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08/12/2016

Les salaires des fonctionnaires de l'Etat

François ECALLE

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La valeur du point d’indice de la fonction publique a été gelée du 1er juillet 2010 au 1er juillet 2016 et les mesures catégorielles ont été nettement plus faibles au cours des années 2013 à 2016 que les années précédentes. En conséquence, les rémunérations des fonctionnaires ont augmenté moins vite que celles des salariés du secteur privé, mais un rattrapage est prévisible en 2017 sous l’effet du dégel du point et de la très forte augmentation des mesures catégorielles.

Ce billet analyse d’abord l’évolution des salaires des fonctionnaires de l’Etat de 2009 à 2017. Jusqu’à 2014, il s’appuie sur le dernier rapport sur l’état de la fonction publique ; s’agissant des années 2015 à 2017, la progression des salaires a été estimée par l’auteur à partir de données figurant dans les rapports de la Cour des comptes et dans le projet de loi de finances pour 2017. Cette estimation n’a été possible que pour les rémunérations de la fonction publique d’Etat, les informations disponibles sur les évolutions prévisibles de la masse salariale des deux autres fonctions publiques étant insuffisantes.

Malgré une forte revalorisation en 2017, le pouvoir d’achat du salaire moyen par tête, net des cotisations salariales, aura augmenté de 2,7 % de 2009 à 2017 dans la fonction publique d’Etat contre 4,5 % dans le secteur privé. Sur cette période, le pouvoir d’achat de la rémunération moyenne des personnes en place, nette de cotisations, aura augmenté de 12,3 % dans la fonction publique d’Etat contre 17,1 % dans le secteur privé.

Les salaires des cadres de la fonction publique d’Etat étaient en 2014 plus faibles que ceux de leurs homologues du secteur privé et les salaires des employés et ouvriers de l’Etat étaient plus élevés que ceux de leurs homologues du secteur privé.

Dans les prochaines années, il faudra financer la revalorisation du point, la réforme des grilles salariales, des incitations plus fortes à la mobilité et à la performance, la convergence des statuts et des régimes indemnitaires. Le coût de ces réformes, qui sont nécessaires, pourrait être limité en revoyant les modes de calcul de la garantie individuelle de pouvoir d’achat et du traitement minimum, en ralentissant les avancements et en réduisant les primes spécifiques à certains corps et ministères. Des économies pourraient également être dégagées en supprimant le supplément familial de traitement, en limitant l’indemnité de résidence à l’Ile-de-France, en ramenant les majorations de rémunération outre-mer au surcoût de la vie ou en supprimant la sur-rémunération du temps partiel à 80 et 90 %.

Si les revalorisations du point d’indice restent mesurées, le coût global de la politique salariale pourrait ainsi être limité. Les économies sur la masse salariale publique ne pourront néanmoins venir que d’une réduction des effectifs.

A)   Une évolution des salaires plus faible dans la fonction publique d’Etat que dans le secteur privé de 2009 à 2017

1)    Les informations disponibles et les estimations retenues

Les rapports annuels sur l’état de la fonction publique, annexés aux projets de lois de finances, donnent l’évolution du salaire moyen par tête (SMPT) dans chacune des trois fonctions publiques ainsi que dans le secteur privé, brut et net des cotisations sociales salariales, en euros courants et en pouvoir d’achat.

La progression du SMPT est ralentie par un « effet de noria » (économie réalisée en remplaçant un agent en fin de carrière par un débutant dont le salaire est moins élevé) qui est important du fait du nombre élevé des départs en retraite. La mesure de l’évolution de la « rémunération moyenne des personnes en place[1] » (RMPP), c’est-à-dire des personnes en place deux années successives, permet d’éliminer cet effet de noria. L’évolution de la RMPP, brute ou nette et en euros courants ou constants, dans les trois fonctions publiques et dans le secteur privé, figure également dans ces rapports.

Le rapport annexé au projet de loi de finances (PLF) pour 2017 fait apparaître ces évolutions jusqu’à 2014. S’agissant des années 2015 à 2017, la croissance du SMPT brut dans la fonction publique d’Etat a été obtenue en soustrayant la progression des effectifs à celle de la masse salariale (hors cotisations dues par l’employeur). Ces informations figurent dans le rapport de la Cour des comptes sur l’exécution du budget de 2015 et dans le rapport annexé au projet de loi de finances pour 2016 et 2017. La prévision de croissance du SMPT dans le secteur marchand non agricole inscrite dans le rapport économique, social et financier (RESF) annexé au PLF pour 2017 a été retenue.

