27/01/2021
Les vingt ans de la LOLF
François ECALLE
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La loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), votée à l’unanimité, aura 20 ans cette année, ce qui appelle à en dresser le bilan. Souvent considérée à ses débuts comme la matrice de la réforme de l’Etat, elle a apporté trois principaux changements aux lois de finances par rapport à l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 qu’elle a remplacée : un renforcement du rôle du Parlement ; un enrichissement de l’information budgétaire et comptable ; des procédures qui devaient permettre d’améliorer les « performances » de la gestion de l’Etat. Le présent billet ne traite que ces deux derniers apports de la LOLF.
La présentation du budget et la comptabilité budgétaire ont été améliorées, mais il reste à supprimer les « prélèvements sur recettes », des « remboursements et dégrèvements d’impôts », des « comptes d’affectation spéciale », les budgets annexes ainsi que les fonds hors budget et sans personnalité juridique, ou à changer radicalement leur traitement.
La comptabilité générale de l’Etat n’a jamais trouvé sa place entre la comptabilité budgétaire et la comptabilité nationale qui sont complémentaires et doivent être privilégiées. Etant très peu utilisée, il faudrait lui consacrer moins de moyens et accepter une dégradation de sa qualité. Il resterait néanmoins possible et nécessaire de mieux mesurer le coût des politiques publiques.
Les règles de gestion ont été assouplies et les pouvoirs des gestionnaires de crédits ont été accrus, mais ils subissent encore d’importantes contraintes : le contrôle budgétaire a priori n’a pas disparu ; les crédits délégués aux responsables territoriaux sont encore trop souvent fléchés vers une affectation précise ; les responsables de programmes n’ont pas, ou peu, de pouvoir sur certaines sources de financement des politiques de l’Etat, comme les dépenses fiscales, ou sur les entreprises publiques et opérateurs qui les mettent en œuvre ; leur visibilité sur les crédits dont ils pourraient disposer à un horizon pluriannuel est souvent trop faible ; jusqu’à 2018, elle était même limitée sur la réelle disponibilité des crédits votés en loi de finances, ce qui est encore plus critiquable.
Les projets et rapports annuels de performance (PAP et RAP), avec leurs objectifs et leurs indicateurs ou leur « justification au premier euro », ont très peu contribué à améliorer les performances de l’Etat. Le « volet performances » de la LOLF est un échec. Il faudrait mieux distinguer les responsabilités des ministres et des fonctionnaires « responsables » de programmes en leur fixant des objectifs différents faisant l’objet de rapports distincts.
Le Parlement devrait donner aux ministres des objectifs « socio-économiques » avec les moyens budgétaires et juridiques pour les atteindre dans un cadre pluriannuel. Les ministres devraient lui en rendre compte et proposer éventuellement des réformes dans des « rapports sur les politiques publiques » reposant sur des évaluations de leur efficacité. Les fonctionnaires responsables de programme devraient avoir des objectifs d’amélioration de la productivité et de la qualité des services rendus par leurs administrations. Les PAP et RAP devraient donc être recentrés sur ces objectifs et indicateurs d’efficience et de qualité de la gestion.
Entre la responsabilité pénale et la sanction par le pouvoir hiérarchique, qui risque de rester insuffisante, il reste à définir un régime juridictionnel de responsabilité efficace des fonctionnaires en cas de faute lourde de gestion, sachant qu’il sera toujours difficile de caractériser de telles fautes lourdes, ce qui conduit à s’interroger sur les missions et procédures de la Cour et des chambres régionales des comptes ainsi que de la Cour de discipline budgétaire et financière.
La LOLF a consolidé une logique verticale de fonctionnement de l’Etat qui s’oppose à la nécessaire coordination des services dans les territoires. Cette contradiction ne pourra être levée qu’en décentralisant plus largement la gestion des dépenses publiques aux collectivités locales, tout en les soumettant à une contrainte budgétaire stricte.
La révision de la LOLF ne peut pas suffire pour réussir la transformation de l’Etat, qui passe notamment par une réforme de sa gestion des ressources humaines. On trouvera des analyses complémentaires sur « les ingrédients du succès » des réformes à mener dans une note du cercle de la réforme de l’Etat et sur la gouvernance des finances publiques dans un récent rapport de la Cour des comptes.
