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19/05/2016

Les prévisions de dépenses publiques pour 2016

                            

                                

François ECALLE

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Au cours des derniers mois, de nouvelles dépenses publiques ont été annoncées, pour 2016 et les années suivantes. Le programme de stabilité présenté début avril par le Gouvernement précise toutefois, d’une part, que « les dépenses nouvelles décidées depuis l’entrée en vigueur de la loi de finances initiale pour 2016 seront intégralement financées » et, d’autre part, que « le Gouvernement présente des économies complémentaires d’un montant de 3,8 Md€, au-delà des mesures nécessaires pour assurer le financement des dépenses nouvelles ».

Les prévisions de finances publiques établies par la France conformément à ses obligations européennes sont présentées en comptabilité nationale. Les dernières sont celles du rapport économique, social et financier (RESF) annexé en septembre 2015 au projet de loi de finances pour 2016 et celles du programme de stabilité d’avril 2016. Entre le RESF et le programme de stabilité, la prévision de dépense des administrations publiques pour 2016 en comptabilité nationale a bien été abaissée d’environ 4 Md€ pour compenser la baisse des recettes prévues.

Dans leurs rapports sur le programme de stabilité, les rapporteurs généraux des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat ont cependant estimé les dépenses nouvelles à respectivement 3,1 Md€[1] et 3,3 Md€. Le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale les a évaluées entre 5 et 6 Md€ selon Les Echos du 20 avril. Le secrétaire d’Etat au budget a ensuite annoncé un montant de 4 Md€, selon une dépêche du 26 avril de l’agence France presse, mais le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale a confirmé sa propre évaluation.

Les prévisions de dépenses des administrations publiques (Md€)

 

 

2015

2016

2017

RESF septembre 2015

1 214

1 230

1 249

Programme stabilité avril 2016

1 213

1 226

1 240

Source ; RESF, programme de stabilité ; dépenses hors crédits d’impôt ; calculs FIPECO.

A)   Des dépenses nouvelles de 4,7 Md€ entre le projet de loi de finances initiale et le programme de stabilité

1)    Des dépenses nouvelles de 1,5 Md€ entre le projet de loi et la loi de finances

Au cours des débats parlementaires, entre le dépôt du projet de loi de finances (PLF) et la loi de finances initiale (LFI), les dépenses nettes inscrites au budget général ont été majorées de 1,5 Md€, à périmètre constant, pour financer notamment les mesures de sécurité décidées à la suite des attentats à Paris.

En comptabilité budgétaire, ces dépenses supplémentaires ont été à peu près compensées par une réduction de 1,2 Md€ du prélèvement au profit de l’Union européenne. Ce montant correspond au remboursement par la Commission européenne d’un trop-perçu au cours d’années antérieures[2], qui avait été décidé en 2014 mais dont l’exécution a été reportée d’abord de 2014 à 2015 puis de 2015 à 2016.

Ce remboursement a déjà été enregistré en comptabilité nationale en 2014, au moment où la décision a été prise. Comme il ne sera pas enregistré une deuxième fois, les transferts de l’Etat à l’Union européenne en 2016 ne seront pas diminué de 1,2 Md€ par rapport au montant prévu en septembre 2015 et il y aura une dépense publique supplémentaire de 1,5 Md€ en 2016 par rapport aux prévisions présentées en septembre dernier dans le RESF[3].

2)    Des dépenses nouvelles de 3,2 Md€ depuis le début de l’année

Les principales dépenses nouvelles annoncées depuis le début de l’année sont les suivantes :

  • le plan d’urgence pour l’emploi de janvier 2016 qui comprend notamment la formation de 500 000 chômeurs supplémentaires et la création d’une prime à l’embauche et qui aura un coût de 2,0 Md€ en 2016, dont 1,6 Md€ pour les administrations publiques, le solde étant financé par des organismes classés hors de leur périmètre (fonds de financement de la formation professionnelle) ;
  • la revalorisation de 0,6 % du point de la fonction publique au 1er juillet qui aura un coût de 0,6 Md€ en 2016 (le double en année pleine) ;
  • le plan de soutien exceptionnel à l’élevage annoncé en février dont le coût sera de 0,4 Md€ en 2016 selon la rapporteure générale de la commission des finances de l’Assemblée nationale ;
  • l’abondement du fonds de financement de la transition énergétique qui aura un coût en 2016 de 0,3 Md€ selon la rapporteure générale de la commission des finances de l’Assemblée nationale ;
  • les mesures en faveur des jeunes annoncées en avril (aide à la recherche d’un premier emploi ; extension des bourses ; hausse de la rémunération des apprentis prise en charge par l’Etat) qui auront un coût de 0,2 Md€ en 2016 selon la rapporteure générale de la commission des finances de l’Assemblée nationale ;
  • la majoration de 800 € des primes des professeurs des écoles, décidée en mai, qui aura un coût de 0,3 Md€ en année pleine et de 0,1 Md€ en 2016 si elle est mensualisée et versée à partir de septembre.

