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12/07/2023

Les perspectives financières des régimes de retraite

François ECALLE

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Cette note présente les principaux enseignements sur les perspectives financières des régimes de retraite qui peuvent être tirés du rapport de juin 2023 du conseil d’orientation des retraites (COR). Celui-ci tient compte des effets de la réforme portée par la loi du 14 avril 2023. Sauf mention contraire, le scénario du COR retenu ici est celui qui est caractérisé par une croissance de la productivité du travail de 1,0 % par an, non parce qu’il semble le plus pertinent mais parce qu’il a été choisi par le gouvernement dans l’étude d’impact de cette réforme et qu’il devrait donc, en principe, permettre des rapprochements avec cette étude d’impact. Des fiches de ce site présentent les principales caractéristiques des régimes des salariés du secteur privé non agricole et des fonctionnaires.

De 2019 à 2070, le rapport du nombre de retraités au nombre de cotisants devrait augmenter d’environ 25 %, surtout sous l’effet de l’allongement de l’espérance de vie, tandis que le taux de remplacement moyen des revenus d’activité par les pensions devrait diminuer d’environ 20 %. Il en résultera une dégradation du solde financier de l’ensemble des régimes de retraite. Nul en 2019, ce solde serait déficitaire d’environ 0,25  % du PIB au début des années 2030 et 0,75 % du PIB dans les années 2050 et 2060. La persistance d’un déficit au début de la prochaine décennie malgré la réforme votée en 2023 était prévisible.

Les ressources des régimes de retraite comportent une grande part d’impôts affectés et de subventions versées par l’Etat. En outre, les cotisations de l’Etat employeur ressemblent beaucoup à une subvention d’équilibre. En principe, ces transferts devraient équilibrer les prestations qui relèvent d’une logique de solidarité sans aller au-delà, mais il n’est pas sûr qu’il en soit ainsi. Dans ces conditions, il n’est pas exclu que l’équilibre actuel des comptes des régimes de retraites soit en partie artificiel.

Quoi qu’il en soit, l’évolution des dépenses de retraite en pourcentage du PIB montre quelle part des revenus doit être consacrée à leur financement, indépendamment du partage de ce financement entre les cotisations des actifs et les subventions et impôts affectés par l’Etat. Ce ratio passerait de 13,7 % du PIB en 2019 à 13,5 % en 2030 et au-dessous de 13,0 % dans les années 2060.

Ces prévisions du COR ne peuvent pas être comparées à celles de 2022 pour estimer l’impact de la réforme de 2023 car des hypothèses indépendantes de celle-ci ont aussi été modifiées. Le COR renvoie à un prochain rapport l’analyse de la réforme et se contente de noter qu’elle pourrait contribuer à réduire les dépenses de retraite de 0,2 point de PIB à l’horizon de 2030 et à les augmenter de 0,2 point de PIB à l’horizon de 2070.

Cette réforme ne doit cependant pas être évaluée à l’aune de son seul impact sur les comptes des régimes de retraite. Son principal intérêt est en effet d’accroître la population active et donc, à moyen et long termes, d’augmenter l’emploi, l’activité économique et les recettes de l’ensemble des administrations publiques. Le recul de l’âge de départ en retraite est un des meilleurs moyens de réduire le déficit public.

A) Les paramètres de l’équilibre financier d’un régime par répartition

Les régimes français de retraite sont, à de rares exceptions près, des régimes « par répartition », ce qui signifie que les pensions versées aux retraités sont, en principe, financées par des cotisations prélevées sur les actifs. Dans un régime « par capitalisation », les actifs cotisent à des « fonds de pension » qui acquièrent, pour leur compte, des titres financiers dont les produits sont ensuite utilisés pour leur verser une retraite.

Dans un régime par répartition, le total des pensions est en principe égal au total des cotisations, chaque année ou tout au moins en moyenne sur un cycle économique, ce qui peut s’écrire de la manière suivante :

Nr x Pr = Nc x Tc x Rc

Où Nr est le nombre de retraités et Pr leur pension moyenne

et où Nc est le nombre de cotisants, Tc le taux de cotisation et Rc le revenu moyen brut des cotisants sur lequel sont assises les cotisations.

Cette équation peut aussi s’écrire sous la forme :

Tc = Tr x Td

Où Td = Nr / Nc désigne le « taux de dépendance » du régime

et où Tr = Pr / Rc désigne le « taux de remplacement moyen ».

Le taux de cotisation étant fixé par la réglementation, l’équilibre du régime est maintenu si la hausse (baisse) du taux de dépendance est compensée par la baisse (hausse) du taux de remplacement moyen. Ce sont ses deux principaux déterminants.

Le taux de dépendance résulte principalement de la « pyramide des âges » de la population, c’est-à-dire de sa répartition par tranches d’âge, souvent synthétisée par un « ratio de dépendance démographique » rapportant la population de plus de 60 ou 65 ans à la « population d’âge actif » (de 15 ou 20 à 59 ou 64 ans). Il dépend aussi de l’âge de départ en retraite, de l’espérance de vie à cet âge et du « taux d’emploi » des personnes d’âge actif (rapport de l’emploi à leur nombre).

