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11/04/2024

Les revues des dépenses publiques

François ECALLE

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Les revues des dépenses publiques peuvent être définies comme des procédures administratives permettant d’identifier des dépenses publiques, ou des dépenses fiscales, insuffisamment efficientes et qui peuvent être diminuées ou supprimées pour réduire ou redéployer l’ensemble des dépenses publiques. Une telle revue a été engagée en 2023 pour documenter les économies nécessaires au respect des objectifs d’évolution des dépenses inscrits dans la loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027.

Même si l’expression est plus récente, l’histoire des revues des dépenses publiques en France est déjà très ancienne. Pour s’en tenir à l’après-guerre, on peut notamment citer la création du « comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics » en 1946, la « rationalisation des choix budgétaires » en 1968, la « circulaire Rocard » de 1989, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001, qui a instauré une revue permanente des dépenses budgétaires à travers par exemple leur « justification au premier euro », la « révision générale des politiques publiques » de 2007, la « modernisation de l’action publique » de 2012 et « action publique 2022 » lancée en 2017. Le bilan de ces revues de dépenses en termes d’économies est décevant, hormis les suppressions de postes des années 2007-2012 dans les services de l’Etat.

L’examen des revues de dépenses réalisées en France et dans les autres pays peut conduire à formuler quelques conditions de leur succès.

La revue des dépenses publiques ne peut permettre de réaliser des économies que si cet objectif est assumé au plus haut niveau politique. Or les révisions des dépenses en France ont presque toujours relégué cet objectif derrière des ambitions plus consensuelles, et certes légitimes, comme l’amélioration des services rendus aux usagers et des conditions de travail des agents.

La revue des grandes politiques publiques doit être centralisée autour du Président de la République ou du Premier ministre, tout en laissant un rôle important au ministère en charge du budget pour l’articuler avec la procédure budgétaire, mais il faut laisser une autonomie suffisante aux services déconcentrés pour prendre les mesures qui les concernent.

Il est préférable que les économies décidées dans le cadre des revues de dépenses s’appuient sur des évaluations des politiques publiques concernées, dont les méthodes se sont perfectionnées, mais il ne faut pas en faire une condition impérative car les délais et le caractère souvent non conclusif de ces évaluations ne le permettent pas toujours. Les moyens disponibles pour réaliser ces évaluations étant limités, il faut centrer les revues sur les dépenses pour lesquelles il y a de fortes présomptions d’inefficacité. Fixer des objectifs de gains de productivité aux administrations, comme le suggère la Cour des comptes dans un récent rapport, pourrait être aussi une bonne méthode.

Les réformes ont d’autant plus de chances de réussir qu’elles recueillent un large consensus et il faut donc prendre le temps de l’explication et de la concertation. Il faut aussi parfois indemniser les perdants pour les faire accepter. Les économies budgétaires se heurteront toutefois toujours à une forte opposition et la concertation doit laisser place à la décision.

A) L’histoire des revues des dépenses publiques en France

Les revues des dépenses publiques n’ont pas de définition officielle mais on peut tout de même dire qu’il s’agit de processus permettant d’identifier des dépenses publiques, ou des dépenses fiscales, insuffisamment efficientes qui peuvent être diminuées ou supprimées pour réduire ou redéployer l’ensemble des dépenses publiques.

Ces revues de dépenses sont souvent recommandées par les organisations économiques internationales, surtout aux pays qui sont fortement endettés et ont des dépenses publiques supérieures à la moyenne des pays comparables. Selon une note de septembre 2022 du Fonds Monétaire International (FMI) sur ces « spending reviews », elles étaient pratiquées par 16 pays de l’OCDE en 2011 et 31 en 2021. La lecture de cette note du FMI montre toutefois que ces pratiques sont très hétérogènes d’un pays à l’autre.

Une telle revue des dépenses publiques est prévue à l’article 167 de la loi de finances initiale pour 2023 : « en vue d'éclairer la préparation du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er juin de chaque année, un rapport présentant le bilan des évaluations de la qualité de l'action publique menées et les propositions de réformes et d'économies associées ». Cette disposition est reprise à l’article 22 de la loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027 (le 1er juin y étant remplacé par le 1er avril).

