17/02/2017
Que faire de l'impôt de solidarité sur la fortune ?
François ECALLE
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François Fillon propose de supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), sans le remplacer ; Emmanuel Macron envisage de limiter son assiette à l’immobilier ; Benoît Hamon veut le fusionner avec la taxe foncière ; Marine Le Pen semble vouloir le maintenir en l’état. Le sujet de l'ISF est clairement un des thèmes de la campagne présidentielle.
La France se singularise par le poids des prélèvements obligatoires sur le capital, plus particulièrement sur le stock de capital à travers notamment les impôts sur la détention et la transmission du patrimoine des ménages. La superposition de ces impôts contribue à décourager l’investissement et à dégrader l’attractivité du territoire national.
Le barème de l’ISF est une survivance obsolète d’une époque où le rendement du capital dépassait 10 %. Ajouté aux autres impôts sur le capital et ses revenus, il est devenu confiscatoire dans certains cas. Il faudrait donc en réduire les taux.
Une autre piste de réforme intéressante serait d'en limiter l'assiette aux actifs immobiliers, mais à condition de le fusionner avec la taxe foncière et de remplacer les valeurs cadastrales par des valeurs de marché, car la coexistence de deux impôts fonciers différents ne serait pas pertinente.
Les prélèvements sur l’immobilier sont toutefois trop lourds, ce qui pénalise notamment la construction de logements. Il faudrait donc plutôt supprimer complètement l’ISF et compenser, partiellement, le coût budgétaire de cette suppression par une hausse des droits sur les plus importantes successions et donations.
A) Les prélèvements sur le stock de capital sont très élevés en France et ont des effets indésirables
Les économistes distinguent les prélèvements obligatoires sur la consommation et sur les deux « facteurs de production » que sont le travail et le capital.
Comme le montre un ouvrage de M. Didier et J.F. Ouvrard, l’imposition du capital en France constitue « une coûteuse singularité »[1].
1) Les prélèvements sur le stock de capital sont très élevés en France
Les prélèvements obligatoires sur le capital sont constitués de prélèvements sur ses revenus (impôts sur les bénéfices des sociétés et les revenus des personnes physiques, CSG et prélèvements sociaux) et sur son stock, à travers sa détention (ISF, taxes foncières…) et sa transmission (droits de mutation à titre onéreux ou gratuit…). Apprécier l’ampleur de ces prélèvements pose d’importants problèmes méthodologiques (cf. fiche de l’encyclopédie).
La Commission européenne publie chaque année une estimation des prélèvements sur le travail, le capital et la consommation en Europe selon une méthodologie harmonisée. Son rapport de 2016 montre que les prélèvements sur le capital représentaient 10,5 % du PIB en France en 2014, contre une moyenne de 8,2 % dans la zone euro comme dans l’Union européenne. La France est au troisième rang, juste derrière la Belgique et l’Italie (10,6 %).
Source graphique : Commission européenne ; FIPECO
La France se distingue surtout par le poids des prélèvements sur le stock de capital (4,1 % du PIB) pour lesquels elle se situe au troisième rang, derrière le Royaume-Uni et la Belgique (4,3 %) mais très loin devant l’Allemagne (1,1 %) et les moyennes de la zone euro (2,6 %) et de l’Union européenne (2,8 %)[2].
Source graphique : Commission européenne ; FIPECO. La baisse de 2010 en France semble résulter d’une diminution conjoncturelle des droits de mutation.
Les impôts sur le seul patrimoine des ménages se sont élevés en 2015, en comptabilité nationale, à 5,2 Md€ pour l’ISF, à 12,2 Md€ pour les droits de mutation à titre gratuit (DMTG), à 17,6 Md€ pour les taxes foncières (part ménages) et à 11,6 Md€ pour les droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Les comparaisons entre pays sont difficiles car les statistiques des organisations internationales ne retiennent pas cette catégorie.
Une étude réalisée en 2014 pour la Commission européenne permet toutefois d’esquisser quelques comparaisons du poids en pourcentage du PIB en 2012 des impôts généraux sur la fortune, des DMTG et des prélèvements spécifiques sur la détention et la transmission des biens immobiliers. S’agissant de l’ensemble de ces impôts, la France apparaît en première place (3,3 %) du PIB, ce qui tient surtout à la taxation de l’immobilier (2,7 % du PIB)[3].