Le taux de remplacement moyen dépend surtout des modalités réglementaires de calcul des pensions en fonction des rémunérations d’activité au moment du départ en retraite, d’une part, et de l’écart entre le taux de revalorisation annuelle des pensions et le taux de croissance annuel des revenus d’activité, d’autre part.

B) L’évolution du taux de dépendance

Le taux de dépendance a fortement augmenté au début des années deux-mille sous l’effet, d’une part, des départs en retraite des générations du baby-boom (1946 à 1971) et, d’autre part, du ralentissement des effectifs des générations nées à partir du début des années soixante-dix. Il y a donc eu à la fois plus de départs en retraite et moins d’entrées dans la vie active. Le taux de dépendance est ainsi passé de 47 % en 2002 à 57 % en 2013. Il a ensuite ralenti sous l’effet du relèvement de l’âge de départ résultant de la réforme de 2010, sauf en 2020 où il est brusquement remonté car le surplus de mortalité des séniors imputable au Covid 19 a été nettement plus faible que la diminution des cotisants due à la crise économique (effets supposés temporaires dans les projections du COR).

A partir du début des années 2030, les personnes nées pendant le baby-boom arriveront en fin de vie, pour les plus âgées, et n’accroîtront plus le nombre de retraités, pour les plus jeunes. Les effets du baby-boom disparaîtront, ce qui contribuera, toutes choses égales par ailleurs, à réduire le taux de dépendance.

Cependant, son augmentation résulte surtout de l’allongement de l’espérance de vie à 65 ans, qui est passée de 16,7 années en 2000 à 19,6 en 2019 et atteindrait 24,8 années en 2070 pour les hommes selon le COR (respectivement 21,2, 23,4 et 26,7 années pour les femmes). Cet allongement de l’espérance de vie contribue chaque année à la hausse du taux de dépendance, qui se poursuivra ainsi au-delà de 2035 jusqu’à plus de 70 % en 2070.

Source : COR (rapport de juin 2023), taux de chômage stabilisé à 4,5 % ; FIPECO.

L’évolution du taux de dépendance dépendra aussi de celle du taux d’emploi et donc du taux de chômage. Le scénario présenté ici correspond à un taux de chômage stabilisé à 4,5 % à long terme mais les autres scénarios étudiés par le COR (stabilisation à 7,0 % ou 10 %) montrent que cette hypothèse est assez peu discriminante.

C) L’évolution du taux de remplacement moyen

En 2019, le taux de remplacement moyen est estimé à 50 %, ce qui ne veut pas dire que le niveau de vie moyen des retraités est égal à la moitié de celui des actifs. Compte-tenu notamment des différences de taux des cotisations sociales sur les pensions et les revenus d’activité, des autres prestations sociales ainsi que des revenus du patrimoine, le COR estime que le niveau de vie moyen des retraités est égal à 101 % de celui de l’ensemble de la population.

Ce taux de remplacement moyen doit aussi être distingué du taux de remplacement instantané au moment de la liquidation de la pension, qui rapporte celle-ci aux derniers salaires avant la retraite et qui est en moyenne d’un peu moins de 75 %, net de cotisations, pour une personne non-cadre de la génération 1955 avec une carrière complète dans le secteur privé.

Le taux de remplacement moyen diminue progressivement, à l’exception de 2020-2021 où sa hausse résulte de la baisse des revenus d’activité et de 2024-2026 où elle résulte des mesures sociales d’accompagnement de la réforme de 2023. Cette baisse résulte de l’écart entre le taux de croissance des revenus d’activité et le taux d’inflation, celui-ci servant à corriger les salaires des années passées pour calculer la moyenne des 25 meilleures années dans le régime général ainsi que pour revaloriser les pensions. Elle est d’autant plus forte que cet écart est important, donc que le pouvoir d’achat des actifs augmente. Celui-ci est à long terme égal aux gains de productivité.

 Source : COR, rapport de juin 2023 ; croissance de 1,0 % par an de la productivité ; FIPECO.

Dans le scénario du COR retenu ici (gains de productivité de 1,0 % par an), le taux de remplacement moyen diminue jusqu’à 40 % en 2070. Dans les scénarios où la croissance des revenus réels d’activité est plus forte, il diminue encore plus.

D) Les perspectives d’évolution du solde financier

En 2019, le solde financier de l’ensemble des régimes de retraites (FSV inclus) était quasiment nul selon le COR. Au cours des années 2020 à 2023, il est fortement perturbé par les effets de la crise économique en 2020, du rebond de l’activité en 2021-2022 et de son ralentissement en 2023.

De 2019 à 2070, le taux de dépendance augmenterait d’environ 25 % tandis que le taux de remplacement moyen diminuerait d’environ 20 %. A taux de cotisation inchangé, on peut donc s’attendre à une dégradation de l’équilibre financier des régimes de retraite.

De fait, un déficit réapparaitrait en 2024, se maintiendrait à environ 0,25 % du PIB jusqu’au début des années 2030 puis s’accentuerait pour atteindre environ 0,75 % du PIB dans les années 2050 et 2060.