Si l’expression « revue des dépenses publiques » n’est utilisée que depuis une vingtaine d’années en France, leur histoire est déjà longue. Pour s’en tenir à l’après-guerre ont ainsi été créés dans la deuxième moitié des années 1940 une « commission d’économie budgétaire et de révision des emplois » et un « comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics », supprimé en 2017, dont la mission était de « rechercher et proposer les mesures propres à réaliser des économies dans le fonctionnement des ministères, des établissements publics, des collectivités locales, des sociétés ou des organismes dans lesquels l’État possède une participation financière supérieure à 20 % du capital social ainsi que des services ou organismes ayant bénéficié de subventions, d’avances ou de garanties du Trésor ». L’histoire présentée ci-dessous commence conventionnellement en 1968.

1) La rationalisation des choix budgétaires

S’inspirant des Etats-Unis où avait été mis en place un « planning, programming budgeting system », un arrêté du 13 mai 1968 a créé auprès du ministre des finances une mission dont l’objectif était « d’expérimenter une méthode tendant à la rationalisation des choix budgétaires (RCB) et au contrôle des résultats de l’action administrative par des études d’analyse de systèmes et de coût-efficacité ».

Certaines de ces études étaient très intéressantes et la RCB a donné lieu aux premiers « budgets de programme », qui étaient associés à des objectifs, des moyens et des indicateurs d’efficacité et furent donc les ancêtres des « programmes » budgétaires actuels. Elle a également contribué à introduire certaines techniques de gestion alors utilisées par les entreprises (gestion par objectifs…), ainsi que le calcul économique, dans l’administration.

Dès 1972, il est toutefois apparu que l’insertion administrative de la RCB et son impact sur les décisions, notamment budgétaires, étaient très modestes et elle a disparu à la fin des années soixante-dix. La RCB s’est heurtée aux déficiences des systèmes d’information et au manque de données suffisantes, aux réticences des ministères « dépensiers » sans avoir un soutien politique suffisant, plus généralement à la contestation d’une approche très économique des choix politiques visant à les fonder sur la rationalité du calcul économique. La légitimité politique de la RCB ne dépassait pas de beaucoup les limites du ministère des finances.

2) La « circulaire Rocard »

Parmi les principales orientations données par la « circulaire Rocard » du 23 février 1989 relative au renouveau du service public figurent : « une politique de développement des responsabilités » combinant un programme de déconcentration des décisions de l’Etat, la mise en œuvre de « projets de service » qui « doivent résulter d’une démarche collective » et la création de « centres de responsabilités expérimentaux » bénéficiant d’un assouplissement des règles budgétaires et d’une plus grande autonomie en contrepartie de la maîtrise des crédits et d’une modernisation des outils de gestion ; « un devoir d’évaluation des politiques publiques » selon des procédures garantissant l’indépendance des évaluateurs, la transparence et la pluralité des méthodes.Alors que la RCB insistait sur les techniques d’évaluation des politiques publiques, la circulaire Rocard mettait surtout en avant la démarche, collective pour les projets de service et pluraliste pour les évaluations. Elle n’était pas mieux articulée à la procédure budgétaire.

La circulaire Rocard a conduit à la création du conseil scientifique de l’évaluation, devenu le conseil national de l’évaluation en 1998, dont le bilan est mince. Le champ d’intervention de ces conseils a certes été limité aux évaluations interministérielles mais l’accent mis sur la nature partenariale des évaluations a fortement amoindri la portée de leurs conclusions. En outre, comme le note le dernier rapport du conseil national de l’évaluation, l’approche dominante de ses travaux a été le plus souvent sociologique et l’apport de disciplines comme la gestion et l’économie a été insuffisant.