B)   De nouveaux risques, difficilement quantifiables

1)    Les programmes budgétaires sous dotés en loi de finances initiale

Comme chaque année, les crédits prévus dans le budget de l’Etat pour certaines missions sont sous-évalués. Il est difficile d’estimer les montants en jeu mais les ajustements réalisés en loi de finances rectificative (LFR) en décembre 2015 montrent où les besoins de nouveaux crédits pourraient se situer. Les crédits prévus pour l’allocation aux adultes handicapés sont ainsi de 8,5 Md€ en 2016 alors qu’ils ont été portés à 8,8 Md€ en 2015 en LFR et qu’ils ne baisseront pas de 2015 à 2016. De même, les crédits prévus pour l’hébergement d’urgence en 2016 sont de 1,4 Md€ alors qu’ils ont été portés à 1,5 Md€ en 2015 en LFR et qu’ils ne diminueront pas non plus. Par ailleurs, les crédits affectés aux opérations extérieures du ministère de la défense sont de seulement 0,45 Md€ pour 2016 alors que les dépenses ont fréquemment dépassé 1,0 Md€ ces dernières années et que les opérations en cours ne laissent pas envisager un montant inférieur à 1,0 Md€ en 2016.

Le coût de la nouvelle prime d’activité a été estimé à 4,0 Md€ en loi de finances pour 2016 alors qu’elle remplace le RSA activité et la prime pour l’emploi dont le coût total était évalué à 4,2 Md€ en loi de finances rectificative pour 2015. Surtout, les crédits prévus pour la nouvelle prime reposent sur l’hypothèse d’un taux de recours de 50 %, supérieur à celui du RSA activité (32 %), qui s’avère dépassé sur les premiers mois de 2016.

Au total, les nouveaux risques de dépassement des crédits budgétaires sont de 1 à 2 Md€.

2)    Les risques sur les dépenses locales et sociales

S’agissant des dépenses des collectivités territoriales, le programme de stabilité table, comme le RESF, sur une stabilisation de l’investissement en 2016 à son niveau de 2015 et une progression de 1,4 % des dépenses de fonctionnement. Au vu des dernières données disponibles, la note de conjoncture de la Banque postale publiée le 12 mai 2016 table également sur une stabilisation de l’investissement mais prévoit une plus forte croissance des dépenses de fonctionnement (1,8 %).

Les prévisions de dépenses publiques du RESF de septembre 2015 retenaient une économie de 0,8 Md€ en 2016 au titre des mesures décidées dans le cadre de la nouvelle convention d’indemnisation chômage qui doit être signée par les partenaires sociaux cette année. Compte-tenu de l’avancement des négociations sur cette convention, il est de moins en moins sûr qu’un tel montant d’économies, que le programme de stabilité ne remet pas en cause, soit constaté dès 2016.

3)    Le risque spécifique associé à la recapitalisation d’AREVA

 Les dotations en capital de l’Etat aux entreprises du secteur marchand sont considérées en comptabilité nationale comme des opérations financières qui accroissent la valeur du patrimoine des administrations publiques, et non comme des dépenses publiques, si elles correspondent au comportement d’un « actionnaire avisé » qui espère un rendement minimal de son investissement malgré le risque pris. Si la rentabilité escomptable de cet investissement est trop faible, ou si les risques sont trop élevés, l’Insee et Eurostat peuvent le requalifier en dépense publique (subvention)[4].

Or le conseil d’administration d’AREVA a annoncé en janvier 2016 une augmentation de capital de 5 Md€ en prenant acte que l’Etat y participera en tant qu’actionnaire de référence. Il n’est pas exclu que l’apport de l’Etat à cette augmentation de capital soit considéré comme une subvention par les comptables nationaux. Cette opération semble certes repoussée par le ministère des finances à 2017, mais la comptabilité nationale est en droits constatés et si l’Etat prend des engagements fermes en 2016, cette subvention pourrait venir accroître les dépenses publiques de 2016.

Même si une dotation en capital n’est pas requalifiée en subvention, elle contribue à augmenter la dette publique, sauf si elle est compensée par la cession de parts d’autres entreprises. Le « compte d’affectation spéciale » des participations financières de l’Etat est toujours voté en équilibre en loi de finances initiale avec un montant forfaitaire de 5 Md€ à la fois en recettes et en dépenses, donc sans effet sur la dette. Les dotations désormais prévues pour AREVA (5 Md€) et EDF (3 Md) risquent d’être supérieures aux cessions de parts ce qui accroîtra la dette en 2016 ou en 2017.

