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12/10/2022

Les perspectives des finances publiques pour 2023

François ECALLE

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Le gouvernement vient de présenter ses projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 ainsi que son projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.  Ce billet examine les prévisions de finances publiques pour 2023 associées à ces textes[1].

Une première version de ce billet a été publiée sur le site de Telos.

La prévision des recettes publiques de 2023 présentée par le gouvernement repose sur un scénario macroéconomique trop optimiste. Elle fait apparaitre une diminution du taux des prélèvements obligatoires, de 45,2 % en 2022 à 44,7 % en 2023, mais celle-ci ne résulte pas des modifications de la législation fiscale. En effet, les baisses d’impôts souvent mises en avant sont plus que compensées par un nouveau prélèvement sur les producteurs d’énergie. La diminution du taux des prélèvements obligatoires tient en fait à la prévision d’une très faible élasticité de ces prélèvements au PIB. Les aléas sur cette élasticité et sur le montant des prélèvements sur les producteurs d’énergie sont importants.

Hors mesures exceptionnelles et supposées temporaires, le gouvernement prévoit une forte croissance des dépenses publiques (+ 65 Md€), mais il est normal qu’elles croissent fortement lorsque le taux d’inflation est élevé. Cette hausse correspond à une progression de 4,3 % quasiment égale à l’inflation prévue en 2023 et la croissance en volume des dépenses publiques serait donc quasi-nulle en 2023, ce qui traduirait un degré rarement atteint de maîtrise de ces dépenses.

Cependant, le gouvernement sous-estime la croissance prévisible des dépenses publiques en 2023 dans plusieurs domaines : dépenses des collectivités locales, masse salariale, dépenses de santé, charge d’intérêts… En outre, aucune réforme permettant des économies substantielles n’est documentée dans ces textes financiers à l’exception du recul de l’âge de départ en retraite dont les modalités restent à préciser.

Le gouvernement prévoit une stabilisation du déficit public, à 5,0 % du PIB, de 2022 à 2023. Ce niveau de déficit permet de très légèrement réduire la dette publique jusqu’à 111,2 % du PIB fin 2023. Les recettes étant plutôt surestimées et les dépenses sous-estimées, une hausse du déficit et de l’endettement publics en 2023 sont plus probables.

A) Les recettes publiques

1) Le scénario macroéconomique

Le scénario macroéconomique pour 2023 associé aux projets de lois financières est caractérisé notamment par une croissance du PIB de 1,0 % en volume et de 4,6 % en valeur, une progression de la masse salariale des branches marchandes non agricoles de 5,0 % et une inflation de 4,2 % en moyenne annuelle.

Ces prévisions ont déjà été largement commentées et on se contentera ici de rappeler l’avis du HCFP du 21 septembre. Celui-ci observe que la prévision de croissance du PIB en volume du gouvernement est supérieure à celle de la majorité des prévisionnistes (les prévisions publiées depuis début septembre sont généralement comprises dans une fourchette allant de 0 à 0,7 %). Compte-tenu de la fragilité de certaines hypothèses, par exemple sur l’environnement international, le HCFP considère que la croissance prévue par le gouvernement est « un peu élevée ». Les prévisions d’inflation et de masse salariale lui paraissent quant à elles « plausibles ».

Le risque d’une récession en 2023 ne peut pas être écarté compte-tenu notamment des difficultés d’approvisionnement en énergie en Europe et du durcissement des politiques monétaires dans beaucoup de grands pays. Même si la prévision du gouvernement est un scénario possible et que l’incertitude est importante, une prévision de croissance de, par exemple, + 0,5% apparaît plus réaliste.

Si la croissance du PIB était nulle en 2023, mais avec des prévisions d’évolution des prix inchangées, le déficit public serait mécaniquement majoré d’environ 0,5 point de PIB par rapport à la prévision du gouvernement, ce qui le ferait passer de 5,0 à 5,5 % du PIB.

2) Les prélèvements obligatoires

Le gouvernement prévoit une baisse importante du taux des prélèvements obligatoires (leur rapport au PIB), qui passerait de 45,2 % en 2022 à 44,7 % en 2023.

La diminution de moitié de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qui subsiste après la réforme de 2021 contribue à réduire les prélèvements obligatoires (PO) de 4,1 Md€ en 2023. La dernière étape de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales y contribue pour 2,8 Md€.

En sens inverse, les derniers remboursements de CICE aux entreprises ont eu lieu en 2022 et s’élèvent à 5,6 Md€, ce qui majore d’autant les PO en 2023.