3) La loi organique relative aux lois de finances

Bénéficiant d’un fort soutien de tous les partis politiques, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001 avait pour objectif, entre autres, d’améliorer les performances de l’Etat en remplaçant la traditionnelle logique de moyens par une logique de résultats. Les crédits sont répartis par « programmes », dont les « responsables » disposent d’une certaine autonomie de gestion et doivent atteindre des objectifs fixés dans des « projets annuels de performances ». La LOLF se situe ainsi dans le courant de la « nouvelle gestion publique ».

Les économistes y ont aussi vu une démarche de révision systématique des dépenses publiques, articulée avec les procédures budgétaires contrairement à la RCB. Dans un rapport de 2007, le Conseil d’analyse économique soulignait ainsi que « la LOLF est l’occasion pour l’Etat de mieux hiérarchiser et révéler ses préférences, de mieux analyser ce qui relève de ses compétences essentielles et ce qui lui est moins spécifique, de privilégier l’optique de l’efficacité de la politique publique ». La fin de l’ancienne procédure d’adoption automatique des « services votés » et l’instauration d’une « justification au premier euro » était emblématique de cette revue permanente des dépenses pour beaucoup d’économistes.

La LOLF a eu le mérite d’obliger les administrations à s’interroger sur leurs objectifs ; sous certaines réserves, elle a donné plus de flexibilité et d’autonomie aux gestionnaires de crédits ; elle a également contribué à enrichir l’information contenue dans les documents budgétaires.

En revanche, elle n’a pas conduit l’Etat à hiérarchiser ses préférences, ni à privilégier l’optique de l’efficacité, et le dispositif d’amélioration de la performance qu’elle a instauré n’a aucun impact sur la répartition des crédits. Certes aucun pays n’a établi de lien automatique entre la performance des services et leurs dotations budgétaires mais, comme le soulignait un rapport d’information de G. Carrez et D. Migaud à l’Assemblée nationale dès 2009, « si la performance ne saurait commander la budgétisation, elle devrait tout le moins contribuer à l’éclairer », ce qui n’est toujours pas le cas. Selon ce même rapport, le dispositif de performance « est vécu comme générateur de procédures supplémentaires totalement déconnectées de la réalité de la gestion », ce qui reste d’actualité en 2024.

4) Les audits de modernisation

Alors que la LOLF a été mise en application en 2006, des « audits de modernisation » ont été lancés dès 2005 pour améliorer la qualité des services rendus par l’Etat et réaliser des économies budgétaires en vue du redressement annoncé des comptes publics.

Dans son rapport de 2008 sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour des comptes observait que, si la démarche présentait des caractéristiques intéressantes (méthodologie commune à tous les ministères, structure administrative dédiée, transparence des travaux), l’objet de ces audits présentait souvent un enjeu budgétaire marginal, que les économies annoncées n’étaient pas assez documentées et que l’implication des ministères autres que celui des finances était faible. Ces audits n’ont permis qu’une révision très limitée des politiques publiques.

5) La révision générale des politiques publiques

La « révision générale des politiques publiques » (RGPP), lancée en 2007, visait également une modernisation de la gestion publique et une amélioration de la qualité des services mais elle avait aussi pour ambition de remettre en question - de réviser - presque la moitié des dépenses publiques pour éventuellement les supprimer et réaliser des économies budgétaires.

Le tollé provoqué par la rumeur d’une suppression des réductions tarifaires de la SNCF en faveur des familles nombreuses a très vite réduit cette ambition et aucune politique importante n’a été visée. La RGPP a donné lieu à des centaines de décisions, concernant surtout l’Etat et ses opérateurs, pouvant pour la plupart être rangées dans deux catégories : des améliorations ponctuelles de la qualité et de la productivité des services publics (par exemple, le développement des communications par Internet avec les usagers) ; des réorganisations administratives (fusions de services, mutualisation de fonctions…).

Toutes les économies potentielles qui peuvent être tirées de certaines de ces réformes administratives n’ont pas été exploitées mais la RGPP a permis de réaliser des économies significatives. Elles n’ont certes pas toutes été sérieusement documentées mais la mesure phare, le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux, a conduit à la suppression de 136 000 postes dans les services de l’Etat et de ses opérateurs.