A) L’information budgétaire et comptable
1) La présentation du budget et la comptabilité budgétaire
La présentation du budget de l’Etat et la comptabilité budgétaire sont décrites dans une fiche de ce site. La LOLF les a beaucoup améliorées en remplaçant la décomposition précédente du budget en environ 800 chapitres, correspondant à des dépenses par nature (entretien, loyers, salaires…) et par ministère, par une décomposition en environ 120 « programmes » (pour le budget général). Ceux-ci regroupent les crédits de toute nature qui sont destinés à mettre en œuvre un ensemble cohérent d’actions d’un ministère auxquelles peuvent être associés des objectifs (enseignement scolaire du 1er degré, création culturelle…). Les « missions » budgétaires rassemblent les programmes qui concourent à une même politique (défense, justice…).
En outre, les informations publiées dans les annexes des projets de lois de finances ont été fortement enrichies (près de 20 000 pages en 2018 contre 15 000 en 2006). L’OCDE a toutefois noté que, si la France est à cet égard exemplaire, cette information reste insuffisamment exploitée. Elle n’est en effet pas toujours très pertinente.
En revanche, la LOLF a très peu modifié la présentation générale du budget, notamment l’article d’équilibre des lois de finances, qui reste difficilement compréhensible. Les modifications suivantes, plus précisément développées dans une note de ce site, restent nécessaires.
Les « prélèvements sur recettes » (appellation trompeuse) sont en réalité des dépenses au profit de l’Union européenne ou des collectivités locales. Ils ne devraient donc pas être déduits des recettes, comme c’est le cas actuellement, mais ajoutés aux dépenses du budget général.
Les remboursements et dégrèvements relevant de la « mécanique de l’impôt » (remboursements de crédits de TVA…) et de « la gestion des produits de l’Etat » (dégrèvements obtenus par les contribuables à la suite d’une réclamation…) ne devraient pas apparaître parmi les dépenses budgétaires, comme actuellement, mais être systématiquement déduits des recettes fiscales.
Les remboursements et dégrèvements d’impôts locaux pris en charge par l’Etat sont actuellement déduits des recettes fiscales de l’Etat, ce qui fausse leur signification et l’analyse de leur évolution puisqu’il s’agit d’impôts locaux et non d’impôts d’Etat. Ils devraient être traités comme des dépenses de l’Etat en faveur des collectivités locales.
Les dépenses et recettes des comptes d’affectation spéciale devraient être ajoutées aux dépenses et recettes du budget général, à l’exception de ceux relatifs aux pensions et aux participations financières de l’Etat. Les budgets annexes (contrôle de la navigation aérienne…) devraient être transformés en établissements publics. Les fonds hors budget et sans personnalité juridique (fonds national d’aide au logement…) constituent la forme la plus opaque et la plus critiquable de débudgétisation et ne devraient pas exister.
2) La comptabilité générale
La comptabilité générale de l’Etat, une innovation majeure de la LOLF, est très peu utilisée. En effet, les gestionnaires n’utilisent que la comptabilité budgétaire parce que le budget est présenté et voté dans ce cadre. En outre, la comptabilité budgétaire est une comptabilité de caisse qui est plus facile à comprendre qu’une comptabilité d’exercice, celle-ci impliquant des traitements complexes. Enfin, elle permet un suivi quasi-quotidien, alors qu’une comptabilité en droits constatés, comme la comptabilité générale, oblige à effectuer des opérations d’inventaire nécessairement plus espacées dans le temps.
La comptabilité nationale, qui est en droits constatés et non en caisse, devrait s’appuyer en principe sur la comptabilité générale, qui est également en droits constatés, plutôt que sur une comptabilité budgétaire de caisse, mais elle s’appuie en pratique surtout sur cette dernière. Eurostat a en projet le développement de normes harmonisées de comptabilité générale dans toutes les administrations publiques, mais à un horizon lointain. Certains pays, à commencer par l’Allemagne, n’ont qu’une comptabilité de caisse et ne semblent pas vouloir adopter une comptabilité en droits constatés.