Beaucoup de mesures législatives ont un impact en 2023 et, au total, elles conduisent à une baisse des PO d’environ 5 Md€, mais c’est sans compter la hausse du nouveau prélèvement sur les producteurs d’énergies renouvelables. En effet, le soutien de l’Etat aux énergies renouvelables prenait jusqu’en 2021 la forme de subventions calculées en fonction des prix de marché de l’électricité. A partir de 2022, ces prix sont si élevés que les producteurs d’énergies renouvelables sont appelés à faire des versements à l’Etat qui sont considérés comme des PO dans les statistiques de finances publiques. Ces versements s’élèveraient à 9,6 Md€ en 2022 puis à 19,2 Md€ en 2023 et ils contribueraient donc pour 9,6 Md€ à la hausse des PO en 2023, mais leur montant est très incertain car très dépendant des évolutions du prix de l’électricité.

Au total, les mesures législatives et réglementaires contribuent à augmenter, et non à réduire, le produit des PO en 2023, d’environ 5 Md€. Le taux de PO diminue non pas à cause de ces mesures mais parce que la croissance des PO à législation constante (2,9 %) est très inférieure à celle du PIB en valeur (4,6 %), ce qui correspond à une élasticité au PIB de 0,6, chiffre particulièrement faible.

Cette élasticité est proche de 1,0 en moyenne sur plusieurs années (1,06 de 1990 à 2021) et a rarement été aussi faible, mais une valeur de 0,6 ne serait pas inédite (elle était de 0,4 en 2013) et ferait suite à une valeur particulièrement forte en 2022 (1,5 avec les prévisions du PLF 2023). Elle peut s’expliquer par les caractéristiques de quelques grands impôts en 2023.

L’indexation du barème de l’impôt sur le revenu sur l’inflation en 2022 limitera son produit en 2023 car les revenus imposables de 2022 augmentent moins que l’inflation. La baisse du taux de marge et du bénéfice fiscal des sociétés en 2022 contribueront à réduire le produit de l’impôt sur les sociétés en 2023. Le ralentissement des prix et des transactions sur le marché immobilier limitera la progression du produit des droits de mutation en 2023.

La prévision des recettes publiques autres que les prélèvements obligatoires n’appelle pas d’observations particulières.

Au total, les prévisions de recettes publiques du gouvernement sont optimistes dans la mesure où le scénario macroéconomique est un peu trop favorable. Par ailleurs, il existe d’importants aléas sur l’élasticité des prélèvements obligatoires au PIB et sur le montant des versements des producteurs d’énergies renouvelables.

B) Les dépenses publiques

1) Une rigueur apparente

Le gouvernement prévoit une augmentation de 42 Md€ en 2023 des dépenses des administrations publiques hors crédits d’impôts (ceux-ci sont considérés comme des dépenses publiques en comptabilité nationale). Selon le HCFP, cette hausse est de 65 Md€ si on exclut les dépenses exceptionnelles que sont les plans d’urgence et de relance ainsi que les mesures prises pour faire face à la hausse des prix de l’énergie (le coût de ces mesures est en effet beaucoup plus faible en 2023 qu’en 2022).

Il est normal que les dépenses publiques croissent fortement lorsque le taux d’inflation est élevé. En effet, les prestations sociales sont presque toutes indexées sur l’inflation, les prix des achats de biens et services des administrations augmentent et les salaires des fonctionnaires doivent être revalorisés. Cette hausse de 65 Md€ des dépenses publiques non exceptionnelles correspond à une progression de 4,3 % quasiment égale à l’inflation prévue en 2023. Autrement dit, la croissance en volume (ou en euros constants) des dépenses publiques serait nulle en 2023, ce qui traduirait un degré de maîtrise de ces dépenses qui a été rarement atteint.

La croissance en valeur des dépenses publiques peut aussi être déflatée par l’indice du prix du PIB, ce qui donne alors une croissance en volume de 0,7 % de nouveau très faible au regard de son évolution passée.

A titre d’exemple des efforts demandés aux administrations, les crédits de la mission Défense du budget de l’Etat augmentent de 3,0 Md€ conformément à la loi de programmation militaire (LPM) de 2018, mais la LPM a été construite avec une hypothèse d’inflation bien plus basse et sans revalorisation du point de la fonction publique. Le ministère de la défense fait donc un effort par rapport à ce qu’il pouvait espérer d’une prise en compte de l’inflation.

2) Mais des dépenses sous-estimées

Il semble que le gouvernement sous-estime la croissance prévisible des dépenses publiques en 2023. Par exemple, il suppose que les dépenses des collectivités locales baisseront nettement en euros constants et lui-même entend quasiment geler en euros courants les dotations de l’Etat aux collectivités locales, ce qui n’est pas très réaliste.

Aucun crédit n’est prévu pour une revalorisation du point de la fonction publique. Or, s’il est difficile d’afficher une hausse qui serait perçue comme un point de départ de la négociation par les syndicats, on peut penser qu’il y aura une revalorisation compte-tenu de l’inflation prévue.

Si le maintien des « boucliers tarifaires » contre les hausses des prix du gaz et de l’électricité est prévu, les aides à la consommation de carburants sont supposées ne pas être reconduites en 2023, ce qui est peu crédible.

