 2017

L’Etat s’est engagé à souscrire à hauteur de 3 Md€ à une augmentation de capital de 4 Md€ d’EDF avant l’arrêté des comptes de 2016 par son conseil d’administration.

Les capitaux propres du groupe SNCF sont négatifs pour - 7,4 Md€. Cette situation résulte notamment d’une dépréciation de ses actifs en 2015 traduisant leur manque structurel de rentabilité et signifie que la SNCF est insolvable : ses dettes sont supérieures de 7,4 Md€ à la valeur de ses actifs. Une entreprise privée dans cette situation devrait restaurer ses fonds propres. La SNCF n’y est pas obligée parce que c’est un établissement public, ce qui lui permet de bénéficier d’une garantie implicite de l’Etat qui convainc ses créanciers de continuer à lui prêter. Toutefois, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré dans un arrêt de 2014 relatif à La Poste que cette garantie implicite liée au statut d’EPIC constitue une aide d’Etat non conforme au droit européen de la concurrence[3]. Quelle que soit sa situation au regard du droit européen de la concurrence, la SNCF ne peut pas rembourser ses dettes et l’Etat devra tôt ou tard en reprendre une partie ou restaurer ses fonds propres.

La privatisation des aéroports de Lyon et Nice rapportera près de 2 Md€ à l’Etat en 2016 et celui-ci peut encore céder des actions dans certaines sociétés (la valeur boursière de ses participations cotées était de 58 Md€ au 30 juin 2016). Il sera toutefois difficile de réaliser 15 Md€ de cessions, d’autant que la loi interdit parfois à l’Etat de faire passer sa participation au-dessous d’un certain seuil (50 % pour Aéroports de Paris par exemple).

En outre, la situation financière de certaines entreprises est aujourd’hui satisfaisante mais pourrait se dégrader fortement dans les prochaines années, comme par exemple : Air France, qui doit affronter la concurrence des compagnies à bas coût et des compagnies du Moyen-Orient dans un contexte social difficile ; La Poste, dont l’activité est structurellement en baisse et ne pourra bientôt plus financer le réseau, dont le coût diminue beaucoup moins vite.

 

[1] Bien que le terme « participation » soit réservé par le droit des sociétés à la détention de 10 à 50 % du capital (au-delà, il s’agit de filiales), les participations de l’Etat comprennent des entités contrôlées jusqu’à 100 %.

[2] Montant des dividendes rapporté au montant du résultat net part du groupe pour l’ensemble des entités prises en compte, ce qui correspond à un taux moyen de distribution. Un taux proche de 50 % est parfois donné pour le CAC 40 mais il s’agit du taux de distribution médian.

[3]C’est SNCF Réseau qui a des fonds propres négatifs alors que c’est SNCF Mobilités qui est en concurrence et ne peut pas recevoir d’aides d’Etat. Toutefois, le partage des fonds propres du groupe est conventionnel car il dépend des péages versés par SNCF Mobilités à SNCF Réseau, insuffisants pour couvrir le coût du réseau.

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