Certes, avec une comptabilité de caisse, il est parfois facile d’améliorer artificiellement le résultat en omettant de payer des factures, mais un contrôle interne efficace peut empêcher de telles dérives. Une comptabilité de caisse ne permet pas d’établir un bilan, tout au moins un bilan complet[1], mais il n’est pas certain que l’estimation précise de tous les actifs et passifs de l’Etat, avec en fait souvent des modes de valorisation conventionnels, en vaille le coût.
Seule la comptabilité nationale permet des comparaisons internationales, consolide les comptes des administrations publiques et présente des séries longues à méthodes constantes. Elle est certes trop agrégée pour analyser avec précision les recettes et dépenses publiques, mais elle peut être complétée par les données de la comptabilité budgétaire pour de telles analyses.
Ces deux comptabilités, budgétaire et nationale, sont donc complémentaires et évincent la comptabilité générale. Pour être utile, il faudrait que celle-ci remplace la comptabilité budgétaire, ce qui implique de faire voter un compte de résultat prévisionnel par le Parlement et d’établir des résultats mensuels en droits constatés. Les grandes entreprises privées le font et c’est donc possible, mais le coût de cette réforme serait probablement élevé pour l’Etat et il n’est pas du tout certain que ses performances en seraient améliorées.
Il faudrait donc plutôt réduire les ambitions de la comptabilité générale, par exemple en lui donnant seulement pour objectifs d’améliorer la qualité des informations permettant à la comptabilité nationale de passer en droits constatés, et de continuer à évaluer les provisions et les obligations hors bilan. Il faudrait y mettre moins de moyens en personnel en acceptant une dégradation de sa qualité. La comptabilité budgétaire pourrait de son côté se rapprocher d’une comptabilité en droits constatés en enregistrant les dépenses au moment du service fait et les recettes au moment de leur mise en recouvrement. Les deux comptabilités pourraient alors finir par converger.
En tous cas, il ne faudrait pas se lancer sur la voie, coûteuse et complexe, d’une consolidation des comptes de l’Etat et des entités qu’il contrôle.
3) La comptabilité analytique
La LOLF prévoit une « comptabilité d’analyse des coûts » des différentes actions engagées dans le cadre des programmes. Elle n’a pas atteint ses objectifs et a été supprimée en 2018, au profit d’une comptabilité analytique qui reste à mettre en place.
Il existe néanmoins des estimations du coût complet de certaines politiques publiques, mais elles sont fragiles et partielles car elles ne tiennent généralement pas compte des coûts supportés par les organismes autres que l’Etat qui concourent à la mise en œuvre de ses politiques, en particulier ses opérateurs. Une comptabilité d’analyse des coûts des politiques publiques reste à construire. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit très sophistiquée et pourrait s’appuyer à la fois sur la comptabilité budgétaire et la comptabilité générale.
Les instituts statistiques européens présentent une ventilation des dépenses publiques par « fonctions », celles-ci correspondant généralement à des politiques publiques. Si elle donne des informations très utiles, cette ventilation ne permet pas de mesurer le coût complet des politiques car certaines charges ne sont pas réparties (intérêts, fonctions supports…) et elle ne permet pas d’analyser avec assez de précision les politiques publiques à un niveau fin.
B) La gestion de l’Etat
La LOLF avait pour ambition d’améliorer fortement les performances de la gestion de l’Etat et beaucoup d’économistes voyaient en elle en 2001 la matrice d’une grande réforme de l’Etat. En contrepartie de pouvoirs accrus et de règles de gestion plus souples, les gestionnaires des crédits de l’Etat devaient être « responsables » des résultats obtenus, ceux-ci étant présentés dans des « rapports annuels de performance » et mesurés par des « indicateurs » quantitatifs associés à des « objectifs » fixés dans des « projets annuels de performance ».
1) Les pouvoirs des gestionnaires et les règles de gestion
a) Un assouplissement incomplet des règles de gestion
Le remplacement de 800 chapitres par 120 programmes budgétaires au sein desquels les crédits sont quasi-fongibles[2] a nettement facilité la gestion des ordonnateurs.
Les programmes budgétaires sont divisés en « budgets opérationnels » dont la gestion est déléguée à des chefs de services nationaux ou territoriaux. Ceux-ci bénéficient d’une plus grande autonomie de gestion que par le passé même si les crédits délégués aux gestionnaires locaux restent trop souvent fléchés par leur administration centrale vers une affectation précise.