L’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) pour 2023 est inférieur de 0,8 % à celui de 2022 (révisé), ce qui s’explique par la baisse (de 10,5 Md€) des dépenses exceptionnelles liées à la pandémie de Covid-19, mais l’ONDAM pour 2023 ne provisionne quasiment aucune dépense visant à limiter l’impact d’une nouvelle vague épidémique (tests, vaccins…), ce qui n’est pas prudent. Hors dépenses exceptionnelles, la croissance de l’ONDAM est de 3,7 %, ce qui est peu réaliste car, par exemple, aucune revalorisation des rémunérations des professionnels de santé libéraux n’est prévue malgré l’inflation.

La charge d’intérêts de la dette publique passerait de 42 Md€ en 2022 à 38 Md€ en 2023. Cette baisse s’explique par la réduction du coût de l’indexation d’une partie des obligations assimilables du trésor (OAT) sur l’inflation en France et dans la zone euro. Le glissement annuel des prix fin 2023 étant supposé inférieur à celui de fin 2022, ce coût diminue. En revanche, l’augmentation du volume de la dette et de son taux contribuent à majorer la charge d’intérêts.

Le PLF 2023 suppose que les taux de l’OAT à 10 ans seront de 2,5 % fin 2022 et 2,6 % fin 2023. On peut craindre une hausse plus forte (ce taux était déjà de 2,8 % le 11.10.2022). Si les taux des emprunts publics étaient supérieurs de 1,0 point pour toutes les échéances sur toute l’année 2023, la charge d’intérêts serait majorée de presque 3 Md€ cette même année.

Au total, les prévisions de dépenses publiques du gouvernement pour 2023 traduisent en apparence une certaine rigueur mais elles seront vraisemblablement dépassées en exécution. Dans certains cas, on peut considérer qu’il s’agit d’une position de début de négociation avec les élus locaux (sur les dotations aux collectivités locales), les organisations syndicales de la fonction publique (sur la valeur du point), les professionnels de santé (ONDAM) ou certains partis politiques (sur les primes à la consommation de carburants).

En outre, aucune réforme permettant des économies substantielles n’est documentée dans ces textes financiers à l’exception du recul de l’âge de départ en retraite dont les modalités restent à préciser.

Au contraire, certaines mesures comme la création de 11 000 postes supplémentaires dans les services de l’Etat et de ses opérateurs en 2023 auront des effets à la hausse sur les dépenses publiques au-delà de 2023 et sont peu cohérents avec les objectifs de dépenses du projet de loi de programmation des finances publiques (celui-ci fixe pour objectif la stabilisation des effectifs de l’Etat et de ses opérateurs de 2022 à 2027).

C) Le déficit et l’endettement publics

Le gouvernement prévoit une stabilité du déficit public en pourcentage du PIB, à 5,0 %, de 2022 à 2023. Il estime que le déficit structurel (déficit corrigé de l’impact des fluctuations conjoncturelles du PIB) sera de 4,2 % du PIB en 2022 et 4,0 % en 2023.

Les recettes étant plutôt surestimées et les dépenses sous-estimées, une hausse du déficit public en 2023 est plus probable.

Pour stabiliser la dette publique à 111,5 % du PIB (son niveau à la fin de 2022 selon le gouvernement) avec une croissance en valeur du PIB de 4,6 %, le déficit public doit être égal à environ 5,0 % du PIB. Le déficit prévu par le gouvernement pour 2023 permet donc de stabiliser la dette à ce niveau.

Le gouvernement prévoit en fait une légère décrue de l’endettement en pourcentage du PIB puisqu’il serait de 111,2 % à la fin de 2023. Cela pourrait s’expliquer par le fait que la variation de la dette d’une année à l’autre ne résulte pas seulement du déficit des administrations publiques mais aussi d’opérations financières portées directement à leur bilan comme les acquisitions et cessions d’actions. Cette baisse pourrait également tenir à des mouvements de trésorerie : certaines administrations publiques ont emprunté pour accroître leurs liquidités en 2020-2021 en anticipant la hausse des taux d’intérêt et pourraient utiliser ces liquidités pour moins emprunter en 2022-2023.

Mais, si le déficit public est un peu plus élevé que prévu en 2023, la dette pourrait augmenter plutôt que diminuer de fin 2022 à fin 2023.

 

[1] Il ne remet pas en cause les prévisions macroéconomiques et de finances publiques du gouvernement pour 2022, qui constituent le point de départ de cette analyse des perspectives pour 2023. Dans son avis du 21 septembre 2022, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a d’ailleurs considéré que les prévisions macroéconomiques du gouvernement pour 2022 sont crédibles et que sa prévision de déficit public est prudente au vu du dynamisme des recettes fiscales jusqu’à juillet.

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