A l’opposé de l’esprit de la circulaire Rocard, la gouvernance de la RGPP a été caractérisée par une centralisation des décisions au niveau d’un comité interministériel présidé par le Président de la République qui s’appuyait sur des travaux menés par les corps d’inspection et des consultants privés. Le manque de concertation avec les diverses « parties prenantes » des politiques concernées lui a souvent été reproché.

En outre, ce comité a souvent pris des décisions, comme les horaires d’ouverture d’administrations particulières, qui devraient relever des responsables de programme. La RGPP a ainsi contribué à affaiblir la démarche de performance de la LOLF.

6) La modernisation de l’action publique

La « modernisation de l’action publique » (MAP) a été mise en place en octobre 2012 avec l’installation d’un comité interministériel appuyé sur un secrétariat général rattaché au Premier ministre. Elle avait vocation à couvrir l’ensemble des dépenses publiques en utilisant surtout deux outils : des évaluations de politiques publiques et des programmes ministériels de modernisation et de simplification placés sous la responsabilité des ministres.

La Cour des comptes en a tiré un premier bilan, qui reste valable, dans son rapport de juin 2014 sur la situation et les perspectives des finances publiques. Rompant avec l’approche de la RGPP, la MAP s’est voulu une démarche évaluative et participative, associant notamment les agents et les usagers, visant à améliorer la qualité des services, notamment en simplifiant les formalités et procédures et en mobilisant les leviers numériques. La recherche d’économies budgétaires n’était pas prioritaire.

L’annonce d’un plan d’économies de 50 Md€ à la fin de 2013 a conduit à mettre un peu plus l’accent sur les économies dans le cadre de la MAP, mais l’impact des mesures finalement décidées et qui peuvent être rattachées à la MAP est resté marginal (la principale mesure d’économie prise pendant cette période, la réduction des dotations de l’Etat aux collectivités locales pour environ 12 Md€, ne relevait pas de la MAP).

7) Les revues de dépenses de la loi de programmation de 2014

La loi de programmation des finances publiques de décembre 2014 prévoyait que le Gouvernement annexe au projet de loi de finances (PLF) une liste des « revues de dépenses » menées dans les douze derniers mois, avec les principaux constats et propositions en résultant ainsi que les économies attendues. Cette annexe devait aussi présenter la liste des revues que le Gouvernement envisageait de réaliser en vue du PLF suivant. Ces revues devaient porter sur l’ensemble des dépenses publiques et sur les dépenses fiscales. Contrairement à la MAP, elles devaient être intégrées à la procédure budgétaire. Elles ont été réalisées par les corps d’inspection et de contrôle sous l’autorité du ministre des Finances.

Une douzaine de rapports ont été transmis en vue du PLF pour 2016. Ils portaient sur des sujets aux enjeux budgétaires d’ampleur diverse mais très importants pour certains (17 Md€ pour les aides personnelles au logement ; 11 Md€ pour les dépenses des universités). Une douzaine d’autres rapports ont ensuite été rendus avec le PLF 2017. Les recommandations formulées dans le cadre de ces deux vagues de revue de dépenses ont permis de documenter des économies dont le montant était seulement de 400 M€.

  1. Le programme Action Publique 2022

Le Premier ministre a lancé en octobre 2017 un « programme pour l’Action Publique 2022 » qui avait pour objectifs d’améliorer la qualité des services publics pour leurs usagers, d’offrir un environnement de travail modernisé aux agents et d’accompagner la baisse de trois points de PIB des dépenses publiques annoncée sur la période 2018-2022.

Selon le dossier de presse, il couvrait l’ensemble des administrations publiques, reposait sur une responsabilisation des ministres, était concerté avec les agents et les usagers, était « porté politiquement » par le Président de la république et le Premier ministre, mettait l’accent sur la transformation numérique de l’administration et disposait de moyens financiers spécifiques.