C)    Des économies nouvelles identifiées de 4,1 Md€

La principale économie identifiée concerne la charge d’intérêt des administrations publiques. Il est en effet désormais certain que le taux d’intérêt moyen sur la dette publique en 2016 sera inférieur à celui qui était prévu dans le RESF de septembre 2015. Il en résultera une économie de constatation de 1,8 Md€ selon le programme de stabilité.

Une économie d’environ 1 Md€ est envisageable sur les dépenses de santé et de protection sociale, comme le prévoit le programme de stabilité, en raison des deux facteurs suivants : le montant des dépenses enregistrées en 2015 est inférieur à la prévision du RESF de septembre 2015 ; l’inflation étant plus faible que prévu, le coût de l’indexation des prestations sociales sera également plus faible que prévu.

Toutefois, les économies permises en 2016 par la réforme des régimes complémentaires de retraite d’octobre 2015 sont estimées à 0,8 Md€ par la Cour des comptes[5], contre une prévision de 1,0 Md€ dans le RESF. Les nouvelles économies identifiées sur le champ social doivent donc être réduites de 0,2 Md€ et sont de l’ordre de 0,8 Md€.

Le secrétaire d’Etat au budget a présenté le 18 mai un « décret d’avance » qui vise à ouvrir en urgence des crédits pour faire face à certaines des dépenses nouvelles et certains risques de dépassement évoqués ci-dessus à hauteur de 1,1 Md€. Il est financé par des annulations de crédits identifiables pour le même montant.

Le programme de stabilité prévoit enfin de moindres décaissements des opérateurs de l’Etat au titre du programme des investissements d’avenir, ce qui conduirait à une moindre dépense de 0,4 Md€ en comptabilité nationale.

D)   Des économies supplémentaires probables mais difficiles à quantifier

Les dépenses nouvelles s’élèvent à près de 5 Md€ et les nouveaux risques de dépassement des dépenses prévues, sans compter ceux liés à la requalification de dotations en capital, sont compris entre 1,5 et 3,5 Md€ par rapport au RESF associé au PLF pour 2016. Or le programme de stabilité prévoit des dépenses inférieures de 4 Md€ au RESF et seulement 3 Md€ d’économies nouvelles peuvent être identifiées.

Les économies supplémentaires qui restent nécessaires ne peuvent être trouvées, pour l’essentiel, que dans le budget de l’Etat et de ses opérateurs. En effet, le respect de l’objectif national d’assurance maladie (ONDAM), qui est très strict, sera difficile et les autres dépenses sociales sont difficiles à réguler en cours d’exercice ; l’Etat n’a enfin aucune prise sur l’évolution des dépenses des collectivités territoriales en cours d’année.

1)    L’utilisation des outils de régulation des dépenses de l’Etat

L’Etat dispose d’outils de régulation de ses dépenses en cours d’exécution du budget qui lui ont permis, sous certaines réserves (transferts de dépenses hors du champ de ces normes notamment), de respecter les « normes d’évolution en valeur et en volume » qu’il s’est imposées ces dernières années.

La « réserve de précaution » lui permet notamment de rendre des crédits inutilisables par les gestionnaires de programmes budgétaires. Elle porte en 2016 sur 8 % des crédits, hors dépenses de personnel, et 0,5 % de la masse salariale, soit environ 9 Md€. Elle a été complétée en avril par le gel de près de 2 Md€ de crédits reportés de 2015 sur 2016.

Cependant, le taux de gel est quasiment le même pour tous les programmes et les crédits gelés portent souvent sur des dépenses obligatoires ou inéluctables (prestations sociales, règlement de marchés engagés l’année précédente…). Une part importante des crédits gelés est donc « dégelée » en cours d’année pour que ces dépenses puissent être payées.

En 2014, sur 9,3 Md€ gelés au total, les crédits débloqués se sont élevés à 7,1 Md€ et les crédits gelés et finalement annulés à seulement 2,2 Md€. En revanche, des crédits qui n’avaient pas été mis en réserve ont été annulés pour 1,2 Md€, ce que vient de proposer pour un montant semblable le secrétaire d’Etat au budget dans le décret d’avance et d’annulation évoqué plus haut. Enfin, il apparaît toujours en fin d’année que des crédits n’ont pas été consommés, généralement pour près de 1 Md€.