L’écart entre les évolutions des rémunérations brutes et nettes des ménages apparaissant dans le RESF de 2015 à 2017 a été appliqué à la fonction publique comme au secteur privé.

L’effet de noria, également appelé « glissement vieillesse technicité (GVT) négatif », a été estimé pour 2015 à 2017 en prenant l’écart moyen entre les taux de croissance du SMPT et de la RMPP au cours des années 2010 à 2014, pour l’Etat (1,2 % par an) et pour le secteur privé (1,4 %). S’agissant de l’Etat, le taux de 1,2 % est cohérent avec les estimations usuelles de l’impact du GVT négatif sur la masse salariale (environ 1,0 Md€).

Les prévisions d’inflation sont enfin celles du Gouvernement pour 2016 et 2017.

2)    Les évolutions de 2009 à 2017

Au cours des années 2009 à 2013, le pouvoir d’achat du SMPT net a stagné aussi bien dans la fonction publique d’Etat que dans le secteur marchand non agricole. Il est ensuite reparti à la hausse dans le secteur privé et a continué à stagner dans le secteur public jusqu’à 2016. Un rattrapage devrait avoir lieu en 2017 mais il sera incomplet.

De 2009 à 2017, la croissance du pouvoir d’achat du SMPT net aura été au total de 2,7 % dans la fonction publique d’Etat contre 4,5 % dans le secteur privé.

La progression de la RMPP sur cette période n’a de sens que pour les agents en poste dans la fonction publique en 2009 et en 2017. Sous cette réserve, son pouvoir d’achat a augmenté de 12,3 % dans la fonction publique d’Etat et de 17,1 % dans le secteur privé de 2009 à 2017, avec un profil temporel semblable à celui du SMPT : une faible croissance jusqu’à 2013 dans les deux secteurs puis une accélération, plus forte dans le privé que dans le public, et un rattrapage partiel des salaires publics en 2017[2].

Source : FIPECO.

En 2014, les salaires nets étaient plus faibles dans la fonction publique d’Etat que dans le secteur privé pour les cadres (y compris hors enseignants), semblables pour les professions intermédiaires et plus élevés pour les ouvriers et employés. Globalement, les salaires nets du secteur public sont du même ordre de grandeur que ceux du secteur privé, mais les fonctionnaires n’ont pas de risque de chômage (plus de détails).

Les salaires nets mensuels moyens en 2014 (euros)

 

Etat (civils)

Collectivités locales

Hôpitaux

Secteur privé

Ensemble

2 477

1 877

2 223

2 266

Cadres

(dont hors enseignants)

3 054

(3 617)

3 273

4 725

4 109

Professions intermédiaires

2 243

2 224

2 288

2 271

Ouvriers et employés

1 996

1 657

1 698

1 667

 

Source : rapport de 2016 sur l’état de la fonction publique ; FIPECO.

B)   Les réformes nécessaires auront un coût important qui devra être compensé par des économies sur certains éléments de rémunération

1)    Accompagner la revalorisation du point d’indice

La rémunération des fonctionnaires n’a pas été bloquée par le gel du point. En effet, ils bénéficient tous d’une « garantie individuelle de pouvoir d’achat » (GIPA) sous la forme d’une indemnité qui compense la perte éventuelle de pouvoir d’achat résultant d’une évolution du traitement brut inférieure à l’inflation sur une période de quatre ans. En outre, le traitement minimal de la fonction publique a été revalorisé comme le SMIC et les traitements des agents de « catégorie C » (ouvriers et employés) ont été augmentés. Enfin, les agents qui ont obtenu un avancement ont un nombre de points d’indice plus élevé qu’en 2009. De nombreuses catégories de fonctionnaires ont enfin bénéficié de « mesures catégorielles ».

Le gel du point d’indice ne pouvait toutefois pas durer longtemps car il a pour inconvénient d’écraser les grilles salariales. En effet, l’alignement du minimum de traitement sur le SMIC et les mesures en faveur des bas salaires contribuent à augmenter ceux-ci plus que la moyenne. Les agents en place des catégories A (cadres) et B (professions intermédiaires) bénéficient certes de la GIPA et d’avancement de carrière, mais pas les nouvelles recrues. Des cadres auraient ainsi pu bientôt être embauchés avec un traitement supérieur de seulement 10 % au minimum de la fonction publique. La revalorisation du point évite la poursuite de cette dégradation des conditions de recrutement dans les catégories A et B de la fonction publique.