Le degré de centralisation / participation de la procédure d’examen des dépenses se situait entre la RGPP et la MAP. Une innovation intéressante tenait dans l’affectation d’une enveloppe budgétaire de 700 M€ sur les 5 années du programme pour financer des réformes.

Une première phase, d’octobre 2017 à mars 2018, devait être consacrée à une revue des missions et des dépenses publiques qui devait être menée par les ministres et par un comité indépendant composé d’élus et de personnalités qualifiées des secteurs public et privé. Un « forum de l’action publique » a été ouvert pour recueillir les avis des agents et des usagers. Cinq chantiers interministériels ont été lancés sur des sujets transversaux. A l’issue des arbitrages qui devaient être rendus, une phase d’élaboration puis de mise en œuvre opérationnelle des plans de transformation devait commencer en mars 2018.

Le rapport du comité Action Publique 2022 n’a pas été publié mais divulgué par un syndicat en juillet 2018. La mise en œuvre de ses recommandations a été rendue très difficile par les mouvements sociaux de l’automne 2018 puis par la crise économique et sanitaire.

Comme l’écrit la Cour des comptes dans un rapport de 2023, Action publique 2022 « a été abandonnée au profit d’un grand nombre de « politiques prioritaires du gouvernement » (PPG), elles-mêmes déclinées en 150 chantiers centrés sur l’accessibilité numérique et territoriale des services publics, la rénovation du pilotage et la simplification des démarches autour de « moments de vie ». Cette nouvelle démarche de modernisation, foisonnante, est désormais identifiée sous le vocable de « transformation publique ». Elle ne questionne plus ni le périmètre des missions de l’Etat, ni la répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités locales ou l’architecture superposée de ces dernières, et l’objectif budgétaire initial a été relégué au second plan ». Elle met beaucoup plus l’accent sur les résultats de l’action publique perceptibles par les citoyens « jusqu’au dernier kilomètre ».

Les recommandations du comité Action Publique 2022 ont néanmoins inspiré des réformes engagées à partir de 2018 comme le plan « Ma santé 2022 », la loi de 2018 sur le logement dite ELAN, la loi de transformation de la fonction publique de 2019 ou encore l’allègement des procédures de contrôle budgétaire et la rationalisation du recouvrement des impôts et cotisations sociales. Il n’est pas possible d’en mesurer l’impact budgétaire.

  1. Les revues de dépenses depuis 2023

Le gouvernement a remis au Parlement et publié en juillet 2023 un rapport sur « l’évaluation de la qualité de l’action publique ». Après avoir rappelé les principes des revues des dépenses publiques tels qu’énoncés par les organisations économiques internationales et les procédures mises en œuvre dans d’autres pays, ce rapport présente l’organisation mise en place en France pour alimenter les budgets des années 2024 et suivantes.

Sur la base de comparaisons internationales, du poids et de la dynamique des dépenses ainsi que d’une analyse préliminaire de leur efficacité, des politiques publiques seront identifiées et des inspections générales, ou des administrations, seront chargées de les examiner plus profondément, notamment d’engager les évaluations et les concertations nécessaires, pour faire des propositions d’économies ou de redéploiement des dépenses qui seront présentées au Parlement en vue des débats budgétaires de l’automne.

Le rapport de juillet 2023 résume les conclusions des inspections pour ce qui concerne les politiques publiques examinées au cours du premier semestre, parmi lesquelles figurent notamment : les dépenses fiscales contraires aux objectifs environnementaux ; le financement des centres de formation des apprentis ; les indemnités journalières versées par l’assurance maladie ; la politique du logement.

L’objectif de réduction des dépenses publiques est clairement affiché et l’implication du ministre de l’Économie semble forte, mais celle du Président de la République est moins claire. Surtout, les économies envisagées restent encore relativement floues à la date de rédaction de la présente note (3 avril 2024).

B) Les conditions de succès des revues de dépenses

L’examen des revues réalisées en France et dans les autres pays peut conduire à formuler quelques conditions de leur succès.