Au total, au-delà du décret d’avance et d’annulation qui vient d’être présenté, il est possible d’envisager que les nouvelles informations sur l’exécution du budget disponibles jusqu’à la fin de l’année permettront d’annuler 3 à 4 Md€ par rapport au PLF, hors charge d’intérêt (cf. ci-dessous).

2)    Les autres pistes

A ce stade, il reste encore 2 à 5 Md€ à trouver pour passer du RESF associé au PLF au programme de stabilité et il existe au moins deux pistes.

La première piste conduit aux charges d’indexation des obligations indexées du trésor. Une baisse de 1 point du taux d’inflation entraîne une réduction de presque 2 Md€ de cette charge. Or la prévision d’inflation a été abaissée de 0,9 point entre le RESF et le programme de stabilité, mais en moyenne annuelle alors que c’est le glissement annuel des prix en fin d’année qui est retenu pour estimer la charge d’indexation en comptabilité nationale. Ce glissement sera plus faible que dans le RESF mais il est difficile de prévoir de combien.

La deuxième piste conduit à la cession de fréquences hertziennes qui est intervenue à la fin de 2015 pour 2,8 Md€. En effet, les ventes d’actifs non financiers tels que les licences sont, curieusement, enregistrées en comptabilité nationale en déduction des dépenses publiques. Les prévisions de finances publiques du RESF retenaient comme hypothèse que la décision d’attribution des licences serait prise avant la fin de 2015 et que, la comptabilité nationale étant en droits constatés, le produit de la vente serait enregistré en déduction des dépenses publiques de 2015, indépendamment de la date de paiement des redevances.

La décision a bien été prise avant la fin de 2015 mais elle n’a pas été enregistrée en 2015 pour des raisons qui n’ont pas été publiées. Il est possible que les redevances soient comptabilisées au fur et à mesure de la mise à disposition effective des fréquences, qui devrait intervenir au cours des années 2016 à 2019. Un certain montant devrait donc venir en déduction des dépenses publiques en 2016.

Dépenses nouvelles, risques et économies depuis le PLF pour 2016 (Md€)

 

Dépenses nouvelles pendant le débat parlementaire

+ 1,5

Dépenses nouvelles depuis le 1er janvier 2016

+ 3,2

Nouveaux risques d’insuffisance de crédits pour l’Etat

+ 1 à + 2

Nouveaux risques sur les dépenses sociales et locales

+ 0,5 à + 1,5

Nouveau risque sur les dotations en capital à AREVA

0 à 5

Total des nouvelles dépenses et nouveaux risques (hors AREVA)

+ 6 à + 8

Economies nécessaires (ligne précédente + 4 Md€)

+ 10 à + 12

Nouvelles économies identifiées

- 4,1

Nouvelles possibilités d’annulation de crédits budgétaires de l’Etat

- 3 à - 4

Charge d’indexation des OATi et cession de fréquences

- 2 à - 4

Economies envisageables

- 9 à - 12

Source : FIPECO ; dépenses en comptabilité nationale

E)    Conclusion

Les prévisions de dépenses publiques associées au PLF pour 2016 avaient été jugées « particulièrement ambitieuses » par le Haut Conseil des finances publiques dans son avis de septembre 2015. Par rapport à ces prévisions, les dépenses inscrites dans le programme de stabilité sont inférieures de 4 Md€ alors que les dépenses nouvelles et les nouveaux risques de dépassement des dépenses prévues sont compris entre 6 et 8 Md€ (hors risque lié à AREVA) et que les nouvelles économies identifiées ou vraisemblables sont de 7 à 8 Md€. Il est toutefois possible que la réduction de la charge d’indexation des OATi et la comptabilisation en 2016 d’une partie du produit des cessions de fréquences hertziennes intervenues en 2015 permettent une réduction supplémentaire de 2 à 4 Md€ des dépenses des administrations publiques. Les prévisions du programme de stabilité restent particulièrement ambitieuses mais peuvent encore être respectées sous réserve d’une très grande rigueur dans la gestion budgétaire et de la renonciation à toute nouvelle dépense.

 

[1] La rapporteure générale ajoute 0,5 Md€ de baisse des cotisations sociales agricoles et 0,4 Md€ de perte d’impôt sur les sociétés au titre de la prolongation de la mesure de suramortissement, mais il ne s’agit pas de dépenses.

[2] Comptabilisé en déduction des dépenses de l’Etat au profit de l’Union européenne.

[3] Cf. rapport public annuel de février 2016 de la Cour des comptes.

[4] Avec un impact à la hausse sur le déficit public, alors qu’une véritable dotation en capital n’en a aucun.

[5] Rapport public annuel de février 2016.

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