Le déficit des régimes de base des salariés du secteur privé et des indépendants augmenterait continument à partir de 2030 alors que leurs régimes complémentaires seraient en excédent ; le régime des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers serait déficitaire sur toute la période de projection alors que celui des fonctionnaires de l’Etat est automatiquement équilibré (cf. ci-dessous).

La persistance d’un déficit malgré la réforme de 2023 n’est pas surprenante. Dans une note que j’ai cosignée avec d’autres auteurs et qui a été publiée par Rexecode en avril 2023, un déficit des régimes de retraite de 0,2 % du PIB après réforme était annoncé en prenant les mêmes hypothèses macroéconomiques (optimistes) que le COR.

Le déficit des régimes de retraites pourrait être dès aujourd’hui de plusieurs dizaines de milliards d’euros. En effet, nos régimes de retraite ne sont pas de purs régimes par répartition où les cotisations équilibrent les prestations. Les pensions font souvent l’objet de majoration relevant d’une logique de solidarité et les ressources de ces régimes comportent une grande part d’impôts et de subventions. En outre, parmi les cotisations figurent celles de l’Etat employeur dont le taux (74 % pour les personnels civils) est ajusté pour équilibrer les retraites de ses agents et qui constituent en réalité une subvention d’équilibre financée par des impôts ou des emprunts de l’Etat.

Dans ses précédents rapports, le COR retenait d’ailleurs une présentation faisant apparaître une subvention globale de 2,0 % du PIB aux régimes de retraite qui correspondait aux subventions de l’Etat aux régimes spéciaux et à une partie de ses cotisations d’employeur.

Il faudrait en principe que, d’une part, les prestations contributives soient équilibrées par de réelles cotisations et que, d’autre part, les prestations non contributives soient isolées dans un fonds de solidarité financé par des impôts affectés ou par des subventions de l’Etat. C’était l’organisation prévue par le projet de loi de réforme qui a été débattu pendant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron et qui a été abandonnée. Dans le système actuel, peu transparent, il n’est pas sûr que les prestations contributives soient vraiment équilibrées par des cotisations. Il est possible qu’elles soient en partie équilibrées par des impôts affectés ou des subventions de l’Etat et que le solde des régimes de retraite soit ainsi partiellement artificiel.

Source : COR, rapport de juin 2023 ; croissance de 1,0 % par an de la productivité ; FIPECO.

E) L’évolution des dépenses de retraite

L’évolution des dépenses de retraite en pourcentage du PIB permet de voir quelle part des revenus générés par la production annuelle doit être consacrée à leur financement, indépendamment du partage de ce financement entre les cotisations des actifs et les subventions et impôts affectés par l’Etat.

Dans le scénario du COR retenu ici, les dépenses de retraite représenteraient environ 13,7 % du PIB en 2026 comme en 2019, avec des variations assez heurtées entre ces deux dates dues notamment aux effets de la crise sanitaire et économique, du calendrier de l’indexation des pensions sur les prix et des mesures sociales de la réforme de 2023. Ensuite, elles diminueraient pour passer au-dessous de 13,5 % du PIB en 2030 et 13,0 % du PIB dans les années 2060.

Source : COR, rapport de juin 2023 ; croissance de 1,0 % par an de la productivité ; FIPECO.

F) L’impact de la réforme de 2023

Même en prenant un scénario identique à long terme (croissance de 1,0 % par an de la productivité du travail), l’impact de la réforme de 2023 ne peut pas être déduit de la comparaison directe des prévisions du COR de cette année et de celles de l’an dernier. En effet, les hypothèses macro-économiques pour les années 2023 à 2027 ne sont pas exactement les mêmes (ce sont celles des programmes de stabilité de 2022 et 2023) et d’autres hypothèses, relatives notamment aux effectifs et rémunérations de la fonction publique, ont été modifiées entre ces deux rapports.

Le COR renvoie à un prochain rapport l’analyse de l’impact de la réforme et se contente de noter qu’elle pourrait contribuer à réduire les dépenses de retraite de 0,2 point de PIB à l’horizon de 2030 et à les augmenter de 0,2 point de PIB à l’horizon de 2070. A long terme, l’effet de la diminution du nombre de retraités serait en effet compensé par celui de l’augmentation de la pension moyenne, qui résulte elle-même d’une durée plus longue de cotisation et des mesures sociales d’accompagnement de la réforme.

Cependant, comme il est expliqué dans une autre note sur ce site, cette réforme ne doit pas être évaluée à l’aune de son seul impact sur les comptes des régimes de retraite. Son principal intérêt est en effet d’accroître la population active et donc, à moyen et long termes, d’augmenter l’emploi, l’activité économique et les recettes de l’ensemble des administrations publiques. L’impact sur le solde des autres administrations publiques est à long terme aussi important que sur le solde des seuls régimes de retraite et il tient beaucoup plus à la hausse des recettes qu’à la diminution des dépenses. Le recul de l’âge de départ en retraite est un des meilleurs moyens de réduire le déficit public.

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