1) Un objectif d’économies budgétaires assumé au plus haut niveau

La révision des dépenses publiques ne peut permettre de réaliser des économies budgétaires que si cet objectif est assumé au plus haut niveau politique, le Président de la République en France. En effet, toute économie sur les dépenses publiques fait des perdants dont il faut surmonter l’opposition. Or les révisions des dépenses en France, hormis la RGPP, ont toujours relégué cet objectif derrière des ambitions plus consensuelles, et certes légitimes, comme l’amélioration des services rendus aux usagers et des conditions de travail des agents.

Le succès de la révision des dépenses aux Pays-Bas tient largement à l’affichage d’objectifs clairs d’économie. Au cours de la précédente décennie, les dépenses de l’Etat et de la sécurité sociale y ont fait l’objet de normes d’évolution sur la durée de chaque législature dans le cadre d’une programmation pluriannuelle établie par le « central plan bureau » avant les élections. La tradition veut que celui-ci chiffre les programmes des partis politiques pour vérifier leur cohérence avec cette programmation. En 2010, l’objectif était de réduire de 10 % les dépenses sur la période 2011-2015. Le gouvernement a réparti les dépenses en 20 catégories et a demandé à des groupes de travail rassemblant fonctionnaires et experts des propositions permettant de réduire de 20 % les dépenses de chaque catégorie. Les économies proposées ont couvert l’ensemble des dépenses publiques et remettaient parfois en cause des priorités nationales. L’accord de coalition qui a suivi les élections a repris une grande partie de ces propositions en les inscrivant dans le cadre pluriannuel fixé par le bureau du plan.

En France, le « quoi qu’il en coûte » a été nécessaire pour soutenir les ménages et les entreprises pendant la crise économique et sanitaire, mais il a donné l’impression que l’argent public est illimité. Dans ces conditions, il sera encore plus difficile que par le passé de réaliser des économies importantes, quelles que soient les caractéristiques techniques de la nouvelle revue des dépenses publiques.

2) Un processus centralisé et articulé avec les procédures budgétaires

Un rapport de l’OCDE sur la RGPP a conclu qu’il s’agissait d’une « réforme intéressante pour les autres pays de l’OCDE et les pays partenaires de l’OCDE qui cherchent à lancer ou à développer leurs réformes de l’Etat… Sa gouvernance, avec un processus décisionnel et de suivi au plus haut niveau de l’Etat, pourrait inspirer d’autres pays dans lesquels ces réformes sont particulièrement difficiles à mettre en œuvre ».

La centralisation du processus de RGPP autour du Président de la République a été décriée, et elle a effectivement conduit le comité interministériel à prendre des décisions qui auraient dû relever d’un niveau inférieur, mais elle a été relativement efficace car elle a permis de donner une impulsion politique forte, ce qui est la principale condition de succès des revues de dépenses publiques.

La revue des grandes politiques publiques doit donc être centralisée autour du Président de la République ou du Premier ministre, mais il faut laisser une autonomie suffisante au niveau déconcentré pour prendre les initiatives et les décisions qui relèvent de ce niveau.

Si la procédure doit être engagée et suivie par un comité présidée par le Président et/ou au moins le Premier ministre, le secrétariat de ce comité doit être tenu par le ministère du budget de sorte d’articuler étroitement la revue des dépenses et la préparation des projets de lois financières : la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques au début du quinquennat qui devrait s’appuyer fortement sur cette revue ; les lois de finances et de financement de la sécurité sociale, qui devraient intégrer les décisions prises sur la base des revues réalisées en cours de quinquennat.

3) Des décisions appuyées, dans la mesure du possible, sur des évaluations de politiques publiques

Il est bien sûr nettement préférable que les économies décidées dans le cadre des revues des dépenses publiques s’appuient sur des évaluations des politiques publiques concernées permettant de vérifier que leur coût est supérieur à leurs avantages pour la collectivité nationale. Les méthodes d’évaluation se sont beaucoup perfectionnées et les données nécessaires sont bien plus souvent disponibles.