Chaque augmentation de 1,0 % du point a toutefois un coût de 750 M€ pour l’Etat et doit être accompagnée de mesures visant à réduire ce coût. La GIPA (150 M€[3]) garantit le pouvoir d’achat du traitement brut sans tenir compte de la hausse des primes et indemnités. Elle pourrait être limitée aux agents dont le traitement indiciaire brut et la rémunération globale, primes incluses, ont augmenté moins vite que les prix[4].

Le traitement minimal de la fonction publique, qui est hors prime, est aligné sur le SMIC, qui intègre les primes. Les primes et indemnités récurrentes pourraient être prises en compte pour procéder à cet alignement (économie d’environ 150 M€ pour l’Etat).

2)    Limiter le coût de la réforme des grilles

Le tassement de l’échelle des rémunérations dans le bas de la grille des salaires et le plafonnement du traitement indiciaire brut plusieurs années avant le départ en retraite, surtout pour les agents de la catégorie A, justifient la réforme des grilles qui a été annoncée par le gouvernement en septembre 2015 et qui s’étalera de 2016 à 2020.

Les « indices majorés » en bas de grille, de même que les « indices sommitaux », seront relevés de 10 points (catégorie C) à 25 points (catégories A et B). Les durées passées dans chaque grade, avec un avancement « normal », seront allongées de 1 à 2 ans dans la catégorie A et d’un an au plus dans les catégories B et C. Cette réforme sera en partie financée, à hauteur de 4 à 9 points d’indice majoré selon les corps, par une baisse de primes. Le coût, net de la réduction des primes, sera de 2,5 à 3,0 Md€ en 2020 pour l’Etat (0,7 Md€ dès 2017).

Cette réforme aurait dû avoir également pour objectif de ralentir le glissement vieillesse technicité (GVT) positif, qui traduit l’impact budgétaire de l’avancement à l’ancienneté de chaque agent au sein de son corps et des promotions de grade ou de corps. Le GVT positif accroît en effet chaque année la masse salariale de l’Etat de presque 1 300 M€.

L’allongement de la durée « normale » passée dans chaque grade contribuera à le réduire, mais très peu au vu des mesures annoncées. En outre, les avancements peuvent être plus rapides que cette durée normale. Le protocole soumis aux syndicats en juillet 2015 comporte d’ailleurs des dispositions allant plutôt dans le sens d’une hausse du GVT comme le principe selon lequel chaque agent devrait pouvoir dérouler une carrière complète sur au moins deux grades. La réforme des grilles est nécessaire, mais il faudra en limiter le coût en ralentissant les avancements au sein de chaque grade et en réduisant l’accès aux grades supérieurs et à des corps mieux rémunérés.

3)    Inciter à la mobilité

La réduction des dépenses publiques impose de supprimer des services dont l’utilité est insuffisante par rapport à leur coût, de réorganiser les administrations et de revoir la carte de leurs implantations territoriales, notamment si elle passe par une forte baisse des effectifs. Il faut donc pouvoir faire évoluer les fonctions, les services d’affectation et les lieux de travail des agents, ce qui suppose d’accroître leur mobilité.

En 2014, seulement 2,1 % des fonctionnaires titulaires ont changé d’employeur (ministère pour l’Etat, collectivité locale ou établissement de santé) et 3,0 % de bassin d’emploi. En outre, cette mobilité résulte pour 84 % du choix de l’agent et non de celui de l’employeur. En général, seule la première affectation relève totalement de l’employeur, ce qui conduit à affecter les nouveaux agents sur les postes les plus difficiles.

Renforcer la mobilité requiert des incitations financières (primes ou avancement accéléré de carrière pour ceux qui acceptent des postes difficiles) et un effort de formation, ce qui a nécessairement un coût. Les écarts de régimes indemnitaires sont souvent un obstacle à la mobilité et il faudrait donc les harmoniser, ce qui pourrait également avoir un coût élevé.

Il faut aussi rappeler que la mobilité et l’affectation des fonctionnaires à la discrétion de l’employeur sont des contreparties de la garantie de l’emploi. Le refus de mobilité devrait être plus souvent sanctionné.

4)    Récompenser les agents performants

Il est très difficile d’apprécier statistiquement l’ampleur de la modulation des primes en fonction des résultats à l’intérieur de chaque corps mais de nombreux exemples montrent qu’elle est souvent limitée. La nouvelle « indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise » (IFSE), à laquelle tous les fonctionnaires ont droit, comprend un « complément indemnitaire individuel » qui tient compte en principe de l’engagement professionnel et de la manière de servir, mais il est plafonné à un faible niveau.