Avant d’être engagées, toutes les dépenses devaient autrefois être visées par des « contrôleurs budgétaires » placés sous l’autorité du ministre du budget. Ces contrôles a priori ont été fortement allégés et, pour beaucoup d’entre eux, remplacés par des dispositifs de contrôle interne faisant eux-mêmes l’objet d’audits internes. Ils pourraient être complètement supprimés si le régime de responsabilité a posteriori des ordonnateurs était lui-même réformé (cf. plus loin) pour sanctionner efficacement les irrégularités budgétaires qui pourraient subsister comme l’engagement de dépenses malgré l’absence des crédits nécessaires. Les contrôleurs budgétaires exercent également un contrôle de la « soutenabilité budgétaire » des programmes, notamment des crédits de personnel, en début d’exercice mais il est en pratique peu contraignant.
Avant d’être payées, les dépenses sont contrôlées par les comptables assignataires. Leurs contrôles complètent ceux des ordonnateurs et la répartition des rôles entre eux évolue en pratique en fonction de la nature des dépenses et des risques, du moins pour ce qui concerne l’Etat, dans le sens d’une plus grande efficacité.
b) Des pouvoirs partagés avec d’autres administrations et organismes
Les responsables de programmes budgétaires n’ont de pouvoir que sur les crédits du budget de l’Etat dont ils disposent. Or beaucoup de politiques publiques ont des sources de financement qu’ils ne maîtrisent pas, en particulier les dépenses fiscales, en pratique gérées par la direction générale des finances publiques, et les taxes affectées à des opérateurs ou les recettes propres des entreprises publiques.
Les responsables de programmes exercent certes généralement une tutelle sur les opérateurs et les entreprises publiques avec lesquels ils doivent en théorie depuis très longtemps passer des contrats fixant leurs objectifs et leurs moyens. En pratique, ces contrats sont rarement signés et rapidement caducs lorsqu’ils sont signés. La LOLF s’est inspiré du modèle anglo-saxon (et scandinave) des « agences », auxquelles les ministres fixent des objectifs et des moyens et qui ensuite bénéficient d’une large autonomie de gestion, mais la relation entre l’Etat et ses opérateurs et entreprises en France est en pratique bien moins claire. Elle oscille entre soit un interventionnisme tatillon des administrations centrales sur les opérateurs et les entreprises publiques soit une grande indépendance de ceux-ci, notamment quand leurs dirigeants semblent être en relation directe avec l’Elysée et Matignon.
c) Une visibilité limitée dans le temps sur les moyens disponibles
Les responsables de programme ont en principe une visibilité sur les crédits dont ils disposent à un horizon de plusieurs années depuis 2008 et la création des lois de programmation pluriannuelle des finances publiques, qui comprennent un budget triennal de l’Etat. Cependant, le principe d’annualité des lois de finances, tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel, permet au Parlement de voter un budget incohérent avec la loi de programmation. En pratique, les lois de programmation n’ont pas souvent été respectées et la visibilité des gestionnaires sur les crédits disponibles à moyen terme est restée limitée. Si un renforcement de la pluri-annualité est souhaitable, il sera toutefois toujours très difficile d’obliger le Parlement à se lier les mains sur plusieurs années. Aucune loi de programmation n’aurait été respectée en 2020.
La visibilité des responsables de programmes a même souvent été faible sur l’exercice en cours, ce qui est plus critiquable. En effet, les projets de lois de finances ont souvent dû concilier un objectif strict de maîtrise des dépenses résultant de nos engagements européens et le besoin d’afficher une forte progression des crédits affectés à des politiques prioritaires. La satisfaction de ces objectifs contradictoires est passée par une sous-estimation des crédits nécessaires à des missions moins prioritaires. Il fallait donc redéployer des crédits en cours d’exécution entre les missions et programmes, ce qui obligeait la direction du budget à pratiquer des « gels » dès le début de l’exercice, voire des « surgels » en milieu d’année. Les lois de finances initiales pour 2018 et 2019 ont toutefois été plus « sincères » ce qui a permis de limiter ces pratiques contestables.
