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15/04/2021

Plafonner les dépenses publiques

François ECALLE

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Le ministre de l’économie et la commission sur l’avenir des finances publiques se sont prononcés récemment en faveur d’une règle budgétaire pluriannuelle visant à plafonner le montant des dépenses publiques. La présente note examine les justifications et les modalités de mise en œuvre d’une telle règle.

Quel qu’en soit le taux d’intérêt, la dette publique n’est pas soutenable si les dépenses publiques augmentent toujours plus vite que le PIB, sauf à relever toujours plus le taux des prélèvements obligatoires ce qui n’est pas souhaitable. Les dépenses publiques annuelles doivent donc être plafonnées dans une loi de programmation pluriannuelle.

On ne peut certes pas empêcher le Parlement de voter des lois financières annuelles qui ne respectent pas les plafonds fixés dans les lois de programmation, mais de telles règles budgétaires sont utiles car elles obligent les pouvoirs publics à prendre des engagements et soit à les respecter soit à s’expliquer. Dans cette logique de « comply or explain », comme disent les anglo-saxons, une clause de correction automatique des dépassements du plafond l’année suivante est utile même si elle n’est pas toujours respectée.

En application des règles budgétaires européennes, les lois pluriannuelles de programmation des finances publiques mettent actuellement en avant des objectifs d’évolution du solde, de la dette et du solde « structurel » des administrations publiques. Il faudrait plutôt mettre en avant l’évolution des dépenses publiques et fixer un plafond de dépenses pour chaque année de la période de programmation. Une telle règle serait plus facile à comprendre et donc à respecter que les règles actuelles.

Une fois l’activité revenue à un niveau satisfaisant, le taux de croissance des dépenses publiques devra être inférieur au taux de croissance du PIB à moyen terme. L’écart entre ces deux taux doit dépendre de la cible retenue pour la dette publique et de la vitesse à laquelle il faut l’atteindre, paramètres qui ne peuvent être définis que collectivement par l’ensemble des pays de la zone euro.

Le total des dépenses publiques, y compris la charge d’intérêts et les investissements mais éventuellement hors allocations de chômage, doit être plafonné et la définition de ce plafond doit tenir compte des mesures prévues de hausse et de baisse des prélèvements obligatoires. Ce plafond global devrait être décliné par catégories de dépenses et d’administrations à un niveau assez fin pour donner de la visibilité aux gestionnaires publics, mais sans que tous les sous-plafonds soient contraignants. Une clause dérogatoire en cas de crise doit enfin être prévue.

A) Les justifications

1) Il faut limiter les dépenses publiques pour que la dette soit soutenable

Il est impossible de déterminer un seuil d’endettement au-delà duquel se déclenche une crise des finances publiques imposant des mesures drastiques de redressement car sa survenue dépend de nombreux paramètres souvent non quantifiables et spécifiques à chaque pays et à chaque période. Pour éviter une telle crise, il faut être capable de stabiliser la dette en pourcentage du PIB. Elle peut et doit augmenter lorsque la conjoncture est mauvaise mais il faut ensuite en reprendre le contrôle.

Quel que soit le taux d’intérêt, une hausse continue du déficit public entraîne la dette sur une trajectoire indéfiniment ascendante (en pourcentage du PIB). Or, à législation fiscale inchangée, les recettes publiques augmentent, en moyenne sur plusieurs années, comme le PIB. Il faut donc que la croissance des dépenses soit inférieure ou égale à celle du PIB pour éviter une hausse du déficit. Si la croissance des dépenses est toujours plus forte que celle du PIB, une augmentation des impôts ne pourrait permettre de stabiliser la dette que si elle était indéfiniment répétée ce qui n’est pas souhaitable, surtout dans un pays qui est au premier ou au deuxième rang de l’OCDE pour le taux des prélèvements obligatoires.

Il faut donc que les dépenses publiques n’augmentent pas plus vite que le PIB pour éviter d’accroître le déficit en pourcentage du PIB. Ce sera mécaniquement le cas en 2022 et 2023 du fait du rebond de l’activité économique et de la disparition des mesures d’urgence et de relance. Ensuite, il faudra que la croissance des dépenses soit inférieure à la « croissance potentielle » (la croissance moyenne prévisible à long terme).

Les observations précédentes sont plus longuement développées dans une note de ce site sur la soutenabilité de la dette publique.