Le poids des impôts sur le patrimoine en 2012 (% du PIB)
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France
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Allemagne
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Royaume-Uni
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Italie
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Impôts sur la fortune
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0,2
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0
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0
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0,4
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Impôts sur l’immobilier
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2,7
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0,7
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2,0
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1,5
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Donations successions
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0,4
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0,1
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0,2
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0
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Espagne
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Pays-Bas
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Belgique
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Suède
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Impôts sur la fortune
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0,1
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0
|
0
|
0
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Impôts sur l’immobilier
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1,7
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0,7
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2,1
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0,3
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Donations successions
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0,2
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0,2
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0,6
|
0
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Source : Rapport de Ernst and Young pour la commission européenne TAXUD/2013/DE/335.
La France est le seul grand pays, avec l’Espagne, à appliquer un impôt sur l’ensemble du patrimoine d’un ménage. L’Italie applique un impôt sur la fortune limité aux actifs financiers, à côté des taxes foncières. Les prélèvements sur l’immobilier ont presque partout un rendement important. En revanche, les droits sur les successions et donations sont souvent très faibles. Les impôts sur le patrimoine sont quasi inexistants en Suède.
2) Ces prélèvements ont des effets indésirables
Les impôts sur le capital prélevés sur les entreprises pèsent sur leurs coûts de production et contribuent à dégrader leur compétitivité. Ils pénalisent plus particulièrement l’investissement, la recherche et le développement.
Les impôts sur le capital prélevés sur les ménages peuvent réduire leur incitation à épargner et limiter ainsi le financement de l’investissement. Ils ont surtout en France le défaut de privilégier les investissements financiers non risqués (livrets d’épargne, assurance-vie en euros…) au détriment des investissements risqués favorables au développement du potentiel de croissance (actions…).
Leur impact sur l’expatriation des ménages les plus fortunés est difficile à mesurer. En effet, les motifs des départs à l’étranger sont nombreux, souvent de nature professionnelle, et la fiscalité est rarement avancée par les partants. La forte augmentation des départs depuis 2011 suggère toutefois que la fiscalité pourrait être devenue déterminante. Les départs annuels de redevables de l’ISF sont passés de moins de 550, de 2007 à 2011, à 800 en 2013 et 2014, sans que les retours augmentent. Les départs annuels de ménages dont les revenus sont supérieurs à 300 000 € par an sont passés de moins de 250, de 2007 à 2011, à 620 en 2013 et 2014.
B) Le barème de l’ISF doit être réformé
L’ISF (cf. fiche relative aux impôts sur le patrimoine) est dû par les ménages résidents dont le patrimoine, net de leurs dettes, est supérieur à 1,3 M€ au 1er janvier de l’année d’imposition. Les contribuables dont le patrimoine net est supérieur à 2,57 M€ doivent détailler ses éléments et leur estimation dans une déclaration spécifique. Ceux dont le patrimoine net est compris entre 1,3 et 2,57 M€ peuvent se contenter d’indiquer sa valeur globale sur leur déclaration d’impôt sur le revenu.
Certains biens sont exonérés, en particulier : les biens professionnels, c’est-à-dire ceux nécessaires à l’activité des entrepreneurs individuels ainsi que les actions et parts de sociétés (non immobilières) où le contribuable détient plus de 25 % des droits de vote et exerce une fonction de dirigeant ; les antiquités (âge supérieur à 100 ans) et œuvres d’art.
Les biens doivent être évalués à leur valeur vénale, c’est-à-dire celle à laquelle ils pourraient être vendus, sauf exceptions (liquidités, forfait de 5 % du patrimoine pour le mobilier à défaut d’une autre estimation…). Un abattement de 30 % est appliqué sur la valeur vénale de la résidence principale.
Il existe trois méthodes pour estimer la valeur vénale : retenir la valeur d’acquisition du bien et lui appliquer un coefficient correspondant à la hausse des prix pour la catégorie de biens en question depuis sa date d’acquisition ; retenir le prix de vente moyen de biens comparables à la date d’estimation ; multiplier les revenus tirés de ce bien par l’inverse d’un taux de rendement moyen pour cette catégorie de biens. Ces trois méthodes présentent d’importantes difficultés d’application par le contribuable et de contrôle par les services fiscaux. Le coût de gestion de l’ISF représente 1,7 % des recettes, soit un des « taux d’intervention » par impôt les plus élevés de la DGFIP.
L’ISF est calculé en appliquant un « barème progressif par tranche ». Le taux appliqué est nul sur la première tranche (part du patrimoine inférieure à 0,8 M€) ; il est de 0,5 % sur la deuxième (de 0,8 à 1,3 M€), de 0,7 % sur la troisième (de 1,3 à 2,57 M€), de 1,0 % sur la quatrième (de 2,57 à 5,0 M€), de 1,25 % sur la cinquième (de 5,0 à 10,0 M€) et de 1,5 % sur la sixième (au-delà de 10,0 M€).