2) Les projets et rapports de performance
a) Un impact très limité sur les performances de la gestion de l’Etat
Les projets et rapports annuels de performance (PAP et RAP), avec leurs objectifs et leurs indicateurs, ont un faible impact sur la gestion publique et ont très peu contribué à améliorer les performances de l’Etat. La répartition des crédits budgétaires n’a quasiment aucun rapport avec les objectifs et indicateurs des PAP et RAP.
Certes, aucun pays n’a établi de lien automatique entre performances des services et dotations budgétaires mais, comme le soulignait déjà une mission d’information de l’Assemblée nationale en 2009, « si la performance ne saurait commander la budgétisation, elle devrait à tout le moins contribuer à l’éclairer », ce qui n’est même pas le cas. Selon ce rapport, le dispositif de performance « est vécu comme générateur de procédures supplémentaires totalement déconnectées de la réalité de la gestion ». En 2019, la Cour des comptes observait à nouveau que « le dispositif de performances reste sans effet significatif tant sur l’allocation des ressources que sur les processus de modernisation de l’action publique ».
S’il existe dans certains ministères des instruments de pilotage et de contrôle de gestion, ils sont souvent indépendants du dispositif prévu par la LOLF. Les processus de réforme de l’Etat engagés depuis 2008 (la révision générale des politiques publiques, la modernisation de l’action publique, les revues de dépenses et Action Publique 2022) ne se sont pas appuyés sur le dispositif de performance de la LOLF.
Les PAP comprennent une « justification au premier euro » des crédits du programme qui oblige en principe les parlementaires à revenir sur les crédits votés antérieurement et à ne pas se contenter d’examiner les mesures nouvelles. Cette disposition a été présentée comme une rupture par rapport à la pratique antérieure à la LOLF consistant à reconduire automatiquement les « services votés » dans les lois de finances précédentes pour ne débattre que des mesures nouvelles. Cette justification au premier euro n’est toutefois qu’une ventilation comptable des crédits du programme entre ses principaux éléments, assortie éventuellement d’explications sur les facteurs d’évolution de ces crédits. Ce n’est pas une justification économique de ces dépenses fondée sur leur utilité pour la collectivité nationale.
b) Les réformes nécessaires
Ce dispositif de performance a été plusieurs fois modifié depuis sa création, avec par exemple la création d’objectifs et indicateurs par mission, et les propositions visant à l’améliorer ne manquent pas : rationnaliser la carte des programmes ; consolider la place de leurs responsables dans les ministères ; inciter plus fortement les agents à améliorer les performances en agissant sur leur rémunération ; fiabiliser et stabiliser les indicateurs ; fixer des cibles pertinentes ; instaurer un véritable contrôle de gestion ; harmoniser les indicateurs associés à des actions similaires etc. Beaucoup sont pertinentes mais les suivantes paraissent plus importantes (elles sont développées dans une autre note sur ce site).
Les politiques publiques ont des objectifs ultimes tels que la croissance de l’emploi, la réduction de la pauvreté ou la préservation de l’environnement dont l’atteinte dépend souvent de facteurs indépendants de l’action des responsables de programmes : la conjoncture économique, les évolutions technologiques…Les responsables de programmes n’ont pas de prise sur ces facteurs et ne peuvent pas être jugés, par exemple, sur le nombre de chômeurs retrouvant un emploi ou l’abondance des oiseaux communs, indicateurs pourtant retenus dans les PAP et RAP. Ceux-ci correspondent en effet pour 50 % d’entre eux à des objectifs de cette nature, les objectifs dits d’efficacité socio-économique. Ceux-ci devraient être supprimés dans les PAP et RAP car ils n’y servent à rien.
Il faut demander aux responsables de programme, dans la limite des crédits qui leur sont attribués, de produire des services de qualité (comme des formations validées par des diplômes) ou de mettre à disposition des biens publics en bon état (routes…), y compris en période de crise. Dans le cas des politiques d’intervention, il s’agit de payer des prestations sociales ou des subventions en respectant des règles et la production se mesure en nombre de paiements ou de dossiers traités. Dans le cas des politiques de régulation, il s’agit surtout de produire des décisions administratives d’autorisation ou d’interdiction (permis de construire…).