Il est également souhaitable que les lois de programmation pluriannuelles des finances publiques votées en début de quinquennat précisent la nature des réformes qui permettent de respecter les objectifs d’évolution des dépenses publiques au cours des années à venir.

Or l’évaluation des politiques publiques prend beaucoup de temps pour être sérieusement faite et il y a donc une incompatibilité potentielle entre le temps de la décision politique et le temps de l’évaluation. Le projet de loi de programmation, même s’il pourrait être décalé de septembre à novembre, ne peut pas s’appuyer sur des évaluations réalisées depuis les élections du printemps précédent et doit s’appuyer sur des travaux plus anciens, qui peuvent seulement être rapidement actualisées. De nouvelles évaluations commandées par le comité en charge de la revue des dépenses peuvent ensuite alimenter les lois financières annuelles.

Les revues de dépenses ne peuvent pas être exhaustives car les moyens disponibles pour réaliser ces évaluations sont limités. Il faut donc se concentrer sur les dépenses pour lesquelles les présomptions d’inefficacité sont les plus fortes.

Il ne faut non plus pas trop attendre des évaluations des politiques publiques car elles ne permettent pas souvent de conclure qu’une dépense publique est efficiente ou inefficiente. Leurs résultats sont souvent imprécis car le « contrefactuel », à savoir la situation qui aurait été observée en l’absence de cette dépense, est en général impossible à observer (il est difficile en économie de faire des « expériences » comme en physique ou chimie) et il doit être reconstitué par des méthodes statistiques qui ne sont jamais indiscutablement conclusives même si elles ont beaucoup gagné en précision.

En pratique, les nouvelles dépenses sont souvent engagées sans évaluation et elles ne peuvent ensuite être supprimées que si des évaluations concluent sûrement à leur inefficience. Cet effet de cliquet conduit à accumuler les dépenses publiques insuffisamment utiles. Les nouvelles dépenses devraient reposer plus souvent sur des évaluations ex ante et les révisions de dépenses devraient plus souvent conduire à leur réduction malgré l’absence ou le caractère non conclusif des évaluations ex post.

Comme le note la Cour des comptes dans un rapport de 2023 sur la modernisation de l’Etat, « plusieurs pays pratiquent une démarche axée sur la recherche de gains de productivité. Il s’agit de réduire très légèrement mais en permanence les dépenses de fonctionnement, en fonction d’une estimation des gains de productivité apportés par une « réforme en continu », poursuivie sur le long terme. Les cibles annuelles de réduction retenues par les différents pays sont limitées, de 0,5 % à 1,0 %, et constituent une démarche structurelle : elles sont mises en pratique et documentées ministère par ministère et un système de bonus existe par ailleurs pour inciter les administrations à dépasser leurs objectifs. Sans dupliquer in extenso ce modèle spécifique, l’automatisation des processus de modernisation est un modus operandi intéressant dont la France pourrait s’inspirer dans la mesure où il s’inscrit dans une action continue de transformation directement liée à un objectif de maitrise des dépenses de fonctionnement ».

La mesure des gains de productivité dans les administrations est difficile (cf. fiche sur ce sujet), mais ce pourrait être une bonne méthode, plus satisfaisante en tous cas que le simple « rabot ».

4) Une large concertation qui n’empêche pas de prendre des décisions

Les réformes ont d’autant plus de chances de réussir qu’elles recueillent un large consensus et il faut donc prendre le temps de l’explication et de la concertation. Il faut également savoir indemniser les perdants pour faire accepter des réformes. Les délais sont cependant courts entre les élections présidentielle et législative et le dépôt du projet de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques. Il est donc préférable que les réformes inscrites dans ce texte aient été discutées pendant la campagne électorale.

Il reste que les rapports et les débats sont quasi-permanents sur bien des sujets et que les arguments et positions sont connus depuis très longtemps, qu’aucun consensus n’est pourtant envisageable et que « l’opinion publique » y est sans doute toujours largement opposée en France. Une dernière concertation est toujours utile, mais le gouvernement et le Parlement doivent finalement pouvoir décider.

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