Ce barème a changé plusieurs fois mais il reste la survivance d’une époque où le rendement du capital dépassait 10 %[4]. Si un patrimoine rapporte 3 % par an, ce qui est aujourd’hui un rendement élevé, l’Etat peut en prélever plus de la moitié au titre des impôts sur le revenu (IR, CSG et prélèvements sociaux divers) et la moitié au titre de l’ISF, son taux marginal supérieur étant de 1,5 %, ce qui conduit à un prélèvement total confiscatoire (plus de 100 %[5]).
Le total des impôts sur le revenu et de l’ISF est certes plafonné à 75 % du revenu du ménage. Cependant, tant que ce plafond n’est pas atteint, accroître son patrimoine de 100 € pour en tirer un revenu de 3 € peut entrainer un prélèvement marginal de plus de 3 €.
Il est donc nécessaire de réduire les taux du barème de l’ISF et de les revoir régulièrement en fonction des évolutions du rendement de placements financiers de référence.
C) L’ISF pourrait être remplacé par la taxe foncière si les valeurs cadastrales étaient réformées
Limiter l’assiette de l’ISF à l’immobilier, comme le propose E. Macron, se traduirait par la coexistence de deux impôts, la taxe foncière et l’ISF, sur les mêmes biens, estimés selon des modalités très différentes. La taxe foncière, comme la taxe d’habitation, est assise sur des « valeurs cadastrales » estimées par l’administration alors que l’ISF est assis sur les valeurs vénales estimées par les contribuables eux-mêmes. Ces valeurs vénales devraient être proches des valeurs de marché, dont les valeurs cadastrales sont totalement déconnectées.
Cette coexistence de deux impôts différents sur l’immobilier n’ayant pas de justification et ne contribuant pas à simplifier le système fiscal, la fusion de l’ISF et de la taxe foncière défendue par B. Hamon semble être une piste plus intéressante, mais elle ne conduirait vraisemblablement pas à une baisse de la fiscalité sur le stock de capital.
Elle aurait néanmoins pour intérêt éventuel d’obliger à réformer les valeurs cadastrales pour les rapprocher des valeurs de marché, retenues pour estimer les autres biens soumis à l’ISF. Comme le montre la note consacrée à ce sujet, les impôts fonciers locaux sont inéquitables et incompréhensibles du fait des modalités d’estimation de ces valeurs cadastrales. Leur révision a été reportée par tous les gouvernements depuis plus 25 ans. La loi de finances rectificative du 29 décembre 2013 l’a de nouveau prévue pour les logements sur la base de critères et d’une classification rénovés, mais le plus probable est qu’elle ne sera jamais mise en œuvre, en raison de l’importance des transferts entre ménages qu’elle entraînerait.
Plutôt que d’essayer vainement d’appliquer des valeurs établies sur la base de critères et de classifications administratives qui ne reflèteront jamais la réalité du marché immobilier, il faudrait finir par admettre que la seule valeur observable et incontestable est celle retenue par les parties dans un contrat (bail ou mutation à titre onéreux). Il faudrait donc que cette valeur de marché remplace progressivement les valeurs cadastrales actuelles au fur et à mesure des nouvelles mutations ou des changements de locataires.
Si les valeurs cadastrales sont remplacées par des valeurs de marché, un ISF limité à l’immobilier tel que l’envisage E. Macron devrait alors être fusionné avec la taxe foncière, comme le propose B. Hamon, et être affecté comme celle-ci aux collectivités locales.
D) Il est préférable de supprimer complètement l’ISF et de financer partiellement le coût de cette suppression par une hausse des droits sur les plus grosses successions et donations
1) La fiscalité immobilière devrait être diminuée et l’ISF devrait être supprimé
E. Macron propose de limiter l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) aux biens immobiliers pour en faire « un impôt sur la rente immobilière ».
Toutefois, si les impôts sur le patrimoine des ménages sont plus élevés en France que dans tous les autres pays européens, cela tient surtout aux impôts sur l’immobilier. Il existe en effet déjà de lourds impôts sur sa détention (taxes foncières) et sa transmission (droits de mutation).