Les responsables de programme devraient être jugés sur la productivité (ou « l’efficience de la gestion » dans la terminologie de la LOLF) des services concernés, qui rapporte la quantité de biens et services produits, en tenant compte de leur qualité (par exemple, l’accueil des bénéficiaires d’aides), aux moyens mis en œuvre (ou à leur coût).
Les PAP et RAP devraient donc être recentrés sur les objectifs et indicateurs d’efficience de la gestion et de qualité de service, qui devraient largement se retrouver dans les outils de gestion et tableaux de bord spécifiques à chaque ministère. De tels objectifs et indicateurs supposent toutefois de savoir définir et mesurer correctement les services produits par les administrations alors que c’est souvent très difficile en pratique. Un investissement méthodologique important est donc nécessaire pour fixer des objectifs pertinents.
Il est certes indispensable d’évaluer l’efficacité socio-économique des politiques publiques pour les justifier, les améliorer ou les supprimer. Toutefois, leur évaluation suppose d’appliquer des techniques statistiques complexes, permettant d’isoler la contribution de chaque facteur au résultat, à des données pertinentes et avec un recul suffisant (cf. fiche sur l’évaluation), ce que les PAP et RAP ne peuvent pas faire. La mesure de l’efficacité socio-économique relève de techniques lourdes incompatibles avec un suivi annuel systématique dans le cadre du calendrier budgétaire. En revanche, il est possible et souhaitable de présenter chaque année les évaluations de quelques politiques publiques dans un rapport spécifique et d’en tirer les conclusions.
3) Les responsabilités des ministres et des gestionnaires
a) Distinguer leurs responsabilités et leur demander des rapports différents
Il revient au Parlement de définir les politiques permettant d’atteindre les objectifs ultimes que sont, par exemple, la croissance de l’emploi ou la réduction de la pauvreté. Il lui revient également de fixer les moyens budgétaires et juridiques permettant de les atteindre, ainsi que les modalités d’évaluation de leurs résultats, de préférence dans le cadre pluriannuel des lois de programmation car ces politiques doivent s’inscrire dans un temps long.
La responsabilité des ministres devrait être de mettre en œuvre ces politiques, d’en faire évaluer périodiquement l’efficacité socio-économique dans le cadre de revues de dépenses, d’en rendre compte au Parlement et de lui proposer éventuellement de les modifier. Pour évaluer correctement les politiques publiques, il faut pouvoir prendre en compte l’ensemble des moyens qui leur sont affectés (par l’Etat, ses opérateurs et entreprises, les collectivités locales…).
La mise en œuvre des politiques devrait être confiée par les ministres à des responsables de programme ayant pour responsabilité, dans la limite des crédits qui leur sont attribués, de produire des services de qualité, de mettre à disposition des biens en bon état, de payer des prestations sociales ou des subventions en respectant des règles ou encore de prendre des décisions administratives dans des délais raisonnables.
La LOLF devrait en conséquence distinguer deux catégories de rapports : d’une part des « rapports sur les politiques publiques » présentés par les ministres et développant les objectifs et moyens de ces politiques, les évaluations de leur efficacité socio-économiques réalisées au cours de l’année dans le cadre des revues de dépenses et les propositions du gouvernement qui en découlent pour les améliorer ; d’autre part, des PAP et RAP présentés par les responsables de programmes et recentrés sur l’efficience de la gestion et la qualité des services.
b) Définir un régime de responsabilité des fonctionnaires
Le Gouvernement est responsable devant le Parlement, qui peut ne pas lui accorder sa confiance, et les parlementaires sont responsables devant les français, qui peuvent ne pas les réélire. La responsabilité des fonctionnaires est beaucoup moins claire.
Ils sont responsables pénalement s’ils commettent des crimes ou des délits dans l’exercice de leurs fonctions mais cette responsabilité pénale a sans doute déjà été trop étendue, ce qui peut conduire les fonctionnaires à prendre des précautions excessives pour l’éviter. Elle ne doit pas être appliquée à la mauvaise gestion. Celle-ci devrait être plus souvent sanctionnée par les supérieurs hiérarchiques des fonctionnaires, ou des instances disciplinaires, y compris les ministres pour les agents les plus élevés dans la hiérarchie et dont les postes sont à la discrétion du Gouvernement. Cette responsabilité managériale est toutefois insuffisante car les ministres ne restent pas assez longtemps à leur poste et ne s’investissent pas assez dans la gestion de leur ministère pour apprécier la valeur des directeurs d’administration centrale, d’opérateurs ou d’entreprises publiques et éventuellement les sanctionner.