2) Les règles budgétaires sont utiles même si elles ne sont pas toujours respectées

La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a inscrit dans la Constitution que « les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques ». La première loi de programmation est datée du 9 février 2009 et porte sur les années 2009-2012. Les plafonds annuels de dépenses devraient donc être inscrits dans ces lois de programmation pluriannuelle.

Cependant, le vote annuel du budget est une des principales prérogatives constitutionnelles du Parlement (c’est le « principe d’annualité budgétaire ») et les lois de programmation pluriannuelle des finances publiques ne peuvent pas imposer des plafonds de dépenses annuels au législateur[1]. A défaut d’une réforme constitutionnelle instaurant une supériorité juridique des lois de programmation sur les lois financières annuelles (lois de finances de l’Etat et de financement de la sécurité sociale), la portée réelle des dispositions inscrites dans les lois de programmation est assez limitée. En pratique, elles ont d’ailleurs souvent été ignorées par le gouvernement et le Parlement.

A supposer que le Parlement accepte de se lier les mains en votant une réforme constitutionnelle rendant les lois de programmation contraignante, ce qui est peu probable en France, il faudrait ajouter des « clauses de sauvegarde » permettant de voter des crédits dépassant les plafonds si la situation économique l’exige (aucune loi de programmation n’aurait pu être respectée en 2020).

Il reste enfin que si le Parlement voulait voter une loi financière annuelle contraire à une loi de programmation constitutionnellement contraignante, il pourrait toujours adopter une nouvelle loi de programmation, ce qu’il a d’ailleurs déjà fait en 2014 alors même qu’il n’y était pas obligé.

Les règles budgétaires sont rarement contraignantes, ce qui est aussi le cas des règles européennes. Les sanctions prévues par le traité de Maastricht, qui prennent la forme d’amendes, n’ont jamais été appliquées alors que plusieurs pays en situation de « déficit excessif », dont la France, n’ont pas suivi les recommandations qui leurs avaient été faites par le Conseil de l’Union européenne, notamment de sortir de cette situation dans un certain délai, à plusieurs occasions pour certains d’entre eux.

Les règles budgétaires seront toujours violées par le pouvoir politique lorsqu’elles lui paraîtront limiter excessivement son pouvoir discrétionnaire, notamment dans un pays comme la France où le respect des règles n’a pas la même valeur qu’en Allemagne. Elles sont néanmoins nécessaires pour fixer des orientations ayant un minimum de crédibilité et coordonner les décisions budgétaires, des Etats dans une union monétaire, de l’ensemble des administrations publiques et des gestionnaires au sein de l’Etat dans un même pays.

Si les limites fixées peuvent être dépassées sans réelles sanctions, elles obligent au moins les décideurs à expliquer pourquoi elles ont été dépassées, ce que les anglo-saxons désignent par « comply or explain ». Il importe, pour obtenir cet effet, que des institutions budgétaires indépendantes, comme la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), vérifient le respect des règles et expriment publiquement leur opinion. Ces institutions ne peuvent cependant critiquer légitimement la politique d’un gouvernement que si celui-ci s’est fixé lui-même des règles qu’il ne respecte pas.

Au niveau international, les règles permettent au moins d’exercer une « pression par les pairs » sur les gouvernements qui les enfreignent, ce que les anglo-saxons appellent « name and shame ».

Si on adopte cette approche des règles budgétaires, les clauses de correction automatique, prévoyant par exemple que le plafond de l’année N+1 est réduit du montant du dépassement du plafond de l’année N, sont utiles pour obliger le gouvernement à s’expliquer s’il ne les met pas en œuvre, mais il ne faut pas se faire d’illusions sur leur « automaticité ». Il est donc inutile de prévoir des mécanismes sophistiqués.

3) Il faut changer les priorités des lois de programmation des finances publiques

Transposant la réglementation européenne, notamment le traité de 2012 sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l’Union économique et monétaire, la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques précise les dispositions de la Constitution relatives aux lois de programmation.

Celles-ci doivent surtout établir une trajectoire d’évolution du solde structurel annuel vers un « objectif à moyen terme » proche de zéro. Elles doivent également comporter les trajectoires du solde effectif des administrations publiques et de la dette publique ainsi que « l’effort structurel » prévu pour chaque année de la période de programmation. L’effort structurel est un indicateur synthétique de l’impact budgétaire total des mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires et aux dépenses publiques.