Les taxes foncières sont certes souvent considérées par les économistes comme les prélèvements obligatoires les moins préjudiciables à l’activité économique mais cela ne concerne que les impôts sur les terrains, parce que l’offre de terrains est fixe. En revanche, la construction de logements est très fluctuante et sensible à la rentabilité de l’investissement, donc à la fiscalité immobilière. Cette propriété favorable des taxes foncières avancée par les économistes ne concerne donc pas les prélèvements sur la détention, la transmission ou les revenus du bâti (par opposition au foncier au sens strict).
Les difficultés de logement en France proviennent ainsi largement d’une offre insuffisante qui résulte pour partie d’une fiscalité trop lourde pour des investissements immobiliers qui ne sont pas sans risques et dont les revenus ne sont pas toujours des rentes. Tous les gouvernements ont d’ailleurs essayé depuis presque 35 ans d’atténuer le poids de cette fiscalité immobilière par des réductions d’impôts en faveur de l’investissement locatif (cf. fiche sur la politique du logement). Il faudrait donc surtout arrêter cette politique consistant à taxer d’une main l’immobilier et à le détaxer, partiellement, de l’autre.
Dans ces conditions, limiter l’assiette de l’ISF à l’immobilier est une réforme insuffisante du point de vue de l'efficacité économique et probablement de l'équité, même en le fusionnant avec la taxe foncière si le prélèvement total sur l’immobilier est inchangé. Il serait donc plus avisé de le supprimer complètement.
2) La redistribution des patrimoines devrait plutôt être opérée par les droits sur les successions et donations
Comme le rappelle une note de France Stratégie de janvier 2017, la concentration du patrimoine des ménages est très forte en France (les 10 % les plus fortunés en possèdent la moitié) et sa redistribution est nécessaire pour renforcer la cohésion sociale[6].
Cette redistribution peut prendre deux formes, l’ISF et la taxation des successions et donations. L’ISF a pour inconvénient de pénaliser ceux qui préfèrent l’épargne à la consommation immédiate, alors même que l’épargne est nécessaire pour financer les investissements, et de taxer le capital accumulé grâce au travail et à la prise de risques.
Les droits sur les successions et donations contribuent à une plus grande égalité des chances entre les individus et à faire en sorte que leur niveau de vie dépende plus de leurs talents et de leurs efforts propres que de ceux de leurs parents. Certes, pour le testateur, le legs correspond à une épargne accumulée grâce à son talent et à ses efforts qu’il doit pouvoir utiliser librement, et c’est pourquoi la taxation des successions et donations doit rester mesurée. Mais, pour le légataire, le legs constitue généralement une « aubaine » au sens économique, c’est-à-dire un gain sans contrepartie.
Il faudrait donc supprimer complètement l’ISF, dont le rendement budgétaire est de 5 Md€ en 2015, et compenser le coût budgétaire de cette suppression par une hausse des droits sur les successions et donations, dont le rendement est de 12 Md€, en ciblant cette hausse sur les plus importantes. Cette compensation devrait être seulement partielle de sorte de réduire le montant global des impôts sur le patrimoine, y compris sur l’immobilier. L’architecture des droits de donation et succession pourrait alors être revue en s’inspirant des analyses et propositions présentées par France Stratégie dans sa note de janvier 2017, notamment celles visant à favoriser les donations compte-tenu de l’augmentation de l’espérance de vie.
Source : annuaire statistique de la DGFIP et documentation budgétaire ; FIPECO.
[1] « L’impôt sur le capital au XXIème siècle ; une coûteuse singularité française » M. Didier et J.F. Ouvrard, COE-REXECODE et Economica ; 2016.
[2] Ces écarts peuvent tenir pour partie à des différentiels de prix de l’immobilier.
[3] La taxe d’habitation est classée dans les statistiques fiscales internationales comme un impôt sur la détention du patrimoine immobilier car elle est majoritairement payée par des propriétaires occupants alors que, s’agissant des locataires, il s’agit plutôt d’un impôt sur la consommation de logements. La France perd sa première place si la taxe d’habitation est soustraite, mais il existe probablement des impôts semblables dans d’autres pays qui sont traités de la même façon dans les statistiques internationales et qui ne peuvent pas en être retirés, faute d’informations suffisantes, ce qui limite la portée de cette comparaison hors taxe d’habitation.
[4] Il a été créé (d’abord l’impôt sur les grandes fortunes puis l’impôt de solidarité sur la fortune) dans les années 1980 pendant lesquelles le rendement des obligations publiques de plus de 1 an a été en moyenne de 11,9 %.
[5] Le prélèvement sur l’immobilier est encore plus élevé du fait des taxes foncières.
[6] Voir aussi le livre de Th. Piketty sur le sujet, qui montre que la France est dans une situation intermédiaire.