Entre la responsabilité pénale et la responsabilité managériale, il existe en France une responsabilité devant des juridictions particulières : la Cour ou les chambres régionales des comptes pour les comptables publics et la Cour de discipline budgétaire et financière pour les ordonnateurs autres que les ministres et les élus locaux. Elles suivent toutefois des procédures trop lourdes et trop longues qui aboutissent à des sanctions financières de faible montant (après remises gracieuses par les ministres et remboursement par les assurances) et relativement rares s’agissant de la Cour de discipline. La Cour et les chambres régionales des comptes ne peuvent pas sanctionner les ordonnateurs, mais seulement dénoncer leurs fautes et manquements aux juridictions pénales ou aux ministres ou les faire connaître par leurs publications.
Il faudrait que les fautes lourdes de gestion soient plus souvent et plus fortement sanctionnées par ces juridictions, sachant que la principale difficulté est de qualifier ces fautes. Il est certes facile de constater qu’un ordonnateur ou un comptable a engagé ou payé une dépense alors que les crédits nécessaires étaient épuisés. Il est en revanche plus difficile de prouver que les diligences d’un comptable pour recouvrer des créances sont insuffisantes si on admet que beaucoup de démarches visant à leur recouvrement peuvent être inutiles. Il est également souvent difficile de démêler les responsabilités des nombreux agents qui ont participé à un projet dont le coût a dérapé. Comme les fonctionnaires se retranchent souvent derrière les instructions des ministres ou des élus locaux, il faudrait en outre que la responsabilité de ces derniers pour des fautes de gestion puisse être également mise en jeu.
4) Déconcentration et décentralisation
La LOLF a consolidé un fonctionnement « vertical » des services de l’Etat : les crédits correspondant à des politiques publiques sont affectés à des responsables de programmes, en général des directeurs d’administration centrale, qui les délèguent à des responsables de budgets opérationnels, généralement les directeurs des services territoriaux de leur ministère, à charge pour eux de contribuer à réaliser les objectifs du programme.
Or une forte coordination est nécessaire au niveau local entre les services déconcentrés des ministères, qui est en principe assurée par les préfets, et cette organisation en tuyaux d’orgues la rend très difficile en pratique. La France n’a jamais su concilier le mode de fonctionnement vertical des ministères, renforcé par la LOLF, et la dimension nécessairement horizontale de l’action des représentants de l’Etat dans les territoires. Contrairement aux grandes entreprises, l’Etat n’a jamais su mettre en place une organisation matricielle, celle-ci supposant sans doute une flexibilité dont il est incapable.
La décentralisation, et non la seule déconcentration, est sans doute la seule solution pour sortir de cette impasse. Elle permettrait également de réaliser de véritables expérimentations. Les dépenses des administrations territoriales ne représentent que 20 % du total des dépenses publiques en France, contre une moyenne de 32 % dans l’Union européenne ou la zone euro (cf. fiche sur ce sujet). La gestion d’une part beaucoup plus importante des dépenses publiques pourrait donc être confiée aux collectivités territoriales. En contrepartie, il faudrait limiter les ressources dont elles peuvent disposer en s’inspirant de l’Allemagne : 41 % des dépenses publiques y sont gérées par les collectivités territoriales mais celles-ci sont financées principalement par des impôts d’Etat partagés par celui-ci en concertation avec les représentants des länder. Il serait également souhaitable que les collectivités locales publient des indicateurs de coût et d’efficacité de leurs politiques validés par un tiers de sorte que les électeurs puissent élire leurs représentants sur la base d’une information pertinente.
[1] Les dettes financières de l’Etat sont comptabilisées depuis bien avant la mise en place de la comptabilité générale.
[2] Les crédits de personnel peuvent être utilisés pour payer des dépenses d’une autre nature mais pas l’inverse, ce qui est qualifié de « fongibilité asymétrique ».