La loi organique prévoit que chaque loi de finances commence par un article liminaire présentant le solde effectif et le solde structurel pour l’année considérée. Le HCFP est chargé de vérifier leur cohérence avec la trajectoire prévue dans la loi de programmation.

La loi organique prévoit également que « la loi de programmation des finances publiques peut comporter des orientations pluriannuelles relatives à l'encadrement des dépenses ». En pratique, la loi de programmation pour la période 2018-2022 (encore en vigueur) présente la trajectoire prévue des dépenses publiques annuelles, en pourcentage du PIB et en taux de croissance (volume).

Il faudrait modifier la loi organique pour y inscrire que les lois de programmation ont pour principal objectif d’établir un plafond annuel des dépenses publiques, en euros courants ou constants, sur la période considérée. L’article liminaire des lois de finances présenterait les prévisions de dépenses pour l’année considéré, à la place des soldes effectif et structurel, et le HCFP aurait pour mission de vérifier qu’elles sont cohérentes avec la loi de programmation.

Une telle programmation centrée sur l’évolution des dépenses publiques serait plus facile à comprendre et donc à respecter que les dispositions actuelles centrées sur le solde structurel. En effet, si celui-ci constitue un concept économique pertinent, il est difficile à expliquer et sa mesure soulève d’importantes difficultés en pratique.

Il reste que les règles budgétaires européennes, à savoir le TSCG et le pacte de stabilité et de croissance (PSC) mettent en avant les soldes effectif et structurel. Il existe déjà une « expenditure rule » (qui vise les dépenses primaires hors allocations de chômage et avec des dépenses d’investissement lissées sur quatre ans) mais elle est secondaire par rapport aux règles relatives au déficit, à la dette et au solde structurel. Des institutions comme la Commission européenne ou le comité budgétaire européen plaident certes depuis avant même la crise pour une réforme du PSC mettant cette règle de dépenses au premier rang, mais cette réforme n’est pas acquise et une révision de la loi organique de 2012 allant dans ce sens l’anticiperait.

B) Les modalités pratiques

La croissance des dépenses publiques doit être fixée par rapport à la croissance moyenne du PIB prévisible dans les prochaines années, c’est-à-dire la croissance potentielle (qui est celle du PIB potentiel). Celle-ci est difficile à estimer et l’est encore plus que d’habitude dans la situation de crise que nous traversons. Elle est toutefois un peu moins fragile que le niveau du PIB potentiel sur lequel repose le calcul du solde structurel.

L’écart entre la croissance potentielle et la croissance en volume des dépenses[2] doit dépendre de la cible de dette publique et de la vitesse à laquelle on souhaite l’atteindre. Au sein de la zone euro, ces paramètres ne peuvent être fixés que collectivement par les états membres. Ils seront au cœur des négociations sur la révision des règles budgétaires européennes.

Cet écart doit aussi dépendre des mesures de hausse ou de baisse des prélèvements obligatoires prévues sur la période de programmation. Une diminution des impôts ou des cotisations sociales doit avoir pour contrepartie un plafond de dépenses plus bas. Techniquement, il s’agit de définir un « effort structurel » annuel minimal permettant d’atteindre la cible de dette à la vitesse souhaitée puis d’en soustraire l’effort prévu sur les recettes (qui peut être négatif) pour déterminer l’effort à faire sur les dépenses et donc le niveau des plafonds annuels. La « expenditure rule » européenne est construite ainsi.

Le respect d’une telle règle dépend très peu de la situation conjoncturelle car les dépenses qui y sont sensibles, principalement les indemnités de chômage, ne représentent qu’une très faible part du total. Cette règle permet de laisser les recettes jouer le rôle de stabilisateurs automatiques : si la croissance est forte, elles s’accroissent et le déficit diminue ce qui freine l’activité ; si elle est faible, elles ralentissent et le déficit augmente ce qui stimule l’activité. Un plafonnement des dépenses ne permet cependant pas de prendre les mesures de relance budgétaire par la dépense qui peuvent être nécessaires en cas de récession. Une clause dérogatoire les autorisant est donc nécessaire.

Les plafonds annuels peuvent être exprimés en euros courants ou constants. S’ils sont exprimés en euros courants, il faut pouvoir les modifier dans les lois financières annuelles si l’inflation est différente des prévisions sous-jacentes à la programmation.