Il ne s’agit pas de systématiser une rémunération à la performance qui n’a pas toujours obtenu des résultats positifs dans les administrations des autres pays parce que la performance est difficile à mesurer. Mais il est souvent évident sur le terrain que les résultats des agents sont inégaux et que leur rémunération est très loin de refléter cette inégalité. Une augmentation de la part des primes associées aux résultats serait donc souhaitable.

5)    Harmoniser les statuts et les régimes indemnitaires

Le positionnement des échelons de chaque corps sur la grille commune des indices de la fonction publique et la vitesse d’avancement des agents sur l’échelle spécifique à chaque corps ne répondent à aucune rationalité particulière mais à une stratification de réformes statutaires ponctuelles concernant des corps ou des ministères particuliers. Il en résulte d’importantes disparités entre corps et ministères en termes de traitement indiciaire et d’évolutions de carrières au regard des compétences et des responsabilités des agents.

En outre, l’Etat rémunère ses agents sur la base d’environ 1 500 éléments de paie distincts qui correspondent le plus souvent à des régimes indemnitaires spécifiques à des corps ou ministères. Le rapport sur la fonction publique présenté par B. Pêcheur en octobre 2013 soulignait que « les inégalités indemnitaires entre ministères employeurs demeurent, et se sont même accrues ces dernières années ».

La nouvelle IFSE a vocation à remplacer une grande partie des primes et indemnités pour tous les fonctionnaires de l’Etat. Cette réforme devait simplifier le paysage indemnitaire et à lui redonner de la lisibilité. Toutefois, les agents recevront à terme une prime unique dont l’appellation sera la même partout, mais dont le montant restera très différent d’un ministère et d’un corps à l’autre. Cette réforme pourra faciliter ultérieurement leur convergence mais, sauf à remettre en cause des primes et indemnités acquises individuellement, cette harmonisation aura un coût résultant de l’alignement sur les régimes les plus favorables. Or le montant exceptionnel des mesures catégorielles du projet de loi de finances pour 2017 (1 400 M€) résulte pour moins de 50 M€ de la mise en place de l’IFSE. Avec un budget aussi faible, aucune convergence indemnitaire significative n’est envisageable.

6)    Supprimer certaines majorations et indemnités[5]

Le « supplément familial de traitement » est une prestation familiale spécifique à la fonction publique, qui s’ajoute aux prestations de droit commun. Créé en 1917 à une époque où il n’y avait pas de prestations familiales universelles, il n’a plus de raison d’être et pourrait être supprimé, ce qui dégagerait une économie de 0,9 Md€ pour l’Etat.

« L’indemnité de résidence » est supposée compenser le coût de la vie plus élevé dans certaines zones. Son coût est de 0,5 Md€ pour l’Etat (hors agents résidant à l’étranger). Le zonage retenu est obsolète et les velléités de réforme ont toujours échoué, faute de pouvoir définir un indicateur consensuel de cherté de la vie. Dans ces conditions, cette indemnité devrait être limitée aux seuls agents qui résident en Ile-de-France.

Des majorations de traitement et des indemnités sont versées aux agents en poste outre-mer pour compenser le différentiel de coût de la vie avec la métropole. Elles dépassent largement le surcoût de la vie outre-mer et leur coût (1,2 Md€ pour la fonction publique d’Etat) pourrait être réduit en les limitant au surcoût observé par l’Insee.

Les agents dont la durée de travail est 80 % du temps complet sont rémunérés à hauteur de 85,7 % de la rémunération à temps complet et ceux dont la durée est 90 % du temps complet sont rémunérés à hauteur de 91,4 %. Cette particularité de la fonction publique n’a pas de justification et sa suppression dégagerait une économie de 0,3 Md€.

 

[1] Ou des « présents-présents ».

[2] Ces estimations pour 2016 et 2017 s’appuient sur les PLF à défaut de connaître l’exécution du budget 2017 (celle du budget 2016 pourrait être estimée). Comme le PLF pour 2016 n’anticipait pas la hausse du point au 1er juillet, l’effet de cette hausse est imputé dans ces estimations sur l’exercice 2017 alors qu’il devrait être partagé entre 2016 et 2017. Un dépassement en exécution des crédits de masse salariale votés pour 2017, probable du fait des opérations extérieures de la défense, aurait toutefois l’effet opposé sur l’évolution des salaires de 2017.

[3] Les coûts des dispositifs pour l’Etat et les économies réalisables sont tirés d’un rapport de juillet 2015 de la Cour des comptes sur la masse salariale de l’Etat.

[4] Cette double condition est nécessaire pour éviter de créer une garantie de maintien des primes.

[5] Ces mesures sont détaillées dans une note d’analyse sur le site.

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