Le plafonnement doit s’appliquer à l’ensemble des dépenses publiques et pas seulement aux dépenses primaires. C’est en effet le total des dépenses qui détermine le déficit et la variation de la dette. Si la charge d’intérêts diminue, un plafonnement des dépenses totales donne un peu plus de marge pour augmenter les dépenses primaires ; si la charge d’intérêts augmente plus que les dépenses totales, les dépenses primaires doivent ralentir plus fortement.

Malgré leur faible poids, les allocations de chômage pourraient être retirées des dépenses plafonnées, bien que cela complique la règle, de sorte que les dépenses totales puissent augmenter un peu plus quand le chômage s’accroît.

La commission pour l’avenir des finances publiques propose de fixer un montant minimal pour les investissements publics et beaucoup de voix se font entendre pour leur réserver un traitement plus favorable qu’aux dépenses de fonctionnement. La distinction comptable entre fonctionnement et investissement n’est toutefois pas toujours claire en pratique (certaines dépenses de rénovation sont à la limite des deux catégories). Surtout, des dépenses d’investissement peuvent être inutiles alors que certaines dépenses de fonctionnement sont indispensables à la croissance économique. Si cette distinction était faite, la pression serait d’ailleurs très forte pour inclure dans les dépenses d’investissement les dépenses d’éducation, de santé, culturelles… parce qu’elles accroissent le capital humain. Le plafonnement des dépenses n’aurait alors plus grand sens.

Comme le montre une note sur ce site, les besoins en investissements publics supplémentaires justifiés par leur utilité socio-économique peuvent très probablement être financés en évitant de retenir des projets dont les bénéfices sont insuffisants et en réduisant les dépenses publiques hors investissement.

Une règle d’évolution des dépenses des administrations publiques n’est pas opérationnelle à elle seule car son respect dépend de décisions prises par des milliers d’organismes publics autonomes. En outre, le montant des dépenses publiques de l’année N en comptabilité nationale n’est connu qu’au printemps de N+1, soit souvent trop tard même pour procéder à une correction en N+1. Le plafonnement global des dépenses publiques doit donc être décliné en règles spécifiques à certains organismes ou à certaines catégories d’organismes dont l’exécution en cours d’année est suivie par un comité budgétaire indépendant et pourrait être corrigée si nécessaire.

De telles règles spécifiques existent avec notamment les normes de dépenses de l’Etat et l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (l’ONDAM). Comme le montrent les fiches qui leur sont consacrées, le champ des dépenses couvertes est toutefois un peu trop limité et pourrait être étendu. En particulier, les concours financiers aux collectivités locales devraient être inclus dans « la norme de dépenses pilotables de l’Etat ».

« L’objectif d’évolution de la dépense publique locale » (ODEDEL) s’est rapproché d’une règle budgétaire de plafonnement des dépenses des plus grandes collectivités locales avec les dispositions inscrites dans la loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022. Ces grandes collectivités doivent en effet s’engager à limiter la croissance de leurs dépenses de fonctionnement et un mécanisme de type bonus-malus est appliqué aux dotations que l’Etat leur verse en fonction des résultats obtenus.

Il reste que certaines dépenses publiques ne sont pas soumises à des règles de ce type et peuvent connaître d’amples fluctuations, notamment les investissements des collectivités locales, les indemnités de chômage ou les crédits d’impôts. Dans ces conditions, les normes de dépenses de l’Etat doivent être plus contraignantes pour donner une marge de sécurité permettant de compenser le risque de sous-estimation de la croissance de ces dépenses dans les prévisions.

Si on retient une approche « comply or explain » du plafonnement des dépenses publiques, il n’est cependant pas nécessaire de couvrir la totalité de leur champ par des sous-plafonds, ce qui serait techniquement compliqué à mettre en œuvre alors que ces sous-plafonds ne seraient pas vraiment contraignants.

Les lois de programmation pluriannuelle devraient enfin être votées en début de législature, mais pas trop tôt après les élections de sorte que les plafonds de dépenses puissent reposer sur une évaluation, même rapide, de l’efficacité des politiques publiques permettant de retenir les dépenses les plus utiles.

 

[1] Cf. notamment un avis du Conseil d’Etat du 27 mars 2008 cité dans le commentaire publié par le Conseil constitutionnel sur sa décision du 9 août 2012 relative à la transposition du traité de 2012 sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l’Union économique et monétaire.

[2] Mesurée en utilisant le prix du PIB pour passer de leur croissance en valeur à leur croissance en volume.

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